Nations Unies

CCPR/C/116/D/2324/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 novembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5(par. 4) du Protocole facultatif, concernantla communication no 2324/2013 * , ** , ***

Communication présentée par :

Amanda Jane Mellet (représentée par le Center for Reproductive Rights)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Irlande

Date de la communication :

11 novembre 2013

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 décembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

31 mars 2016

Objet :

Interruption de grossesse à l’étranger

Question(s) de procédure :

Aucune

Question(s) de fond :

Traitement cruel, inhumain et dégradant ; droit à la protection de la vie privée ; droit d’obtenir des informations ; discrimination fondée sur le sexe

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1), 3, 7, 17, 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

Aucun

1.L’auteure de la communication est Amanda Jane Mellet, de nationalité irlandaise, née le 28 mars 1974. Elle affirme être victime de violation par l’Irlande des droits qu’elle tient des articles 2 (par. 1), 3, 7, 17, 19 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 8 mars 1990. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure vit à Dublin avec son mari. Ils n’ont pas d’enfant. L’auteure est tombée enceinte en 2011 et, à la suite d’examens passés à l’hôpital public Rotunda de Dublin les 11 et 14 novembre 2011, au cours de sa vingt et unième semaine de grossesse, elle a été informée que le fœtus qu’elle portait était atteint d’une malformation cardiaque congénitale mais que, même si cette malformation s’avérait fatale, il ne lui serait pas possible d’interrompre sa grossesse en Irlande. Le médecin à l’hôpital lui a expliqué que « les interruptions de grossesse n’étaient pas pratiquées dans ce pays » et que des personnes dans sa situation pouvaient choisir de « partir en voyage ». Elle n’a pas expliqué ce qu’il fallait entendre par « partir en voyage » si ce n’est que ce voyage devait s’effectuer à l’étranger et elle n’a pas recommandé de services d’avortement appropriés au Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord.

2.2Le 17 novembre 2011, après avoir subi d’autres examens dans le même hôpital, l’auteure a été informée que le fœtus était atteint de trisomie 18 et allait mourir in utero, ou que l’enfant décéderait peu après sa naissance. La sage-femme lui a dit qu’elle pouvait le porter à terme en sachant qu’il mourrait probablement en elle, ou qu’elle pouvait « partir en voyage ». Elle ne lui a pas expliqué ce que « partir en voyage » impliquait et ne lui a donné aucune autre information, mais lui a conseillé de prendre contact avec une association de planning familial irlandaise pour obtenir des renseignements et des conseils. L’hôpital ne l’a pas adressée à un prestataire de soins étranger susceptible d’interrompre sa grossesse, car les prestataires de santé irlandais ne sont pas autorisés à prendre des rendez-vous pour leurs patientes souhaitant interrompre leur grossesse à l’étranger. Le 18 novembre, l’auteure a informé l’hôpital de sa décision de se rendre à l’étranger pour y subir une interruption de grossesse et elle a pris rendez-vous auprès d’une association de planning familial. Celle‑ci l’a informée de la procédure à suivre et lui a donné les coordonnées du Women’s Hospital de Liverpool. Elle a également envoyé son dossier médical par télécopie à cet hôpital, qui a ensuite pris directement contact avec elle, lui proposant un rendez-vous une dizaine de jours plus tard .

2.3La législation irlandaise autorise le personnel médical qualifié à dispenser des soins aux femmes ayant fait une fausse couche. Avant de se rendre à Liverpool, l’auteure est donc retournée à l’hôpital irlandais afin de voir son médecin traitant. L’objet de cette visite était de faire de nouveaux examens qui permettraient de déterminer si le fœtus était mort, auquel cas les soins se poursuivraient sur place. Ayant détecté un battement de cœur, son médecin traitant a tenté de la dissuader de se rendre à l’étranger pour y avorter et a insisté sur le fait que même si elle poursuivait sa grossesse « son enfant ne souffrirait peut-être pas ». L’auteure précise que c’était essentiellement pour éviter des souffrances à son enfant qu’elle voulait avorter.

2.4L’auteure a pris l’avion pour Liverpool avec son mari le 28 novembre 2011 et le lendemain, des médicaments lui ont été administrés au Women’s Hospital pour lancer le processus d’interruption de grossesse. D’autres médicaments lui ont été administrés le 1er décembre pour déclencher le travail. Celui-ci a duré trente-six heures et, le 2 décembre, elle a accouché d’une petite fille mort-née. Bien que se sentant faible et saignant encore, elle a dû rentrer à Dublin douze heures seulement après l’accouchement, car le couple n’avait pas les moyens de rester plus longtemps au Royaume-Uni. Ni l’État ni les compagnies d’assurance maladie privées n’accordent d’aide financière aux femmes qui interrompent leur grossesse à l’étranger.

2.5Après son retour à Dublin, l’auteure n’a bénéficié d’aucuns soins de suivi à l’hôpital Rotunda. Elle ressentait le besoin d’être accompagnée dans son deuil pour pouvoir surmonter l’interruption de sa grossesse et le traumatisme lié au fait d’avoir dû se rendre à l’étranger. Or, si l’hôpital offre de tels services d’accompagnement aux couples dont l’enfant est mort-né, il n’en fournit pas à ceux qui ont choisi d’interrompre une grossesse en raison de malformations létales du fœtus. L’auteure a finalement bénéficié d’un accompagnement psychologique après avortement auprès de l’association de planning familial irlandaise mais non d’un accompagnement dans son deuil. Elle continue à souffrir d’un deuil compliqué et d’un traumatisme non résolu et affirme qu’elle aurait mieux accepté la perte de son enfant si elle n’avait pas dû endurer les souffrances et la honte associées au fait de devoir se rendre à l’étranger.

Teneur de la plainte

Griefs tirés de l’article 7

3.1L’application de la loi irlandaise sur l’avortement a fait subir à l’auteure un traitement cruel, inhumain et dégradant et porté atteinte à sa dignité, ainsi qu’à son intégrité physique et mentale en : a) l’empêchant de bénéficier des soins de santé procréative et de l’accompagnement du deuil dont elle avait besoin ; b) l’obligeant à continuer de porter un fœtus mourant ; c) la contraignant à interrompre sa grossesse à l’étranger ; et d) l’exposant à une forte stigmatisation.

3.2Lorsque l’auteure a annoncé sa décision d’interrompre sa grossesse, le personnel de santé a refusé de lui prodiguer les soins et le soutien dont elle avait besoin. Les attentes en matière de soins qu’elle avait en tant que patiente de l’hôpital Rotunda, son extrême vulnérabilité lorsqu’elle a appris que son bébé allait mourir, associée à la perspective de devoir mettre fin à l’étranger à une grossesse ardemment souhaitée, sans aucun soutien du système de soins de santé irlandais, concourent à établir que l’angoisse qu’elle a ressentie en se voyant refuser l’avortement en Irlande a atteint l’intensité d’un traitement cruel, inhumain et dégradant. L’absence d’accompagnement dans son deuil, avant et après l’interruption de grossesse, a amoindri sa capacité de surmonter son traumatisme. Elle n’a bénéficié d’aucune reconnaissance ou soutien susceptible de l’aider à s’adapter psychologiquement, à faire son deuil normalement et à reconstruire sa vie. Cette carence est d’autant plus grave que l’hôpital offre des services d’accompagnement aux femmes qui choisissent de porter jusqu’à terme des fœtus atteints de déficiences létales. En d’autres termes, l’hôpital opère une distinction et considère que les femmes qui se rendent à l’étranger pour y subir une interruption de grossesse ne méritent pas le même soutien.

3.3Après avoir appris que le fœtus qu’elle portait était mourant, l’auteure a été tourmentée au cours des vingt et un jours suivants par la question de savoir s’il était déjà mort en elle, ainsi que par la peur que le travail ne se déclenche et qu’elle ne donne naissance à son enfant que pour lui infliger des souffrances et le voir mourir. Ces angoisses supplémentaires lui auraient été épargnées si elle avait eu accès en temps utile à des services d’avortement. Le voyage à l’étranger a également constitué une source importante d’angoisse supplémentaire, et les obstacles qu’elle a rencontrés ont représenté une atteinte à son intégrité physique et mentale et à sa dignité. Elle a dû s’occuper des préparatifs du voyage, s’est trouvée privée du soutien de sa famille, a été contrainte de séjourner dans un environnement étranger et inconfortable à Liverpool et a dû débourser une somme d’argent qu’elle a eu des difficultés à réunir. En attendant le vol de retour à l’aéroport, douze heures seulement après son avortement, elle saignait encore, se sentait faible et souffrait d’étourdissements. L’hôpital de Liverpool ne lui a proposé aucune solution concernant la dépouille de son enfant et l’auteure a dû la laisser derrière elle. Elle a reçu ses cendres trois semaines plus tard par coursier alors qu’elle ne s’y attendait pas, ce qui l’a profondément choquée. Le fait de devoir se rendre à l’étranger a donc également amoindri sa capacité de faire le deuil de la perte qu’elle avait subie.

3.4Le fait que les services d’avortement dont elle avait besoin tombent sous le coup de la loi pénale irlandaise a accablé l’auteure de honte et, en stigmatisant ses actes et sa personne, a constitué une source distincte de souffrance psychologique aiguë.

Griefs tirés de l’article 17 du Pacte

3.5L’auteure a dû choisir entre, d’un côté, laisser l’État prendre pour elle la décision profondément intime de mener à terme une grossesse non viable avec des souffrances considérables et, d’un autre côté, se rendre à l’étranger pour interrompre cette grossesse. Aucune de ces deux solutions n’était respectueuse de son autonomie en matière procréative et de son bien-être psychologique. En lui refusant la seule solution qui aurait préservé son intégrité physique et mentale (lui permettre d’interrompre sa grossesse en Irlande), l’État s’est immiscé de manière arbitraire dans sa prise de décisions. À l’étranger, elle s’est trouvée dans un environnement inconnu et l’intimité de son foyer ainsi que le soutien de sa famille et de ses amis lui ont fait cruellement défaut. L’interdiction de l’avortement a donc nui à sa capacité de décider comment et où elle pourrait le mieux supporter la situation traumatisante dans laquelle elle se trouvait.

3.6La protection par la Constitution de l’Irlande du « droit à la vie de l’enfant à naître » peut être considérée comme une question relevant de la morale. Le fait d’accorder à l’intérêt moral de la protection de la vie du fœtus la primauté sur le droit de l’auteure à la stabilité mentale, à l’intégrité psychologique et à l’autonomie procréative contrevient au principe de proportionnalité et constitue en tant que tel une violation du droit au respect de la vie privée garanti à l’auteure par l’article 17.

