Présentée par:

M. Vjatšeslav Borzov(non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Estonie

Date de la communication:

2 novembre 2001(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 novembre 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

26 juillet 2004

Le 26 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1136/2002. Ce texte est annexé au présent document.

[ANNEXE] ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑unième session

concernant la

Communication n o  1136/2002 **

Présentée par:

M. Vjatšeslav Borzov(non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Estonie

Date de la communication:

2 novembre 2001(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1136/2002 présentée au nom de M. Vjatšeslav Borzov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Vjatšeslav Borzov, né à Kurganinsk (Russie) le 9 août 1942, résidant actuellement en Estonie et qui affirme être apatride. Il se déclare victime de violations par l’Estonie de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1De 1962 à 1967, l’auteur a étudié à l’École supérieure de marine de Sébastopol pour devenir ingénieur électrochimiste dans l’armée. Après son diplôme, il a servi au Kamchatka jusqu’en 1976, puis à Tallinn en tant que responsable d’une usine militaire jusqu’en 1986. Le 10 novembre 1986, l’auteur a été démobilisé au rang de capitaine pour raisons de santé. L’auteur occupe depuis 1988 un poste de chef de département dans une entreprise privée et il est marié à une femme naturalisée Estonienne. L’Estonie a accédé à l’indépendance en 1991.

2.2Le 28 février 1994, l’auteur a demandé la nationalité estonienne. En 1994, un accord est entré en vigueur entre l’Estonie et la Fédération de Russie concernant le retrait des troupes stationnées sur le territoire estonien (ci-après dénommé le traité de 1994). En 1995, l’auteur a obtenu un permis de séjour en vertu des dispositions de la loi sur les étrangers relatives aux personnes qui s’étaient installées en Estonie avant 1990. En 1996, un accord est entré en vigueur entre l’Estonie et la Fédération de Russie concernant la réglementation des garanties sociales accordées aux officiers retraités des forces armées de la Fédération de Russie sur le territoire de la République d’Estonie (ci-après dénommé le traité de 1996), en vertu duquel la pension de retraite de l’auteur était versée par la Fédération de Russie. Le 29 septembre 1998, à la suite de retards dus à des lacunes dans les archives, le Gouvernement estonien, par décret no 931‑k, a rejeté la demande de l’auteur en application de l’article 8 de la loi de 1938 sur la nationalité, ainsi que de l’article 32 de la loi de 1995 sur la nationalité qui interdit l’octroi de la nationalité à un officier des forces armées d’un État étranger qui a été relevé de ses fonctions ou a pris sa retraite.

2.3Le 23 avril 1999, le tribunal de première instance de Tallinn (section administrative) a débouté l’auteur du recours qu’il avait formé contre la décision de rejet de sa demande, au motif que même si la loi de 1938 (qui s’appliquait à l’auteur) ne comprenait pas expressément l’interdiction prévue à l’article 32 de la loi de 1995, le Gouvernement était en droit de rejeter la demande. Le 7 juin 1999, la cour d’appel de Tallinn a accepté l’appel formé par l’auteur contre la décision du tribunal de première instance et a jugé illégal le rejet de la demande de l’auteur par le Gouvernement. Elle a estimé qu’en invoquant simplement une disposition générale de la loi au lieu d’exposer les raisons particulières pour lesquelles la demande de l’auteur était rejetée, le Gouvernement n’avait pas suffisamment motivé sa décision et qu’il n’était donc pas possible d’établir si les droits de l’auteur à l’égalité avaient été violés.

2.4Le 22 septembre 1999, après avoir réexaminé l’affaire, le Gouvernement a de nouveau rejeté la demande pour des raisons de sécurité nationale par le décret no 1001-k. Il a expressément tenu compte de l’âge de l’auteur, de ses années d’études (1962-1967), de ses années de service dans les forces armées d’un «pays étranger» (1967-1986), de son admission dans le corps des réservistes au rang de capitaine (en 1986) et du fait que sa pension de retraite militaire était versée par la Fédération de Russie en vertu de l’article 2, paragraphe 3, du traité de 1996.

