Nations Unies

CCPR/C/109/D/1839/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 février 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 1839/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication présentée par:

Aleksandr Komarovsky (non représentépar un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

7 août 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

25 octobre 2013

Objet:

Liberté d’expression; droit de réunion pacifique

Question ( s ) de procédure:

Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés

Question ( s ) de fond:

Restrictions illégitimes au droit à la liberté d’expression et au droit de réunion pacifique

Article ( s ) du Pacte:

19 (par. 2) et 21

Article ( s ) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1839/2008 *

Présentée par:

Aleksandr Komarovsky (non représentépar un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

7 août 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1839/2008 présentée par Aleksandr Komarovsky en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur est Aleksandr Komarovsky, né en 1942, de nationalité bélarussienne. Il se déclare victime de violations par le Bélarus des droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 8 février 2008, l’auteur et trois autres personnes ont demandé au Comité exécutif de la ville de Jodino l’autorisation d’organiser une réunion qui serait suivie d’une marche et d’un concert, le 23 mars 2008 près de l’entrée du Parc de la culture, pour le quatre‑vingt‑dixième anniversaire de la fondation de la République du Bélarus. La réunion et les activités devaient se tenir de 15 heures à 18 heures.

2.2Le 21 février 2008, le Comité exécutif de la ville de Jodino a informé les organisateurs, dont l’auteur, que les 22 et 23 mars 2008 le vingt-cinquième marathon national aurait lieu à Jodino, dans le centre-ville. Aucune autre précision n’ayant été donnée, l’auteur a poursuivi les préparatifs en vue d’une réunion pacifique. Le 17 mars 2008, le Comité exécutif a rendu une décision par laquelle il refusait d’autoriser la réunion ainsi que la marche et le concert devant suivre, le 23 mars 2008, car le vingt-cinquième marathon national avait lieu ce jour-là.

2.3Le 19 mars 2008, l’auteur et les trois autres organisateurs ont informé le Comité exécutif de la ville de Jodino qu’ils avaient décidé d’annuler les manifestations prévues. Ils ont aussi indiqué qu’ils examinaient la possibilité d’organiser une manifestation pacifique en face du centre commercial «SITI» ou dans le parc jouxtant le magasin «GRES», ou devant le monument à la mémoire de la «Mère patriote Kupriyanova», ou encore dans tout autre lieu qui ne se trouvait pas sur le parcours du marathon.

2.4Le 20 mars 2008, le Comité exécutif de Jodino a fait savoir aux organisateurs qu’il ne pourrait pas examiner leur demande du 19 mars 2008 car elle n’était pas conforme aux dispositions de la loi relative aux manifestations de masse. L’auteur et les autres organisateurs ont été avertis que si la réunion avait lieu le 23 mars 2008, elle serait considérée comme une manifestation de masse non autorisée.

2.5L’auteur et les autres organisateurs ont décidé de ne pas organiser la manifestation le 23 mars 2008. Toutefois, afin d’informer de l’annulation de la manifestation les personnes qui savaient où celle-ci devait se dérouler, ils se sont rendus le 23 mars à 15 heures au Parc de la culture de Jodino, où ils ont retrouvé 10 à 15 personnes. D’autres personnes sont arrivées peu après. L’auteur et les personnes réunies ont décidé de rendre hommage aux héros morts en combattant pour le pays et de déposer des fleurs au pied de l’obélisque nommé «Les héros vivent éternellement». Selon l’auteur, l’hommage et le dépôt des fleurs ne constituaient pas une manifestation de masse de nature politique, sociale ou économique et il n’était pas nécessaire d’obtenir une autorisation pour cette activité.

2.6Un groupe d’une vingtaine de personnes s’est dirigé lentement vers l’obélisque; certains parmi les plus jeunes portaient le drapeau national historique du Bélarus et le drapeau de l’Union européenne. Lorsque les policiers qui se tenaient à proximité ont vu ces drapeaux, ils ont immédiatement ordonné au groupe de les faire disparaître. Les policiers n’ont donné aucun ordre à l’auteur qui est allé avec le reste du groupe jusqu’à l’obélisque où ils ont déposé les fleurs et lâché des ballons rouges et blancs. Tout cela a duré environ cinq minutes.

