Nations Unies

CCPR/C/103/D/1838/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 janvier 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1838/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 103e session(17 octobre-4 novembre 2011)

Présentée par:

Maria Tulzhenkova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

27 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

26 octobre 2011

Objet:

Condamnation à une amende pour non-respect des dispositions légales concernant l’organisation de manifestations collectives

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Restrictions à la liberté d’expression, y compris au droit de répandre des informations

Article du Pacte:

19 (par. 2)

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

Communication no1838/2008 *

Présentée par:

Maria Tulzhenkova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

27 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1838/2008 présentée par Maria Tulzhenkova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 27 octobre 2008, est Maria Tulzhenkova, de nationalité bélarussienne, née en 1986. Elle se déclare victime d’une violation par le Bélarus des droits garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 14 mars 2008, l’auteur distribuait des tracts donnant des informations sur un rassemblement pacifique qui devait se tenir à Gomel. Elle a été arrêtée par la police, qui a établi un procès-verbal indiquant qu’elle avait commis une infraction administrative visée à l’article 23.34, partie 1, du Code des infractions administratives. Cette disposition prévoit des sanctions administratives en cas de violation de la procédure régissant l’organisation ou le déroulement de rassemblements, de réunions, de manifestations, de défilés de rue et d’autres manifestations collectives. L’auteur indique que l’organisation de manifestations collectives est régie par la loi relative aux manifestations collectives dans la République du Bélarus (ci-après «loi relative aux manifestations collectives»). L’article 8 de la loi dispose que ni l’organisateur (les organisateurs) ni aucune autre personne n’ont le droit d’annoncer dans les médias la date, le lieu et l’heure d’une manifestation, ni de préparer et de distribuer des tracts, des affiches et d’autres matériels à cet effet avant d’avoir reçu l’autorisation d’organiser la manifestation. Comme l’auteur distribuait des tracts d’information sur un rassemblement pacifique pour lequel elle n’avait pas encore reçu d’autorisation, les policiers ont estimé qu’elle avait enfreint la loi. Ils ont donc dressé un procès-verbal indiquant l’infraction administrative commise, lequel a été transmis au tribunal du district central de Gomel.

2.2Le 17 mars 2008, le tribunal du district central de Gomel a reconnu l’auteur coupable de l’infraction administrative visée à l’article 23.34, partie 1, du Code des infractions administratives et l’a condamnée à une amende de 350 000 roubles. Le tribunal a expressément déclaré que l’auteur annonçait une manifestation avant d’avoir reçu des autorités l’autorisation de l’organiser, contrevenant ainsi à la procédure relative à l’organisation et au déroulement des manifestations collectives. L’auteur fait valoir que le tribunal s’est fondé uniquement sur le rapport de police et n’a pas examiné la question de savoir si la restriction ainsi imposée à son droit de répandre des informations était nécessaire au regard d’un des buts légitimes énoncés à l’article 19 du Pacte. Elle affirme que, en l’absence de toute explication fondée motivant la conclusion du tribunal, la sanction n’est pas justifiée par la nécessité de sauvegarder la sécurité nationale ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou le respect des droits ou de la réputation d’autrui et constitue, par conséquent, une violation des droits garantis par l’article 19 du Pacte. L’auteur affirme de plus que les constatations du Comité concernant la communication no 780/1997, Laptsevich c. Bé larus, viennent étayer le grief de l’illicéité de la sanction administrative prononcée.

2.3L’auteur affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes. Le 11 avril 2008, le tribunal régional de Gomel a confirmé la décision du tribunal du district central et a rejeté le recours de l’auteur. Le 17 octobre 2008, son pourvoi en révision a été rejeté par le Président de la Cour suprême du Bélarus. L’auteur affirme que les juridictions nationales ont refusé de qualifier ses actes conformément aux normes consacrées par le Pacte. En particulier, l’auteur a attiré l’attention du tribunal sur les articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, en vertu desquels les dispositions des traités doivent être exécutées de bonne foi et les parties ne peuvent invoquer les dispositions de leur droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Elle rappelle aussi que, en vertu de l’article 15 de la loi relative aux traités internationaux, les principes universellement reconnus du droit international et des instruments internationaux auxquels le Bélarus a adhéré font partie intégrante du droit interne.

