Nations Unies

CCPR/C/110/D/1864/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 mai 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1864/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa cent dixième session(10-28 mars 2014)

Communication présentée par:

Vladimir Kirsanov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

22 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 25 février 2009 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

20 mars 2014

Objet:

Refus d’autoriser l’organisation d’une réunion pacifique

Question de procédure:

Épuisement des recours internes

Question s de fond:

Droit de réunion pacifique; restrictions autorisées

Article du Pacte:

21

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (cent dixième session)

concernant la

Communication no 1864/2009 *

Présentée par:

Vladimir Kirsanov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

22 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1864/2009 présentée Vladimir Kirsanov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Vladimir Kirsanov, de nationalité bélarussienne, né en 1937. Il se dit victime d’une violation par le Bélarus des droits garantis par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après «le Pacte»). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 14 janvier 2008, l’auteur a demandé l’autorisation d’organiser un rassemblement statique (piquet), le 30 janvier 2008, afin d’attirer l’attention du public sur la politique menée par l’État partie contre les partis d’opposition et les mouvements populaires et de protester contre la tentative de démantèlement du Parti communiste bélarussien par l’État. L’auteur était membre du Parti communiste bélarussien au moment des événements. Le 22 janvier 2008, le Comité exécutif du district de Zhlobinsky, dans la région de Gomel, (ci-après «le Comité exécutif») lui a refusé cette autorisation au motif que rien ne justifiait la tenue de cette manifestation, puisque la Cour suprême avait suspendu les activités du Parti communiste bélarussien pour une période de six mois, par un arrêt en date du 2 août 2007.

2.2L’auteur a saisi le tribunal de district de Zhlobinsky (ci-après «le tribunal de district») pour contester le refus du Comité exécutif. Le 3 mars 2008, le tribunal de district a rejeté sa plainte, indiquant que la suspension des activités du Parti communiste était un motif suffisant pour restreindre son droit d’organiser une réunion pacifique. Le 10 avril 2008, le tribunal régional de Gomel a confirmé en appel la décision en date du 3 mars 2008, qui est alors devenue définitive.

2.3L’auteur fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. Il ajoute que, bien qu’il ne considère pas la procédure de contrôle (nadzor) comme un recours utile, il a saisi le tribunal régional de Gomel et la Cour suprême afin de demander la mise en œuvre d’une telle procédure. Les 9 juillet et 5 novembre 2008 respectivement, le Président du tribunal régional de Gomel et le Président de la Cour suprême ont rejeté ses requêtes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de son droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte. Ses droits ont été restreints au motif que les activités du Parti communiste bélarussien, dont il était membre, avaient été suspendues pour une durée de six mois. Les juridictions nationales auraient dû établir si une telle restriction était conforme à la loi. L’auteur fait valoir que les autorités nationales, y compris les juridictions internes, n’ont pas cherché à justifier la restriction apportée ni à démontrer sa nécessité dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public, de la protection de la santé ou de la moralité publiques ou de la protection des droits et libertés d’autrui.

3.2L’auteur soutient que les tribunaux n’ont pas évalué la décision du Comité exécutif en tenant compte des dispositions du Pacte. En vertu des articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, le Bélarus est lié par le Pacte; il doit l’appliquer de bonne foi et ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier son inapplication. En vertu de l’article 15 de la loi bélarussienne relative aux traités internationaux, les principes universellement reconnus du droit international et les dispositions des instruments internationaux en vigueur au Bélarus font partie intégrante du droit interne. Conformément à l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. Le droit de réunion pacifique est consacré par l’article 21 du Pacte et ne peut être restreint que s’il s’agit d’atteindre l’un des buts légitimes qui y sont énoncés. L’auteur affirme que l’État partie, en limitant son droit de réunion pacifique pour un motif autre que l’un de ceux énoncés dans l’article 21 du Pacte, n’a pas respecté ses obligations internationales.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une lettre en date du 8 mai 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, en faisant valoir que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles et qu’il n’y avait aucune raison de croire que ces moyens de recours auraient été inaccessibles ou inopérants. Ainsi, l’auteur n’a pas saisi le Bureau du Procureur ni le Président de la Cour suprême pour leur demander de déclencher la procédure de contrôle, comme le prévoit l’article 439 du Code de procédure civile. L’État partie affirme que les propos de l’auteur, qui assure que ses demandes au titre de la procédure de contrôle ont été rejetées les 9 juillet et 5 novembre 2008, ne correspondent pas aux faits.

