Présentée par:

Franz et Maria Deisl (représentés par un conseil, M. Alexander Morawa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Autriche

Date de la communication:

17 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 mars 2002 (non publié sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

27 juillet 2004

Le 27 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 1060/2002 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

(Quatre ‑vingt-unième session)

concernant la

Communication n o 1060/2002 **

Présentée par:

Franz et Maria Deisl (représentés par un conseil, M. Alexander Morawa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Autriche

Date de la communication:

17 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le27 juillet 2004

Ayant achevé l’examen de la communication no 1060/2002, présentée par Franz et Maria Deisl en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Franz Deisl et sa femme Maria Deisl, de nationalité autrichienne, nés le 10 juillet 1920 et le 21 janvier 1932, respectivement. Ils affirment être victimes d’une violation par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En vertu de contrats de vente datés du 20 février et du 19 octobre 1966, les auteurs ont acheté une parcelle de terrain sise dans la municipalité d’Elsbethen à proximité de Salzbourg qui appartenait à un certain M. F. H. Le 15 février 1967, ils ont été officiellement enregistrés en tant que propriétaires de la parcelle.

2.2Le 20 novembre 1966, à l’insu des auteurs, F. H. a demandé une dérogation au règlement de zonage pour que la parcelle ne soit plus classée comme «zone rurale», mais comme «zone résidentielle». Le conseil municipal d’Elsbethen a fait droit à sa demande le 13 avril 1967 et communiqué la décision de dérogation au gouvernement provincial de Salzbourg pour qu’il l’entérine. Le 31 mai 1967, le gouvernement provincial de Salzbourg a refusé d’accorder la dérogation, là encore à l’insu des auteurs.

2.3Au printemps 1967, les auteurs ont acheté une vieille grange, après que le maire d’Elsbethen leur a assuré verbalement qu’il ne s’opposerait pas à leur projet de reconstruire la grange sur leur terrain. Cependant, le 12 août 1969, la municipalité d’Elsbethen a pris une décision ordonnant aux auteurs de cesser les travaux de reconversion de la grange en maison de campagne. Dans une lettre du 12 septembre 1969, la municipalité a conseillé aux auteurs de demander une dérogation au règlement de zonage qui interdit toute construction sur leur parcelle, conformément au paragraphe 3 de l’article 19 de la loi sur le zonage de la province de Salzbourg.

2.4Le 30 septembre 1969, le conseil municipal d’Elsbethen a accordé aux auteurs la dérogation demandée, décision qu’il a confirmée par écrit le 3 octobre 1969. Le 8 octobre 1969, la municipalité a soumis sa décision au gouvernement provincial de Salzbourg pour qu’il l’entérine; le 17 octobre 1969 celui‑ci a annulé la décision du conseil municipal au motif qu’une demande de dérogation des propriétaires précédents de la parcelle avait déjà été refusée (res iudicata). Les auteurs n’ont été informés de cette décision qu’en février 1982.

2.5Au printemps 1974, les auteurs ont acheté et reconstruit sur leur terrain une autre grange pour l’utiliser comme remise. Le 17 juillet 1974, le maire leur a ordonné de démolir cette bâtisse. Le recours introduit par les auteurs le 30 juillet 1974 contre cette décision n’a été examiné qu’en mai 1987.

2.6Entre‑temps, le maire d’Elsbethen avait enjoint aux auteurs de cesser «les travaux de construction d’une autre maison de campagne» le 21 août 1973, puis, le 23 avril 1974, de démolir «une habitation» sise sur leur terrain avant le 31 juillet 1974. Le 7 mai 1974, les auteurs ont contesté cette décision auprès du conseil municipal d’Elsbethen, qui a annulé la décision le 9 juin 1974 au motif qu’elle se bornait à mentionner «une habitation» sans préciser laquelle des deux constructions sises sur le terrain des auteurs devait être démolie. La décision ne pouvait pas être exécutée parce qu’elle manquait de précision.

2.7Le 1er février 1982, le conseil municipal d’Elsbethen a refusé de faire droit à la demande de dérogation des auteurs, faisant sien l’argument avancé par le gouvernement provincial selon lequel la demande devait être rejetée en tant que res iudicata. Les auteurs ont contesté cette décision auprès du gouvernement provincial, en faisant valoir que les propriétaires précédents n’avaient présenté une demande de dérogation qu’après leur avoir vendu la parcelle, et ce à leur insu et sans leur autorisation. Le 10 août 1982, le gouvernement provincial de Salzbourg a annulé la décision du conseil municipal au motif qu’il ne s’était pas prononcé sur le fond de la demande. Il a par ailleurs statué que la décision du conseil du 1er février 1982 était la première décision officielle concernant la demande de dérogation au règlement de zonage introduite par les auteurs le 18 septembre 1969.

2.8Par la suite, la municipalité d’Elsbethen a engagé une procédure pour déterminer si une dérogation au règlement de zonage pouvait être accordée. Le 7 mai 1985, elle a de nouveau décidé de refuser la dérogation, au motif que la maison de campagne des auteurs ne cadrerait pas avec le caractère rural de la zone, après que l’occasion eut été donnée aux auteurs de faire des observations sur un rapport d’expert de deux pages sur la question. Les auteurs ont introduit un recours contre cette décision le 9 juillet 1985.

2.9Entre‑temps, la construction d’une maison familiale avait commencé à environ 70 mètres de la parcelle des auteurs, sur la base d’une dérogation au règlement de zonage et d’un permis de construire délivrés par la municipalité d’Elsbethen en 1977.

2.10Le 20 décembre 1985, les auteurs ont introduit une demande de dérogation rétroactive en vertu d’une nouvelle «loi d’amnistie» autorisant les propriétaires de tout bâtiment construit illégalement dans la province de Salzbourg à demander un permis spécial à titre rétroactif. Dans une lettre du 4 avril 1986 qu’il a adressée au Gouverneur de Salzbourg, le maire d’Elsbethen a indiqué qu’il était prêt à accorder une dérogation au règlement de zonage ainsi qu’un permis de construire pour la première grange située sur le terrain des auteurs, mais que la seconde devrait être enlevée. Dans le même courrier, il a rappelé que la municipalité avait accordé deux dérogations pour la construction de maisons familiales dans le voisinage immédiat du terrain des auteurs, qui avaient d’ailleurs été entérinées par le gouvernement provincial.