2.5Le 4 octobre 2000, le tribunal administratif de Tallinn a rejeté, en première instance, le recours formé par l’auteur contre le nouveau rejet de sa demande. Il a conclu que l’octroi de la nationalité n’avait pas été refusé parce que l’auteur avait réellement agi contre l’État estonien et sa sécurité compte tenu de ses circonstances personnelles mais parce que, pour les raisons citées, l’auteur était en position d’agir contre la sécurité nationale de l’Estonie. Le 25 janvier 2001, la cour d’appel de Tallinn a débouté l’auteur de son appel. Estimant que la loi sur la nationalité, telle qu’amendée en 1999, était applicable en l’espèce, la cour a jugé que le Gouvernement était raisonnablement parvenu à la conclusion que, pour les raisons citées, la sécurité nationale pouvait justifier le refus de la nationalité estonienne à l’auteur. Elle a fait observer qu’il n’était pas nécessaire d’établir que l’auteur représentait une menace individuelle spécifique, puisqu’il n’avait pas été accusé de se livrer à des activités contre l’État estonien ou sa sécurité.

2.6L’auteur a déposé un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême au motif que la loi applicable était en fait la loi de 1938 et que le décret du Gouvernement lui refusant la nationalité n’était pas suffisamment motivé car il renvoyait simplement à la loi et citait des circonstances factuelles. D’après l’auteur, ces circonstances ne prouvaient pas qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale. Il a également fait valoir que la juridiction inférieure n’avait pas déterminé si le rejet de sa demande constituait en fait une discrimination fondée sur son appartenance à un groupe social particulier, en violation de l’article 12 de la Constitution. Le 21 mars 2001, le Comité de sélection des recours de la Cour suprême a refusé à l’auteur l’autorisation de former recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se déclare victime d’une discrimination fondée sur son origine sociale, ce qui est contraire à l’article 26 du Pacte. Il affirme que l’article 21 1) de la loi sur la nationalité impose une restriction injustifiable et déraisonnable aux droits de la personne fondée sur l’origine ou la situation sociale. Selon lui, la loi part de l’hypothèse que tous les étrangers qui ont servi dans l’armée constituent une menace pour la sécurité nationale estonienne, quelles que soient les caractéristiques de leurs années de service ou de formation. L’auteur fait valoir que rien ne prouve que les militaires retraités en général, ni que lui-même en particulier, représentent une telle menace et observe à ce propos qu’au lieu de révoquer son permis de séjour pour raisons de sécurité nationale, l’Estonie l’a au contraire prolongé de cinq ans. Il affirme en outre que le rejet de sa demande pour de tels motifs serait contraire à un principe de droit international selon lequel ne pourraient être considérées comme ayant servi dans des forces militaires étrangères les personnes qui, avant d’obtenir la nationalité, étaient engagées dans les forces armées d’un pays dont elles étaient ressortissantes.

3.2L’auteur affirme que le caractère discriminatoire de la loi est confirmé par l’article 21 2) de la loi sur la nationalité de 1995, qui dispose que la nationalité estonienne peut être accordée à «une personne qui a pris sa retraite des forces armées d’un État étranger si elle est mariée depuis au moins cinq ans à une personne qui a obtenu la nationalité par naissance [et non par naturalisation] et si le mariage n’est pas dissous». Il se demande en quoi les risques pour la sécurité nationale peuvent être considérés moindres ou inexistants en cas de mariage à un(e) Estonien(ne). En conséquence, il se déclare également victime d’une discrimination fondée sur l’état civil de son épouse.

3.3L’auteur affirme que, compte tenu de cette situation, quelque 200 000 personnes, soit 15 % de la population, résident en permanence dans l’État partie mais restent apatrides. Étant donné qu’il y a eu violation de l’article 26, il demande à être indemnisé pour préjudice pécuniaire et moral ainsi que pour les frais de justice qu’il a engagés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 30 juin 2003, l’État partie a contesté à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, il affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte et manifestement dénuée de fondement. Pour ce qui est du fond, il soutient que les faits ne font apparaître aucune violation du Pacte.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas demandé au tribunal administratif de solliciter l’ouverture d’une procédure de contrôle de constitutionnalité pour faire déclarer inconstitutionnelle la loi sur la nationalité. Il se réfère à cet égard à une décision du 5 mars 2001 dans laquelle la Chambre de contrôle de la constitutionnalité, sur renvoi du tribunal administratif, a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi sur les étrangers en vertu desquelles le requérant s’était vu refuser un permis de séjour. En outre, se référant à un arrêt de la Cour suprême en date du 10 mai 1996 concernant la Convention relative aux droits de l’enfant, l’État partie observe que la Cour suprême peut invalider toute loi nationale qui n’est pas conforme aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