2.7Lorsque les participants ont commencé à se disperser, des policiers se sont dirigés vers l’auteur et l’ont emmené au poste de police. L’auteur a été interrogé au sujet de la réunion et gardé au poste de police jusqu’au lendemain matin. Le 24 mars 2008, le tribunal municipal de Jodino (région de Minsk) a conclu que l’auteur avait organisé une manifestation de masse non autorisée et a ordonné qu’il soit placé en détention administrative pendant sept jours. Le 25 mars 2008, l’auteur a fait appel de ce jugement auprès du tribunal régional de Minsk mais, le 8 avril 2008, celui-ci a confirmé la décision rendue par la juridiction inférieure. Le 16 mai 2008, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal régional auprès de la Cour suprême, qui a jugé l’appel non fondé et l’a rejeté, le 28 juin 2008.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se déclare victime de violations par l’État partie des droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte, parce qu’il a été placé en détention et sanctionné pour avoir participé à une manifestation et exprimé ses opinions le 23 mars 2008.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une réponse du 19 février 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, faisant valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. Il a rappelé que le 24 mars 2008 le tribunal municipal de Jodino avait conclu que l’auteur avait commis une infraction administrative visée au paragraphe 2 de l’article 23.34 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives et qu’il l’avait condamné à une peine de sept jours de détention administrative pour n’avoir pas respecté la procédure prescrite pour l’organisation et la conduite d’une réunion et d’une marche. En appel, le 8 avril 2008, le tribunal régional de Minsk avait confirmé cette décision. Le 28 juin 2008, le Vice-Président de la Cour suprême avait rejeté le nouveau recours de l’auteur.

4.2L’État partie fait observer que le recours formé par l’auteur devant la Cour suprême n’a jamais été examiné par le Président de la Cour suprême. Il explique que conformément aux dispositions de la législation administrative l’auteur aurait pu faire appel de la décision du tribunal municipal de Jodino auprès du Président de la Cour suprême et aurait pu demander au Procureur général d’introduire une requête en contestation devant la Cour suprême au sujet de la décision de la juridiction inférieure. En vertu des paragraphes 3 et 4 de l’article 12.11 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives, une plainte (contestation) concernant une décision rendue dans le cadre d’une procédure administrative et devenue exécutoire peut être examinée dans un délai de six mois, alors qu’une plainte déposée après ce délai ne peut pas être examinée. L’auteur a formé auprès du Bureau du Procureur une plainte concernant les décisions rendues par les juridictions nationales, mais ces décisions n’ont pas été examinées car l’auteur n’avait pas payé la taxe requise. Comme le délai de six mois mentionné ci-dessus a expiré, les plaintes de l’auteur qui contestait la décision de la juridiction nationale le reconnaissant coupable d’une infraction administrative ne peuvent pas être examinées. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et maintient que ces recours auraient été accessibles et utiles.

4.3L’État partie note en outre que la procédure de recours aux fins de contrôle prévue dans le Code de procédure et d’application des sanctions administratives constitue un recours utile. En vertu de l’article 12.1 de ce code, toute décision relative à une infraction administrative peut être attaquée, notamment par la personne visée par la décision, une partie lésée ou leur représentant ou avocat, et le procureur, de son côté, peut introduire une requête visant à contester de telles décisions. L’article 12.4 du Code prévoit notamment qu’une plainte portant sur une décision relative à une infraction administrative peut être formée dans les dix jours suivant la notification de la décision à la personne visée par la procédure et dans les cinq jours si la décision prévoit le placement de l’intéressé en détention administrative ou son expulsion. En outre, conformément aux articles 12.5 et 12.6 du Code, si les personnes mentionnées à l’article 12.1 du Code n’ont pas pu, pour des raisons justifiées, respecter les délais indiqués, elles peuvent demander au tribunal de fixer un nouveau délai. Lorsque le tribunal accède à cette demande, l’exécution de la décision est suspendue.