2.11Dans une lettre du 12 juin 1986, un adjoint du Gouverneur a proposé un règlement amiable aux auteurs, aux termes duquel ceux‑ci retireraient leur recours contre la décision par laquelle la municipalité avait refusé d’accorder une dérogation au règlement de zonage, tandis que la municipalité reviendrait sur cette décision, se prononcerait en faveur des auteurs et soumettrait cette dernière décision au gouvernement provincial pour qu’il l’entérine. En conséquence, les auteurs ont retiré leur recours du 4 juillet 1986; la municipalité a annulé sa décision du 7 mai 1985 et soumis à l’entérinement du gouvernement provincial une décision datée du 21 mai 1986, par laquelle le conseil municipal accordait une dérogation aux auteurs en vertu de la «loi d’amnistie».

2.12Le 13 janvier 1987, le gouvernement provincial a fait savoir aux auteurs qu’il était dans l’obligation de rejeter leur demande de dérogation en tant que res iudicata. La municipalité d’Elsbethen s’est rangée à cette conclusion le 4 février 1987. Les auteurs ont introduit un recours contre cette décision le 18 février 1987.

2.13Le 6 février 1987, le maire d’Elsbethen a ordonné aux auteurs de démolir la grange et la remise avant le 31 décembre 1987. Les auteurs ont contesté cette décision le 17 février 1987. Le 6 mai 1987, la municipalité a annulé l’ordre de démolition du maire, au motif que le recours introduit par les auteurs contre l’ordre de démolition du 17 juillet 1974 concernant la remise était encore pendant. Deux décisions ayant été prises concernant la même affaire, le second ordre de démolition devait être annulé, en attendant qu’une décision sur le recours relatif au premier ordre de démolition soit prise. Le 11 mai 1987, le conseil municipal a rejeté le recours introduit par les auteurs contre l’ordre de démolition de 1974 et leur a enjoint d’enlever la remise avant le 31 décembre 1987. Cette échéance a été prorogée à plusieurs reprises.

2.14Le 13 novembre 1989, le gouvernement provincial de Salzbourg a annulé la décision du 4 février 1987 par laquelle la municipalité avait refusé d’autoriser une dérogation au règlement de zonage, au motif que celle‑ci ne s’était pas prononcée sur le fond de la demande. Le gouvernement provincial a ordonné à la municipalité d’engager une procédure pour déterminer si une dérogation était possible et d’autoriser les auteurs à consulter le dossier à partir de 1966.

2.15Le 25 mars 1991, la municipalité d’Elsbethen a de nouveau rejeté la demande de dérogation des auteurs après leur avoir donné la possibilité de faire des observations sur l’avis rendu par un expert des questions de zonage. Le 3 juin 1991, le gouvernement provincial, saisi par les auteurs, a annulé la décision de la municipalité au motif que l’expertise ne contenait que des généralités. Il a enjoint la municipalité de faire procéder à une autre expertise pour déterminer si les bâtiments construits par les auteurs contrevenaient au règlement de zonage, ce qui a été fait le 15 janvier 1993.

2.16Le 22 février 1993, la municipalité a de nouveau refusé d’accorder une dérogation au règlement de zonage. Le 4 octobre 1993, le gouvernement provincial a rejeté le recours des auteurs contre cette décision, en invoquant une nouvelle loi provinciale sur le zonage (1992), qui ne prévoyait plus aucune dérogation.

2.17Dans une décision du 29 novembre 1994, la Cour constitutionnelle a refusé de recevoir la plainte que les auteurs ont introduite le 16 novembre 1993 contre la décision du 4 octobre 1993 du gouvernement provincial et a renvoyé l’affaire au tribunal administratif. Le 12 octobre 1995, le tribunal administratif a annulé la décision, au motif que les demandes de dérogation au règlement de zonage devaient être appréciées non pas au regard de la loi sur le zonage de 1992, mais du règlement en vigueur au moment où elles ont été introduites.

2.18Le 12 février 1994, la municipalité d’Elsbethen a ordonné aux auteurs de démolir leur maison de campagne avant le 30 septembre 1994. Le gouvernement provincial a rejeté le recours introduit par les auteurs contre cette décision le 4 décembre 1995 et, le 5 janvier 1996, a confirmé la décision qu’il avait prise auparavant de refuser une dérogation au règlement de zonage. Les plaintes introduites par les auteurs le 15 janvier 1996 contre ces décisions, au motif qu’elles portaient atteinte à leur droit à ce qu’un tribunal compétent statue sur leur affaire, à l’égalité devant la loi et à l’inviolabilité de leur propriété, ont été rejetées par la Cour constitutionnelle le 29 septembre 1998. L’affaire a été renvoyée au tribunal administratif, qui a rejeté les plaintes le 3 novembre 1999.

2.19Le 25 septembre 2001, après que l’autorité administrative régionale du district de Salzbourg‑Umgebung eut rejeté leur demande de prorogation du délai fixé pour la démolition de leurs bâtiments, les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, en invoquant une violation de leur droit au respect de leurs biens (art. 1er du Protocole additionnel (no 1) à la Convention européenne). Dans leur requête, ils demandaient aussi que des mesures conservatoires soient prises pour empêcher la démolition imminente de leurs bâtiments. Le 26 septembre 2001, la Cour européenne a enregistré la requête des auteurs tout en rejetant leur demande de mesures conservatoires et, le 29 janvier 2002, elle a déclaré la requête irrecevable, au motif qu’elle avait été déposée plus de six mois après la date de la décision finale de l’autorité nationale, à savoir la décision du tribunal administratif du 3 novembre 1999.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment être victimes de violations des droits prévus au paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte, du fait que leur cause n’a été entendue ni équitablement ni publiquement, qu’elle n’a pas été jugée sans retard excessif, et que l’affaire a été traitée par des autorités qui ont systématiquement et délibérément agi à leur détriment et de manière discriminatoire. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ils affirment que le paragraphe 1 de l’article 14 est applicable aux procédures relatives à leur demande de dérogation au règlement de zonage, ainsi qu’au recours qu’ils ont introduit contre les ordres de démolition, étant donné que ces procédures déterminent leurs droits et obligations dans une action civile.