4.3L’État partie fait observer que l’égalité devant la loi et la protection contre la discrimination étant des droits protégés tant par la Constitution que par le Pacte, un recours en inconstitutionnalité aurait été disponible et utile. Au vu de la jurisprudence récente de la Cour suprême, l’État partie estime qu’un tel recours aurait dû être présenté et aurait eu des chances raisonnables d’aboutir.

4.4L’État partie fait en outre valoir que l’auteur n’a pas formé de recours auprès du Chancelier juridique aux fins de vérifier si la loi contestée était ou non conforme à la Constitution ou au Pacte. Le Chancelier juridique a compétence pour proposer la révision d’une loi jugée inconstitutionnelle ou, sinon, pour adresser une requête à cet effet à la Cour suprême qui, «dans la plupart des cas», a fait droit à ce type de requête. En conséquence, si l’auteur ne s’estimait pas en mesure de présenter un recours en inconstitutionnalité, il pouvait s’adresser au Chancelier juridique.

4.5En tout état de cause, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas invoqué la discrimination fondée sur l’état civil de sa femme devant les tribunaux locaux et que cette partie de la communication doit donc être rejetée pour non-épuisement des recours internes.

4.6L’État partie soutient en outre que la communication est irrecevable car incompatible avec les dispositions du Pacte. Il fait observer que le droit à la nationalité, et qui plus est à une nationalité donnée, n’est pas consacré par le Pacte et que le droit international n’oblige aucun État à octroyer sans condition la nationalité à une personne résidant en permanence sur son territoire, mais confère au contraire à tous les États le droit de définir qui peut acquérir la nationalité et de quelle manière. Ce faisant, l’État a également le droit et l’obligation de protéger sa population, notamment pour des raisons de sécurité nationale. L’État partie se réfère à l’affaire VMRB c. Canada, dans laquelle le Comité a conclu que l’expulsion d’un étranger ne constituait pas une violation des articles 18 et 19 du Pacte et qu’il ne lui appartenait pas de contrôler la façon dont un État souverain évalue le danger que représente un étranger pour la sécurité nationale. En conséquence, l’État partie affirme que le refus d’octroyer la nationalité pour des raisons de sécurité nationale ne porte et ne saurait porter atteinte à l’un quelconque des droits de l’auteur reconnus par le Pacte. La plainte est donc irrecevable ratione materiae au regard du Pacte.

4.7Pour les raisons de fond exposées ci-après, l’État partie affirme également que la communication est manifestement dénuée de fondement car elle ne fait apparaître aucune violation du Pacte.

4.8Quant au fond de la plainte au titre de l’article 26, l’État partie renvoie à la jurisprudence établie du Comité selon laquelle les différences de traitement ne constituent pas toutes une discrimination et sont compatibles avec l’article 26 lorsqu’elles sont fondées sur des critères raisonnables et objectifs. Il fait valoir que la loi exclut du bénéfice de la nationalité les personnes ayant servi en tant que membres professionnels dans les forces armées d’un État étranger pour des raisons historiques et que cette exclusion doit également être considérée à la lumière du traité conclu avec la Fédération de Russie concernant le statut et les droits des anciens officiers de l’armée.

4.9L’État partie précise qu’au 31 août 1994 les troupes de la Fédération de Russie s’étaient retirées du pays conformément au traité de 1994. Le statut économique et social des militaires retraités était régi par le traité de 1996, en vertu duquel les retraités et leur famille recevaient un permis de séjour en Estonie s’ils en avaient fait la demande et sur la base des listes fournies par la Fédération de Russie. L’auteur a donc reçu un permis de séjour lui donnant le droit de rester dans le pays après le retrait des troupes russes. Toutefois, le traité n’obligeait pas l’Estonie à accorder la nationalité aux personnes qui avaient servi en tant que membres professionnels dans les forces armées d’un État étranger. Comme la situation de l’auteur est régie par un traité distinct, l’État partie fait valoir que le Pacte ne s’applique pas en l’espèce.