3.7Si l’immixtion dans les droits de l’auteure était prescrite par la loi, car l’avortement n’est légal que si la vie de la mère est en danger, elle n’en était pas moins arbitraire. L’objectif de la législation irlandaise (la protection du fœtus) n’était ni approprié ni pertinent dans la situation de l’intéressée et l’immixtion dans l’exercice de son droit à la vie privée était donc disproportionnée. Même si le Comité admettait que la protection du fœtus puisse justifier une immixtion dans l’exercice du droit d’une femme à la vie privée dans certaines situations, cette considération ne saurait s’appliquer en l’espèce. Le fait de limiter le droit de l’intéressée au respect de sa vie privée en lui refusant le droit d’interrompre une grossesse au terme de laquelle elle ne pouvait en aucun cas donner naissance à un enfant viable ne saurait être considéré comme une mesure raisonnable ou proportionnée à l’objectif de protection du fœtus.

Griefs tirés de l’article 19 du Pacte

3.8Le droit à la liberté d’information englobe les informations concernant les questions de santé, y compris les informations essentielles pour faire des choix éclairés au sujet de la vie sexuelle et procréative. Il y a eu, à cet égard, violation du droit de l’auteure d’avoir accès à l’information.

3.9La loi de 1995 réglementant la fourniture d’informations relatives aux services d’interruption de grossesse à l’étranger (« la loi sur l’information relative à l’avortement ») prévoit les cas dans lesquels des informations, avis et conseils au sujet des services d’avortement légaux dans d’autres pays peuvent être diffusés en Irlande. Elle vise en particulier les informations dont sont susceptibles d’avoir besoin les femmes qui envisagent de se rendre à l’étranger pour avorter et réglemente la conduite à tenir par ceux qui sont chargés de communiquer ces informations, comme les conseillers et les professionnels de santé. Elle dispose que la fourniture d’informations, d’avis ou de conseils sur les services d’avortement à l’étranger est illégale, sauf si, parmi d’autres conditions, les informations, avis ou conseils dispensés sont fiables et objectifs, informent pleinement la femme de toutes les solutions qui s’offrent à elle et ne préconisent ni n’encouragent l’interruption de grossesse. Cette loi interdit la distribution au public d’informations écrites en l’absence de demande du destinataire et elle a été interprétée comme subordonnant toute fourniture d’informations, d’avis ou de conseils sur l’interruption de grossesse à une demande expresse préalable de l’intéressée. Aux termes de l’article 10, quiconque contrevient aux dispositions pertinentes de la loi se rend coupable d’une infraction et est passible d’une amende.

3.10La loi n’interdit pas aux prestataires de soins de santé de fournir des renseignements sur l’avortement, y compris ses possibles indications et ses conséquences potentiellement néfastes, ainsi que sur les autres solutions disponibles, sur le petit nombre de cas dans lesquels l’avortement est légal en Irlande et sur les services d’avortement légaux à l’étranger. L’auteure aurait donc dû bénéficier de ces informations. Cependant, en pratique, l’existence de cette loi a donné lieu à une autocensure des prestataires de soins de santé, qui n’ont même pas donné à l’auteure les informations légales, aggravant ainsi sa détresse psychologique et violant son droit à l’information. Si la loi interdit aux prestataires de soins de santé de préconiser ou d’encourager l’interruption de grossesse, elle ne définit pas en quoi cela consiste, ce qui a un effet paralysant sur les prestataires, qui éprouvent des difficultés à distinguer entre le fait « d’apporter leur soutien » à une femme qui a décidé d’interrompre sa grossesse et celui de « préconiser » ou d’« encourager » l’avortement.

3.11L’auteure dit qu’après l’avoir informée que son enfant ne vivrait sans doute pas, le médecin s’est contenté de répondre au couple, qui demandait ce qui se passerait si les malformations étaient mortelles, que « les interruptions de grossesse n’étaient pas pratiquées dans ce pays » et que certaines personnes dans la situation de l’auteure choisissaient parfois de « partir en voyage ». Quelques jours plus tard, lorsqu’elle a reçu les résultats de l’amniocentèse, la sage-femme a confirmé que le fœtus allait mourir in utero ou que l’enfant décéderait peu après sa naissance et a présenté deux options à l’auteure : poursuivre sa grossesse ou « partir en voyage ». Au lieu de donner des informations précises et concrètes sur l’avortement, la sage-femme a même évité de désigner la procédure d’avortement par son nom en employant un euphémisme, à savoir « partir en voyage ». Elle a refusé de parler de cette solution de quelque manière que ce soit et n’a pas fourni d’informations à l’auteure sur les services légaux d’avortement existant à l’étranger. Au lieu de cela, elle l’a orientée vers une association de planning familial. Ainsi, en l’absence de directives précises dans le texte de la loi sur ce qu’il est, ou n’est pas, permis de dire, les prestataires de soins de santé avec lesquels l’auteure a été en contact n’ont pu lui donner des informations sur les aspects médicaux de l’avortement, les cas dans lesquels il est légal en Irlande et les services d’avortement légaux existant à l’étranger.

3.12L’immixtion de l’État partie dans l’exercice par l’auteure de son droit à l’information ne fait pas partie des restrictions à ce droit admises en vertu de l’article 19 aux fins de sauvegarde de la moralité publique. L’interprétation par l’État partie de la moralité publique, telle qu’elle ressort de la loi sur l’information relative à l’avortement et de ses modalités d’application, a donné lieu dans les faits au refus de fournir à l’auteure des informations cruciales, est discriminatoire et ne résiste pas à un examen au regard de l’article 19 du Pacte. En outre, le refus par l’État partie de donner des informations à l’auteure est dénué de pertinence au regard de l’objectif de protection de l’« enfant à naître » car, en l’espèce, l’« enfant à naître » n’avait aucune chance de survie.

3.13Les restrictions imposées au droit de l’auteure à l’information étaient disproportionnées en raison de leur incidence néfaste sur la santé et le bien‑être de l’intéressée. Elles ont provoqué chez elle un sentiment d’extrême vulnérabilité, de stigmatisation et d’abandon par le système de santé irlandais, au moment où elle avait le plus besoin de soutien.

3.14De surcroît, l’interdiction énoncée par la loi sur l’information relative à l’avortement de diffuser publiquement des informations sur l’avortement en l’absence de demande expresse a constitué une restriction disproportionnée du droit de l’auteure d’avoir accès à des informations sur la santé sexuelle et procréative. L’auteure n’a pas demandé à recevoir des informations écrites sur les services d’interruption de grossesse légaux à l’étranger parce qu’elle ne savait pas quoi demander. Ainsi, elle ne savait pas que la limite des vingt‑quatre semaines pour l’avortement légal au Royaume‑Uni ne s’appliquait pas aux cas d’anomalies mortelles du fœtus et craignait, même si elle s’aventurait à l’étranger, de se voir refuser des soins et d’être obligée de poursuivre sa grossesse en étant tourmentée en permanence par la question de savoir si le fœtus était mort en elle. Des informations essentielles sur les types d’interruption de grossesse possibles et les services les plus adaptés dans son cas, compte tenu du stade avancé de sa grossesse, ne lui ont pas été communiquées. Une telle procédure ne serait pas considérée comme acceptable ou comme constituant une bonne pratique dans d’autres systèmes de santé.

Griefs tirés des articles 2 (par. 1), 3 et 26 du Pacte

3.15Les lois érigeant l’avortement en infraction contreviennent au droit de ne pas faire l’objet de discrimination sur le fondement du sexe ou du genre, ainsi qu’au droit de jouir d’autres droits dans des conditions d’égalité. Le droit à l’égalité et le droit à la non‑discrimination obligent les États à veiller à ce que les services de santé tiennent compte des différences biologiques fondamentales existant entre les hommes et les femmes en matière procréative. Les lois incriminant l’avortement sont également discriminatoires en ce qu’elles dénient aux femmes leur libre arbitre sur une question qui touche étroitement à leur autonomie procréative. Aucune restriction similaire ne s’impose dans le cadre des services de santé uniquement destinés aux hommes.

3.16Le fait que l’avortement en cas de déficience létale du fœtus constitue une infraction pénale a affecté l’auteure de manière disproportionnée, en violation des articles 2 (par. 1), 3 et 26 du Pacte, parce que l’auteure est une femme qui avait besoin de cette intervention médicale pour préserver sa dignité, son intégrité physique et mentale, et son autonomie. L’interdiction de l’avortement en Irlande a un effet traumatisant et « punitif » sur les femmes qui ont besoin d’interrompre une grossesse non viable. Les patients masculins du pays ne sont pas exposés à des épreuves semblables à celle qu’a connue l’auteure lorsqu’elle a tenté d’obtenir les soins médicaux dont elle avait besoin.

3.17L’auteure a eu le sentiment d’être jugée par ses prestataires de santé. Son médecin traitant lui a dit que même si elle poursuivait sa grossesse « son enfant ne souffrirait pas nécessairement », montrant ainsi un certain mépris pour sa décision et son autonomie, et faisant passer les exigences liées à la santé de l’auteure après la souffrance du fœtus, primordiale à ses yeux. Il n’y a en Irlande aucune situation dans laquelle on attend des hommes qu’ils fassent de la sorte passer les exigences de leur santé et leur libre arbitre après leurs fonctions procréatives.

3.18En ne lui fournissant pas d’informations, l’État partie a porté atteinte aux droits de l’auteure à l’égalité et à la non-discrimination dans l’exercice des droits qu’elle tient des articles 7, 17 et 19 du Pacte, ainsi qu’au droit d’être protégée contre toute discrimination qui lui est garanti par l’article 26 du Pacte. C’est parce qu’elle est une femme et qu’elle avait besoin d’interrompre sa grossesse qu’il a été porté atteinte à son droit d’accéder à des informations sur la santé sexuelle et procréative. En Irlande, les patients masculins ne se voient pas ainsi refuser des informations cruciales pour leur santé, et ils ne se trouvent pas rejetés et délaissés par le système de santé lorsqu’ils ont besoin de ce type d’informations.

3.19La répression pénale de l’avortement dans l’État partie a eu pour effet de réduire l’auteure à sa capacité procréative en accordant la priorité à la protection de l’enfant « à naître » sur les exigences de la santé de l’auteure et sa décision de mettre un terme à sa grossesse. L’auteure a été victime du stéréotype sexiste selon lequel la grossesse des femmes devrait se poursuivre quelles que soient les circonstances, leurs besoins et leurs souhaits, car elles sont avant tout des mères et des dispensatrices de soins. Le fait de réduire l’auteure à un instrument procréatif a constitué une discrimination, en portant atteinte à son droit à l’égalité des sexes. Dans le cadre du système de soins de santé irlandais, les femmes qui mettent fin à des grossesses non viables sont considérées comme ne méritant pas ou n’ayant pas besoin de conseils, contrairement à celles dont le fœtus meurt naturellement. Cette différence de traitement montre qu’il existe une vision stéréotypée de ce qu’une femme doit faire lorsque sa grossesse n’est pas viable, à savoir laisser faire la nature, quelles que soient les souffrances qui en résultent pour elle.