Teneur de la plainte

3.D’après l’auteur, les faits décrits constituent une violation des droits qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. De plus, les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives qui restreignent le droit de répandre librement des informations sont contraires aux obligations internationales contractées par le Bélarus, parce que les restrictions en question ne sont pas nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ni de la santé ou de la moralité publiques. L’auteur affirme que les conditions établies par la législation nationale sont incompatibles avec l’article 19 du Pacte et constituent une restriction illégitime du droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations, garantis au paragraphe 2 de l’article 19.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 19 février 2009, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il fait valoir que Mme Tulzhenkova a été reconnue coupable le 17 mars 2008 d’une infraction administrative visée au paragraphe 1 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives, constituée par le non-respect de la procédure régissant l’organisation et le déroulement des manifestations collectives. Conformément à l’article 8 de la loi du 20 décembre 1997 relative aux manifestations collectives, ni l’organisateur (les organisateurs) ni aucune autre personne n’ont le droit d’annoncer dans les médias la date, le lieu et l’heure d’une manifestation collective, ni de préparer et de distribuer des tracts, des affiches et d’autres matériels à cet effet, avant d’avoir reçu l’autorisation d’organiser cette manifestation. Lorsque Mme Tulzhenkova a distribué les tracts appelant à une manifestation collective le 25 mars 2008, aucune autorisation n’avait été délivrée. C’est pourquoi une sanction administrative a été ordonnée, conformément aux dispositions de la législation nationale.

4.2L’État partie fait observer de plus que, en vertu du droit interne, Mme Tulzhenkova avait la possibilité de faire appel de la décision du tribunal du district central de Gomel devant le Président de la Cour suprême, ainsi que de former un recours auprès du Procureur général, lui demandant de soulever une objection auprès du Président de la Cour suprême. La décision du Président de la Cour suprême est définitive et ne peut pas donner lieu à un nouveau recours. Selon les parties 3 et 4 de l’article 12.11 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives, l’objection contre une décision passée en chose jugée doit être déposée dans les six mois à compter de la date où la décision est devenue exécutoire. Une objection formée après la date limite ne peut pas être examinée. L’auteur n’a pas formé de plainte auprès du bureau du Procureur. Par conséquent, elle n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et il n’y a aucune raison de croire que ces procédures de recours n’auraient pas été accessibles ou auraient été inutiles.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse datée du 11 avril 2009, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas indiqué dans ses observations pourquoi l’obligation prévue par la législation nationale de demander une autorisation préalable pour tenir un rassemblement pacifique dans le but de diffuser des informations constituerait dans son cas particulier une restriction légitime de ses droits, au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Nonobstant l’intention du législateur, une loi peut en soi être contraire au Pacte si son application se traduit par des restrictions ou des violations des droits et des libertés garantis par le Pacte.

5.2À l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, l’auteur répond que, selon la jurisprudence du Comité, dans les États où la décision concernant le réexamen de décisions judiciaires dans le cadre de procédures de révision dépend du pouvoir discrétionnaire d’un petit nombre d’agents de l’État, l’exigence d’épuisement des recours internes est limitée à la procédure de cassation. L’auteur rappelle en outre qu’elle a usé de son droit de former un pourvoi en révision auprès du Président de la Cour suprême du Bélarus. Toutefois, elle n’a pas formé de pourvoi en révision auprès du Procureur général car il ne s’agit pas d’un recours interne utile. Elle rappelle aussi que, conformément à la pratique établie du Comité des droits de l’homme, les recours internes doivent être épuisés uniquement dans la mesure où ils sont à la fois disponibles et utiles. Par conséquent, tous les recours internes ont été épuisés quand le pourvoi en cassation a été examiné.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une note du 26 mai 2009, l’État partie a ajouté que l’article 35 de la Constitution garantissait la liberté de tenir des réunions, des rassemblements, des défilés de rue, des manifestations et des piquets de protestations pour autant qu’ils ne troublent pas l’ordre public et ne portent pas atteinte aux droits d’autrui. La procédure régissant le déroulement des manifestations est fixée par la loi. Ainsi, les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives visent à créer des conditions permettant l’exercice des droits et libertés des citoyens consacrés par la Constitution et la protection de la sécurité publique et de l’ordre public durant le déroulement des manifestations sur la voie publique et dans tous les lieux publics. L’État partie rappelle en outre les informations données dans ses précédentes observations (voir par. 4.1 ci-dessus) concernant le fondement en droit de la sanction administrative prononcée contre l’auteur, et rappelle que, au moment où Mme Tulzhenkova distribuait des tracts appelant à la tenue d’une manifestation collective le 25 mars 2008, celle-ci n’avait pas été autorisée, raison pour laquelle Mme Tulzhenkova fait l’objet d’une sanction administrative conformément aux dispositions de la législation.

