NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1454/200611 septembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-dixième session9-27 juillet 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1454/2006

Présentée par:

Wolfgang Lederbauer (représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

27 septembre 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 16 février 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoptiondes constatations:

13 juillet 2007

Objet: Révocation disciplinaire d’un fonctionnaire pour avoir dirigé une société privée

Questions de fond: Droit de chacun à ce que sa cause soit entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial − Durée de la procédure − Droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi

Questions de procédure: Recevabilité ratione personae et ratione materiae − Griefs insuffisamment étayés − Réserve de l’État partie à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif − Épuisement des recours internes

Articles du Pacte: 14 (par. 1); 26

Articles du Protocole facultatif: 1, 2, 3 et 5 (par. 2 a) et 2 b))

Le 13 juillet 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1454/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-dixième session

concernant la

Communication n o  1454/2006 **

Présentée par:

Wolfgang Lederbauer (représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

27 septembre 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 13 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1454/2006 présentée au nom de M. Wolfgang Lederbauer en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Wolfgang Lederbauer, de nationalité autrichienne. Il se déclare victime de violations par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14, lu séparément ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa.

Exposé des faits

2.1En 1981, l’auteur est devenu membre de la Cour des comptes (Rechnungshof) autrichienne. Il a été affecté à la vérification des comptes des hôpitaux publics. En 1985, il a inventé un nouveau type de mur antibruit, écologique, protégeant des nuisances sonores venant des autoroutes et des voies de chemin de fer, qu’il a appelé «Ecowall». Il a informé la Cour des comptes de son invention et a désigné sa femme comme dépositaire des brevets.

2.2En 1989, l’auteur a créé la société à responsabilité limitée Econtract, avec sa femme comme seul associé. Lorsqu’ils ont divorcé, la propriété de la société et des brevets a été transférée à l’auteur, lequel a nommé M. E. L. Directeur général et a informé la Cour des comptes de ce changement de situation.

2.3En 1993, lorsque la Cour des comptes a mené des investigations sur sa participation à la commercialisation des licences des dispositifs «Ecowall», l’auteur a adressé une lettre à son président dans laquelle il dénonçait le fait que l’exploitation des nouveaux produits d’isolation phonique pour les couloirs de transport était entravée par la prédominance d’un petit nombre de grandes entreprises. Par la suite, la société Econtract a répondu à plusieurs appels d’offres concernant des projets en Autriche, en particulier la construction d’un mur antibruit le long d’une voie de chemin de fer gérée par la Société des chemins de fer fédéraux.

2.4En 1994, l’auteur et E. L. ont l’un et l’autre pris contact avec le Président de la Commission d’enquête parlementaire constituée pour enquêter sur d’éventuelles irrégularités liées à la construction d’une autoroute publique, M. W., afin de lui présenter le mur écologique «Ecowall» comme substitut possible au système standard d’isolation phonique proposé par d’autres entreprises. À l’insu de E. L., un journaliste du magazine Profil a surpris la conversation de celui-ci avec M. W. Bien que l’auteur ait certifié avoir pleinement informé la Cour des comptes et son Président du fait qu’il était propriétaire des brevets de l’«Ecowall» et de la société Econtract, le magazine Profil et d’autres journaux ont ensuite publié des articles sur l’incompatibilité présumée de cet état de fait avec sa position de haut fonctionnaire à la Cour des comptes.

2.5Le 30 août 1994, le Président de la Cour des comptes a suspendu l’auteur de ses fonctions à titre provisoire, car il existait des motifs suffisants pour soupçonner que ses activités commerciales privées, en particulier sa participation à la commercialisation du projet «Ecowall», étaient incompatibles avec son statut de fonctionnaire et violaient l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale, selon lequel les membres de la Cour des comptes ne doivent pas participer à la direction d’entreprises à but lucratif, ainsi que les paragraphes 1 et 2 de l’article 43 de la loi fédérale sur la fonction publique.