4.4L’État partie fait observer que, sur les 2 739 plaintes soumises au Bureau du Procureur en 2008 par des particuliers contestant des décisions de culpabilité relatives à des infractions administratives, 422 ont abouti. La même année, les services du Procureur ont présenté à la Cour suprême 105 requêtes en contestation au sujet d’affaires administratives; 101 ont abouti.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Dans une lettre du 6 mai 2009, l’auteur a fait valoir que les recours cités par l’État partie n’étaient pas utiles et qu’il n’était donc pas tenu de les épuiser. Il souligne de plus qu’il a présenté une plainte à la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle, mais qu’il a été débouté. Il note en outre que l’examen d’une affaire dans le cadre de la procédure de contrôle est à l’entière discrétion du Président de la Cour suprême, qui décide s’il y a lieu d’engager une telle procédure. Il est évident que l’examen d’une plainte dans le cadre de la procédure de contrôle n’est pas garanti par la loi; il n’est pas obligatoire, nécessite des moyens financiers et par conséquent ne peut pas être considéré comme une condition préalable à la soumission d’une plainte devant un organe international d’examen de plaintes. De plus, la personne qui soumet une plainte dans le cadre de la procédure de contrôle n’a pas la garantie de pouvoir participer pleinement à cette procédure, ce qui est contraire aux principes de la transparence, de l’égalité des armes et de la publicité des débats. Quant aux chiffres fournis par l’État partie, l’auteur fait observer qu’ils ne montrent pas clairement combien de décisions rendues dans des affaires administratives concernant des violations de droits garantis par le Pacte ont été contestées ou examinées dans le cadre d’une procédure de contrôle. Il ajoute que l’État partie ne tient aucun compte des constatations adoptées par le Comité lorsqu’elles portent sur des affaires qui le mettent en cause.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1En date du 26 mai 2009, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il note que l’article 35 de la Constitution garantit la liberté d’organiser des réunions, des rassemblements, des marches, des manifestations et des piquets qui ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux droits d’autrui. La procédure relative à l’organisation de telles manifestations est définie par la loi. Les dispositions de la loi relative aux manifestations de masse visent à créer les conditions permettant aux citoyens d’exercer leurs droits et leurs libertés constitutionnels et à protéger la sécurité et l’ordre publics pendant le déroulement de telles manifestations dans les rues, sur les places et dans d’autres lieux publics. L’État partie rappelle que c’est conformément à la loi que l’auteur a été déclaré coupable d’avoir commis une infraction administrative visée au paragraphe 2 de l’article 23.34 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives (non-respect de la procédure relative à l’organisation et à la conduite d’une manifestation de masse ou d’une marche) et a été condamné le 24 mars 2008 à sept jours de détention administrative par le tribunal municipal de Jodino. Cette décision a ensuite été confirmée par le tribunal régional de Minsk et le recours de l’auteur devant la Cour suprême a été rejeté le 28 juin 2008. L’auteur n’avait pas l’autorisation d’organiser une manifestation de masse le 23 mars 2008 et était au courant de cette interdiction.

6.2L’État partie ajoute que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte garantit à toute personne le droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute sorte, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. Toutefois, le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte impose aux titulaires de droits des obligations et des responsabilités spéciales, et le droit à la liberté d’expression peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. L’article 21 du Pacte reconnaît le droit de réunion pacifique. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

6.3L’État partie explique que, en tant que partie au Pacte, il a incorporé les dispositions des articles 19 et 21 dans son droit interne. Conformément à l’article 23 de la Constitution, la restriction des droits et libertés individuelles n’est autorisée que dans les circonstances spécifiées par la loi pour assurer la sécurité nationale, l’ordre public ou la protection de la santé ou de la moralité publiques ou des droits et libertés d’autrui. L’analyse de l’article 35 de la Constitution, qui garantit la liberté d’organiser des manifestations publiques, montre clairement que la Constitution établit le cadre juridique de la tenue de ce type de manifestations. L’organisation et la tenue de réunions, de rassemblements, de marches, de manifestations et de piquets de protestation sont régies par la loi du 7 août 2003 relative aux manifestations de masse, qui exige qu’une autorisation préalable soit obtenue pour organiser ces manifestations. La liberté d’expression, garantie par la Constitution, peut faire l’objet de restrictions uniquement dans les circonstances énoncées par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, ou de la protection de la santé ou de la moralité publiques ou des lois et libertés d’autrui. Par conséquent, les restrictions prévues par la législation du Bélarus sont conformes aux obligations internationales de l’État et visent à sauvegarder la sécurité nationale et l’ordre public − en particulier les dispositions de l’article 23.34 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives et l’article 8 de la loi relative aux manifestations de masse.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1En date du 21 mars 2010, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que, à la lumière de l’article 35 de la Constitution de la République du Bélarus et compte tenu des obligations qu’il a contractées, notamment au titre du Pacte, l’État partie ne peut pas entraver arbitrairement l’exercice du droit de réunion pacifique.

