Nations Unies

CCPR/C/116/D/2092/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2092/2011 * , **

Communication présentée par:

Sergei Androsenko (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

20 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 mars 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

30 mars 2016

Objet:

Condamnation à une amende pour avoir organisé une réunion pacifique sans autorisation préalable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Droit à la liberté d’expression ; droit de réunion pacifique

Article(s) du Pacte:

19 et 21

Article(s) du Protocole facultatifs:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Sergei Androsenko, de nationalité bélarussienne, né en 1988. Il affirme que le Bélarus a violé les droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 16 décembre 2009, l’auteur ainsi que d’autres militants ont présenté à des représentants de l’ambassade de la République islamique d’Iran à Minsk une pétition en faveur de l’abolition des sanctions infligées aux homosexuels dans ce pays. Après la remise de la pétition, il a participé avec d’autres à une réunion pacifique (manifestation), pendant laquelle il a brandi une pancarte qui portait le message suivant : « Stop aux meurtres d’homosexuels en Iran ». Au bout d’une quinzaine de minutes, il a été appréhendé par la police et conduit au Département des affaires intérieures du district Sovetsky, où il a été accusé d’avoir commis une infraction administrative relevant du paragraphe 2 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives du Bélarus − organisation d’un rassemblement public − en violation de la procédure prévue pour l’organisation de rassemblements par la loi de 1997 sur les manifestations collectives dans la République du Bélarus. En vertu de cette loi, quiconque organise une manifestation publique est tenu d’obtenir une autorisation à cet effet auprès des autorités exécutives locales quinze jours avant la date prévue de la manifestation. Or, l’auteur n’avait pas demandé cette autorisation.

2.2Le 23 décembre 2009, le tribunal du district Sovetsky de Minsk a reconnu l’auteur coupable d’infraction administrative en vertu de l’article 23.34 du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende de 875 000 roubles bélarussiens. Il a estimé que l’auteur et les autres participants avaient pris part à une manifestation collective non autorisée sans avoir obtenu l’autorisation préalable prévue à l’article 5 de la loi sur les manifestations collectives.

2.3Le 30 décembre 2009, l’auteur a formé auprès du tribunal municipal de Minsk un recours en annulation de la décision du tribunal du district Sovetsky. Le 19 janvier 2010, le tribunal municipal de Minsk a confirmé le jugement du tribunal de district et débouté l’auteur de son recours.

2.4Le 17 février 2010, l’auteur a saisi la Cour suprême du Bélarus d’une demande de réexamen, au titre de la procédure de contrôle, des décisions rendues par les juridictions inférieures. Dans une lettre datée du 7 avril 2010, le Vice-Président de la Cour suprême a informé l’auteur du rejet de sa demande. L’auteur estime donc avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les faits présentés constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte puisque les autorités n’ont invoqué aucun motif justifiant la restriction de ses droits et son arrestation. Il soutient également que les restrictions imposées ne sont pas nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. S’il reconnaît n’avoir pas demandé l’autorisation de participer à la manifestation, il fait valoir que le régime juridique en vigueur au Bélarus, en vertu duquel une autorisation préalable doit être obtenue avant une manifestation, impose des restrictions inacceptables aux libertés garanties par l’article 21 du Pacte. Conformément à l’article 5 de la loi relative aux manifestations collectives, les organisateurs de manifestations sont tenus de conclure un contrat avec le Département de l’intérieur de l’administration du district en vue d’assurer le maintien de l’ordre public pendant la manifestation, un contrat avec le Département de la santé en vue de garantir la fourniture de soins médicaux et un contrat avec le Département des services collectifs en vue d’assurer le nettoyage du site après la manifestation. Il est en outre interdit de manifester à moins de 50 mètres de locaux diplomatiques, ce que l’auteur juge en l’espèce inacceptable, puisque la manifestation aurait perdu tout son sens si elle s’était tenue ailleurs.

3.2L’auteur affirme également que son arrestation et sa condamnation constituent une violation du droit à la liberté d’expression qu’il tient de l’article 19 du Pacte. Il renvoie aux constatations du Comité dans lesquelles celui-ci a conclu à une violation dudit article, bien que les juridictions nationales en question aient agi conformément à la législation interne, et à ses constatations dans lesquelles il a jugé incompatible avec le Pacte le fait que l’État partie fasse prévaloir l’application de la législation nationale sur les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. L’auteur affirme en outre que le Bélarus n’a pas signalé comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 4 du Pacte qu’il se prévalait du droit de déroger à certains droits en cas d’état d’urgence.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par lettre datée du 14 février 2012, l’État partie a contesté l’enregistrement et la recevabilité de la communication. Il fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas demandé le réexamen, au titre de la procédure de contrôle, des décisions rendues par les juridictions nationales. En particulier, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas saisi le Président de la Cour suprême conformément à l’article 12.11 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives après avoir reçu la réponse du Vice-Président de ladite Cour. Il affirme qu’aucun fondement juridique ne justifie qu’il examine la recevabilité ou le fond de la communication.