6.2L’État partie fait observer en outre que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte confère à toute personne le droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. Toutefois, le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte impose aux titulaires de droits des devoirs et des responsabilités spéciaux et le droit à la liberté d’expression peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui, et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. L’article 21 du Pacte reconnaît le droit de réunion pacifique. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

6.3La République du Bélarus, en tant qu’État partie au Pacte, a incorporé les dispositions des articles 19 et 21 dans son droit interne. Conformément à l’article 23 de la Constitution, la restriction des droits et libertés individuels n’est autorisée que dans les circonstances spécifiées par la loi pour assurer la sécurité nationale, l’ordre public et la protection de la santé et de la moralité publiques ainsi que des droits et libertés d’autrui. L’analyse de l’article 35 de la Constitution, qui garantit le droit à la liberté d’organiser des manifestations publiques, montre clairement que la Constitution établit le cadre législatif de la procédure à suivre pour organiser une manifestation. Actuellement, la procédure relative à l’organisation et au déroulement de réunions, de rassemblements, de défilés de rue, de manifestations et de piquets de protestation est établie dans la loi du 7 août 2003 relative aux manifestations collectives. La liberté d’expression, garantie par la Constitution, peut faire l’objet de restrictions uniquement dans les circonstances énoncées par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la protection de la santé et de la moralité publiques ainsi que des droits et libertés d’autrui. Par conséquent, les restrictions prévues par la législation du Bélarus ne vont pas à l’encontre de ses obligations internationales et tendent à sauvegarder la sécurité nationale et l’ordre public − sont visés en particulier les dispositions de l’article 23.34 du Code des infractions administratives et l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

7.1Dans une lettre du 14 novembre 2009, l’auteur réfute les arguments de l’État partie qui affirme que la sanction administrative prononcée pour le non-respect de la procédure régissant l’organisation et le déroulement des manifestations collectives était prévue par la loi et conforme aux restrictions licites énoncées à l’article 19 du Pacte. Le Bélarus a l’obligation de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et également de prendre, en accord avec ses procédures constitutionnelles et avec les dispositions du Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de mesures d’ordre législatif ou autre propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. La restriction énoncée à l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives, qui interdit d’annoncer dans les médias la date, le lieu et l’heure d’une manifestation, et de préparer et de distribuer des tracts, des affiches et d’autres matériels à cet effet avant que la manifestation n’ait été autorisée, n’est pas justifiée par la nécessité de protéger les droits ou la réputation d’autrui, de sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques; par conséquent chaque fois que cette disposition est appliquée, il y a violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.2L’auteur ne partage pas l’opinion de l’État partie qui estime que, puisque les restrictions à la liberté d’expression prévues par la législation nationale visent à sauvegarder la sécurité nationale et l’ordre public, elles ne vont pas à l’encontre des obligations internationales qu’il a contractées. Cet argument ne serait valable que si les juridictions nationales avaient qualifié les actes de l’auteur comme tombant sous le coup des restrictions légitimes au sens de l’article 19. Étant donné que l’État partie n’a pas présenté d’arguments expliquant pourquoi il est nécessaire d’interdire la préparation et la diffusion d’informations concernant une manifestation collective à venir aux fins de l’un des motifs légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19, une telle restriction constitue une violation des droits garantis par l’article 19 du Pacte. Les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre le droit lui-même et, à chaque fois, l’État partie doit montrer que les restrictions imposées sont «nécessaires» pour réaliser l’un des objectifs légitimes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas présenté de requête en révision au Procureur général lui demandant de soulever une objection auprès du Président de la Cour suprême et qu’elle n’a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité relève en outre que l’auteur explique que son pourvoi en révision a été rejeté par le Président de la Cour suprême et que si elle n’a pas présenté une telle demande au bureau du Procureur c’est parce que les procédures de révision ne constituent pas un recours interne utile. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les procédures de réexamen par une juridiction supérieure de décisions exécutoires constituent un moyen de recours extraordinaire dont l’exercice est laissé à la discrétion du juge ou du procureur et sont limitées à des points de droit. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