3.2Les auteurs affirment que leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement, qui est prévu au paragraphe 1 de l’article 14, a été violé du fait que les lois n’ont pas été correctement appliquées, que les autorités compétentes ont tardé à se prononcer au sujet de leurs demandes et de leurs recours et que leur dossier a été mal géré à tous les stades de la procédure. Ainsi, ils n’ont jamais été informés du fait que l’ancien propriétaire avait introduit une demande de dérogation au règlement de zonage, ni que cette demande avait été rejetée, alors que les autorités savaient que la parcelle était sur le point d’être vendue. La décision du gouvernement provincial de rejeter la demande de dérogation introduite par les auteurs, qui a été prise le 18 septembre 1969, ne leur a été notifiée qu’en février 1982. De plus, alors que pendant 13 ans aucune suite n’avait été donnée à leur recours contre l’ordre de démolition émis par le maire le 17 juillet 1974, le gouvernement provincial s’est soudainement prononcé contre les auteurs en mai 1987. Pendant une vingtaine d’années, les autorités ont omis d’examiner la demande des auteurs quant au fond, se contentant de la rejeter à plusieurs reprises en tant que res iudicata. Lorsqu’elle s’est enfin prononcée sur le fond en 1991, la municipalité a de nouveau éludé les questions pertinentes et s’est bornée à énoncer des généralités. Quant au gouvernement provincial il a été jusqu’à «trouver», dans sa décision du 4 octobre 1993, une nouvelle loi applicable en la matière.

3.3Les auteurs font valoir que ni les autorités compétentes ni le tribunal administratif n’ont jamais tenu d’auditions publiques, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 14. Leur droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial a été violé parce que les autorités ont montré par leur comportement, qu’indépendamment des faits de la cause, elles se prononceraient contre les auteurs.

3.4Les auteurs affirment avoir été victimes d’une violation de leur droit à une procédure rapide, qui fait partie intégrante du droit à un procès équitable, prévu au paragraphe 1 de l’article 14, étant donné que la procédure relative à leur demande de dérogation a duré plus de 30 ans, alors que l’affaire était simple et ne nécessitait qu’un minimum de recherches et d’analyses juridiques. Étant donné que la durée de la procédure apparaît d’emblée comme excessive, c’est à l’État partie qu’il incombe de prouver que ses organes ne sont pas responsables des retards. Alors que les auteurs se sont montrés diligents tout au long de la procédure, soumettant toutes les informations requises malgré la brièveté des délais impartis, les autorités les ont laissés dans l’ignorance quant à l’état de la procédure pendant près de 15 ans (de 1967 à 1982), ont été incapables de prendre une seule décision qui résiste à l’examen le plus rudimentaire pendant 24 ans (de 1969 à 1993) et, par deux fois, ont omis de prendre la moindre décision pendant près de 13 ans. Le tribunal administratif et la Cour constitutionnelle sont eux aussi restés longtemps inactifs avant d’annuler une décision du gouvernement provincial en octobre 1995 (après 11 mois) et de débouter les auteurs de leur recours en constitutionnalité en novembre 1994 (après un an) et en septembre 1998 (après deux ans et neuf mois). Selon les auteurs, le fait qu’ils ont systématiquement introduit des recours contre des décisions manifestement erronées ne saurait être retenu contre eux.

3.5Les auteurs font valoir que le rejet de leur demande de dérogation, joint au fait que les autorités compétentes ont négligé de se prononcer sur le fond pendant plusieurs dizaines d’années et de donner suite à leurs recours, aux irrégularités de procédure entachant leurs décisions et à l’application ex post facto d’une loi provinciale de zonage promulguée en 1992, équivalait à un traitement arbitraire et discriminatoire à leur égard, en violation de l’article 26 du Pacte, si on le compare au traitement réservé à leur voisin, M. X., qui a obtenu en 1977 une dérogation au règlement de zonage et un permis de construire, pour faire bâtir une maison familiale située à quelque 70 mètres de la parcelle des auteurs.

3.6Les auteurs soumettent au Comité des pièces documentaires (photos, croquis) pour montrer que, contrairement aux deux maisons familiales voisines, qui sont faites de bois et de briques, coiffées de grands toits modernes et visibles à des kilomètres de distance, du fait qu’elles se dressent sur une hauteur et ne sont dissimulées par aucune rangée d’arbres, leur grange et leur remise sont cachées derrière une rangée d’arbres et ne peuvent être aperçues qu’à partir de leur terrain. Du sentier qui longe la parcelle des auteurs, les promeneurs ne peuvent voir qu’une petite partie de la grange, construction ancienne datant de 1757, qui a été restaurée en utilisant uniquement du bois, matériau de construction typique de la province de Salzbourg. C’est pourquoi ni la grange ni la remise ne vont à l’encontre du but du règlement de zonage, à savoir éviter que des structures résidentielles érigées dans les zones rurales ne détériorent la beauté naturelle du paysage. Bien que les habitations voisines soient elles aussi situées sur des parcelles classées comme zones rurales, la municipalité d’Elsbethen, avec l’approbation expresse du gouvernement provincial de Salzbourg, a accordé à leurs propriétaires une dérogation au règlement de zonage.

3.7Les auteurs font valoir que la requête qu’ils ont adressée à la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas trait à la même affaire, car elle est exclusivement fondée sur une violation présumée de leur droit au respect de leurs biens, qui n’est pas consacré en tant que tel par le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 28 mai 2002, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, en invoquant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et a fait valoir que, dans la mesure où les faits incriminés se sont produits avant que le Protocole facultatif n’entre en vigueur pour l’Autriche le 10 mars 1988, la communication est également irrecevable ratione temporis.

4.2L’État partie soutient que la même affaire est examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Même si, dans la requête qu’ils ont adressée à la Cour européenne, les auteurs n’invoquent qu’une violation de leur droit au respect de leurs biens, consacré à l’article premier du Protocole additionnel (no 1) à la Convention européenne des droits de l’homme, rien n’empêche la Cour d’examiner ex officio s’il y a eu violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 14 (interdiction de discrimination) de la Convention européenne. Étant donné que la Cour européenne pourrait examiner les faits au regard des principes d’égalité et de procès équitable consacrés aux articles 14 et 26 du Pacte, la requête introduite par les auteurs auprès de la Cour européenne porte bien sur des droits de même contenu que la communication dont a été saisi le Comité.