4.2Dans une note verbale datée du 4 janvier 2013, l’État partie a réaffirmé sa position concernant la recevabilité de la communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Par lettre datée du 6 septembre 2012, l’auteur a indiqué que le jugement rendu en appel par le tribunal municipal de Minsk était devenu exécutoire. Il fait valoir que la procédure de contrôle ne saurait être considérée comme un recours interne utile, les recours en révision au titre de cette procédure n’aboutissant pas automatiquement à l’annulation des décisions de justice attaquées. Ces recours sont examinés unilatéralement et en l’absence des personnes visées par les actions administratives en question. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que la procédure de contrôle est une procédure de réexamen discrétionnaire courante dans les anciennes républiques soviétiques, dont le Comité a considéré précédemment qu’elle ne constituait pas un recours utile aux fins de l’épuisement des recours internes. Il rappelle à ce propos que les recours dont il a saisi le Président du tribunal municipal de Minsk et le Président de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle ont été rejetés. Il note en particulier que la réponse qui lui a été adressée par la Cour suprême était signée du Vice-Président de la Cour, bien qu’il ait expressément saisi le Président. Il considère que dans ces circonstances, un nouveau recours auprès du Président de la Cour suprême aurait peu de chances d’aboutir. Pour ce qui est de la référence faite par l’État partie à l’article 12.11 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives, l’auteur déclare que cette disposition n’oblige pas à introduire deux recours consécutifs, le premier auprès du Vice-Président de la Cour suprême et le second auprès du Président de ladite Cour. Il conclut que tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés dans son affaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication et affirmé que, conformément à la procédure de contrôle par la Cour suprême, l’auteur aurait dû saisir le Président de la Cour d’une demande de réexamen après avoir reçu une réponse du Vice-Président. D’après les pièces figurant au dossier, cependant, il apparaît que l’auteur a bel et bien adressé sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle au Président de la Cour suprême, même si la lettre rejetant sa demande a été signée par le Vice-Président. Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il soulève au titre du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Il les déclare donc recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2.Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que l’arrestation et la condamnation dont il a fait l’objet en raison de sa participation à une manifestation pacifique tenue sans autorisation préalable constituent une restriction injustifiée de son droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte. Le Comité doit par conséquent déterminer si la restriction imposée aux droits de l’auteur en l’espèce est justifiée au regard des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 et dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il renvoie à son observation générale no34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il a affirmé que ces libertés sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société, et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Toute restriction imposée à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

7.4Le Comité rappelle également que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose notamment la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris un rassemblement immobile (piquet) dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en règle générale, le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public cible, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.5Le Comité note que l’auteur affirme avoir été appréhendé et conduit au poste de police pour avoir participé à une manifestation pacifique mais non autorisée et pour avoir brandi une pancarte indiquant « Stop aux meurtres d’homosexuels en Iran » devant l’ambassade de la République islamique d’Iran à Minsk. Il a ensuite été condamné à une amende pour violation du paragraphe 1 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives du Bélarus.

7.6Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas pu préalablement demander l’autorisation de participer à la manifestation en raison du régime strict prévu par la loi relative aux manifestations collectives, qui impose des restrictions déraisonnables au droit garanti par l’article 21 du Pacte. Le Comité rappelle que, lorsqu’il impose des restrictions au droit à la liberté de réunion pacifique, l’État partie doit chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. À cet égard, le Comité constate que, si les restrictions imposées en l’espèce étaient conformes à la loi, l’État partie n’a pas cherché à expliquer pourquoi ces restrictions étaient nécessaires et si elles étaient proportionnées à l’un des buts légitimes énoncés dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus expliqué comment, dans la pratique, en l’espèce, la participation de l’auteur à une manifestation pacifique à laquelle seules quelques personnes ont pris part aurait pu porter atteinte aux droits et libertés d’autrui ou menacer la protection de la sûreté publique, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques. Le Comité relève que, si le fait d’assurer la sécurité de l’ambassade d’un État étranger peut être considéré comme un but légitime pour restreindre le droit de réunion pacifique, l’État partie doit démontrer que l’arrestation de l’auteur et sa condamnation à une amende administrative étaient nécessaires et proportionnées à ce but. En conséquence, faute d’explication pertinente de l’État partie, le Comité considère qu’il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur.

7.7Le Comité constate que l’auteur a été arrêté et condamné à une amende administrative en application du paragraphe 1 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives du Bélarus en raison de sa participation à une manifestation non autorisée. Il constate également que l’État partie n’a pas démontré que l’arrestation de l’auteur et l’amende qui lui a été infligée, bien qu’elles aient été conformes à la loi, étaient nécessaires et proportionnées à l’un des buts légitimes énoncés dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte. Il conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

7.8De même, en l’absence de toute information pertinente communiquée par l’État partie pour justifier les restrictions imposées contrairement aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’État partie a violé les droits que tient l’auteur du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il lui incombe de réparer intégralement le préjudice subi par les personnes qui ont été victimes d’une violation des droits qui leur sont reconnus par le Pacte. L’État partie a donc l’obligation, notamment, d’indemniser l’auteur comme il se doit. Il est également tenu de prendre les mesures voulues pour éviter que des violations semblables ne soient commises à l’avenir. À ce sujet, le Comité appelle une nouvelle fois l’État partie à réviser sa législation, en particulier la loi du 30 décembre 1997 relative aux manifestations collectives qui a été appliquée en l’espèce, afin que les droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays en biélorusse et en russe.