Nations Unies

CCPR/C/112/D/1999/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 novembre 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 1999/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session (7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Valentin Evrezov, Vladimir Nepomnyaschikh, Vasily Polyakov et Valery Rybchenko(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

15 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 8 novembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

10 octobre 2014

Objet:

Liberté d’expression

Question(s) de fond:

Liberté de répandre des informations; droit de réunion pacifique; droit à un procès équitable et public

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

2, 14, 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 1999/2010 **

Présentée par:

Valentin Evrezov, Vladimir Nepomnyaschikh, Vasily Polyakov et Valery Rybchenko(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

15 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 10 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1999/2010, présentée par Valentin Evrezov, Vladimir Nepomnyaschikh, Vasily Polyakov et Valery Rybchenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Valentin Evrezov, né en 1954, Vladimir Nepomnyaschikh, né en 1952, Vasily Polyakov, né en 1969, et Valery Rybchenko, né en 1963; tous sont de nationalité bélarussienne. Ils affirment être victimes de violations par le Bélarus des droits qui leur sont reconnus au titre de l’article 19 et de l’article 21, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. MM. Polyakov et Evrezov affirment aussi être victimes de violations de leurs droits au titre du paragraphe 3 a), b), d) et e) de l’article 14 du Pacte. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs indiquent que, le 16 septembre 2009 à 16 h 45, ils marchaient dans le centre-ville de Gomel avec d’autres personnes, composant au total un groupe d’une quinzaine d’individus, pour se rendre à la place Revolutsiya, où ils avaient l’intention de manifester à l’occasion de l’anniversaire de la disparition des leaders d’opposition Viktor Goncharov et Anatoly Krasovsky. Les membres du groupe portaient des photographies des hommes politiques disparus et d’autres pancartes.

2.2Alors qu’ils se dirigeaient vers la place, les participants ont été arrêtés par un groupe d’hommes en civil et contraints de monter à bord d’un bus. Ils ont été conduits au Département de police du district de Zheleznodorozhny, où la police a établi un procès‑verbal pour infraction administrative pour chacun des participants à la manifestation, au titre de l’article 23.34, premier paragraphe, du Code des infractions administratives, au motif que les intéressés avaient enfreint les règles relatives à l’organisation de rassemblements de masse. Les auteurs font valoir qu’ils ont été placés en détention avant même le début de la manifestation et bien avant d’avoir atteint la place où elle devait avoir lieu.

2.3Le tribunal du district de Zheleznodorozhny a rendu des décisions individuelles (le 15 octobre 2009 pour M. Evrezov, le 13 octobre 2009 pour MM. Polyakov et Nepomnyaschikh, et le 19 octobre 2009 pour M. Rybchenko). Les auteurs ont été reconnus coupables de violation des règles relatives à l’organisation d’une manifestation de masse et se sont vu infliger des amendes administratives (875 000 roubles bélarussiens pour MM. Evrezov et Nepomnyaschikh, 1 400 000 roubles pour M. Polyakov et 700 000 roubles pour M. Rybchenko). Au cours de l’audience administrative, un témoin a certifié qu’aucun des participants à cette marche ne portait ou ne brandissait des pancartes ou des photographies. Le tribunal a cependant décidé d’accorder crédit aux dires des policiers, qui soutenaient que les auteurs portaient des pancartes.

2.4Les auteurs ont fait appel des décisions rendues en première instance devant le tribunal régional de Gomel, qui a rejeté les appels et confirmé ces décisions (le 20 novembre 2009 pour M. Evrezov, le 11 novembre 2009 pour MM. Nepomnyaschikh et Polyakov et le 18 novembre 2009 pour M. Rybchenko). Le tribunal régional de Gomel a conclu comme le tribunal de district que les auteurs avaient bien enfreint la loi relative aux rassemblements de masse. Ce texte prévoit entre autres l’interdiction des rassemblements sans autorisation préalable, y compris le fait pour tout groupe de personnes de défiler dans la même direction et le fait de brandir des pancartes et des photographies.