4.3Se référant à la jurisprudence du Comité, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable ratione temporis, dans la mesure où elle a trait à des décisions et à des retards qui se sont produits avant le 10 mars 1988, date à laquelle le Protocole optionnel est entré en vigueur pour l’État partie. Cette précision est particulièrement pertinente pour les allégations des auteurs selon lesquelles on leur aurait réservé un traitement différent qu’à M. X., à qui une dérogation au règlement de zonage a été accordée en 1977, alors que l’État partie aurait omis de statuer dans un délai raisonnable sur la demande de dérogation qu’ils ont introduite le 18 septembre 1969 (demande rejetée le 1er février 1982), ainsi que sur le recours du 30 juillet 1974 contre l’ordre de démolition émis par le maire le 17 juillet 1974 (recours rejeté le 11 mai 1987).

Observations complémentaires et commentaires des auteurs au sujet des observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Le 12 juin 2002, les auteurs ont prié le Comité de demander des mesures conservatoires en vertu de l’article 86 de son Règlement intérieur, pour que l’État partie sursoie à l’exécution de l’ordre de démolition. Ils ont fait savoir au Comité que, le 23 mai 2002, l’autorité administrative régionale du district de Salzbourg‑Umgebung avait rejeté leur demande tendant à ce que la procédure exécutoire soit suspendue jusqu’à ce que le Comité statue et leur avait ordonné de verser un acompte de 4 447,67 euros avant le 1er août 2002 pour donner effet à l’ordre de démolition et qu’un recours contre une telle décision n’avait pas d’effet suspensif.

5.2Les auteurs font valoir que l’exécution de l’ordre de démolition leur causerait un préjudice irréparable, car la destruction de ces granges irremplaçables, qu’ils ont restaurées, entretenues et meublées pendant plus de 30 ans ne pourrait en aucun cas être compensée par de l’argent et constituerait une violation supplémentaire de leurs droits au titre des articles 7 et 17 du Pacte. Dans une lettre du 9 septembre 2002, le Comité a fait savoir aux auteurs que des mesures conservatoires ne seraient pas accordées en l’espèce.

5.3Le 18 septembre 2002, les auteurs ont fait savoir au Comité que l’affaire n’était plus examinée par la Cour européenne, celle‑ci ayant déclaré leur requête irrecevable le 29 janvier 2002, au motif que la règle des six mois n’avait pas été respectée. Étant donné la nature purement formelle de cette règle, la Cour européenne n’a pas pu procéder à un examen du fond de la requête. La réserve formulée par l’Autriche quant au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’applique donc pas, puisque la même affaire n’a jamais été examinée par la Cour européenne au sens de la disposition susmentionnée.

5.4Les auteurs rejettent l’argument de l’État partie selon lequel leur communication est irrecevable ratione temporis, car les décisions qui ont déterminé leur situation juridique et porté atteinte à leurs droits en vertu du Pacte, en particulier les décisions de la Cour constitutionnelle et du tribunal administratif, ont été prises après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Autriche. De plus, le Comité s’est déclaré à plusieurs reprises compétent pour examiner des violations alléguées qui, quoique se rapportant à des événements antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, se perpétuent après cette date ou ont eu des conséquences équivalant en elles‑mêmes à des violations. C’est notamment le cas d’affaires où un statut déterminant les droits des auteurs est confirmé par des décisions administratives ou judiciaires après la date de l’entrée en vigueur. Par ailleurs, le Comité est compétent pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte, après son entrée en vigueur du fait d’actes ou d’omissions liés au maintien de lois et décisions relatives aux droits des auteurs de la communication.

Réponse complémentaire de l’État partie sur la recevabilité et observations sur le fond

6.1Le 18 septembre 2002, l’État partie a présenté une réponse complémentaire sur la recevabilité et, subsidiairement, des observations sur le fond. Il a réaffirmé que la communication était irrecevable ratione temporis, du fait qu’elle portait sur des événements qui se sont produits avant le 10 mars 1988. De plus, comme les auteurs se plaignent d’une violation de l’article 14 du Pacte, la communication doit être rejetée ratione materiae, puisque les auteurs n’ont jamais eu le «droit» de construire sur leur parcelle, ce qui aurait pu être déterminé dans le cadre d’une action civile étant donné qu’une telle construction était manifestement contraire au règlement de zonage en vigueur. De ce fait, la procédure engagée pour démolir les constructions illégales échappe, elle aussi, au champ d’application de l’article 14. S’il en était autrement, le fait, pour les auteurs, de circonvenir la procédure d’octroi d’une dérogation en érigeant des constructions illégales aurait pour effet d’améliorer leur situation juridique.

6.2Concernant la durée de la procédure, l’État partie soutient que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes, puisqu’ils auraient pu invoquer la lenteur de la procédure à l’appui d’une demande de transfert de compétence (Devolutionsantrag). Pour accélérer les procédures, les justiciables ont en effet la possibilité de porter leur affaire devant une autorité compétente supérieure si aucune décision n’est prise dans les six mois ou d’introduire une plainte auprès du tribunal administratif au motif que l’administration ne s’est pas prononcée dans le délai prescrit (Säumnisbeschwerde). Selon la Cour européenne des droits de l’homme, de telles plaintes constituent «des recours efficaces» dans les affaires où un retard excessif est invoqué. De plus, le fait que les auteurs n’ont pas essayé d’accélérer la procédure en dénonçant l’inactivité des autorités semble indiquer qu’ils avaient tout intérêt à retarder l’exécution de l’ordonnance de démolition.

6.3L’État partie conteste également la qualité de «victimes» à laquelle prétendent les auteurs, qui ont érigé deux bâtiments sur leur parcelle alors qu’ils savaient pertinemment que pour construire en zone rurale il fallait une dérogation au règlement de zonage. Ce n’est que lorsqu’ils ont reçu l’ordre de cesser les travaux à la première grange qu’ils ont introduit une demande de dérogation. Étant donné qu’une procédure plus rapide n’aurait fait que hâter les sanctions contre leur conduite illégale, les auteurs n’ont subi aucun préjudice du fait de la durée de la procédure.