2.6Le 1er septembre 1994, sans avoir entendu l’auteur, le Président de la Cour des comptes a pris un arrêt («premier arrêt») interdisant à l’auteur de participer à la gestion et à l’administration d’Econtract et de prendre part à la commercialisation de l’«Ecowall». Le 20 septembre 1994, l’auteur a fait recours contre cet arrêt. La Cour des comptes n’ayant rendu sa décision que le 2 juin 2000, l’auteur a alors introduit un recours en carence devant la Cour administrative supérieure, laquelle a ordonné à la Cour des comptes de se prononcer dans les trois mois. Le 18 septembre 2000, la Cour des comptes a pris un nouvel arrêt («deuxième arrêt») qui reprenait simplement le premier. Le 18 octobre 2000, l’auteur a déposé un recours devant la Cour administrative supérieure, alléguant que la Cour des comptes ne lui avait pas donné la possibilité d’être entendu et n’avait pas examiné la teneur des informations dont elle avait pourtant été saisie sur sa participation aux activités de la société Econtract. Le 31 octobre 2000, il a complété son recours en demandant à la Cour de tenir une audience. Par une lettre datée du 30 juin 2005, le Président de la troisième Chambre de la Cour administrative supérieure a demandé à l’auteur s’il voulait toujours obtenir une décision concernant son recours contre l’arrêt, qui ne pourrait modifier la décision finale prise en matière disciplinaire. Le 14 juillet 2005, l’auteur a confirmé qu’il voulait obtenir une décision de la Cour, laquelle a annulé l’arrêt le 27 septembre 2005.

2.7Le 10 octobre 1994, le Président de la Cour des comptes a déposé une plainte disciplinaire contre l’auteur sur le fondement de l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale et des articles 43, paragraphes 1 et 2, et suivants de la loi fédérale sur la fonction publique, pour les motifs suivants: participation à la direction de la société Econtract; congés de maladie non justifiés par un certificat médical et absence pendant les heures normales de travail certains jours; enfin non-respect d’instructions reçues de ses supérieurs. Le 11 novembre 1994, la Commission disciplinaire a engagé des poursuites disciplinaires contre l’auteur. Le 23 décembre 1994, celui‑ci a porté plainte devant la Cour constitutionnelle alléguant une violation de ses droits à un traitement égal devant la loi et à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent. Le 6 mars 1995, la Cour constitutionnelle a décidé de ne pas statuer sur la plainte. Le 31 mai 1995, le Président de la Cour des comptes a ajouté d’autres griefs à la plainte disciplinaire visant l’auteur.

2.8Le 13 octobre 1994, la Commission disciplinaire a prononcé la suspension définitive de l’auteur en se fondant sur l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale et a réduit son salaire d’un tiers. Le 19 décembre 1994, la Commission des recours en matière disciplinaire a rejeté le recours de l’auteur. Le 6 février 1995, l’auteur a fait appel de cette décision devant la Cour administrative supérieure, demandant la tenue d’une audience contradictoire et faisant valoir que la Cour des comptes avait été informée de sa participation dans Econtract et n’avait pris de mesure qu’après que la presse eut critiqué ses activités et sans l’entendre en tant que partie. Le 29 novembre 2002, la Cour a rejeté l’appel. Parallèlement, elle a considéré que la question d’une audience contradictoire ne se posait pas puisque l’affaire n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.9Le 21 décembre 1995 et le 6 mars 1996, l’auteur a demandé la levée de la mesure de suspension en faisant valoir qu’elle devenait progressivement une peine de facto. La Commission des recours en matière disciplinaire a rejeté ses demandes le 25 janvier et le 10 avril 1996, respectivement. Le 7 juin 1996, l’auteur a saisi la Cour administrative supérieure, qui l’a débouté le 19 décembre 2002.

2.10Le 20 mai 1997, après que l’auteur eut demandé au Président du Conseil national (la chambre basse du Parlement) et aux responsables des quatre partis politiques représentés au Parlement d’ouvrir une enquête sur son affaire, la Commission disciplinaire a, «en toute hâte», décidé de tenir une audience disciplinaire. La Commission était présidée par M. P. S., qui, à la Cour des comptes, était le chef du département chargé de la vérification des comptes des Chemins de fer fédéraux et de la société publique des trains à grande vitesse.

2.11Le 30 mai 1997, l’auteur a récusé le Président de la Commission disciplinaire, P. S., pour partialité, au motif que P. S. vérifiait précisément les comptes des sociétés qui avaient l’habitude d’utiliser les techniques d’insonorisation classiques que l’auteur critiquait et que son invention visait à améliorer. Le 3 juillet 1997, il a déposé une plainte devant la Cour constitutionnelle contestant la décision de la Commission disciplinaire de prévoir une audience disciplinaire, alléguant une violation de son droit à l’égalité de traitement et de son droit à être jugé de manière impartiale par un tribunal compétent et récusant une nouvelle fois P. S. La Cour constitutionnelle a refusé d’examiner la plainte, laquelle a été renvoyée à la Cour administrative supérieure, qui l’a rejetée le 27 juin 2001.