4.2L’État partie fait valoir en outre que l’allégation de l’auteur selon laquelle la procédure de contrôle ne constitue pas un recours utile est l’expression d’une opinion personnelle et subjective, qui ne correspond pas non plus aux faits. Il cite des statistiques faisant apparaître que, en 2007, 733 affaires administratives ont été examinées par le Président de la Cour suprême, une instance de contrôle, qui a annulé ou modifié les décisions dans 179 cas, dont 63 cas soumis par le Bureau du Procureur. En 2008, le Président de la Cour suprême a examiné 1 071 affaires administratives et annulé ou modifié les décisions dans 317 cas, dont 146 soumis par le Bureau du Procureur. En conséquence, en 2007 et en 2008 respectivement, le Président de la Cour suprême a annulé ou modifié 24,4 % et 29,6 % des décisions administratives examinées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité

5.1Dans une lettre en date du 7 juin 2009, l’auteur réaffirme qu’il n’a pas sollicité de contrôle de la décision le concernant auprès du Bureau du Procureur parce qu’une telle démarche n’aurait pas abouti au réexamen de l’affaire, l’exercice de la procédure de contrôle étant laissé à la discrétion de quelques fonctionnaires. En outre, le dépôt d’une telle demande entraîne des frais. L’auteur note que le Comité a déjà établi que, dans les États parties où la mise en œuvre de la procédure de contrôle est laissée à la discrétion de quelques fonctionnaires, comme le Procureur général ou le Président de la Cour suprême, les voies de recours à épuiser se limitent au recours en annulation. L’auteur rappelle qu’il a demandé au Président de la Cour suprême de déclencher la procédure de contrôle et que le 5 novembre 2008 un vice-président de la Cour suprême a répondu à cette demande, information que l’État partie n’a pas contestée.

5.2L’auteur note en outre, pour ce qui est des statistiques fournies par l’État partie, que ces données se rapportent à des affaires administratives et, par conséquent, n’ont rien à voir avec son affaire, qui était civile et relève des dispositions du Code de procédure civile.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1En date du 30 juillet 2009, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de l’affaire. Il rappelle les faits et indique que le tribunal de district a établi que le but du piquet annoncé par l’auteur ne concordait pas avec les circonstances, puisque aucune décision n’avait été prise en vue d’interdire des partis politiques, en particulier le Parti communiste bélarussien. Selon le préambule de la loi du 30 décembre 1997 relative aux manifestations de masse, «l’État garantit à chacun la liberté d’organiser des manifestations de masse qui ne sont pas contraires à l’ordre juridique et ne portent pas atteinte aux droits des autres citoyens de la République du Bélarus». En vertu de l’article 34 de la Constitution, «le droit de recevoir des informations fiables sur les activités des organes de l’État et des associations publiques doit être garanti aux citoyens». L’autorisation d’organiser le piquet a été refusée à l’auteur parce que cette manifestation visait un «faux problème» (надуманная проблема), ce qui est contraire au droit constitutionnel des citoyens de recevoir des informations fiables.

6.2L’État partie ajoute que l’organisation et le déroulement des manifestations de masse sont régis par la loi du 30 décembre 1997 relative à ce type d’événement. Cette loi vise à créer des conditions favorables à la réalisation des droits et libertés constitutionnels du citoyen et à protéger l’ordre public et la sûreté publique pendant la tenue de telles manifestations dans des lieux publics. Conformément à ladite loi, «l’État garantit à chacun la liberté d’organiser des activités de masse qui ne sont pas contraires à l’ordre juridique et ne portent pas atteinte aux droits des autres citoyens de la République du Bélarus».