6.4S’agissant de la plainte des auteurs selon laquelle aucune des autorités qui se sont occupées de leur cause n’était un tribunal correctement constitué, au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et qu’ils n’ont pas été entendus, l’État partie invoque la réserve qu’il a formulée à l’article 14 du Pacte, dont l’objectif était de maintenir «la structure administrative autrichienne sous le contrôle judiciaire du tribunal administratif et de la Cour constitutionnelle». De plus, le grief des auteurs n’est pas suffisamment étayé au regard de la jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle: a) le droit à un procès équitable n’astreint pas les États parties à soumettre les contestations sur des droits civils à des procédures se déroulant à chacun de leur stade devant des tribunaux; b) le tribunal administratif est un tribunal au sens de l’article 6 de la Convention européenne; et c) l’absence d’une procédure orale ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable si les plaignants ne se sont pas prévalus de la possibilité de demander une telle procédure (art. 39 de la loi autrichienne sur le tribunal administratif), et ont par conséquent renoncé à leur droit à une audience publique.

6.5S’agissant des allégations des auteurs selon lesquelles leur droit à l’égalité devant des tribunaux et à un procès équitable aurait été violé, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient généralement aux tribunaux des États parties d’apprécier les faits de la cause et d’interpréter le droit interne, sauf si une telle évaluation ou interprétation est manifestement arbitraire ou équivaut à un déni de justice. Étant donné que les déficiences invoquées ne sauraient en aucun cas être considérées comme manifestement arbitraires ou être assimilées à un déni de justice, cette partie de la communication est irrecevable parce qu’insuffisamment étayée. La même observation vaut pour l’affirmation des auteurs selon laquelle les autorités compétentes n’ont pas été impartiales, sans toutefois étayer leur allégation.

6.6Subsidiairement et quant au fond, l’État partie fait valoir que la durée de la procédure était justifiée par la complexité de l’affaire, par la conduite scrupuleuse des autorités et par la propre conduite des auteurs. Les procédures ayant trait à la planification régionale du territoire sont souvent des plus complexes en raison de la diversité des intérêts qui sont en jeu, à savoir la nécessité de protéger l’environnement, de veiller à ce que la densité de population soit proportionnée à la capacité économique et écologique de la zone, de créer des conditions voulues pour un développement durable de l’économie, de l’infrastructure et du parc immobilier, et d’assurer une agriculture et une foresterie viables. Tandis que les autorités ont procédé, comme elles y étaient tenues, à plusieurs séries de vérifications pour déterminer le bien-fondé des demandes et des recours des auteurs, ceux-ci ont manqué à leurs responsabilités d’exploiter les possibilités offertes pour abréger la procédure, comme par exemple une demande de transfert de compétences ou une plainte dénonçant l’inactivité de l’administration mentionnées plus haut.

6.7En ce qui concerne le retard excessif de la procédure engagée devant le tribunal administratif et la Cour constitutionnelle, l’État partie fait valoir qu’il était loisible aux auteurs, pour gagner du temps, de saisir les deux instances simultanément plutôt que successivement. De plus, entre 1994 et 1996, la Cour constitutionnelle se devait de connaître en priorité de quelque 5 000 affaires relevant du droit des étrangers dont elle avait été saisie suite, notamment, à la crise dans les Balkans. En 1996 et 1997, la Cour devait aussi se prononcer sur plus de 11 000 plaintes concernant l’imposition des entreprises. L’engorgement passager qui a résulté de l’augmentation soudaine de la charge de travail de la Cour ne peut pas être imputé à l’État partie, d’autant qu’il a pris, avec la promptitude voulue, les mesures propres à remédier à la situation, les affaires pendantes étant traitées selon leur ordre d’importance.

6.8Selon l’État partie, la situation des auteurs ne saurait être comparée à celle de leurs voisins, qui ont demandé un permis de construire avant d’ériger des constructions sur leur terrain. De plus, ces bâtisses sont des habitations permanentes et non des maisons de campagne et elles ont été construites à proximité de fermes existantes. Du fait qu’elles sont en relation spatiale avec des bâtiments de ferme existants, ces constructions sont moins exposées à la vue que la maison de campagne des auteurs, qui n’a aucun rapport avec l’habitat existant.

6.9Le grief des auteurs au titre de l’article 26 du Pacte serait sans fondement même si les situations susmentionnées étaient comparables, puisqu’il n’existe pas de droit à «l’égalité devant l’injustice». Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, la légalité d’une décision administrative ne peut pas être contestée au motif que l’autorité compétente n’a pas sanctionné une faute analogue dans des affaires comparables. S’il en était autrement, toutes les lois finiraient par devenir inapplicables et le principe de l’état de droit serait compromis chaque fois qu’une autorité prendrait une décision favorable à un demandeur, mais contraire à la loi. Or, ce ne peut être là l’intention du principe d’égalité consacré par l’article 26 du Pacte.

6.10Enfin, l’État partie soutient que les «règlements d’amnistie à l’égard de constructions illégales» auxquels se réfèrent les auteurs ne sont qu’une simple déclaration d’intention du gouvernement régional de Salzbourg visant à remédier à une lacune des règlements de zonage en offrant des moyens de recours à certains particuliers pour déterminer: a) si la construction a été érigée de bonne foi; b) si la construction remonte à une époque où il n’existait pas de règlement de zonage; ou c) si la construction a été érigée dans l’intention de contourner des dispositions existantes. Comme les auteurs n’étaient pas de bonne foi, puisqu’ils ont érigé des constructions en sachant qu’elles contrevenaient au règlement de zonage en vigueur, le refus de leur accorder un permis à titre rétroactif ne saurait être considéré comme arbitraire et contraire à l’article 26. De plus, le fait que ces bâtisses existent depuis 30 ans ne peut conduire à la prescription d’une situation d’illégalité.

Réponse de l’auteur aux observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

7.1Dans une lettre du 24 juillet 2003, les auteurs se sont inscrits en faux contre l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils avaient érigé des constructions illégalement, contournant ainsi la procédure d’octroi d’un permis de construire. En fait, ils avaient simplement déplacé sur leur terrain une vieille grange qui se trouvait sur une parcelle voisine, après avoir obtenu le consentement du maire d’Elsbethen, qui leur avait donné à penser qu’ils pourraient construire en toute légalité. D’un point de vue formel, la construction était d’ailleurs tout à fait légale à ce moment‑là, étant donné qu’une dérogation au règlement de zonage avait initialement été accordée à l’ancien propriétaire du terrain, quoique à leur insu.