7.2L’auteur souligne en outre qu’au lieu de garantir l’exercice des droits consacrés par le Pacte, l’État partie l’a condamné, ainsi que les autres organisateurs, à sept jours de détention administrative. À ce sujet, il souligne que les autorités nationales n’ont donné aucune justification lorsqu’elles ont rejeté sa demande. De plus il note que, compte tenu du refus qui leur avait été opposé, lui-même et les autres organisateurs avaient décidé de ne pas organiser les manifestations prévues le 23 mars 2008 et qu’ils se sont tenus à cette décision.

7.3Quant à la réunion pacifique qui a eu lieu le 23 mars 2008 près du Parc de la culture, l’auteur note qu’il s’agissait simplement de la réunion d’un groupe de personnes partageant les mêmes idées qui souhaitaient rendre hommage aux héros qui avaient combattu pour le pays et déposer des fleurs au pied d’un monument. Pour mener de telles activités, à savoir rencontrer des personnes qui partagent les mêmes idées et déposer des fleurs, il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation des autorités.

7.4L’auteur note en outre que les autorités de l’État devraient appliquer la loi relative aux manifestations de masse de manière à faciliter l’exercice du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique. Les autorités ne devraient pas compliquer les procédures à suivre pour pouvoir exercer les droits en question, mais plutôt les simplifier afin que ces droits puissent être exercés dans la pratique. À ce propos, l’auteur souligne qu’un système dans lequel il faut obtenir une autorisation pour pouvoir organiser et conduire une manifestation de masse refuse en réalité l’organisation de tels événements et favorise une interprétation large par les autorités des critères permettant de ne pas accorder l’autorisation d’organiser une réunion pacifique. Il souligne aussi que dans l’État partie, et à Jodino en particulier, les activités organisées par la société civile et par l’opposition sont constamment interdites de manière illégale. Les autorités de l’État n’indiquent habituellement aucun motif lorsqu’elles refusent l’organisation de ces activités ou justifient leur refus par des vices de forme. L’auteur considère qu’en réalité, le système en place pour obtenir l’autorisation d’organiser des manifestations de masse est contrôlé au niveau central et fondé sur des considérations idéologiques.

7.5L’auteur souligne que sa condamnation à sept jours de détention administrative constitue un traitement dégradant, répressif et discriminatoire et qu’elle n’était pas nécessaire aux fins de l’application de restrictions permettant de limiter l’exercice du droit de réunion pacifique et de la liberté d’expression. Selon lui, aucune des personnes qui tenaient des ballons et qui ont déposé des fleurs au pied de l’obélisque le 23 mars 2008, date de fierté nationale et de fondation de la République du Bélarus, et qui ont ensuite été reconnues coupables d’une infraction administrative, n’a mis en péril la sécurité nationale, l’ordre public, les droits et les libertés d’autrui ou la santé ou la moralité publiques. L’auteur souligne en outre que l’État partie, dans ses observations sur la recevabilité, interprète de manière arbitraire les dispositions du Pacte et du Protocole facultatif, ne tenant aucun compte de l’Observation générale no 33 du Comité des droits de l’homme.