3.20Les violations qu’a subies l’auteure doivent être analysées à la lumière de la discrimination structurelle et systématique qui caractérise la législation et la pratique irlandaises en matière d’avortement. Le régime de l’avortement a eu un effet discriminatoire tant à l’égard de l’auteure en tant que personne de sexe féminin qu’à l’égard des femmes en tant que groupe. Il ignore la spécificité des besoins féminins en matière de santé procréative, accentuant ainsi la vulnérabilité des femmes et l’infériorité de leur statut social. En conclusion, il y a eu violation du droit de l’auteure à la non‑discrimination et à la jouissance, dans des conditions d’égalité, du droit de ne pas subir de traitements cruels, inhumains et dégradants, du droit au respect de sa vie privée et du droit d’accéder à l’information, garantis par les articles 2 (par. 1) et 3 lus conjointement avec les articles 7, 17 et 19 du Pacte, ainsi que du droit de l’auteure à une égale protection, garanti par l’article 26 du même instrument.

Épuisement des recours internes

3.21L’auteure n’avait aucune perspective raisonnable d’obtenir gain de cause si elle avait demandé à un tribunal irlandais de l’autoriser à interrompre sa grossesse. S’il est vrai que le système judiciaire irlandais est efficace et indépendant et que des recours internes étaient ouverts à l’auteure, ces recours n’auraient été ni effectifs ni adéquats.

3.22À la date des faits, et jusqu’à 2013, l’article 58 de la loi sur les infractions contre les personnes (loi de 1861) incriminait l’avortement pour les femmes et pour les personnes le pratiquant, même lorsqu’il était nécessaire pour sauver la vie de l’intéressée, et rendait passible de la prison à perpétuité toute femme ayant tenté de mettre un terme à sa grossesse et tout médecin ayant tenté de l’aider. En outre, l’article 40.3.3 de la Constitution, adopté en 1983, dispose ce qui suit : « L’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, compte dûment tenu du droit égal de la mère à la vie, s’engage à le respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à le protéger et à le défendre par ses lois. ». L’article 22 de la loi de 2013 sur la protection de la vie durant la grossesse dispose : « 1) La destruction intentionnelle de la vie d’un être humain à naître est une infraction ; 2) Quiconque se rend coupable d’une infraction visée dans le présent article est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement de quatorze ans au maximum, ou de l’une et l’autre de ces peines. ».

3.23Dans la décision qu’elle a rendue en 1992 en l’affaire Attorney General v. X and Others, la Cour suprême a jugé que l’article 40.3.3 n’autorisait l’avortement que « s’il était établi selon le critère de probabilité qu’il existait un risque réel et sérieux pour la vie, et pas seulement pour la santé, de la mère qui ne pouvait être écarté que par l’interruption de sa grossesse ». En 2009, la Cour suprême a précisé davantage le sens de la protection constitutionnelle de « l’enfant à naître ». Dans sa décision rendue en l’affaire Roche v. Roche, elle a déclaré qu’une fois qu’un embryon avait été implanté dans l’utérus de la femme un lien déterminant avec celle‑ci était créé et que l’embryon devenait donc un « enfant à naître ». Cette décision donne à penser que la protection constitutionnelle de « l’enfant à naître » s’étendrait au fœtus atteint d’une malformation létale tant qu’il vit, grâce au lien qui l’unit à la femme enceinte, et qu’il a la possibilité de naître. Tel était le cas dans l’affaire de l’auteure, qui avait reçu une implantation par laquelle l’embryon était passé à l’état « d’enfant à naître », expressément protégé par l’article 40.3.3.

3.24Tant que le fœtus était en vie, l’auteure n’avait donc aucune perspective raisonnable de convaincre la Haute Cour, un an seulement après la décision Roche v. Roche, que son fœtus ne bénéficiait pas de la protection garantie par l’article 40.3.3, car il avait clairement « la possibilité de naître, la capacité de naître » et que sa vie était liée à celle de l’auteure. La décision Roche v. Roche a également confirmé que l’article 40.3.3 concernait la mise en balance de la vie de la femme et de celle du fœtus et non la santé ou le bien‑être de la femme. En outre, au cours du débat auquel a donné lieu la loi de 2013 sur la protection de la vie durant la grossesse, le législateur a refusé de faire figurer des déficiences fœtales mortelles parmi les motifs légaux d’avortement.

3.25Mais même dans l’hypothèse peu plausible où la Cour aurait estimé que le fœtus de l’auteure n’était pas un « enfant à naître », il aurait été hautement improbable qu’elle conclue que la Constitution garantissait à l’auteure le droit de mettre, de ce fait, un terme à sa grossesse. Pour faire valoir ce droit, il aurait été nécessaire que l’auteure se fonde sur d’autres dispositions de la Constitution, notamment l’article 40.3, qui protège les droits de la personne sans les énumérer. Or ces droits sont également applicables au fœtus et pourraient tout aussi bien être invoqués en son nom. En outre, l’auteure se trouvait dans sa vingt et unième semaine de grossesse lorsqu’elle a appris que le fœtus qu’elle portait était atteint d’un trouble létal et, même si les tribunaux avaient traité son affaire en priorité, il est peu probable qu’ils auraient été en mesure de rendre une décision aussi rapidement que les circonstances l’exigeaient.

3.26Pour ce qui est du droit de l’auteure à l’information, la Cour suprême a déclaré que la loi sur l’information relative à l’avortement était conforme à la Constitution, mettant ainsi sa constitutionalité à l’abri de toute contestation future. L’auteure n’aurait donc eu aucune perspective raisonnable de succès en attaquant cette loi.

3.27Il aurait été inutile et inapproprié que l’auteure adresse une requête à une juridiction en vue d’obtenir une autorisation judiciaire de mettre fin à sa grossesse. Dans l’hypothèse, très improbable, où un tribunal aurait estimé qu’elle avait juridiquement le droit de mettre fin à sa grossesse en Irlande, l’auteure n’aurait pas pu y faire pratiquer l’avortement. Il aurait en effet été nécessaire qu’elle obtienne pour ce faire une ordonnance expresse et non ambiguë enjoignant à l’État d’exécuter une obligation juridique de caractère public. En outre, les tribunaux auraient été très réticents à ordonner à l’exécutif de faire en sorte qu’il soit mis fin à la grossesse de l’intéressée, car cela aurait été incompatible avec la doctrine de la séparation des pouvoirs. Les recours disponibles auraient également été inappropriés en ce qu’ils auraient amplifié les souffrances psychologiques de l’auteure en l’exposant dans le cadre d’un procès public à l’hostilité du public.

3.28Enfin, l’auteure aurait pu attaquer l’interdiction de l’avortement sur le fondement de la loi relative à la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, en vertu de cette loi, elle n’aurait pu demander qu’une déclaration d’incompatibilité et des dommages‑intérêts ex gratia à ce titre, et non que soit rendue une ordonnance l’autorisant à interrompre sa grossesse, qu’elle n’aurait du reste pu obtenir en temps voulu.

3.29Après son interruption de grossesse à l’étranger, l’auteure ne disposait pas non plus de recours effectifs et adéquats. Théoriquement, deux possibilités s’offraient à elle pour contester l’interdiction de l’avortement en Irlande. En premier lieu, elle aurait pu demander à une juridiction irlandaise de se prononcer in abstracto sur la constitutionnalité de cette interdiction. Mais la juridiction saisie l’aurait très probablement déboutée au motif que son recours était sans objet parce qu’elle n’avait plus besoin de se faire avorter. En second lieu, elle aurait pu déposer une plainte sur le fondement de la loi relative aux droits de l’homme au motif que l’interdiction de l’avortement portait atteinte à ses droits. Comme il est expliqué plus haut, cela aurait tout au plus donné lieu à une déclaration d’incompatibilité et à une indemnisation ex gratia, et n’aurait donc pas constitué un recours effectif ni adéquat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1L’État partie a présenté des observations les 10 juillet 2014 et 21 juillet 2015. Il a indiqué qu’il ne contestait pas la recevabilité de la plainte de l’auteure.

4.2L’État partie a affirmé que l’article 40.3.3 de la Constitution traduisait des convictions morales profondes du peuple irlandais, mais que celui-ci avait parallèlement reconnu le droit des citoyennes de se rendre dans d’autres pays en vue d’une interruption de grossesse. Le cadre législatif garantissait en outre aux citoyens le droit d’obtenir des informations sur les services d’avortement existant à l’étranger. Ainsi, le cadre constitutionnel et législatif en vigueur reflétait-il de manière nuancée et équilibrée la position réfléchie de l’électorat irlandais sur la grave question morale de savoir dans quelle mesure le droit à la vie du fœtus devait être protégé et mis en balance avec les droits de la femme qui le portait.

4.3L’État partie a fourni une description détaillée du cadre législatif et réglementaire irlandais concernant l’avortement et l’interruption de grossesse. Il s’est également appuyé sur l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire A, B et C c . Irlande . En l’espèce, eu égard au fait que le droit irlandais autorisait à se rendre à l’étranger pour avorter et qu’un accès adéquat aux informations et aux soins de santé avait été assuré, la Cour européenne n’a pas estimé que l’interdiction de l’avortement pour des raisons de santé et/ou de bien‑être excédait la marge d’appréciation accordée aux États membres. Elle a établi un juste équilibre entre le droit des requérantes A et B au respect de leur vie privée et les droits invoqués au nom des enfants à naître qui étaient fondés sur les idées morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie. La Cour européenne a estimé qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée et familiale qui était garanti à la requérante C par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme parce que ladite requérante n’avait pas disposé de procédures effectives et accessibles lui permettant de faire établir l’existence d’un droit à une interruption de grossesse légale dans son cas.

4.4La loi de 2013 sur la protection de la vie durant la grossesse a été adoptée à la suite de cet arrêt. Elle porte notamment sur les situations dans lesquelles il est permis de mettre un terme à la vie d’un enfant à naître si une menace liée à une maladie physique ou à une situation d’urgence pèse sur la vie de la femme, ainsi que lorsqu’un risque réel et sérieux existe pour la vie de la femme en raison de la possibilité d’un suicide. Elle réaffirme le droit de se rendre à l’étranger et le droit d’obtenir et de fournir des informations se rapportant aux services légalement disponibles à l’étranger. Elle érige en infraction le fait de détruire intentionnellement la vie humaine à naître en punissant cet acte d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement de quatorze ans au maximum.

4.5Le régime irlandais peut traduire des préoccupations qui sont prises en considération à l’article 6 du Pacte. Cette disposition garantit potentiellement au fœtus un droit à la vie qui mérite d’être protégé. On ne saurait conclure catégoriquement à l’absence de protection du droit à la vie du fœtus, sans quoi le paragraphe 5 de l’article 6 serait dénué de sens, d’objet et de contenu suffisants. Contrairement à ce qu’affirme l’auteure, aucune conclusion n’existe à l’heure actuelle à propos de l’application du Pacte aux droits prénatals, dans la mesure où des faits et un contexte concrets et pertinents n’ont pas encore été soumis à l’examen du Comité.