2.5Les auteurs indiquent avoir formé un recours contre ces décisions auprès de la Cour suprême. Ces recours ont été rejetés par le Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle (le 18 mars 2010 pour M. Evrezov, le 29 janvier 2010 pour MM. Nepomnyaschikh et Polyakov et le 16 avril 2010 pour M. Rybchenko). La Cour suprême a confirmé les décisions des juridictions inférieures et déclaré que les auteurs avaient bien pris part à un «rassemblement de masse» en marchant en groupe et en brandissant des pancartes et des photographies. La Cour suprême a également conclu que les auteurs n’avaient pas sollicité au préalable l’autorisation des autorités d’organiser une manifestation publique, comme le prévoit la loi relative aux manifestations de masse.

2.6Les auteurs déclarent ne pas avoir demandé au Procureur général de contester les décisions de justice concernées dans le cadre de la procédure de contrôle car ils considèrent que cela ne constituerait pas un recours utile. Ils relèvent que la législation nationale ne prévoit pas la possibilité pour des particuliers de déposer plainte auprès de la Cour constitutionnelle pour violation de leurs droits constitutionnels. Les auteurs estiment donc avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs considèrent que la restriction de leur droit de prendre part à une manifestation pacifique et de leur liberté d’exprimer leurs opinions constitue une violation des droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte. En l’absence de toute justification de la part des autorités, ils considèrent que cette restriction de leurs droits n’était pas nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou la réputation d’autrui. Ils font valoir que l’obligation imposée par la législation interne (demander quinze jours à l’avance aux autorités municipales l’autorisation d’organiser tout rassemblement public) est arbitraire et injustifiée au regard des articles 19 et 21 du Pacte.

3.2Les auteurs indiquent que les juridictions supérieures ont refusé d’étudier la question de savoir s’il y avait eu violation des dispositions du Pacte sur lesquelles ils avaient fondé leurs recours. Ils soulignent que l’article 33 de la loi de l’État partie sur les traités internationaux énonce que les dispositions des instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie et qui sont entrés en vigueur font partie intégrante du droit interne. Selon eux, le Bélarus n’a pas pris les mesures nécessaires pour donner effet aux droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte. Les auteurs renvoient aux constatations du Comité concernant une affaire dans laquelle l’État partie avait affirmé que l’auteur avait été condamné non pas parce que la juridiction interne avait refusé délibérément d’appliquer le Pacte, mais parce que, compte tenu de la situation de l’État partie sur le plan de la sécurité, il fallait impérativement faire passer les dispositions de la loi sur la sécurité nationale avant certains droits consacrés dans le Pacte. Dans cette affaire, le Comité avait jugé que le fait que l’État partie ait fait passer l’application de la législation nationale avant l’exécution des obligations lui incombant en application du Pacte était incompatible avec le Pacte. Les auteurs soutiennent qu’en l’espèce, en invoquant l’article9 de la loi relative aux manifestations de masse, le Bélarus a fait primer sa législation interne sur le Pacte, en laissant aux fonctionnaires municipaux toute latitude pour déterminer les lieux obligatoires d’organisation de rassemblements publics et en imposant aux organisateurs d’obtenir des autorisations préalables sans justifier du caractère nécessaire de ces mesures aux fins des articles 19 et 21 du Pacte, et a donc violé ces articles, ainsi que le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

3.3De plus, deux des auteurs, MM. Evrezov et Polyakov, affirment que le tribunal de première instance a enfreint leurs droits procéduraux en ce qu’il ne les a pas informés promptement et de manière détaillée de la nature et du motif des charges pesant contre eux, ne leur a pas laissé le temps et les moyens de préparer leur défense ni la possibilité de s’entretenir avec leur conseil, ne les a pas convoqués au tribunal mais a examiné les charges d’infraction administrative en leur absence, les privant de ce fait de leur droit de se défendre en personne ou par l’intermédiaire d’un conseil de leur choix, et leur a dénié le droit de présenter des preuves de leur innocence, d’interroger les policiers qui ont témoigné contre eux et d’appeler leurs propres témoins à la barre, en violation des paragraphes 3 a), b), d) et e) de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie a exprimé, eu égard à la présente communication et à plusieurs autres dont le Comité était saisi, sa préoccupation quant à l’enregistrement injustifié de communications présentées par des personnes relevant de sa juridiction dont il considère qu’elles n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles au Bélarus, notamment le recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision passée en force de chose jugée, ce qui est contraire aux dispositions de l’article2 du Protocole facultatif. L’État partie affirme que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (avocat, conseil ou autre personne) au nom de particuliers qui allèguent la violation de leurs droits constitue un abus du mandat du Comité ainsi que du droit de présenter des communications et qu’un tel enregistrement est contraire à l’article 3 du Protocole facultatif. Il fait valoir qu’en tant que partie au Protocole facultatif, il reconnaît la compétence du Comité en vertu de l’article premier, mais qu’il n’a pas consenti à l’élargissement du mandat du Comité, en particulier en ce qui concerne l’interprétation que fait celui-ci des dispositions de la Convention et du Protocole facultatif (préambule et article premier), qui ne peut être valable que si elle est strictement conforme aux articles 31, 32 et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il considère que la présente communication et plusieurs autres ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif et qu’aucun motif de droit ne l’oblige à les prendre en considération, et indique que les décisions prises par le Comité au sujet de ces communications seront considérées comme non valides. L’État partie ajoute que les références de ce point de vue à la pratique établie du Comité n’ont pour lui aucun caractère contraignant.