7.2Les auteurs réaffirment que la communication est recevable ratione temporis et, aussi, ratione materiae, parce que, dans sa version anglaise, le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne contient pas le terme «civil» et a donc une portée plus large que le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne. Étant donné que la cause porte sur la question de savoir si une construction existante peut être maintenue ou devra être démolie, elle concerne directement des «droits» au sens du paragraphe 1 de l’article 14. L’affirmation de l’État partie selon laquelle l’octroi d’un permis de construire sur la parcelle des auteurs, moyennant une dérogation au règlement de zonage, était «clairement hors de question», est infirmée par le fait que le conseil municipal d’Elsbethen avait accordé une telle dérogation aux anciens propriétaires de la parcelle, vraisemblablement parce qu’il considérait qu’il pouvait légalement le faire. Étant donné qu’il a fallu aux autorités administratives et aux tribunaux plus de 35 ans pour trancher, il serait difficile de prétendre que quoi que ce soit dans cette affaire ait été «clairement» établi.

7.3En ce qui concerne les recours internes, les auteurs soutiennent qu’ils n’étaient pas tenus de poursuivre, ni même d’accélérer, une série de procédures pouvant aboutir à des effets juridiques contraires à leurs intérêts et à leur droit de propriété, comme le serait la démolition de leurs bâtiments.

7.4Les auteurs réaffirment qu’ils sont victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14, selon lequel toute personne a le droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable; une procédure qui s’éternise place les intéressés dans une situation de victimes, surtout quand elle dure plus de 35 ans.

7.5Les auteurs prétendent que la durée de la procédure n’est pas imputable à leur propre conduite. N’étant pas tenus de poursuivre activement leur affaire, ils devaient simplement, ce qu’ils ont fait, respecter les règles de procédure, répondre aux questions des représentants officiels et former des recours avec toute la diligence voulue. Par contre, l’État partie a failli à son obligation de veiller à ce que la procédure engagée par ses autorités soit menée à son terme, conformément au paragraphe 1 de l’article 14.

7.6Les auteurs font observer que l’État partie s’est contenté de contester, parmi toutes les allégations qu’ils ont faites concernant les nombreux retards accusés par la procédure, ceux qui ont trait à la Cour constitutionnelle et au tribunal administratif. Ils rejettent l’argument de l’État partie selon lequel ces retards seraient justifiés par la complexité de l’affaire, complexité qui n’est ni étayée par le dossier (qui, alors qu’il porte sur une période de 35 ans, ne contient que quelques documents et décisions), ni par le peu d’efforts nécessaires pour apprécier les faits et les points de droit, comme l’attestent les maigres éléments de preuve recueillis ou la participation marginale d’experts. De même, l’État partie n’a pas dûment étayé son affirmation selon laquelle la charge de travail de la Cour constitutionnelle suite aux nombreuses procédures relatives au droit d’asile et à l’imposition des entreprises a entravé ses travaux d’une manière qui justifie les importants retards dont se plaignent les auteurs.

7.7À l’appui de leur grief au titre de l’article 26, les auteurs affirment que c’est à tort que l’État partie soutient: a) que les maisons construites par les voisins des auteurs sont des résidences permanentes; b) que ces habitations ont été construites pour les enfants des fermiers; et c) que les constructions voisines ne sont pas aussi exposées à la vue que la grange des auteurs, malgré les pièces documentaires détaillées qui attestent le contraire. Alors que la grange, une structure traditionnelle qui fait partie du paysage depuis le XVIIIe siècle, est pratiquement invisible, sauf pour quelqu’un qui se trouverait sur le terrain des auteurs, les autres constructions sont de taille imposante et peuvent être aperçues de loin.

7.8En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel il n’existe pas de principe d’«égalité devant l’injustice», les auteurs font valoir que l’article 26 vise tout acte officiel régi par la loi, qu’il ait des effets positifs ou négatifs pour les particuliers.

Observations complémentaires de l’État partie et réponse des auteurs

8.1Le 22 octobre 2003, l’État partie a réitéré les arguments qu’il avait présentés en mai 2002. En particulier, il insistait sur le fait que les auteurs n’ont jamais obtenu de permis conformément à la loi régionale de planification du territoire, puisque la décision prise par le conseil municipal le 13 avril 1967 n’avait pas été entérinée par l’autorité de tutelle dans sa décision du 31 mai 1967. Un consentement oral du maire ne peut se substituer au permis requis par la loi provinciale de zonage.

8.2Selon l’État partie, le fait que les procédures soient dirigées contre un auteur n’influe en aucune façon sur le principe de l’épuisement des remèdes internes. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que même un accusé au pénal est tenu d’exploiter les possibilités juridiques qui s’offrent à lui pour accélérer la procédure de manière à épuiser les recours internes dans les affaires où est invoquée une violation du droit à ce que la cause d’une personne soit entendue sans retard excessif. Quoiqu’il en soit, ce droit n’avait pas été violé en l’espèce, eu égard au comportement dilatoire des auteurs, par exemple leur demande tendant à ce que la procédure soit suspendue pendant quatre mois en 1987 en raison de leur absence.

8.3L’État partie maintient que du fait de la grande similitude entre le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, cette dernière disposition ne s’applique pas dans le cas des auteurs. De plus, ceux‑ci n’ont jamais eu le droit de construire sur leur parcelle. En l’absence d’un tel droit, la procédure en cours ne concerne pas la «détermination de droits» au sens de l’article 14 du Pacte.

8.4L’État partie fait valoir que la charge de travail de la Cour constitutionnelle s’est accrue de façon spectaculaire entre 1994 et 1996, période pendant laquelle elle a été saisie de plus de 5 000 affaires introduites par des étrangers et par 11 122 plaintes concernant le versement anticipé de l’impôt par les entreprises.

9.1Le 8 décembre 2003, les auteurs ont répondu que leur demande tendant à ce que le gouvernement provincial sursoie à se prononcer sur le recours qu’ils ont introduit contre le refus de la municipalité, en date du 4 février 1987, d’accorder une dérogation au règlement de zonage au motif de res iudicata montre simplement à quel point ils étaient déterminés à participer pleinement à la procédure. Bien qu’ils soient rentrés de leurs vacances en novembre 1987, le gouvernement provincial a attendu jusqu’au 13 novembre 1989 pour statuer sur leur recours.