Griefs tirés de l’article 7

4.6L’auteure n’a pas été soumise à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Dans l’affaire K. L. c.  Pérou,ce sont des actes concrets des agents de l’État qui ont été considérés comme faits générateurs directs d’immixtions arbitraires dans les droits de l’auteure, en ce que lesdits agents ont refusé à celle-ci l’accès à l’avortement pour raisons médicales alors que cette possibilité lui était offerte par la loi. En l’espèce, l’auteure ne s’est pas vu refuser l’accès à l’avortement légal. Elle ne pouvait pas bénéficier de cette procédure, ainsi qu’elle en a été informée clairement et de manière appropriée par les agents compétents de l’État. Elle a donc été ensuite dirigée à bon escient vers un établissement de planning familial pour pouvoir bénéficier des options légales existantes. Par conséquent, et contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire K. L. c. Pérou, les agents de l’État n’ont accompli aucun acte fondé, ou pouvant être considéré comme fondé, sur des préjugés personnels des fonctionnaires du système de santé. On ne peut donc affirmer qu’il y a eu une immixtion arbitraire dans l’exercice de l’un quelconque des droits de l’auteure, qui aurait été constitutive d’un traitement cruel, inhumain et dégradant ou qui y aurait donné lieu.

4.7Si le Comité formulait des constatations en l’espèce, en l’absence d’actes concrets d’agents de l’État, sur la seule base de l’évolution des principes constitutionnels et légaux, sa jurisprudence s’en trouverait profondément modifiée (quant au fond et pas uniquement quant au degré). Cette évolution serait en contradiction avec le paragraphe 2 de l’observation générale no 20 (1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans laquelle le Comité dit que « l’État partie a le devoir d’assurer à toute personne, par des mesures législatives ou autres, une protection contre les actes prohibés par l’article 7, que ceux-ci soient le fait de personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, en dehors de celles-ci ou à titre privé. » Il n’y a pas eu en l’espèce de « fait » d’une personne ou d’un agent de l’État, et par conséquent on ne saurait conclure à l’existence d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

4.8L’État partie affirme qu’il n’a pas infligé à l’auteure de traitement cruel, inhumain ou dégradant étant donné que :

a)La présente communication est effectivement et factuellement différente des affaires sur lesquelles l’auteure s’appuie ;

b)La vie de l’auteure n’étant pas menacée, la procédure permettant de se faire avorter légalement en Irlande était claire. La patiente a pris sa décision dans le cadre d’une consultation avec son médecin. En cas de désaccord avec celui-ci, elle était libre de solliciter un autre avis médical et, en dernier recours, pouvait introduire une demande de procédure d’urgence auprès de la Haute Cour. Aucun élément factuel ne permet d’établir que des agents de l’État se seraient rendus responsables d’une quelconque immixtion arbitraire dans le processus décisionnel de l’auteure, ni d’un quelconque « fait » ;

c)Les motifs d’avortement légal étaient bien connus et relevaient de l’article 40.3.3 de la Constitution, dans l’interprétation qu’en avait donné la Cour suprême en l’affaire Attorney General v. X and others, des directives du Conseil des médecins et des Lignes directrices pour les femmes enceintes en difficulté ;

d)L’auteure affirme que, si elle savait que l’avortement n’était pas autorisé, elle ignorait qu’une interruption de grossesse pour des motifs médicaux tombait sous le coup de la même interdiction, mais il s’agit là de son interprétation subjective de la loi ;

e)L’hôpital et son personnel ayant clairement dit qu’une interruption de grossesse n’était pas possible en Irlande, on ne saurait voir là de processus décisionnel ou de fait arbitraire susceptible d’être à l’origine d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant ou d’y avoir contribué ; f) la position de l’État partie, reflétée par sa législation dans ce domaine, tend à ménager un équilibre raisonnable, prudent et délicat, entre les droits concurrents du fœtus et de la femme ; g) l’État partie recherche cet équilibre dans le respect de l’article 25 du Pacte.

Griefs tirés de l’article 17

4.9Il n’a pas été porté atteinte au droit au respect de la vie privée garanti à l’auteure par l’article 17 du Pacte. Si immixtion dans la vie privée de l’auteure il y a eu, elle n’était ni arbitraire ni illégale. Au contraire, elle était proportionnée aux buts légitimes du Pacte et respectueuse de l’équilibre délicat qui doit être ménagé entre le droit à la vie de l’enfant à naître et celui, dûment pris en considération, de la femme. Les conseils que l’auteure a reçus de l’hôpital ont été dispensés de manière adéquate et légale. L’État partie est autorisé à adopter des lois qui mettent en balance des droits concurrents, dans le respect et dans l’esprit de l’article 25 du Pacte.

4.10Dans l’affaire A, B et C c . Irlande , la Cour européenne des droits de l’homme a conclu ce qui suit : « [C]onsidérant que les femmes en Irlande peuvent sans enfreindre la loi aller se faire avorter à l’étranger et obtenir à cet égard des informations et des soins médicaux adéquats en Irlande, la Cour estime qu’en interdisant, sur la base des idées morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie et la protection à accorder en conséquence au droit à la vie des enfants à naître, l’avortement pour des raisons de santé ou de bien-être sur son territoire, l’État irlandais n’excède pas la marge d’appréciation dont il jouit en la matière. Aussi considère-t-elle que l’interdiction litigieuse a ménagé un juste équilibre entre le droit des première et deuxième requérantes au respect de leur vie privée et les droits invoqués au nom des enfants à naître ». Les électeurs irlandais ont eu l’occasion de se prononcer à de multiples reprises sur l’équilibre à réaliser.

4.11Dans les affaires K. L. c. Pérou et L. M. R. c. Argentine, dans lesquelles le Comité a constaté des violations de l’article 17, des dispositions législatives autorisaient l’interruption de la grossesse pour raisons médicales. Dans un premier temps, les auteures avaient été informées qu’elles avaient le droit de bénéficier d’une interruption de grossesse, mais ce droit leur avait ensuite été dénié par une immixtion arbitraire des États concernés, qui ne l’avaient donc pas protégé. Il n’y a pas de conflit analogue dans la présente espèce, car l’hôpital a clairement dit qu’une interruption de grossesse n’était pas possible en Irlande. Il n’y a donc pas eu, dans la présente espèce, d’immixtion arbitraire comparable à celle intervenue dans ces affaires.

Griefs tirés de l’article 19

4.12Les griefs de l’auteure ne sont pas étayés par des informations suffisantes. L’auteure formule un certain nombre d’allégations non étayées au sujet, par exemple, de la sage‑femme. En affirmant que celle-ci a « refusé de parler » de certaines solutions, elle donne à penser que le silence de la sage‑femme était intentionnel mais ne fournit au Comité aucune autre information sur ce point. Or, en adressant l’auteure à une organisation susceptible de lui fournir les renseignements dont elle avait besoin, la sage-femme n’a aucunement pratiqué de censure. Il n’y a pas eu non plus de violation de l’article 19 car le renvoi de l’auteure vers un organisme compétent lui a permis de recevoir toutes les informations autorisées, conformément au paragraphe 2 de cet article. Dès lors, puisque l’hôpital a dirigé l’auteure vers un organisme de conseil avec lequel elle a pu envisager toutes les options possibles, il n’y a eu aucune violation de l’article 19. En outre, le Programme en faveur des femmes enceintes en difficulté du Bureau exécutif du Service de santé met à la disposition du public d’abondantes informations concernant les femmes enceintes en situation de crise et l’avortement. Ces ressources sont gratuites et étaient à la disposition de l’auteure.

Griefs tirés des articles 2 (par. 1), 3 et 26

4.13L’État partie soutient qu’il n’y a pas eu de discrimination, mais que s’il y avait eu discrimination, celle-ci devrait être considérée comme une différenciation raisonnable et objective servant un but légitime au regard du Pacte. On ne saurait parler de « discrimination injuste » s’agissant d’une femme enceinte car ses capacités ou sa situation sont intrinsèquement différentes de celles d’un homme. Cette différenciation est une question de fait et doit être acceptée comme axiomatique.

4.14Rien ne justifie que l’on considère le cadre légal contesté, à savoir l’article 40.3.3 de la Constitution et les dispositions pertinentes de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes, comme constitutif à l’égard des femmes d’une discrimination fondée sur le sexe. Ce cadre est neutre en ce qu’il n’établit pas de distinction entre hommes et femmes. Si un homme procure les moyens d’avorter ou pratique un avortement dans les cas non prévus par la Constitution, il peut être déclaré coupable d’une infraction. Même si le cadre légal établissait une discrimination fondée sur le sexe, cette discrimination servirait l’objectif légitime de la protection de l’enfant à naître et serait proportionnée à cet objectif. Les mesures en cause ne sont pas disproportionnées, car elles ménagent un juste équilibre entre les droits et libertés individuels et l’intérêt général. Dans ce domaine, là encore, selon l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie jouit d’une marge d’appréciation. Par conséquent, la différenciation est raisonnable et objective et poursuit un objectif légitime.

4.15L’État partie conteste que sa législation réduise l’auteure au stéréotype d’un instrument procréatif en la soumettant à une discrimination fondée sur le sexe. Il estime au contraire que la différence inhérente existant entre un homme et une femme enceinte oblige à réaliser un équilibre délicat entre les droits du fœtus capable de naître vivant et les droits de la femme.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 12 décembre 2014, l’auteure a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Elle conteste le tableau que celui-ci dresse de l’opinion du peuple irlandais concernant l’avortement et des « choix » qu’il a opérés quant aux cas dans lesquels l’avortement devrait être possible en Irlande. Depuis de nombreuses années, les sondages indiquent qu’une large majorité du peuple est en faveur de la légalisation de l’accès à l’avortement dans les cas de grossesses non viables et de malformations fœtales létales. Une majorité tout aussi large d’électeurs est en faveur de la légalisation de l’avortement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou met la santé de la femme en péril. En outre, les résultats des référendums constitutionnels n’étayent pas la description que donne l’État partie du « choix moral » profond fait par le peuple irlandais. En effet, l’électorat irlandais n’a jamais eu la possibilité de se prononcer sur un projet visant à accroître le nombre des situations dans lesquelles l’accès à l’avortement est légal. Jamais il n’a eu l’occasion de s’exprimer sur le point de savoir si les femmes devraient être autorisées à avorter dans d’autres cas que ceux dans lesquels leur vie est menacée. De fait, deux projets soumis aux électeurs en 1992 et 2002, qui visaient à restreindre encore l’accès à l’avortement en le rendant illégal lorsqu’une femme risque de se suicider, ont été rejetés. De surcroît, lors des trois référendums constitutionnels sur la question de l’avortement, la proportion de l’électorat qui s’est prononcée pour ces restrictions n’a pas atteint 35 %.