2.12Le 6 octobre 1997, l’auteur a demandé à pouvoir consulter le dossier de l’affaire auprès de la Commission disciplinaire en faisant valoir une «suspicion légitime» de ce que certains documents avaient été détruits ou négligés. Le 14 octobre 1997, la Commission a rejeté cette demande au motif que ses membres avaient «le droit de ne pas révéler leur analyse personnelle et leur vote […] aux parties à la procédure disciplinaire. Cela [était] a fortiori nécessaire lorsque […] les membres de la Commission disciplinaire et les parties [appartenaient] au personnel du même organisme gouvernemental et [étaient] donc vraisemblablement en contact régulier les uns avec les autres. Leurs relations professionnelles pourraient être altérées si les parties avaient connaissance de leur analyse et de leur vote […], ce qui porterait atteinte à l’intérêt légitime de tout membre de la Commission disciplinaire d’éviter des tensions dans le milieu de travail. […] Les incohérences présumées du dossier disciplinaire ou d’autres irrégularités [pouvaient] faire l’objet d’un recours.». La décision de la Commission disciplinaire n’a pas été contestée.

2.13Après la parution des articles de presse sur les activités de l’auteur et l’ouverture de poursuites disciplinaires contre lui, la société Econtract n’a plus reçu de commandes pour le système «Ecowall». Une société de fret a engagé une action pénale contre l’auteur et E. L. pour défaut de paiement d’une facture. Le 18 novembre 1998, le tribunal pénal régional de Vienne a déclaré l’auteur responsable de l’insolvabilité d’une société par négligence et l’a condamné à une peine de cinq mois d’emprisonnement avec sursis. Le 6 juillet 1999, la cour d’appel de Vienne a rejeté son appel.

2.14Après avoir reçu un avis du tribunal pénal régional de Vienne l’informant que des poursuites pénales avaient été engagées contre l’auteur, le Président de la Cour des comptes a déposé une autre plainte disciplinaire contre l’auteur le 9 novembre 1998, lui reprochant d’avoir par négligence provoqué l’insolvabilité d’une société et porté préjudice à ses créanciers.

2.15Entre-temps, on avait découvert qu’un mémorandum rédigé par un fonctionnaire de la Cour des comptes et daté du 18 février 1993, relatif à la compatibilité des activités commerciales privées de l’auteur avec l’exercice de ses fonctions officielles, avait été soustrait au dossier, de même que d’autres documents connexes. Parmi ces documents figuraient une déclaration de l’auteur, reçue par la Cour des comptes le 16 juillet 1993, dans laquelle celui-ci expliquait quelle était l’étendue de sa participation à la gestion de la société Econtract et, en particulier, un projet de décision concluant que les activités commerciales de l’auteur étaient incompatibles avec l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale.

2.16Le 27 janvier 1999, l’auteur a demandé à la Commission disciplinaire de rouvrir la première procédure disciplinaire en vue de suspendre les poursuites, alléguant que les documents récemment découverts prouvaient que la Cour des comptes avait été pleinement informée dès 1993 de sa participation à la gestion d’Econtract, qu’il s’était acquitté de son obligation d’information, et qu’il pouvait raisonnablement penser que l’absence de décision lui ordonnant de cesser ses activités signifiait que la Cour des comptes ne considérait pas que ces activités étaient répréhensibles.

2.17Le 23 février 1999, la Commission disciplinaire a engagé une deuxième procédure disciplinaire contre l’auteur. L’appel interjeté par celui-ci de cette décision a été rejeté par la Commission des recours en matière disciplinaire le 13 juin 1999. Le 24 août 1999, la Commission disciplinaire a informé l’auteur qu’elle ne tiendrait pas d’autres audiences contradictoires et qu’elle rendrait une décision écrite. Le 26 août 1999, l’auteur a demandé à être entendu au cours d’une procédure orale et a de nouveau récusé le Président, P. S., qui a alors été remplacé par un autre président.

2.18Le 13 décembre 1999, la Commission disciplinaire a déclaré l’auteur coupable de fautes disciplinaires et a prononcé sa révocation de la fonction publique. Elle a noté qu’elle «était obligée de se conformer aux conclusions juridiquement contraignantes de la juridiction pénale quant aux faits» et qu’elle n’avait fondé sa décision que sur les griefs pour lesquels l’auteur avait été jugé coupable par les juridictions pénales. Elle a ajouté que la déposition orale de l’auteur n’aurait pas permis de faire apparaître de faits nouveaux susceptibles d’influer sur sa décision.