9.2Concernant la durée de la procédure, les auteurs considèrent qu’il y a lieu de suivre la pratique suivie par la Cour européenne des droits de l’homme qui n’astreint pas les particuliers à coopérer activement avec les autorités chargées des poursuites. Même si le Comité optait pour la jurisprudence récente de la Cour, qui impose aux requérants de se prévaloir des recours juridiques disponibles pour se plaindre de la durée excessive de la procédure même dans les affaires pénales, cette exigence n’a jusqu’à présent été appliquée par la Cour européenne que dans des affaires portant sur une seule procédure, pour lesquelles un recours permettant de l’accélérer s’offrait aux requérants, qui ne l’avait pas utilisé. La présente communication se distinguait de ces affaires en ce qu’elle portait sur plusieurs procédures d’examen administratif et judiciaire.

9.3Par ailleurs, les auteurs font valoir que l’efficacité de ces recours est fonction de l’impact qu’ils peuvent avoir sur la durée de l’ensemble de la procédure et de leur disponibilité tout au long de cette procédure. Or, du 8 octobre 1969 au 1er février 1982, aucun recours permettant d’accélérer la procédure ne s’offrait aux auteurs, du simple fait qu’ils ignoraient qu’une procédure d’entérinement d’une dérogation accordée par la municipalité était encore pendante devant le gouvernement provincial. Par la suite, des négociations sur un règlement amiable avaient débouché sur un accord en 1986, que le gouvernement provincial avait résilié unilatéralement en revenant sur sa décision d’entériner la dérogation.

9.4Les auteurs soutiennent qu’aucun recours permettant d’accélérer les procédures devant la Cour constitutionnelle et le tribunal administratif n’est disponible. La partie de la communication qui a trait aux procédures devant ces deux instances, qui ont duré au total cinq ans et neuf mois, est par conséquent recevable.

9.5Les auteurs réitèrent l’affirmation selon laquelle la charge de travail de la Cour constitutionnelle ne s’était pas sensiblement accrue, puisque les 11 000 plaintes ayant trait à l’imposition des entreprises ont été retirées du rôle à la faveur d’un seul arrêt, long de 22 pages. Si le tri, l’enregistrement et le stockage des milliers de plaintes ont sans aucun doute alourdi la charge de travail du greffe, ces opérations n’ont en aucune façon influé sur les processus judiciaires proprement dits.

9.6Enfin, les auteurs soutiennent que, dans sa jurisprudence, la Cour européenne a considéré sans équivoque que le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne s’appliquait aux procédures concernant les permis de construire et les ordres de démolition.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Indépendamment du fait que l’État partie a invoqué sa réserve concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité rappelle que lorsque la Cour européenne fonde une déclaration d’irrecevabilité sur des seuls motifs de procédure, et non sur certains éléments ayant trait au fond de l’affaire, on considère alors que l’affaire n’a pas été «examinée» au sens indiqué par l’Autriche dans sa réserve concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité note que la Cour européenne a déclaré la requête des auteurs irrecevable parce qu’elle ne satisfaisait pas à la règle des six mois (par. 4 de l’article 35 de la Convention européenne), et qu’une telle règle de procédure n’est pas prévue dans le Protocole facultatif. Puisqu’il n’y a pas eu «examen» de la même affaire par la Cour européenne, le Comité conclut que la réserve formulée par l’Autriche concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche en rien d’examiner la communication des auteurs.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione temporis, dans la mesure où elle porte sur des événements qui se sont produits avant le 10 mars 1988, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Autriche. Il rappelle qu’il ne peut examiner les violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie concerné, sauf si ces violations perdurent après cette date ou continuent d’avoir des effets qui, en soi, constituent une violation du Pacte. Il note que les 13 années qu’il a fallu au gouvernement provincial pour notifier aux auteurs sa décision du 17 octobre 1969, par laquelle il refusait d’entériner la décision de la municipalité d’accorder une dérogation au règlement de zonage, et pour se prononcer sur le recours introduit par les auteurs le 30 juillet 1974 contre l’ordre de démolition du maire en date du 17 juillet 1974, précédaient l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité ne considère pas que ces violations présumées ont continué à avoir des effets après le 10 mars 1988, effets qui auraient pu constituer en soi des violations des droits des auteurs en vertu du Pacte. La communication est donc irrecevable ratione temporis, en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, dans sa partie qui concerne les retards susmentionnés.

10.4À propos de l’argument avancé par l’État partie selon lequel le traitement prétendument discriminatoire subi par les auteurs est lui aussi antérieur à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Autriche, le Comité note que, s’il est vrai qu’une dérogation au règlement de zonage et un permis de construire ont été accordés à M. X dès 1977, la demande introduite par les auteurs pour obtenir le même type de permis a définitivement été rejetée par le gouvernement provincial le 5 janvier 1996 et le recours qu’ils ont formé contre cette décision a été rejeté par le tribunal administratif le 3 novembre 1999.

10.5Le Comité considère toutefois que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leur argument selon lequel le traitement discriminatoire dont ils auraient été victimes se fondait sur l’un des motifs énumérés à l’article 26. De même, ils n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leur argument selon lequel les raisons invoquées par le gouvernement provincial et le tribunal administratif pour refuser leur demande de dérogation étaient arbitraires. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6S’agissant de l’affirmation des auteurs selon laquelle le fait qu’il n’y ait pas eu d’audition tout au long de la procédure portait atteinte à leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs auraient pu demander à être entendus par le tribunal administratif et qu’en omettant de le faire, ils avaient renoncé à leur droit de demander une audience publique. Il note également que les auteurs n’ont pas réfuté cet argument sur le fond et qu’ils étaient représentés par un conseil tout au long de la procédure devant le tribunal administratif. Le Comité considère, par conséquent, que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leur grief selon lequel leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement a été violé. De ce fait, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7S’agissant de la violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte invoquée par les auteurs, du fait que les autorités compétentes ne constituaient pas un tribunal indépendant et impartial au sens du paragraphe 1 de l’article 14, que ces autorités avaient délibérément agi à leur détriment et avaient appliqué ex post facto la loi provinciale de zonage de 1992 à des faits antérieurs, le Comité fait observer que le paragraphe 1 de l’article 14 n’impose pas aux États parties de veiller à ce que les décisions prises soient rendues par des tribunaux à tous les stades de la procédure. À ce propos, il note que le refus du gouvernement provincial, en date du 4 octobre 1993, d’entériner une dérogation au règlement de zonage a été par la suite annulé par le tribunal administratif. Le Comité conclut que cette partie de la communication est elle aussi irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’avoir été suffisamment étayée.