6.3Le droit de réunion pacifique est consacré par l’article 21 du Pacte. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Le Bélarus a ratifié le Pacte et incorporé ses dispositions, dont les articles 19 et 21, au droit interne. En particulier, l’article 33 de la Constitution garantit le droit de chacun à la liberté de pensée et d’opinion et à la liberté d’expression, tandis que l’article 35 dispose que la liberté d’organiser des réunions, des rassemblements, des défilés de rue, des manifestations et des piquets qui ne troublent pas l’ordre public et ne portent pas atteinte aux droits des autres citoyens du Bélarus est garantie par l’État. En outre, conformément à l’article 23 de la Constitution, les droits et libertés des citoyens ne peuvent faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une lettre en date du 12 février 2010, l’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel l’autorisation de tenir une réunion pacifique lui a été refusée conformément à la loi parce que les autorités ont estimé que le piquet en question portait sur un faux problème. À cet égard, il souligne que le droit protégé par l’article 21 du Pacte peut être restreint uniquement aux conditions énumérées dans cet article. Il fait valoir que la notion de «faux problème» ne figure pas dans la législation nationale relative à l’organisation et au déroulement des manifestations de masse. Il affirme que, en conséquence, la restriction imposée à son droit de réunion pacifique pour ce motif n’est ni conforme à la loi ni nécessaire dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

7.2L’auteur ajoute qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et qu’il est victime d’une violation de l’article 21 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait pu déposer une demande de contrôle des décisions du tribunal de district et du tribunal régional auprès du Bureau du Procureur et du Président de la Cour suprême; il prend également note de la référence faite par l’État partie à un certain nombre d’affaires administratives dans lesquelles la procédure de contrôle a été suivie avec succès. Il prend aussi note des explications de l’auteur, lequel indique que les requêtes qu’il a déposées en vue de la mise en œuvre de la procédure de contrôle n’ont pas abouti, que cette voie de recours n’est ni efficace ni accessible et que les données fournies par l’État partie n’ont rien à voir avec l’affaire le concernant. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les procédures de contrôle des décisions de justice devenues exécutoires ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il relève également que l’État partie n’a pas indiqué si la procédure de contrôle avait été appliquée avec succès dans des affaires concernant le droit de réunion pacifique, ni précisé exactement, si tel était le cas, dans combien de ces affaires. En conséquence, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.4Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son grief de violation de l’article 21 du Pacte. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si le refus d’autoriser l’organisation du piquet prévu par l’auteur constitue une violation des droits garantis par l’article 21 du Pacte.

9.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit fondamental de l’être humain, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose notamment la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris un rassemblement statique dans un lieu public (piquet), et d’y participer. Le Comité rappelle que ce droit ne peut faire l’objet d’aucune restriction excepté: 1) celles qui sont imposées conformément à la loi; et 2) celles qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

9.4Le Comité constate que l’État partie, puisqu’il a instauré une procédure pour l’organisation des manifestations de masse et a refusé d’autoriser l’auteur à organiser le piquet prévu, a établi une restriction à l’exercice du droit de réunion pacifique garanti à l’auteur. En conséquence, la question qui se pose au Comité en l’espèce est de savoir si cette restriction est justifiée au regard des critères énoncés dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité rappelle que, si un État partie impose une restriction en application de l’article 21, c’est à lui de prouver que cette restriction était nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans les dispositions dudit article.

9.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’autorisation d’organiser un piquet a été refusée à l’auteur en raison de son motif, l’interdiction prétendue de partis politiques, ce que les autorités locales ont considéré comme un faux problème. Il prend également note de l’explication de l’État partie qui indique qu’aucune décision d’interdiction n’avait été prise à l’égard de partis politiques et que, par conséquent, le sujet visé par le piquet était contraire au droit des citoyens de recevoir des informations fiables, protégé par l’article 34 de la Constitution et par la loi du 30 décembre 1997 relative aux manifestations de masse. Le Comité prend aussi note de la déclaration de l’État partie selon laquelle la loi susmentionnée vise à créer des conditions favorables à la réalisation des droits et libertés constitutionnels du citoyen et à protéger l’ordre public et la sûreté publique pendant la tenue de telles manifestations dans des lieux publics. Il note encore que, selon l’auteur, la notion de «faux problème» ne fait pas partie des motifs répertoriés dans la législation nationale relative aux manifestations de masse comme justifiant le refus d’autoriser la tenue d’une telle manifestation.

9.6Le Comité doit se prononcer sur la question de savoir si la restriction imposée à l’exercice du droit de réunion pacifique garanti à l’auteur constitue une violation de l’article 21 du Pacte. Le Comité note que l’autorisation d’organiser le piquet prévu a été refusée à l’auteur sur décision du Comité exécutif du district de Zhlobinsky (région de Gomel), et que cette décision a été confirmée par les juridictions nationales.