7.6L’auteur insiste sur le fait que, dans un pays démocratique, le droit d’organiser une manifestation de masse pacifique ne peut pas être restreint arbitrairement, mais uniquement pour des raisons précises et claires, lorsqu’il existe des motifs sérieux d’imposer de telles restrictions. Tout pays devenant partie au Pacte et au Protocole facultatif s’y rapportant devrait respecter les obligations qui découlent de ces instruments non seulement en théorie, mais aussi dans la pratique. Par conséquent, les droits consacrés par le Pacte ne peuvent pas être restreints pour des motifs de pure forme. Ils ne peuvent faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique à la sauvegarde de la sécurité nationale ou publique, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ou des droits et des libertés d’autrui. À ce sujet, l’auteur note que les autorités de l’État n’ont pas examiné au fond les demandes émanant de représentants de la société civile, mais les ont rejetées pour des motifs de forme. Il note aussi que, étant donné que la législation nationale ne contient pas de dispositions relatives aux restrictions «qui sont nécessaires dans une société démocratique», les prochains piquets ou projets prévus pour rendre hommage aux héros ayant combattu pour le pays ou morts au combat et déposer des fleurs au pied d’un monument peuvent faire l’objet de restrictions arbitraires dans l’État partie «dans l’intérêt de la sécurité nationale et de l’ordre public».

7.7Enfin, l’auteur fait observer que l’interprétation que fait l’État partie des obligations qui lui incombent au titre du Pacte et du Protocole facultatif et qu’il mentionne dans ses observations sur la recevabilité de la communication entraîne en réalité la violation des droits énoncés dans ces instruments.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui indique que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes car il n’a pas engagé de procédure de recours aux fins de contrôle auprès du Président de la Cour suprême du Bélarus ni du Bureau du Procureur. Il note qu’il ressort des pièces du dossier que l’auteur a formé une plainte devant la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle, mais que son recours a été rejeté le 28 juin 2008 au motif qu’il n’était pas fondé. Le Comité note en outre que l’État partie n’a pas indiqué si des actions engagées auprès du Bureau du Procureur au titre de la procédure de contrôle avaient abouti dans des affaires concernant la liberté d’expression et le droit à la liberté de réunion pacifique ni précisé le nombre de ces affaires. Il rappelle sa jurisprudence et souligne que la procédure de contrôle de l’État partie, qui permet le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

8.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte, aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’il a été arrêté simplement pour avoir pris part à un petit rassemblement organisé le 23 mars 2008 dans le Parc de la culture de Jodino pour rendre hommage aux héros de la nation et qu’il a ensuite été condamné à sept jours de détention administrative au motif qu’il avait enfreint la loi sur les manifestations de masse, en violation du droit garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il prend également note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur a fait l’objet d’une sanction administrative en vertu des dispositions du droit interne pour non-respect de la procédure relative à l’organisation et à la conduite d’une manifestation de masse. Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si les restrictions apportées au droit à la liberté d’expression garanti à l’auteur sont justifiées au regard des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

9.3Le Comité fait observer que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément fixées par la loi et nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au plein épanouissement de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et elles «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

9.4Le Comité note que l’auteur a participé à un petit rassemblement devant un monument. L’auteur a été arrêté dans ces circonstances. Il a été reconnu coupable d’avoir organisé une manifestation de masse non autorisée, ce qui lui a valu d’être condamné à sept jours de détention administrative. Dans ce contexte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui explique que les dispositions de la loi relative aux manifestations de masse visent à créer les conditions permettant l’exercice des droits et libertés des citoyens consacrés par la Constitution et la protection de la sécurité publique et de l’ordre public pendant le déroulement des manifestations dans les rues, sur les places publiques et dans d’autres lieux publics et que l’auteur a fait l’objet d’une sanction administrative pour non‑respect de la procédure fixée dans cette loi. Le Comité relève toutefois que l’État partie ne fait pas valoir que la manifestation qui a eu lieu le 23 mars 2008 compromettait le déroulement du vingt-cinquième marathon national et que rien dans le dossier ne permet de le penser. À ce propos, il note que l’État partie n’a pas suffisamment montré en quoi il était nécessaire, au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, de détenir et de sanctionner l’auteur eu égard à ses actes concrets du 23 mars 2008, ni comment une condamnation à sept jours de détention administrative se justifiait. Dans ce contexte, le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions apportées aux droits garantis par l’article 19 étaient nécessaires, et que, même si un État partie met en place un système qui vise à parvenir à un équilibre entre la liberté des individus de répandre des informations et l’intérêt général consistant à maintenir l’ordre public dans une certaine zone, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. Il conclut par conséquent que dans les circonstances de l’espèce il y a eu violation des droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.5Compte tenu de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief tiré de l’article 21 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment de lui rembourser les frais de justice qu’il a engagés et de lui accorder une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]