8.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, aux fins de la recevabilité. Les autres conditions applicables à la recevabilité étant remplies, le Comité considère que la communication est recevable, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui fait valoir que la sanction administrative qui a été prononcée à son encontre pour avoir distribué des tracts contenant des informations sur une manifestation pacifique à venir avant que celle-ci n’ait été autorisée, comme il est prévu par la législation nationale, représente une restriction injustifiée à sa liberté de répandre des informations, garantie par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie qui indique que l’auteur a fait l’objet d’une sanction administrative conformément aux dispositions de la législation nationale parce qu’elle avait enfreint la procédure régissant l’organisation ou le déroulement de manifestations collectives. Dans le cas d’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit à la liberté d’expression de l’auteur sont justifiées en vertu de l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19. Le Comité fait observer que l’article 19 n’autorise certaines restrictions que si elles sont prévues par la loi et nécessaires a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui, et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société, et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et elles «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

9.3Le Comité fait observer que dans le cas d’espèce l’État partie a fait valoir que les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives visaient à créer des conditions permettant l’exercice des droits et libertés des citoyens consacrés par la Constitution et la protection de la sécurité publique et de l’ordre public durant le déroulement des manifestations sur la voie publique et dans tous les lieux publics. Toutefois, l’État partie n’a pas précisé les risques qu’aurait entraînés la diffusion, à l’avance, des renseignements contenus dans les tracts distribués par l’auteur. Le Comité considère que dans les circonstances de l’espèce l’État partie n’a pas montré comment l’amende à laquelle l’auteur a été condamnée était justifiée en vertu des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19, et conclut par conséquent à une violation des droits de l’auteur garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’État partie a violé les droits de l’auteur garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective, sous la forme notamment du remboursement de la valeur de l’amende selon le taux de change en vigueur au moment des faits en mars 2008 et des frais de justice encourus par l’auteur, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est tenu en outre de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de centre quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations, à les faire traduire en bélarussien et à les faire diffuser largement dans les deux langues officielles de l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de M. Fabián Salvioli

1.J’approuve la décision du Comité des droits de l’homme concernant la communication no 1838/2088 (Tulzhenkova c. Bélarus), à propos de la violation de l’article 19 du Pacte constituée par l’application à l’auteur de la peine prévue à l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives dans la République du Bélarus, qui dispose que nul n’a le droit d’annoncer dans les médias la date, le lieu et l’heure d’une manifestation, ni de préparer et de distribuer des tracts, des affiches et d’autres matériels à cet effet avant que l’autorisation d’organiser la manifestation n’ait été délivrée.

2.En revanche, pour les raisons que j’expose ci-après, je considère que le Comité aurait dû établir que dans cette affaire l’État est également responsable d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte. Le Comité aurait dû indiquer dans ses constatations que l’État doit modifier les dispositions législatives qui ont été appliquées au détriment de l’auteur et qui sont incompatibles avec le Pacte.

3.Depuis que je suis devenu membre du Comité, je n’ai cessé d’affirmer que d’une façon incompréhensible le Comité a limité lui-même sa capacité de constater une violation du Pacte en l’absence de grief juridique spécifique. Chaque fois que les faits montrent clairement que la violation s’est produite, le Comité peut et doit − en vertu du principe j ura novit curiae− inscrire l’affaire dans le droit. Les fondements juridiques de cette position et les raisons pour lesquelles elle ne suppose pas que les États se retrouvent sans défense sont exposés dans l’opinion partiellement dissidente que j’ai rédigée dans l’affaire Weera w ansa c. Sri Lanka (par. 3 à 5) et je renvoie à ces considérations.

4.Il faut souligner en tout état de cause que dans l’affaire Tulzhenkova c. Bélarus l’auteur affirme, à propos de la loi qui lui a été appliquée, qu’une «loi peut en soi être contraire au Pacte si son application se traduit par des restrictions ou des violations des droits et des libertés garantis par le Pacte».

a)Violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte

5.La responsabilité internationale de l’État peut naître, entre autres facteurs, de l’action ou de l’omission de l’un quelconque de ses pouvoirs, notamment bien sûr du pouvoir législatif ou de toute autre branche qui a la faculté de légiférer conformément à la Constitution. Le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte dispose: «Les États parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.». Si l’obligation établie au paragraphe 2 de l’article 2 est d’ordre général, le manquement à cette obligation peut engager la responsabilité internationale de l’État.