5.2La loi de 2013 sur la protection de la vie durant la grossesse est sans pertinence dans le cadre de la plainte de l’auteure, car elle se contente de réglementer les procédures applicables en cas de menace réelle et sérieuse pour la vie de la femme qui demande l’avortement.

Griefs tirés de l’article 7

5.3Eu égard au caractère absolu du droit consacré par l’article 7, un État partie ne saurait chercher à justifier son comportement en invoquant la nécessité de concilier les droits protégés par cet article avec « les droits d’autrui ». En outre, rien dans le libellé de l’article 7 ne donne à penser qu’il doit y avoir acte arbitraire des agents de l’État pour qu’il y ait mauvais traitement. Le point de savoir si le comportement de l’État à l’origine de ce mauvais traitement est ou non arbitraire est sans pertinence quant à la protection accordée par l’article 7. Lorsqu’une violation de l’article 7 est alléguée, il convient de se demander si le préjudice causé constitue un mauvais traitement et si le comportement à l’origine de ce préjudice est attribuable à l’État. Le caractère arbitraire ou non de ce comportement est dénué de pertinence.

5.4L’État partie induit de ses propres affirmations relatives à l’« acte arbitraire » que l’illégalité au regard du droit interne de l’avortement demandé par l’auteure est déterminante et justifie en elle-même le rejet des griefs tirés de l’article 7. Il suggère que, parce que l’avortement recherché était illégal en droit interne, son refus de laisser l’auteure bénéficier de cette procédure ne saurait être considéré comme un mauvais traitement. Ce raisonnement va à l’encontre du principe selon lequel le droit interne ne peut jamais être invoqué pour justifier le manquement d’un État aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et méconnaît le caractère absolu de la protection accordée par l’article 7. L’admettre reviendrait à admettre tacitement qu’un État qui réprime pénalement, ou dont la législation interdit, certaines procédures médicales peut échapper à la responsabilité qui lui incombe au titre de l’article 7, même si cette interdiction cause des souffrances considérables aux personnes concernées. Lorsque l’auteure s’est vu refuser l’avortement, le fait de savoir que ce refus était conforme au droit interne n’a pas rendu ses souffrances plus supportables. De fait, loin de réduire ses souffrances, la répression pénale de l’avortement les a accrues.

5.5L’auteure rejette la qualification des faits établie par l’État partie en ce qu’elle exclut que le comportement de celui-ci ait pu enfreindre l’interdiction des mauvais traitements. Or, l’équipe médicale qui s’est occupée de l’auteure, constituée d’agents de l’État, ne lui a pas permis d’obtenir l’avortement qu’elle demandait. Ce sont donc bien des agents de l’État, agissant conformément aux lois et politiques de l’État, qui lui ont refusé l’avortement, ce qui a engendré chez elle une profonde angoisse. Les souffrances qu’elle a endurées ont atteint le seuil requis par l’article 7.

Griefs tirés de l’article 17

5.6Le refus par l’État partie de permettre à l’auteure d’avoir accès à l’avortement constitue une immixtion arbitraire dans l’exercice du droit de l’auteure à la vie privée, pour les raisons ci-après :

a)Cette immixtion est discriminatoire à l’égard de l’auteure parce que celle-ci est une femme, et elle enfreint donc l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe consacrée par les articles 2 et 3 du Pacte ;

b)Cette immixtion n’était ni nécessaire ni proportionnée à un but légitime. L’État partie n’a pas présenté, à propos de la situation de l’auteure, d’arguments spécifiques démontrant le caractère nécessaire et proportionné de son comportement à l’égard de celle‑ci ;

c)L’État partie n’a pas démontré que son immixtion dans l’exercice par l’auteure du droit à la vie privée était nécessaire pour atteindre le but légitime invoqué. Ainsi qu’il est expliqué plus haut, sa description des « convictions morales profondes » du peuple irlandais ne correspond pas à l’opinion de la majorité de ce peuple ;

d)L’État partie n’a pas démontré que son immixtion dans l’exercice du droit de l’auteure à la vie privée était appropriée ou efficace pour atteindre l’objectif visé. Un régime pénal qui interdit en toutes circonstances aux femmes d’avoir accès à l’avortement dans le pays sauf en cas de risque réel et sérieux pour leur vie, et qui les menace de lourdes peines de prison au nom de la protection de prétendus choix moraux concernant le « droit à la vie de l’enfant à naître », tout en comportant une disposition qui énonce expressément le droit de se rendre à l’étranger pour obtenir un avortement, ne constitue pas un moyen adéquat d’atteindre le but qu’il vise. Il présente une contradiction fondamentale et jette un doute sur la nature véritable des arguments de l’État partie ;

e)L’État partie n’a pas démontré que son immixtion était proportionnée. Le traumatisme et la stigmatisation qu’a engendrés pour l’auteure l’atteinte portée à son intégrité physique et mentale, à sa dignité et à son autonomie se sont combinés pour lui causer un grave préjudice moral. Dès lors, on ne saurait dire que la législation de l’État partie est proportionnée, ou propre à ménager un délicat « équilibre entre les droits concurrents de l’enfant à naître et de sa mère », car l’État partie a privilégié son intérêt propre en protégeant « l’enfant à naître », sans protéger le droit de l’auteure à la vie privée. De fait, si elle avait pu avorter en Irlande, l’auteure se serait exposée à une lourde peine.

5.7La doctrine de la marge d’appréciation invoquée par l’État ne s’applique qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et n’est admise par aucun autre mécanisme international ou régional de protection des droits de l’homme. En outre, la Cour n’a jamais envisagé de l’appliquer à des faits semblables à ceux vécus par l’auteure.

Griefs tirés de l’article 19

5.8La loi sur l’information relative à l’avortement peut être décrite comme un système de contrôle étatique strict régissant la manière dont l’information doit être fournie. Il est interdit aux médecins de diriger leurs patients sur un service d’avortement à l’étranger et le non-respect des prescriptions de la loi est une infraction passible d’une amende. De ce fait, le droit à l’information n’est pas traité comme un droit positif dont la réalisation sert l’intérêt général et exige que l’État prenne des mesures pour éliminer les obstacles à son exercice. Le cadre répressif en vigueur dans l’État partie, qui résulte de la large pénalisation de l’avortement et du manque de clarté connexe quant à ce qui est autorisé par la loi, a dissuadé le médecin comme la sage-femme de l’auteure de fournir à celle‑ci les informations qu’elle sollicitait.

5.9L’auteure réfute l’argument selon lequel en l’orientant vers l’Association irlandaise pour la planification familiale l’État partie s’est acquitté de l’obligation que l’article 19 mettait à sa charge. Le conseil minimal donné par les fonctionnaires de prendre contact avec l’association a constitué dans le continuum de soins médecin-patiente une rupture qui n’était pas fondée sur les besoins sanitaires de l’auteure mais résultait d’un climat de stigmatisation et de peur ou d’incertitude quant aux conséquences de la fourniture directe d’informations.

5.10S’agissant du Programme en faveur des femmes enceintes en difficulté, le propre site Web de celui-ci indique qu’il ne fournit pas de conseils ou de services médicaux directement au public. Il finance d’autres organisations afin que celles-ci fournissent des conseils ou des services médicaux qui sont conformes à ses objectifs. Le Programme a pour mandat d’œuvrer à une « réduction du nombre des femmes enceintes en difficulté qui optent pour l’avortement en offrant des services et un appui qui rendent d’autres options plus attrayantes ».

5.11Les restrictions apportées au droit de l’auteure à l’information n’étaient pas conformes au paragraphe 3 de l’article 19. L’État partie n’a pas justifié ces restrictions. Elles n’étaient pas juridiquement requises, puisque la loi sur l’information relative à l’avortement ne satisfait pas à la prescription énoncée dans le Pacte, à savoir que toute restriction à l’article 19 doit être « libellée avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter son comportement en fonction de la règle ». De plus, ces restrictions n’étaient ni nécessaires ni proportionnées à un objectif légitime. Elles n’avaient d’autre but que de restreindre la jouissance par l’auteure de son droit à des informations relatives aux services d’avortement disponibles à l’étranger, et elles étaient disproportionnées eu égard à leurs conséquences néfastes sur la dignité et le bien‑être de l’auteure.

Griefs tirés des articles 2, 3 et 26

5.12L’article 40.3.3 de la Constitution ne met pas « en balance » le droit à la vie des hommes et leur jouissance d’autres droits. Ainsi, l’affirmation de l’État partie selon laquelle cette disposition est neutre du point de vue de la distinction entre hommes et femmes ne saurait être accueillie. De plus, la première partie de l’article 58 de la loi sur les infractions contre les personnes s’applique uniquement aux femmes et n’est donc pas neutre du point de vue de la distinction entre hommes et femmes. Le cadre juridique a un impact distinct et spécifique sur les femmes et la législation de graves conséquences pour leur intégrité personnelle, leur dignité, leur santé physique et morale et leur bien-être.

5.13Les États parties au Pacte ne peuvent invoquer la différence biologique entre hommes et femmes et la capacité procréative des femmes pour justifier des restrictions aux droits de celles-ci. L’Irlande ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait de prouver l’inexistence prima facie d’une discrimination fondée sur le sexe et de justifier le traitement différencié réservé aux femmes comme étant proportionné à la réalisation d’un objectif légitime. Elle n’a pas expliqué en quoi le fait de ne pas mettre de services d’avortement à la disposition de l’auteure alors que son fœtus était atteint d’une malformation létale et les conséquences néfastes qui en ont résulté pour celle-ci étaient proportionnés à l’objectif consistant à protéger l’« enfant à naître ». L’objectif consistant à « protéger les droits de l’enfant à naître » a été placé au-dessus de la dignité et du bien‑être de l’auteure. Celle-ci a été traitée comme inférieure et a été victime d’un stéréotype sexiste illicite. L’interdiction de l’avortement en cas de malformation létale du fœtus et de grossesse non viable ne peut être considérée comme proportionnée à l’objectif consistant à protéger le fœtus.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif .

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. Toutes les conditions de recevabilité étant réunies, le Comité déclare la communication recevable et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Au cours de sa vingt et unième semaine de grossesse, l’auteure de la présente communication a été informée par des professionnels de santé publique que l’enfant qu’elle portait était atteint de malformations congénitales et allait mourir in utero ou peu après sa naissance. L’avortement étant légalement interdit en Irlande, deux options se présentaient à elle : porter le fœtus jusqu’à terme, sachant qu’il mourrait très probablement en elle, ou faire pratiquer une interruption volontaire de grossesse à l’étranger. L’article 40.3.3 de la Constitution irlandaise dispose à cet égard que « l’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, compte dûment tenu du droit égal de la mère à la vie, s’engage à le respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à le protéger et à le défendre par ses lois. » L’État partie soutient que son cadre constitutionnel et législatif reflète de manière nuancée et équilibrée la position réfléchie de l’électorat irlandais sur la grave question morale de savoir dans quelle mesure les intérêts du fœtus doivent être protégés et mis en balance avec les droits de la femme qui le porte. L’État partie indique également que selon l’article 40.3.3 de la Constitution, tel qu’interprété par la Cour suprême , l’interruption de grossesse n’est légale en Irlande que s’il est établi que, selon toute probabilité, il existe, pour la vie et pas seulement pour la santé de la mère, un risque réel et sérieux qui ne peut être écarté que par l’interruption de sa grossesse.