4.10L’État partie soutient que la restriction imposée à l’octroi de la nationalité est nécessaire pour des raisons de sécurité nationale et d’ordre public. Dans une société démocratique, elle est en outre indispensable à la protection de la souveraineté de l’État, et elle est proportionnelle à l’objectif énoncé dans la loi. Dans sa décision, le Gouvernement a indiqué les raisons motivant son refus qui, de l’avis de l’État partie, étaient valables et suffisantes. Lors de l’adoption de la loi en question, il a également été tenu compte du fait que, dans certaines circonstances, d’anciens membres des forces armées pourraient nuire à l’État estonien de l’intérieur, notamment des réservistes, dans la mesure où ils connaissent parfaitement la situation de l’Estonie et peuvent être appelés à servir dans les forces armées d’un État étranger.

4.11L’État partie souligne que la demande de nationalité n’a pas été rejetée du fait de l’origine sociale de l’auteur mais pour des raisons de sécurité bien particulières. S’agissant de la disposition de la loi en vertu de laquelle une personne mariée à un(e) Estonien(ne) de naissance peut obtenir la nationalité, l’État partie affirme qu’elle est sans incidence en l’espèce puisque la demande de nationalité de l’auteur n’a été rejetée que pour des raisons de sécurité nationale. Même si l’épouse de l’auteur avait été estonienne de naissance, le Gouvernement aurait dû évaluer de la même manière le risque que l’auteur présentait pour la sécurité nationale avant d’accorder la nationalité. L’État partie invite le Comité à s’en remettre, pour les faits et les éléments de preuve, à l’évaluation de ce risque qui a été faite par le Gouvernement et confirmée par les tribunaux.

4.12L’État partie affirme donc que l’auteur a été traité de la même façon que tous ceux qui ont servi en tant que membres professionnels dans les forces armées d’un État étranger, la loi n’autorisant pas que la nationalité leur soit accordée. Étant donné qu’aucune distinction n’a été faite sur la base de l’état civil de l’épouse de l’auteur (la décision ayant été prise pour des raisons de sécurité nationale), l’auteur n’a été victime d’aucune discrimination fondée sur sa situation familiale ou sociale. L’État partie fait valoir que la décision, conforme à la loi, n’a rien d’arbitraire et n’a pas eu de conséquences néfastes pour l’auteur, qui continue de vivre en Estonie avec sa famille en vertu d’un permis de séjour. Par ailleurs, l’allégation de violation massive des droits qui se serait produite dans d’autres affaires ne devrait pas être retenue car ce serait une actio popularis.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 27 août 2003, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il affirme tout d’abord que sa plainte n’est pas fondée sur les dispositions de la loi sur la nationalité concernant les personnes dont les conjoints sont Estoniens de naissance. Il conteste en revanche l’article 21 1) de ladite loi qu’il estime contraire au Pacte au motif qu’il ne repose sur aucun critère raisonnable et objectif et qu’il ne répond pas à un but légitime de manière proportionnée. Dans toutes les procédures engagées au plan interne, il a invoqué en vain le caractère discriminatoire de cet article. De l’avis de l’auteur, le rejet par les tribunaux de ses griefs fondés sur la discrimination montre qu’on lui a refusé l’égale protection de la loi et qu’il ne dispose d’aucun recours utile.

5.2S’agissant de la possibilité de saisir le Chancelier juridique, l’auteur observe que ce dernier lui a conseillé d’engager une action judiciaire. L’auteur souhaitait contester une décision individuelle et non une loi d’application générale, du ressort du Chancelier. En tout état de cause, ce dernier est tenu de rejeter toute demande concernant une affaire qui fait ou a fait l’objet d’une procédure judiciaire.

5.3Sur le fond, l’auteur renvoie à la jurisprudence établie du Comité selon laquelle les protections offertes par l’article 26 s’appliquent à tous les textes législatifs adoptés par l’État partie, y compris la loi sur la nationalité. Il se déclare victime d’une violation de son droit à l’égalité devant la loi car un certain nombre (non précisé) de personnes en Estonie ont obtenu la nationalité estonienne alors qu’elles avaient servi dans les forces armées d’un État étranger (y compris de l’ex-URSS). En conséquence, le refus opposé à l’auteur est arbitraire et dépourvu d’objectivité, et il constitue une violation du principe de l’égalité devant la loi.