2.19L’auteur a fait appel de cette décision les 1er et 14 janvier 2000, invoquant le respect de son droit à une procédure régulière, et a demandé la tenue d’une procédure orale devant la Commission des recours en matière disciplinaire, qui avait rejeté son appel le 13 juin 2000 sans l’avoir entendu, considérant que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquait pas en matière disciplinaire. Le 21 juillet 2000, l’auteur a déposé une plainte devant la Cour constitutionnelle, alléguant des violations de son droit à l’égalité de traitement et à être jugé par un tribunal impartial et attaquant pour inconstitutionnalité l’obligation de la Commission disciplinaire de faire siennes les conclusions de la juridiction pénale. Le 25 septembre 2001, la Cour constitutionnelle l’a débouté de sa plainte, aux motifs qu’elle n’avait aucune chance de prospérer et qu’elle ne soulevait pas de question au regard du droit constitutionnel.

2.20Parallèlement à la procédure devant la Cour constitutionnelle, le 21 juillet 2000, l’auteur a saisi la Cour administrative supérieure, arguant que la décision confirmant sa révocation de la fonction publique avait été prise sans qu’il ait été entendu équitablement et publiquement, dans le cadre d’une procédure orale, comme l’exigeait l’article 6 de la Convention européenne. Il a soutenu que la révocation de la fonction publique était une sanction disciplinaire d’une telle gravité qu’elle relevait du champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne et justifiait le droit d’être entendu en personne. L’auteur a demandé à la Cour de tenir une audience contradictoire en faisant valoir que, à défaut d’une telle audience, il serait privé de la possibilité de présenter sa défense.

2.21Le 31 janvier 2001, la Cour administrative supérieure a rejeté l’appel. Partant du principe que les fonctions de l’auteur à la Cour des comptes s’étendaient à la vérification des comptes des «programmes de construction sur l’emprise des routes et des chemins de fer», il a conclu que ses activités commerciales privées étaient étroitement liées à ses fonctions officielles de vérificateur aux comptes. Se référant à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Pellegrin c. France, la Cour administrative supérieure a rejeté sa demande visant à ce que sa cause soit entendue dans une procédure orale, considérant que l’article 6 de la Convention européenne ne s’appliquait pas car l’auteur était un agent public dont les fonctions l’amenaient à participer à l’exercice de la puissance publique. Le 5 juin 2001, l’auteur a demandé à la Cour administrative supérieure de revoir sa décision et a récusé les membres de la chambre qui s’était prononcée dans son affaire. Le 22 janvier 2002, la Cour dans une composition différente a rejeté la récusation.

2.22Le 31 décembre 2002, l’auteur a demandé à la Cour administrative supérieure de rouvrir la procédure qui avait abouti à sa suspension et à sa révocation, alléguant des irrégularités de procédure et une violation de son droit à bénéficier d’une procédure orale. Le 27 février 2003, la Cour a rejeté la demande de réouverture de la procédure relative à sa suspension, en soutenant que l’auteur avait eu suffisamment de possibilités pour présenter ses arguments par écrit et que rien n’obligeait à ce qu’il soit entendu comme partie ou à ce que d’autres observations écrites lui soient demandées. Le 27 mars 2003, elle a rejeté la demande de réouverture de la procédure relative à la révocation, pour les mêmes raisons.

2.23Les 1er janvier 2000, 12 décembre 2000 et 13 mars 2001, et 4 mars 2002, l’auteur a présenté des requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme dans lesquelles il faisait valoir des violations de ses droits au titre de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement dans un délai raisonnable. La Cour a joint plusieurs de ces requêtes et les a déclarées irrecevables ratione materiae, en renvoyant à l’affaire Pellegrin c. France.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue que la composition et le manque d’indépendance de la Commission disciplinaire, le rejet de ses demandes répétées à être entendu par la Commission disciplinaire, la Commission des recours en matière disciplinaire et la Cour administrative supérieure, l’absence de publicité des débats devant la Commission disciplinaire et la Commission des recours en matière disciplinaire, la longueur de la procédure devant la Cour administrative supérieure ainsi qu’entre le dépôt de la plainte disciplinaire et l’engagement de la procédure disciplinaire ont violé ses droits au titre du paragraphe 1 de l’article 14, lu séparément ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 26 du Pacte.