4.2Dans une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, répétant que les auteurs n’avaient pas épuisé tous les recours internes qui leur étaient ouverts, car ils n’avaient pas saisi le Bureau du Procureur aux fins de la mise en œuvre de la procédure de contrôle des décisions passées en force de chose jugée.

4.3Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie a fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction, qui se déclarent victimes d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte. Cette compétence est toutefois reconnue sous réserve d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les conditions à remplir par les auteurs des communications et les critères de recevabilité, en particulier les articles 2 et 5. L’État partie soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité, ni l’interprétation que fait celui-ci des dispositions du Protocole, qui ne peut être valable que si elle est conforme à la Convention de Vienne sur le droit des traités. Selon l’État partie, en ce qui concerne la procédure d’examen des communications, les États parties au Protocole facultatif doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions de ce Protocole et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, ne relèvent pas du Protocole facultatif. Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec celui-ci, qu’il la rejettera sans faire d’observations sur la recevabilité ou sur le fond, et que les décisions prises par le Comité au sujet de communications ainsi rejetées seront considérées par ses autorités comme non valides. L’État partie considère que la présente communication ainsi que plusieurs autres dont le Comité est saisi ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif.

4.4Le 19 juillet 2012, l’État partie a fait savoir qu’il mettait fin aux procédures concernant la présente communication et qu’il se dissocierait des constatations qui pourraient être adoptées par le Comité.

Observations de l’auteur sur la recevabilité

5.1Le 30 novembre 2011 et le 21 mars 2012, M. Evrezov a fait parvenir ses observations sur la recevabilité. Il a réaffirmé la position qu’il avait exposée dans sa lettre initiale, à savoir que la procédure de contrôle était discrétionnaire, que la décision d’engager une telle procédure était réservée à des fonctionnaires de l’État tels que le Procureur général ou le Président de la Cour suprême, et qu’on ne pouvait considérer qu’une telle procédure représentait un recours interne utile.

5.2M. Evrezov fait valoir également qu’en acceptant la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers, l’État partie a également accepté l’obligation d’offrir un recours utile en cas de violation des droits consacrés dans le Pacte, et de se conformer non seulement aux dispositions du Pacte mais aussi à celles du Protocole facultatif et aux Observations générales du Comité.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’aucun motif de droit ne justifie l’examen de la communication présentée par l’auteur puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif et que, si une décision est adoptée par le Comité en l’espèce, elle sera considérée par les autorités comme nulle et non avenue.

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre, en lui en donnant les moyens, d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure quelle qu’elle soit qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, car les auteurs n’ont pas saisi le Procureur aux fins de la procédure de contrôle des décisions. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la procédure de contrôle de l’État partie devant le Bureau du Procureur général, qui permet le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner cette partie de la présente communication.