9.7Le Comité rappelle que dénier le droit d’un individu d’organiser une réunion publique en raison de son contenu constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté de réunion pacifique. En outre, lorsqu’il impose des restrictions dans le but de concilier le droit de réunion d’un particulier avec l’intérêt général mentionné plus haut, un État partie devrait chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. Toute restriction à l’exercice du droit de réunion pacifique doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité.

9.8En l’espèce, le Comité fait observer que l’État partie n’a pas démontré que le refus d’autoriser l’organisation du piquet, même s’il était conforme à la loi, était nécessaire pour atteindre l’un des buts légitimes énoncés dans l’article 21 du Pacte. En particulier, l’État partie n’a pas précisé en quoi la tenue du piquet sur le sujet choisi constituerait une menace pour la sûreté publique et l’ordre public, comme il l’a affirmé. Pour ce qui est de l’argument concernant la protection du droit d’autrui de recevoir des informations fiables, l’État partie n’a pas montré en quoi cette protection était compatible avec les buts légitimes énoncés dans l’article 21 du Pacte ni, en particulier, pourquoi elle était nécessaire dans une société démocratique dont le fondement est la liberté de répandre des informations et des idées, dont des informations et des idées contestées par le Gouvernement ou par la majorité de la population. En outre, l’État partie n’a pas démontré que ces buts pouvaient uniquement être atteints moyennant le refus du piquet proposé par l’auteur. Le Comité conclut que, en l’absence de toute autre explication pertinente de l’État partie, les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate qu’il y a eu violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur, sous la forme notamment d’une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de faire en sorte que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations, et à les faire diffuser largement dans le pays en biélorusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de MM. Fabián Salvioli et Víctor Rodríguez Rescia

Nous sommes d’accord avec les constatations adoptées en l’affaire Kirsanov c. Bélarus (communication no 1864/2009), dans lesquelles le Comité a conclu que l’État partie avait manqué à ses obligations internationales parce qu’il n’avait pas respecté l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (droit de réunion pacifique). Nous estimons néanmoins qu’en l’espèce le Comité aurait également dû conclure à une violation par l’État partie de l’article 19 du Pacte. Les faits établis démontrent que l’interdiction par l’État partie d’une manifestation pacifique au motif que celle-ci avait pour objet «un faux problème» constitue une violation grave du droit à la liberté d’expression.

L’objet de la manifestation, comme l’a clairement indiqué l’auteur, était d’attirer l’attention du public sur la politique menée par l’État partie contre les partis politiques d’opposition et les mouvements populaires et de dénoncer ce qui était perçu comme une tentative de démantèlement du Parti communiste bélarussien. Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce l’expression de l’opinion de l’auteur était l’élément le plus important, et que la réunion pacifique était le moyen choisi pour exercer ce droit. C’est donc aux deux droits susmentionnés qu’il a été porté atteinte, mais plus particulièrement au droit à la liberté d’expression.

Face aux faits établis, le Comité doit seulement appliquer le droit, c’est-à-dire appliquer le Pacte; il prend en considération et évalue les arguments avancés par les parties, mais ceux-ci ne peuvent en aucun cas restreindre sa capacité d’inscrire l’affaire dans le droit de la manière qu’il juge la plus appropriée pour réaliser l’objet et le but du Pacte.

Tant que le Comité continuera de restreindre lui-même sa capacité d’action, il adoptera des décisions incohérentes entre elles. À la même session où il a adopté les constatations en l’affaire Kirsanov, il est parvenu à une conclusion différente au sujet d’une autre communication concernant le même État partie et portant sur des faits analogues.

Comme nous l’avons déjà signalé dans de précédentes opinions individuelles, il arrive que le Comité applique des articles du Pacte qui n’ont pas été invoqués par les parties dans leurs observations écrites; mais dans d’autres cas, comme en l’espèce, il n’en fait rien. Il n’y a aucune explication logique à cela.

En finir avec ces incohérences améliorera la pratique du Comité, qui ainsi appliquera mieux le droit, réalisera pleinement l’objet et le but du Pacte et guidera plus efficacement les États afin que ceux-ci appliquent les mesures de réparation requises lorsqu’ils sont reconnus responsables d’une violation de leurs obligations internationales.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]