7.3L’auteure affirme avoir été soumise à un traitement cruel, inhumain et dégradant du fait de l’interdiction légale de l’avortement, parce que, entre autres, on lui a refusé les soins de santé et l’accompagnement psychologique en cas de deuil dont elle avait besoin en Irlande, qu’elle s’est vue contrainte de choisir entre poursuivre une grossesse non viable ou y mettre fin à l’étranger et qu’elle s’est trouvée exposée à une forte stigmatisation. L’État partie rejette les griefs de l’auteure en affirmant notamment que l’interdiction tente de ménager un équilibre entre les droits concurrents du fœtus et de la femme, que la vie de l’auteure n’était pas menacée et qu’il n’y a pas eu de processus décisionnel arbitraire, ni de « faits » d’une personne ou d’un agent de l’État assimilables ou ayant contribué à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. L’État partie déclare également que le cadre législatif garantit aux citoyens le droit d’obtenir des informations sur les services d’avortement existant à l’étranger.

7.4Le Comité estime que le fait qu’un comportement ou un acte donné soit légal en droit interne ne signifie pas qu’il ne peut contrevenir à l’article 7 du Pacte. Par l’effet du cadre législatif existant, l’État partie a causé à l’auteure des souffrances physiques et morales intenses. En tant que femme enceinte rendue particulièrement vulnérable par la nouvelle que la grossesse qu’elle avait ardemment désirée n’était pas viable, et comme l’ont confirmé notamment les expertises psychologiques présentées au Comité, l’auteure a vu ses souffrances physiques et mentales aggravées du fait : de n’avoir pas pu continuer de bénéficier des soins médicaux et de l’assurance maladie prévus par le système de santé publique irlandais ; d’avoir dû choisir entre poursuivre une grossesse non viable ou partir à l’étranger dans cet état à ses frais et sans le soutien de sa famille, et rentrer en Irlande alors qu’elle n’était pas complétement remise ; de la honte et de la stigmatisation associées à la pénalisation d’un avortement motivé par des malformations létales du fœtus ; d’avoir dû laisser le corps de son bébé derrière elle et de recevoir sa dépouille ultérieurement des mains d’un coursier, alors qu’elle ne s’y attendait pas ; et du refus de l’État partie de lui procurer les soins postérieurs à l’avortement dont elle avait besoin et de l’accompagner dans son deuil. L’auteure aurait pu éviter nombre de ces épreuves si elle avait été autorisée à interrompre sa grossesse dans l’environnement familier de son propre pays et en étant prise en charge par les professionnels de santé qu’elle connaissait et en qui elle avait confiance, et si elle avait bénéficié des prestations de santé nécessaires qui sont disponibles en Irlande, qui sont offertes à d’autres et auxquelles elle aurait eu accès si elle avait poursuivi sa grossesse non viable et accouché d’un enfant mort-né dans ce pays.

7.5Le Comité considère que les souffrances de l’auteure ont en outre été aggravées par les obstacles qui l’ont empêchée d’obtenir les informations dont elle avait besoin quant aux options médicales qui s’offraient à elle de la part de professionnels de la santé qu’elle connaissait et en qui elle avait confiance. Le Comité relève que la loi sur l’information relative à l’avortement limite les circonstances dans lesquelles une personne peut fournir des informations au sujet des services d’avortement légalement disponibles en Irlande ou à l’étranger et réprime la préconisation ou la promotion de l’interruption de grossesse. Le Comité relève en outre l’affirmation de l’auteure, non contestée, selon laquelle les professionnels de santé ne lui ont pas fourni de telles informations et elle n’a pas bénéficié des renseignements médicaux essentiels voulus sur les restrictions applicables aux avortements à l’étranger et les types d’interruption de grossesse les plus adaptés compte tenu du stade de sa grossesse, ce qui a interrompu la fourniture des soins et des conseils sanitaires dont elle avait besoin et a aggravé sa détresse.

7.6Le Comité note de surcroît qu’ainsi que l’indique le paragraphe 3 de l’observation générale no 20, le texte de l’article 7 ne souffre aucune limitation, et aucune raison ne saurait être invoquée en tant que justification ou circonstance atténuante pour excuser une violation de l’article 7. Le Comité conclut donc que les faits susmentionnés, considérés dans leur ensemble, sont constitutifs d’un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte.

7.7L’auteure affirme qu’en lui refusant la seule solution qui aurait été en l’occurrence respectueuse de son intégrité physique et mentale et de son autonomie procréative (lui permettre d’interrompre sa grossesse en Irlande), l’État s’est immiscé arbitrairement dans l’exercice du droit à la vie privée que lui garantit l’article 17 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que la décision d’une femme de demander une interruption de grossesse relève de cette disposition. En l’espèce, l’État partie est intervenu dans la décision de l’auteure de ne pas poursuivre sa grossesse non viable, une immixtion rendue possible par l’article 40.3.3 de la Constitution et qui n’était donc pas illégale au regard du droit interne de l’État partie. La question dont est saisi le Comité est toutefois de savoir si cette immixtion était illicite ou arbitraire au regard du Pacte. L’État partie affirme qu’elle n’avait aucun caractère arbitraire dans la mesure où elle était proportionnée aux buts légitimes du Pacte et respectueuse de l’équilibre délicat à ménager entre la protection du fœtus et les droits de la femme qui le porte.

7.8Le Comité considère que l’équilibre que l’État partie a choisi de réaliser en l’espèce entre la protection du fœtus et les droits de la femme n’est pas justifiable. Le Comité rappelle son observation générale no 16 (1988) sur le droit au respect de la vie privée, selon laquelle la notion d’arbitraire a pour objet de garantir que même une immixtion prévue par la loi soit conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances particulières. Le Comité relève que la grossesse ardemment désirée de l’auteure n’était pas viable, que les solutions qui s’offraient à elle étaient inévitablement source de souffrances intenses et que le fait qu’elle ait dû se rendre à l’étranger pour mettre fin à sa grossesse a eu pour elle, comme indiqué plus haut, des répercussions très néfastes qui auraient pu être évitées si elle avait été autorisée à mettre fin à sa grossesse en Irlande, et qui lui ont causé un préjudice contraire à l’article 7. De ce fait, le Comité estime que l’immixtion dans la décision de l’auteure concernant la meilleure manière de faire face à sa grossesse non viable a été déraisonnable et arbitraire en violation de l’article 17 du Pacte.

7.9L’auteure affirme que la répression pénale de l’avortement dans les cas où le fœtus présente des malformations létales a constitué une atteinte aux droits à un traitement égal et à la non-discrimination qu’elle tenait des articles 2 (par. 1), 3 et 26. L’État partie rejette ce grief et soutient que son régime juridique concernant l’interruption de grossesse n’est pas discriminatoire.

7.10Le Comité note que dans le cadre du régime juridique de l’État partie les femmes enceintes d’un fœtus présentant une malformation létale qui décident néanmoins de mener leur grossesse à terme continuent de bénéficier de la protection intégrale du système de soins de santé publique. Leurs besoins médicaux continuent d’être couverts par l’assurance maladie, et elles continuent de bénéficier des soins et conseils des professionnels de santé de l’État tout au long de leur grossesse. Si elles font une fausse couche ou accouchent d’un enfant mort-né, elles reçoivent les soins médicaux postnatals dont elles peuvent avoir besoin et sont accompagnées dans leur deuil. À l’opposé, les femmes qui choisissent d’interrompre une grossesse non viable doivent le faire à leurs frais, totalement en dehors du système de soins de santé publique. Elles ne bénéficient pas de la couverture de l’assurance maladie à cette fin : elles doivent se rendre à l’étranger à leurs frais pour se faire avorter et supporter la charge financière, psychologique et physique qu’impose un tel voyage, et les soins médicaux postérieurs à l’interruption de leur grossesse et l’accompagnement dans leur deuil dont elles peuvent avoir besoin leur sont refusés. Le Comité prend note en outre des allégations incontestées de l’auteure selon lesquelles pour obtenir une interruption de sa grossesse non viable, elle a dû se rendre à l’étranger, et a dû dépenser des sommes qu’il lui a été difficile de réunir. Elle a également dû rentrer à Dublin douze heures seulement après l’accouchement, car son mari et elle n’avaient pas les moyens de rester plus longtemps au Royaume-Uni.

7.11 Au paragraphe 13 de son observation générale no 28 (2000) relative à l’égalité des droits entre hommes et femmes, le Comité fait observer que « toute différenciation ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte ». Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel la répression pénale de l’avortement dans l’État partie l’a assujettie au stéréotype sexiste du rôle procréatif des femmes considérées principalement en tant que mères, et que l’assimiler ainsi à un instrument de procréation a constitué une discrimination. Le Comité estime que le traitement différencié auquel l’auteure a été soumise par rapport aux autres femmes se trouvant dans une situation comparable n’a pas suffisamment tenu compte de ses besoins médicaux et de sa situation socioéconomique et ne répondait pas aux critères de caractère raisonnable et objectif et de légitimité du but visé. C’est pourquoi le Comité conclut que le fait pour l’État partie de ne pas fournir à l’auteure les services dont elle avait besoin a constitué une discrimination qui a porté atteinte aux droits que l’auteure tient de l’article 26 du Pacte.

7.12Compte tenu des constatations ci-dessus, le Comité n’examinera pas séparément les allégations de l’auteure au titre des articles 2 (par. 1), 3 et 19 du Pacte.

8.Le Comité , agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteure tient des articles 7, 17 et 26 du Pacte .

9.En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’État partie est tenu de fournir à l’auteure un recours utile, ce qui suppose qu’il accorde une réparation intégrale aux personnes dont les droits ont été violés. En conséquence, l’État partie est notamment tenu d’indemniser l’auteure de manière adéquate et de mettre à sa disposition l’accompagnement psychologique dont elle peut avoir besoin. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour que des violations similaires ne se reproduisent pas. À cette fin, il devrait modifier sa législation relative à l’interruption volontaire de grossesse, y compris sa constitution si nécessaire, pour la rendre conforme au Pacte, notamment en garantissant l’existence en Irlande de procédures d’interruption de grossesse efficaces, rapides et accessibles et prendre des mesures pour que les prestataires de soins de santé puissent fournir des informations complètes sur les services d’avortement médicalisé sans crainte de sanctions pénales, comme indiqué par le Comité dans les présentes constatations.