5.4L’auteur note qu’en raison du refus de l’État partie de lui accorder la nationalité, il reste apatride, alors qu’aux termes de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout individu a droit à une nationalité et nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité. À ce propos, il fait valoir que l’article 26 impose également à l’État partie l’obligation de remédier à la discrimination subie par l’auteur et de nombreuses personnes qui sont arrivées en Estonie après 1940 et n’ont que le statut de résident permanent.

5.5L’auteur réfute l’argument selon lequel sa demande de nationalité a été rejetée deux fois pour des raisons de sécurité nationale. Dans le premier cas, sa demande et celles de 35 autres personnes ont été rejetées au seul motif de leur ancienne appartenance aux forces armées de l’ex‑URSS. Dans le second, les arguments avancés concernaient sa situation personnelle telle qu’exposée plus haut. De l’avis de l’auteur, l’argument selon lequel il constitue une menace pour la sécurité nationale est en contradiction avec d’autres textes dans la mesure où son permis de séjour a été prolongé de cinq ans, alors que la loi sur les étrangers dispose qu’une personne constituant une menace pour la sécurité nationale ne peut obtenir de permis de séjour ou faire prolonger son permis en cours et doit être expulsée. L’auteur soutient qu’il ne répond à aucun des critères de risque pour la sécurité de l’État énoncés dans la loi sur les étrangers.

5.6L’auteur affirme au contraire qu’il n’a jamais constitué ni ne constitue actuellement une telle menace. Il se décrit comme un électricien à la retraite et apatride, qui n’a pas de casier judiciaire et n’a jamais fait l’objet de poursuites. En outre, étant apatride, il ne peut être appelé à servir dans les forces armées d’un État étranger. Lui refuser la nationalité n’étant pas une nécessité d’ordre social, il n’y a pas de raison suffisante et valable de le traiter de manière discriminatoire.

5.7L’auteur observe également qu’en vertu du traité de 1996 les militaires démobilisés (à l’exception de ceux constituant une menace pour la sécurité nationale) se voient garantir le droit de résider en Estonie (art. 2 1)), et l’État partie s’engage à leur assurer l’exercice de leurs droits et libertés conformément au droit international (art. 6). Il souligne que, contrairement à ce que l’État partie laisse entendre, il n’a pas obtenu de permis de séjour en vertu du traité de 1996: le premier permis lui a été délivré en 1995 en tant qu’étranger arrivé en Estonie avant juillet 1990 et jouissant du statut de résident permanent conformément à l’article 20 2) de la loi sur les étrangers.

5.8L’auteur ajoute que les traités de 1994 et 1996 ne traitent pas de la question de la nationalité ou de l’apatridie des anciens militaires et sont donc sans pertinence pour la présente plainte fondée sur le Pacte. Il réfute aussi l’argument selon lequel des raisons historiques peuvent justifier la discrimination dont il serait victime. Il souligne qu’après la dissolution de l’URSS, il est devenu apatride contre son gré et que l’État partie, dans lequel il vit depuis longtemps, refuse systématiquement de lui accorder la nationalité. Il se demande donc s’il devra rester apatride toute sa vie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Dans la mesure où l’auteur se plaint d’une discrimination fondée sur l’origine sociale ou l’état civil de sa femme, le Comité observe que l’auteur n’a jamais soulevé cette question devant les juridictions internes. Cette plainte doit donc être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

6.4S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le grief fondé sur la violation de l’article 26 est également irrecevable au motif que des recours constitutionnels auraient pu être formés, le Comité note que l’auteur a systématiquement fait valoir devant les juridictions internes, jusqu’à la Cour suprême, que le rejet de sa demande de nationalité pour des raisons de sécurité nationale constituait une violation de ses droits à l’égalité garantis par la Constitution estonienne. Étant donné que les tribunaux ont rejeté ces arguments, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré quelles étaient les chances de succès d’un tel recours. Par ailleurs, le Comité fait observer que l’auteur n’avait plus la possibilité de saisir le Chancelier juridique une fois des procédures engagées devant les juridictions internes. En conséquence, ce grief n’est pas irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le Pacte serait inapplicable ratione materiae, l’Estonie ayant conclu, après avoir ratifié le Pacte, le traité de 1994 avec la Fédération de Russie concernant la délivrance de permis de séjour aux anciens militaires russes retraités. Il considère toutefois que, conformément aux principes généraux du droit des traités, consacrés aux articles 30 et 41 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, l’entrée en vigueur ultérieure d’un traité bilatéral ne détermine pas l’applicabilité du Pacte.