10.8S’agissant des autres griefs, à savoir le retard avec lequel le recours contre la décision de la municipalité du 4 février 1987 a été examiné, la durée excessive des procédures devant la Cour constitutionnelle et le tribunal administratif et la durée de la procédure dans son ensemble, le Comité se doit d’examiner les objections soulevées par l’État partie concernant la qualité de «victime» des auteurs, l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 14 aux circonstances de l’espèce, et la question de l’épuisement des recours internes.

10.9Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leur affirmation selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte s’applique à la procédure relative aux permis de construire et aux ordres de démolition, et qu’ils sont victimes d’une violation de leur droit prévu à l’article 14 d’être jugés sans retard excessif.

10.10S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité note que les auteurs ont soulevé la question des retards de la procédure dans la plainte qu’ils ont déposée le 15 janvier 1996 auprès de la Cour constitutionnelle, laquelle a renvoyé l’affaire au tribunal administratif. L’État partie n’a pas apporté la preuve que les auteurs auraient pu se prévaloir d’autres recours contre la décision finale du tribunal administratif. De plus, il n’a pas réfuté l’argument des auteurs selon lequel il n’existait aucun recours qui leur aurait permis d’accélérer les procédures devant la Cour constitutionnelle et le tribunal administratif. Le Comité considère par conséquent que les auteurs ont satisfait à la règle de l’épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.11Le Comité conclut que la communication est recevable pour ce qui est de la durée de l’examen du recours contre la décision de la municipalité en date du 4 février 1987 et la longueur des procédures devant la Cour constitutionnelle et le tribunal administratif, et que les retards constatés dans l’ensemble de la procédure soulèvent des questions en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il passe à l’examen de ces griefs quant au fond.

Examen au fond

11.1Le Comité rappelle d’emblée que la notion de «caractère civil» qui figure au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte vise davantage la nature des droits et obligations en question que le statut des parties. Il note que les procédures relatives à la demande de dérogation au règlement de zonage introduite par les auteurs, et aux ordres de démolition, concernent la détermination de leurs droits et obligations dans une action civile, en particulier de leur droit d’être libres de toute ingérence illégitime dans leur vie privée et leur domicile, de leurs droits et intérêts relatifs à leurs biens et de leur obligation de se conformer aux ordres de démolition. Il s’ensuit que le paragraphe 1 de l’article 14 s’applique à ces procédures.

11.2Le Comité rappelle en outre que le droit à un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l’article 14 comporte un certain nombre de conditions, y compris la condition que la procédure devant les tribunaux soit conduite avec la célérité voulue. La question sur laquelle doit statuer le Comité est donc celle de savoir si les retards incriminés sont contraires à cette condition, dans la mesure où ils ont perduré après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie.

11.3En ce qui concerne le retard avec lequel le recours des auteurs du 18 février 1987 aurait été examiné, le Comité note que les auteurs eux‑mêmes ont demandé que la décision soit prise après le mois de novembre 1987. Même si par la suite il a fallu deux années supplémentaires au gouvernement provincial pour annuler la décision contestée, dont 20 mois après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le Comité considère que les auteurs n’ont pas apporté la preuve que ce retard était suffisamment long pour constituer une violation du paragraphe 1 de l’article 14, compte tenu du fait que: a) le retard n’a pas influé négativement sur leur position juridique; b) les auteurs ont choisi de ne pas se prévaloir des recours disponibles pour accélérer la procédure; et c) les résultats de la procédure de recours étaient à leur avantage.

11.4En ce qui concerne la durée prétendument excessive de la procédure devant la Cour constitutionnelle (du 16 novembre 1993 au 29 novembre 1994 et du 15 janvier 1996 au 29 septembre 1998), le Comité fait observer que, si la première série de procédures a été menée rapidement, la seconde pourrait avoir excédé la durée ordinaire d’une procédure relative au rejet d’une plainte et au renvoi de l’affaire devant un autre tribunal. Cependant, de l’avis du Comité, ce retard n’est pas suffisamment long pour constituer, dans le cadre d’une procédure devant une cour constitutionnelle concernant une affaire patrimoniale, une violation de la notion d’équité consacrée au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.5S’agissant de la durée prétendument excessive de la procédure devant le tribunal administratif (du 29 novembre 1994 au 12 octobre 1995 et du 29 septembre 1998 au 3 novembre 1999), le Comité prend note de l’argument de l’État partie, que les auteurs n’ont pas contesté, selon lequel ceux‑ci auraient pu, pour gagner du temps, saisir simultanément la Cour constitutionnelle et le tribunal administratif. Étant donné la complexité de l’affaire et l’argumentation juridique détaillée que donne le tribunal administratif dans ses décisions du 12 octobre 1995 et du 3 novembre 1999, le Comité ne considère pas que ces retards équivalent à une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.6Le Comité note que la durée de l’ensemble de la procédure, à dater de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Autriche (10 mars 1988) jusqu’à la date de la décision finale du tribunal administratif (3 novembre 1999), a été de 11 ans et 8 mois. Pour déterminer si cette durée est ou non excessive, le Comité s’est fondé sur les considérations suivantes: a) la durée de chacun des stades de la procédure; b) le fait que l’effet suspensif de la procédure sur les ordres de démolition a été favorable et non préjudiciable à la position juridique des auteurs; c) le fait que les auteurs n’ont pas exploité les possibilités qui s’offraient à eux d’accélérer les procédures administratives ou de saisir plusieurs instances simultanément; d) la complexité considérable de l’affaire; et e) le fait qu’à l’époque, le gouvernement provincial (à deux reprises) et le tribunal administratif (à une reprise) ont annulé, à la suite d’un recours des auteurs, des décisions qui leur étaient contraires. Le Comité considère que ces éléments compensent tout effet préjudiciable que l’incertitude juridique d’une longue procédure pourrait avoir eu pour les auteurs. Il conclut, après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, que leur droit à ce que leur affaire soit jugée sans retard excessif n’a pas été violé.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne laissent pas apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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