10.Étant donné qu’en devenant partie au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à publier les présentes constatations.

Annexe I

Opinion individuelle (concurrente) du membre du ComitéYadh Ben Achour

1.J’adhère totalement aux conclusions du comité des droits de l’homme qui constate que les faits de l’espèce Amanda Jane Mellet (Communication 2324/2013), font apparaître une violation des articles 7, 17 et 26 du pacte. Le comité a cependant décidé de ne pas examiner séparément les allégations de l’auteure au titre des articles 2 (par. 1) et 3 du pacte.

2.Je considère que le comité aurait dû recevoir et accepter sur le fond l’argument défendu par l’auteure de la communication (voir paragraphes 3.15 à 3.19 des constatations) selon lequel la loi irlandaise érigeant l’avortement en infraction pénale contrevient également aux articles 2 (par. 1) et 3 du pacte.

3.Déniant aux femmes leur liberté sur une question qui touche leur fonction procréative, ce type de législation est contraire au droit de ne pas faire l’objet de discrimination sur le fondement du sexe, parce qu’il dénie aux femmes leur libre arbitre dans ce domaine. Aucune restriction similaire ne s’impose aux hommes.

4.L’interdiction de l’avortement en Irlande, par son effet contraignant, indirectement punitif et stigmatisant, vise les femmes en tant que telles et les place dans une situation spécifique de vulnérabilité, discriminatoire par rapport aux personnes de sexe masculin. En application de cette législation, l’auteure a effectivement été victime du stéréotype sexiste, selon lequel la grossesse des femmes devrait, sauf en cas de danger mortel pour la mère, se poursuivre, quelles que soient les circonstances, car leur rôle se limite exclusivement à celui de mères procréatrices. Le fait de réduire l’auteure à un instrument procréatif constitue une discrimination et porte atteinte à la fois à sa liberté de disposer d’elle-même et à son droit à l’égalité des sexes.

5.Sur le fondement des considérations qui précèdent, j’estime par conséquent que le fait pour l’État, en application de sa législation interne, de ne pas permettre à l’auteure de procéder à l’interruption de sa grossesse constitue une discrimination de genre (qui est l’une des formes de discrimination à raison du sexe prévue par les articles 2 §1 et 3 du pacte).

6.La loi de l’État partie porte ainsi atteinte aux droits que l’auteure tient des articles 2 § 1 et 3 du pacte, lus conjointement avec l’article 26.

Annexe II

Individual opinion of Committee member Sarah Cleveland (concurring)

1.I concur in the Committee’s Views in this case. I also agree with the separate opinion of my colleagues that the Committee should have found a violation of article 19 of the Covenant and articulated a comprehensive finding of gender discrimination under articles 2(1), 3 and 26. I write separately to set forth my views on the finding of a violation of article 26.

2.In paragraphs 7.10 and 7.11, the Committee notes the disproportionate socio-economic burdens that the Irish legal system imposes on women who decide not to carry a fetus to term, including those imposed on the author in particular. It also notes the author’s claim that Ireland’s criminalization of abortion discriminatorily subjected her to gender-based stereotypes. The Committee concludes that the distinctions drawn by the State party “failed to adequately take into account her medical needs and socio-economic circumstances and did not meet the requirements of reasonableness, objectivity and legitimacy of purpose” under article 26. The Committee thus identifies two prohibited grounds for finding a violation of article 26: discrimination on grounds of socio-economic status and gender discrimination.

3.With respect to socio-economic status, the Committee previously has expressed specific concern in relation to article 26 regarding the highly restrictive Irish legal regime, which requires women to travel to a foreign jurisdiction to obtain a lawful termination of pregnancy in most contexts, and the resulting “discriminatory impact of the Protection of Life During Pregnancy Act on women who are unable to travel abroad to seek abortions”. Article 26, of course, “guarantee[s] to all persons equal and effective protection against discrimination” on the grounds of both “property” and “other status.” It therefore prohibits the unequal access to reproductive health care for low-income and vulnerable populations that results from Ireland’s legal restrictions on reproductive health services.

4.The author further contends that Ireland’s criminalization of abortion stereotyped her as a reproductive instrument and thus subjected her to discrimination. She explains that by prioritizing protection of the “unborn” over a woman’s health and personal autonomy, Ireland subjected her to a gender-based stereotype that women should continue their pregnancies regardless of circumstances, because their primary role is to be mothers and caregivers, thus infringing on her right to gender equality. In particular, the author contends that Ireland’s differential treatment of women who decide to carry a pregnancy with a fatal impairment to term, versus women who terminate such pregnancies, reflects a stereotypical idea that a pregnant woman should let nature run its course, regardless of the suffering involved for her (para. 3.19).

5.The State party in turn contends that the criminalization of abortion cannot discriminate against women, per se, because any differential treatment is based on factual biological differences between men and women. It argues alternatively that any gender-based differential treatment of woman pursues the legitimate aim of protecting the foetus, is proportionate to that aim, and thus is not discrimination (paras. 4.13-4.15).

6.The view that differences in treatment that are based on biological differences unique to either men or women cannot be sex discrimination is inconsistent with contemporary international human rights law and the positions of this Committee. Under such an approach, apparently it would be perfectly acceptable for a State to deny health care coverage for essential medical care uniquely required by one sex, such as cervical cancer, even if all other forms of cancer (including prostate cancer for men) were covered. Such a distinction would not, under this view, treat men and women differently, because only women contract cervical cancer, as a result of biological differences unique to women. Thus there would be no comparable way in which men were treated differently.

7.Modern gender discrimination law is not so limited. The right to sex and gender equality and non-discrimination obligates States to ensure that State regulations, including with respect to access to health services, accommodate the fundamental biological differences between men and women in reproduction and do not directly or indirectly discriminate on the basis of sex. They thus require States to protect on an equal basis, in law and in practice, the unique needs of each sex. In particular, as this Committee has recognized, nondiscrimination on the basis of sex and gender obligates States to adopt measures to achieve the “effective and equal empowerment of women”.

8.Article 26 requires “equal and effective” protection against discrimination on grounds of sex. The Committee has drawn upon the Race Convention and CEDAW to define discrimination as prohibiting “any distinction, exclusion, restriction or preference which is based on any ground such as … sex…, and which has the purpose or effect of nullifying or impairing the recognition, enjoyment or exercise by all persons, on an equal footing, of all rights and freedoms”. Article 26 prohibits discrimination in law or in fact in any field regulated and protected by public authorities, and does not require an intent to discriminate. Violations can “result from the discriminatory effect of a rule or measure that is neutral at face value or without intent to discriminate”. Thus, “indirect discrimination” contravenes the Covenant “if the detrimental effects of a rule or decision exclusively or disproportionately affect persons” with a protected characteristic and the “rules or decisions with such an impact” are not “based on objective and reasonable grounds”.

9.State policies that treat or impact men and women differently as a result of biological differences are obviously “based on … sex”. Such distinctions necessarily constitute discrimination unless they are supported by reasonable and objective criteria and a legitimate purpose.

10.This Committee has long recognized that the enjoyment of rights and freedoms on an equal footing does not mean identical treatment of men and women in every instance and may require differential treatment in order to overcome conditions that cause or help to perpetuate discrimination. The Committee accordingly has recognized that interference with women’s access to reproductive health services can violate their rights to equality and non-discrimination. Protection of sex and gender equality obligates States parties to respect women’s privacy in relation to their reproductive functions, including prohibiting States from imposing restrictions on women’s access to sterilization and from requiring health personnel to report women who have undergone abortion. It also prohibits employers from requesting pregnancy tests before hiring women. Gender equality requires that pregnant women in State custody receive appropriate care, obligates States to afford access to safe abortion services to women who have become pregnant as a result of rape, and obligates them to ensure that women are able to access information necessary for equal enjoyment of their rights.

11.This approach comports with that of the CEDAW Committee, which has emphasized that a State’s failure or refusal to provide reproductive health services that only women need constitutes gender discrimination. Even facially identical treatment of men and women may discriminate if it fails to take into account women’s different needs.

12.Women’s unique reproductive biology traditionally has been one of the primary grounds for de jure and de facto discrimination against women. This is true when women are treated differently from men based on stereotyped assumptions about their biology and social roles, such as the claim that women are less able to take full time or demanding jobs than men. It is equally true when apparently gender-neutral laws disproportionately or exclusively burden women because they fail to take into account the unique circumstances of women. Both types of laws subject women to discrimination.

13.Ireland’s near-comprehensive criminalization of abortion services denies access to reproductive medical services that only women need, and imposes no equivalent burden on men’s access to reproductive health care. It thus clearly treats men and women differently on the basis of sex for purposes of article 26. Such differential treatment constitutes invidious sex and gender discrimination unless it reasonable and objective to a legitimate purpose under the Covenant – requirements that the Committee found were not satisfied here.

14.The author also articulates an alternative basis for a finding of gender discrimination – that Ireland’s legal regime is based on traditional stereotypes regarding the reproductive role of women, by placing the woman’s reproductive function above her physical and mental health and autonomy. The fact that the State party may have pointed to a facially nondiscriminatory purpose for its legal regime does not mean that its laws may not also be informed by such stereotypes. Indeed, the State’s laws appear to take such stereotypes to an extreme degree where, as here, the author’s pregnancy was nonviable and any claimed purpose of protecting a foetus could have no purchase. Requiring the author to carry a fatally impaired pregnancy to term only underscores the extent to which the State party has prioritized (whether intentionally or unintentionally) the reproductive role of women as mothers, and exposes its claimed justification in this context as a reductio ad absurdum.

15.The Committee has recognized that “[i]nequality in the enjoyment of rights by women throughout the world is deeply embedded in tradition, history and culture, including religious attitudes” and has admonished States parties to ensure that such attitudes are not used to justify violations of women’s rights. In numerous prior cases, the Committee has invalidated as discriminatory both legislation and practices that reflected gendered stereotypes of women’s social and biological role. For example, the Committee found that a law that imposed greater obstacles to choosing the wife’s name as the family name could not be justified based on arguments of “long-standing tradition” and violated article 26, as did a law that required married women, but not married men, to establish that they were the “breadwinner” to receive unemployment benefits. More directly relevant here, in L.N.P. v. Argentina, the Committee found that the conduct of police, medical, and judicial personnel aimed at casting doubt on the morality of an indigenous minor rape victim based on stereotypes of virginity and sexual morality violated article 26. And in V.D.A (L.M.R.) v. Argentina, the Committee concluded thatfailure to provide a legally available abortion to a mentally impaired minor constituted gender discrimination. Similarly, in L.C. v. Peru the CEDAW Committee found that a hospital’s decision to defer needed surgery in preference for preserving a rape victim’s pregnancy “was influenced by the stereotype that protection of the foetus should prevail over the health of the mother” and thus violated CEDAW. Recognition that differential treatment of women based on gender stereotypes can give rise to gender discrimination is also in accord with the approach of other human rights bodies.