6.Cette disposition est exécutoire par elle-même. Comme l’a indiqué à juste titre le Comité, dans son Observation générale no 31: «Les obligations découlant du Pacte en général et de l’article 2 en particulier s’imposent à tout État partie considéré dans son ensemble. Tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) ainsi que toute autre autorité publique ou gouvernementale à quelque échelon que ce soit − national, régional ou local − sont à même d’engager la responsabilité de l’État partie…».

7.De même que les États parties au Pacte sont tenus d’adopter des mesures législatives pour donner effet aux droits, de même du paragraphe 2 de l’article 2 découle une obligation négative: ils ne peuvent pas adopter de mesures législatives contraires au Pacte; adopter de telles dispositions constitue en soi une violation des obligations prévues au paragraphe 2 de l’article 2.

8.La République du Bélarus a ratifié le Pacte le 12 novembre 1973. Elle a ainsi souscrit à l’obligation expresse de prendre les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte (art. 2, par. 2), et donc l’obligation de ne pas prendre de mesures contraires aux droits consacrés par le Pacte. De même, la République du Bélarus a adhéré au Protocole facultatif, le 30 décembre 1992, reconnaissant ainsi la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers.

9.L’État partie a adopté la loi relative aux manifestations collectives le 20 décembre 1997; par cette mesure, il a commis une violation du Pacte, indépendamment de l’application de la loi en question. Plus tard, l’auteur a présenté au Comité une communication dénonçant l’application de la loi relative aux manifestations collectives à son encontre; le Comité aurait dû signaler dans ses constatations que non seulement l’État partie avait commis une violation de l’article 19, mais que l’adoption de cette loi constituait une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

10.La loi relative aux manifestations collectives a été directement appliquée à l’espèce, et par conséquent une constatation de violation du paragraphe 2 de l’article 2 dans l’affaire Tulzhenkova n’est ni abstraite ni une simple question rhétorique. Enfin, il ne faut pas oublier que les violations constatées ont une incidence directe sur la réparation que le Comité peut demander quand il se prononce sur chaque communication.

b)Réparation dans l’affaire Tulzhenkova

11.Le paragraphe 11 des constatations est insuffisant; le Comité y dit que «…l’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir», mais ensuite, il s’en tient là. Comment l’État partie va-t-il donner suite à cet élément des constatations du Comité s’il ne modifie pas la disposition que le Comité a considérée comme contraire au Pacte? Le Comité aurait dû assurément indiquer que la République du Bélarus doit modifier la disposition interne en cause (l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives) afin de la rendre compatible avec les obligations découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le maintien en vigueur d’une disposition qui est en soi incompatible avec le Pacte n’est pas conforme aux normes internationales en matière de réparation pour des violations des droits de l’homme.

12.Il est donc essentiel que le Comité prenne une position moins ambiguë en ce qui concerne les réparations non patrimoniales, tout particulièrement quand il s’agit de mesures de restitution, de satisfaction et de garantie de non-répétition: plus le Comité sera précis dans ses constatations, plus il sera aisé pour un État de leur donner effet.

(Signé) Fabián Salvioli

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (concordante) de M. Rajsoomer Lallah

J’observe que les constatations du Comité (par. 9.3) ont trait aux circonstances particulières de la communication, à savoir le fait que l’État partie a donné peu ou pas d’informations pour justifier les restrictions qui auraient pu être autorisées en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Le Comité a ainsi constaté une violation du droit fondamental à la liberté d’expression, garanti au paragraphe 2 de l’article 19, à l’encontre de l’auteur, reconnaissant le grief que celle-ci avait formulé.

La violation constatée découle manifestement de l’application d’une loi qui ne précise pas qu’elle est inapplicable dans les cas où il n’est pas démontré que les restrictions à la liberté d’expression sont conformes au paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte.

Pour les raisons exposées dans l’opinion individuelle que j’ai formulée à propos de l’affaire Adonis c. Philippines (communication no 1815/2008), je suis d’avis que les inquiétudes de M. Salvioli au sujet du manquement de l’État partie à son obligation d’adopter une législation appropriée auraient pu être apaisées par une demande de réexamen de la législation conformément au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

Au paragraphe 11 des constatations, il aurait peut-être été plus constructif et plus pragmatique de formuler une demande du type de celles que le Comité a coutume d’adresser à l’État partie concerné lorsqu’une loi contestable ou déficiente se révèle être la source de la violation précise constatée. À cette fin, on aurait pu y insérer une phrase demandant à l’État partie de revoir sa législation conformément au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

(Signé) Rajsoomer Lallah

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]