7.4Le Comité note que pour les auteurs, l’État partie a violé les obligations qui lui incombent au titre du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 19 et 21 du Pacte, en ce qu’il n’a pas donné au Pacte primauté sur la législation interne, laquelle impose des restrictions injustifiées aux droits consacrés par les articles 19 et 21. Le Comité rappelle toutefois, à cet égard, son Observation générale no 31, où il est indiqué que l’article 2 autorise un État partie à donner effet aux droits énoncés dans le Pacte conformément à sa structure constitutionnelle propre et n’exige pas que le Pacte puisse être directement applicable par les tribunaux, par voie d’incorporation dans le droit interne. Le Comité considère que le grief des auteurs qui soutiennent que l’État partie doit donner au Pacte primauté sur la législation interne est incompatible avec l’article 2 du Pacte et irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé aux fins de la recevabilité les griefs soulevés au titre au titre des articles 19 et 21 et des paragraphes 3 a), b), d) et e) de l’article 14 du Pacte, en ce qui concerne MM. Evrezov et Polyakov. Il déclare ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit d’abord déterminer si le fait d’avoir empêché les auteurs de manifester en mémoire de figures d’opposition du Bélarus puis de les avoir appréhendés et de leur avoir infligé une amende administrative constitue une violation des droits qui leur sont garantis par les articles 19 et 21 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite ou imprimée. Il rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu; elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique.

8.4Le Comité fait observer que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, qu’il est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et qu’il est indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser une réunion pacifique et d’y participer ainsi que de manifester pour exprimer son soutien à telle ou telle cause ou au contraire sa désapprobation.

8.5Le Comité note que les auteurs disent avoir été appréhendés alors qu’ils se dirigeaient vers la place où la manifestation était censée avoir lieu, et accusés d’avoir commis une infraction administrative. Il note également que la Cour suprême a confirmé les décisions des juridictions inférieures concluant à une violation de la loi sur les manifestations de masse parce que les auteurs avaient marché en groupe en brandissant des pancartes et des photographies sans avoir obtenu au préalable l’autorisation des autorités de tenir une manifestation publique.

8.6Le Comité fait observer que toute restriction à l’exercice des droits garantis par les articles 19 et 21 doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité, être appliquée exclusivement aux fins pour lesquelles elle a été prescrite et être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui l’inspire. Le fait d’avoir empêché les auteurs de manifester, de les avoir détenus et de leur avoir infligé une amende administrative au seul motif qu’ils avaient marché en groupe sur un trottoir en portant des affiches et des photographies constitue manifestement une atteinte aux droits que leur confèrent les articles 19 et 21 du Pacte. Il incombe en conséquence à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées étaient nécessaires en l’espèce.

8.7Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité relève que le droit consacré à l’article 21 ne peut faire l’objet d’aucune autre restriction que celles imposées conformément à la loi qui sont nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

8.8Compte tenu de ce qui précède et étant donné que l’État partie n’a donné aucune information justifiant la restriction aux fins décrites au paragraphe 3 de l’article 19 et à l’article 21, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits que les auteurs tiennent du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

8.9Concernant les griefs de deux des auteurs, à savoir MM. Evrezov et Polyakov, au titre de l’article 14, paragraphe 3 a), b), d) et e) du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence et souligne que ces dispositions énoncent des garanties relatives aux procès pénaux et aux recours au pénal. Les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, consacrent toutefois une série de droits qui doivent être respectés aussi bien au civil qu’au pénal. Le Comité relève que MM. Polyakov et Evrezov affirment ne pas avoir été informés de la date et de l’heure de leurs audiences administratives respectives et n’ont en conséquence pas pu se défendre en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat. Les auteurs affirment aussi ne pas avoir été informés de la nature des charges pesant contre eux ni avoir eu suffisamment de temps pour préparer leur défense. Le Comité note également note que MM. Evrezov et Polyakov disent n’avoir eu la possibilité d’appeler à témoigner aucun des 16 témoins de la défense. Il rappelle qu’en vertu du Pacte, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, et que l’égalité de moyens est un aspect essentiel de ce droit. Le principe de l’égalité de moyens veut aussi que chaque partie ait la possibilité de contester tous les arguments et preuves produits par l’autre partie. Le Comité renvoie à son Observation générale no 32, où il est dit que le tribunal doit permettre au public de s’informer de la date et du lieu de l’audience. Dans ces circonstances, et en l’absence d’observations de l’État partie sur ces griefs précis, le Comité décide d’accorder tout le poids voulu aux allégations des auteurs. Il conclut en conséquence qu’il y a eu violation des droits que MM. Evrezov et Polyakov tiennent du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 19, paragraphe 2, de l’article 21 et de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, sous la forme notamment du remboursement des frais de justice qu’ils ont engagés et d’une indemnisation, afin qu’ils puissent jouir pleinement des droits garantis aux articles 19 et 21. Il est également tenu de prendre des mesures pour que de telles violations ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.