16.The Committee’s finding of a violation of article 26 in the author’s case is consistent with these decisions and is fully justified on grounds of discrimination arising from gender stereotyping.

Annexe III

Individual opinion of Committee member Sir Nigel Rodley (concurring)

1.I entirely support the findings of the Committee in this sad case. I wish, however, to underline that the refusal of the State party to allow for terminations even in the case of fatal foetal abnormality cannot even be justified as being for the protection of the (potential) life of the foetus. In addition, not only has article 7 been violated cumulatively (see paragraph 7.6), but by the very requirement that a pregnant woman carrying a doomed foetus is subjected to the anguish of having to carry the pregnancy to term.

Annexe IV

Voto separado parcialmente disidente de los miembros Víctor Rodríguez Rescia, Olivier de Frouville y Fabian Salvioli

1.Aún cuando estamos de acuerdo con el resultado de la admisibilidad y del fondo de la comunicación No. 2324/2013, en relación con la violación a los artículos 7, 17 y 26 del Pacto en perjuicio de la autora, consideramos que debió haberse analizado si existía también una violación separada del artículo 19 y no haberse soslayado esa discusión en la forma en que quedó indicado en el párrafo 7.12 de la comunicación.

2.La autora señaló que, debido al régimen jurídico vigente por el que se prohíbe el aborto, los profesionales de la salud que se ocuparon de ella en el Hospital Rotunda no le proporcionaron información esencial sobre los aspectos médicos del aborto y los servicios de aborto legal existentes en el extranjero, lo que vulneró su derecho a recabar y recibir información conforme lo establece el artículo 19 del Pacto. Haber remitido a la autora a una orientadora privada para recibir la información pertinente no eximía al Estado de esa obligación positiva.

3.Consideramos que en materia de salud, incluyendo temas como derechos sexuales y reproductivos, donde además podría estar en riesgo la vida e integridad de las personas, el acceso a la información debe ser de carácter público y debe ser parte de una política pública de Estado que permita estandarizar criterios que faciliten a las personas usuarias tomar decisiones personales, en relación con un tema tan complejo como el aborto, el cual está además prohibido en Irlanda.

4.Toda la información que recibió la autora de parte de los profesionales de la salud que la atendieron fue tímida y opaca. Cuando se confirmó la malformación del feto incompatible con la vida, su médico le indicó que “en esta jurisdicción no se pueden practicar abortos. Algunas personas en su situación pueden optar por viajar”. La matrona le comunicó que en ese caso la autora podía continuar con su embarazo y se negó a hablarle de la segunda opción (“viajar”).

5.Está claro para los suscritos que la Ley de Información sobre el Aborto restringe legalmente las circunstancias en las que los funcionarios pueden proporcionar información sobre los servicios lícitos de aborto disponibles en Irlanda o en el extranjero, y prohíbe que se propugne o promueva la interrupción del embarazo ; todo lo cual tiene un efecto disuasorio en el personal de salud para no verse inmiscuido en alguna conducta que pudiera interpretarse como contraria a la ley, o peor aún, que pudieran temer ser acusados penalmente de “promover” el aborto.

6.Por lo anterior somos de la opinión de que el marco legal vigente promueve prácticas de omisión de información clara y oportuna para que las personas que podrían optar a practicarse un aborto legal fuera de Irlanda, puedan tomar las decisiones personales sobre su salud reproductiva. Esa normativa y la falta de información fidedigna y transparente, no es proporcionada para justificar alguno de los límites que establece el artículo 19.3 del Pacto, por lo cual, consideramos que la comunición también debió de haber declarado que el Estado infrinjió una violación del derecho de la autora a recabar y recibir información en virtud del artículo 19.2 del Pacto.

7.Violación del artículo 26 del Pacto. Compartimos la conclusión del Comité del párrafo 7.11 respecto de la violación del artículo 26 sobre la base de que hubo una discriminación en relación con otras mujeres embarazadas con mejores condiciones socioeconómicas, así como a la luz del argumento de la autora respecto de estereotipos de género. Sin embargo, consideramos que el abordaje debió ampliarse no sólo a que hubo una discriminación respecto de otras mujeres embarazadas que podrían estar en mejores condiciones sociales y económicas para abortar en el extranjero. Somos de la opinión que también se presentó una discriminación respecto de la autora y el tratamiento que la normativa y la práctica otorgan en el tema de la penalización del aborto, en relación con los hombres (discriminación por sexo y género). Por lo tanto, no compartimos el argumento reduccionista del Estado de que no existe discriminación debido a que existe una diferenciación biológica entre un hombre y una mujer embarazada como una cuestión de hecho.

8.La tipificación de la prohibición del aborto en la forma en que lo hace la normativa de Irlanda es en sí misma discriminatoria porque redirecciona toda la responsabilidad penal a la mujer embarazada.

9.El hecho de que un hombre no pueda concebir por razones biológicas, no implica que ello permita una diferenciación razonable y objetiva repecto de la mujer embarazada que queda prácticamente aislada y desamparada respecto de la información y de los servicios limitados que la obligan a tomar una decisión compleja que oscila entre la comisión de un delito o de tener que ir a abortar en el extranjero cuando ello sea legalmente permitido.

10.Por otra parte, en las conclusiones del Comité en el párrafo 7.11 se toma nota de la afirmación de la autora “de que la penalización del aborto en Irlanda la sometió a un estereotipo basado en el género sobre la función reproductiva de la mujer principalmente como madre, y que al estereotiparla como instrumento reproductivo se la sometió a discriminación”. Sobre esta base, el Comité debió haber determinado una violación expresa del párrafo 1 del artículo 2 y el artículo 3, en relación con los artículos 7, 17 y 19 del Pacto. Como lo ha señalado la autora, esas violaciones deben ser analizadas a la luz de la discriminación estructural y sistemática que caracteriza a la legislación irlandesa y la práctica del aborto en violación de la obligación del Estado parte de respetar y garantizar los derechos en virtud del Pacto, sin distinción de sexo, y el derecho de las mujeres a disfrutar, al igual que los hombres, de sus derechos civiles y políticos.

11.Por lo anterior, nuestro razonamiento nos conlleva a ampliar la violación del artículo 26 debido a una discriminación por sexo y género en perjuicio de la autora, así como a una violación de párrafo 1 del artículo 2 y del artículo 3 en relación con los artículos 7, 17 y 19 del Pacto.

Annexe V

Individual opinion of Committee member Anja Seibert-Fohr (partly dissenting)

1.I am writing separately because I do not agree with the finding of a violation of article 26 and the reasoning in paragraphs 7.10-7.11.

2.I appreciate that the Views apply only to the particular facts of the present case in which the foetus according to the uncontested submission by the author was not viable. Accordingly the recommendation in paragraph 9 is confined to fatal foetal impairment. But I fail to recognize why it was necessary and appropriate to find a violation of article 26 after the Committee concluded that articles 7 and 17 were violated.

3.The central issue in the present case resides in the prohibition on abortion in Irish law in situations where a foetus is fatally ill. The grounds which are outlined in paragraph 7.4 leading to the finding of an article 7 violation are substantially the same as those on which the Committee finds a violation of article 26 and which are again outlined in paragraph 7.4: the author’s denial of health care and bereavement support which is available to women who carry the foetus to term and the need to travel abroad at personal expense. These claims were already absorbed by the wider issue decided under articles 7 and 17 and there was no useful legal purpose served in examining them under article 26.

4.Furthermore I cannot agree with the conclusion under article 26. According to the Committee’s standing jurisprudence “the term ‘discrimination’ as used in the Covenant should be understood to imply any distinction, exclusion, restriction or preference which is based on any ground such as race, colour, sex, language, religion, political or other opinion, national or social origin, property, birth or other status, and which has the purpose or effect of nullifying or impairing the recognition, enjoyment or exercise by all persons, on an equal footing, of all rights and freedoms. Difference in treatment requires comparable situations in order to give rise to discrimination. But the Committee has failed to explain in the present case where the difference in treatment resides and to what extent such difference was based on a ground which is impermissible under article 26.

5.With respect to the concrete medical treatment the medical needs of a woman pregnant with a foetus with a fatal impairment who undergoes abortion is substantially different in comparison to the situation of women who decide to carry a fatally-ill foetus to term. Therefore, in order to find a discrimination of a woman who undergoes abortion in comparison to those carrying the foetus to term it is insufficient to refer, as the Committee does in paragraph 7.10, to the denial of “health insurance coverage for these purposes”. The subject of the treatment for which health insurance is sought in case of abortion is fundamentally different from obstetrics.

6.I recognize that the author also claims a difference in treatment with respect to subsequent medical care and bereavement counselling. Though such a difference constitutes a distinction which is relevant for a non-discrimination analysis, the author has neither submitted that local remedies have been exhausted in this respect nor that there is objectively no prospect of success to challenge the denial of bereavement support and needed post-abortion medical care in domestic proceedings. Pursuant to article 5 2 (b) Optional Protocol the Committee is therefore prevented from finding a violation of article 26 on this ground.

7.There is another aspect in the Committee’s reasoning which I cannot agree with. The Committee has failed to specify the grounds for the alleged discrimination. In order to support a finding of an article 26 violation a distinction must relate to one of the personal characteristics which are specified in article 26. That the author was adversely affected by the prohibition on abortion in Ireland by virtue of her financial situation is insufficient to ground a claim under article 26. Neither can the State party’s prohibition on abortion be described as a discrimination based on gender. While it is true that it only affects women, the distinction is explained with a biological difference between women and men that objectively excludes men from the applicability of the law and does not amount to discrimination.

8.The author claims that the prohibition is based on a gender-based stereotype which considers women’s “primary role … to be mothers and self-sacrificing caregivers” and stereotypes the author “as a reproductive instrument“(3.19). She also claims that the abortion regime was “reinforcing women’s … inferior social status” (3.20’). But these allegations which are contested by the State party are not supported by any relevant facts. According to the State party the legal framework is the result of a balancing of the right to life of the unborn and the rights of the woman. Though the Committee disagrees in its findings under article 17 with the outcome of the balancing in the case of a fatally-ill foetus, this finding does not warrant the conclusion that the prohibition on abortion is based on gender stereotypes. It is rather grounded on moral views on the nature of life which are held by the Irish population.

9.I appreciate that the Committee does not rely on the allegation of gender stereotypes in its finding under article 26. Instead it refers only to “differential treatment to which the author was subjected in relation to other similarly situated women”. Nevertheless, the Committee has failed to specify on which other status the distinction is grounded.

10.Unless the Committee wants to find a violation of article 26 every time it finds a violation of one of the rights and freedoms protected under the Covenant and deprive this provision of any autonomous meaning and value, the Committee would be well advised to engage with such claims in a more meaningful way giving due account to the notion of discrimination and the prohibited grounds in the future.