6.6S’agissant des autres arguments de l’État partie, le Comité note que l’auteur n’a pas revendiqué en tant que tel le droit à la nationalité, mais fait valoir que le rejet de sa demande pour des raisons de sécurité nationale constitue une violation de son droit à la non‑discrimination et à l’égalité devant la loi. Ce grief relève donc de l’article 26 et, de l’avis du Comité, est suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2S’agissant du fond du grief qu’il juge recevable au titre de l’article 26, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle un individu peut être privé de son droit à l’égalité devant la loi si une disposition légale lui est appliquée de manière arbitraire, c’est-à-dire si l’application de la loi à son détriment n’est pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. En l’espèce, l’État partie a invoqué la sécurité nationale, motif qui est prévu par la loi, pour justifier son refus d’accorder la nationalité à l’auteur compte tenu de ses circonstances personnelles.

7.3Si le Comité reconnaît que le Pacte permet expressément aux États parties, dans certaines circonstances, d’invoquer des raisons de sécurité nationale pour justifier certaines actions, il souligne que son droit de regard ne disparaît pas ipso facto du fait de l’invocation de raisons de sécurité nationale par un État partie. En conséquence, la décision que le Comité a prise dans les circonstances d’espèce de l’affaire VMRB ne signifie pas qu’il ne se considère pas comme compétent pour rechercher, le cas échéant, le crédit à accorder à un argument fondé sur la sécurité nationale. Si le Comité ne peut s’en remettre à l’appréciation discrétionnaire d’un État partie pour déterminer si, dans un cas particulier, il existait des raisons liées à la sécurité nationale, il reconnaît que son propre rôle pour examiner l’existence et la pertinence de telles considérations dépendra des circonstances d’espèce et de la disposition du Pacte en cause. Tandis que les articles 19, 21 et 22 du Pacte établissent un critère de nécessité pour ce qui est des restrictions fondées sur la sécurité nationale, les critères applicables au titre de l’article 26 sont de caractère plus général, une justification raisonnable et objective et un but légitime étant exigés pour ce qui est des distinctions touchant aux caractéristiques individuelles énumérées à l’article 26, y compris «toute autre situation». Le Comité admet que des considérations liées à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsque, dans l’exercice de sa souveraineté, un État partie accorde sa nationalité, tout au moins lorsqu’un État nouvellement indépendant invoque des préoccupations de sécurité nationale liées à son statut antérieur.

7.4En l’espèce, l’État partie a conclu que l’octroi de la nationalité à l’auteur poserait de manière générale des problèmes de sécurité nationale, compte tenu de la durée et du niveau de la formation militaire de l’auteur, de son grade et de ses années de service dans les forces armées de ce qui était alors l’URSS. Le Comité relève que l’auteur possède un permis de séjour délivré par l’État partie et qu’il continue de percevoir sa pension tout en vivant en Estonie. Le Comité n’ignore pas que la non‑obtention de la citoyenneté estonienne aura une incidence sur la jouissance par l’auteur de certains droits garantis par le Pacte, notamment au titre de l’article 25, mais il relève que ni le Pacte, ni le droit international en général n’énoncent des critères spécifiques pour l’octroi de la nationalité par la naturalisation, et que l’auteur a eu effectivement le droit de faire réexaminer par les juridictions de l’État partie le rejet de sa demande de nationalité. Notant en outre que les juridictions de l’État partie, lorsqu’elles ont à connaître de décisions administratives, y compris celles fondées sur des motifs de sécurité nationale, semblent être habilitées à procéder à un véritable réexamen au fond, le Comité conclut que l’auteur n’a pas démontré que la décision prise par l’État partie à son égard n’était pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. En conséquence, dans les circonstances particulières d’espèce, le Comité ne peut constater aucune violation de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’article 26 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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