3.2L’auteur fait valoir que les membres de la Commission disciplinaire qui ont examiné son affaire n’étaient ni indépendants ni impartiaux. En vertu du paragraphe 2 de l’article 98 de la loi fédérale sur la fonction publique, les membres des commissions disciplinaires appartiennent au même service administratif que le défendeur. Même si le paragraphe 2 de l’article 102 de la loi prévoit que les membres de la Commission sont «indépendants, dans l’exercice de leurs fonctions», l’auteur considère que cette présomption n’est qu’une fiction, puisque a) les membres de la Commission disciplinaire désignés pour l’examen de son affaire n’ont pas cessé d’exercer leurs attributions en qualité de fonctionnaires sous l’autorité du Président de la Cour des comptes et continuaient d’être soumis à ses instructions, sauf sur les questions se rapportant à la procédure disciplinaire; b) il s’agissait de collègues qui avaient suivi le même parcours professionnel que l’auteur, avaient été en concurrence avec lui pour les promotions et avaient entretenu des relations professionnelles étroites avec lui; c) ces personnes étaient exposées aux manœuvres internes au sein de la Cour des comptes ainsi qu’aux pressions de ceux-là mêmes qui avaient engagé la procédure disciplinaire contre lui.

3.3L’auteur fait valoir que le Président de la Commission disciplinaire manquait d’objectivité à son égard, en tant que chef de la section de la Cour des comptes chargée du contrôle des sociétés de chemins de fer publics, du fait que l’auteur avait critiqué les achats de murs antibruit excessivement coûteux au détriment d’autres options comme le système qu’il avait inventé. Un des projets pour lesquels la société Econtract avait soumis une offre concernait l’isolation acoustique d’une voie de chemin de fer appartenant à la société publique de chemins de fer dont P. S. avait vérifié les comptes. L’auteur conteste le fait que, alors qu’il avait récusé P. S. «au tout début des audiences» et dans le recours initial qu’il avait déposé devant la Commission disciplinaire et la Cour constitutionnelle contre la décision rendue le 20 mai 1997 par la Commission disciplinaire, qui prévoyait la tenue d’une audience disciplinaire, P. S. n’a été remplacé que tout à la fin de la procédure, après la dernière audience formelle.

3.4L’auteur affirme que le fait que les organes d’appel n’aient pas remplacé P. S. à un stade antérieur de la procédure constitue une violation du droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial, protégé par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le fait que, à la différence des autres travailleurs, les fonctionnaires n’ont pas le droit de faire examiner leurs plaintes par les tribunaux ordinaires constitue une violation de l’article 26.

3.5De l’avis de l’auteur, le rejet de ses demandes répétées d’une procédure orale par la Commission disciplinaire, la Commission des recours en matière disciplinaire et la Cour administrative supérieure au motif que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est inapplicable en matière disciplinaire a violé son droit à ce que sa cause soit entendue au titre du paragraphe 1 de l’article 14. En l’espèce, ni la Commission des recours en matière disciplinaire ni la Cour administrative supérieure ne pouvaient pas être considérées et n’ont pas agi comme des tribunaux au sens de l’article 14. La Commission des recours en matière disciplinaire a rejeté le recours sans avoir entendu l’auteur, tandis que l’examen de la Cour administrative supérieure n’a porté que sur des points de droit.

3.6L’auteur rappelle que le paragraphe 1 de l’article 14 énonce un certain nombre de conditions, dont la rapidité de la procédure, et que des retards excessifs dans la procédure représentent une violation de cette disposition. Il rappelle également que la Cour administrative supérieure a pris plus de sept ans pour se prononcer sur son recours contre la décision de suspension de ses fonctions, ce qui est un délai excessif. La Cour n’a rendu aucune décision entre le 6 février 1995, date du recours, et le 17 juillet 2002, date à laquelle elle a tenu sa première session. Aucun recours en carence de la Cour n’était disponible.

3.7L’auteur affirme que les six ans et demi qui se sont écoulés avant que la Cour administrative supérieure ne se prononce sur son recours contre la décision rendue par la Commission des recours en matière disciplinaire le 10 avril 1996 rejetant sa demande de lever la mesure de suspension constitue également un délai excessif. La Cour n’a rendu aucune décision entre le 7 juin 1996, date à laquelle l’auteur a déposé plainte, et le 19 décembre 2002, date à laquelle le jugement a été rendu.

3.8De l’avis de l’auteur, le délai de deux ans et sept mois qui s’est écoulé entre l’ouverture de la procédure disciplinaire (le 10 octobre 1994) et la décision de la Commission disciplinaire de prévoir une première audience (le 20 mai 1997) est également excessif. En tant que défendeur, l’auteur n’était pas tenu d’accélérer la procédure engagée contre lui. Toutefois, ce n’est qu’après qu’il eut pris contact avec des députés que la Commission disciplinaire a fixé la date de l’audience. Aucune explication de ce retard n’a été donnée. Il était entièrement imputable à l’État partie.

3.9En ce qui concerne son recours contre le premier arrêt pris par le Président de la Cour des comptes, l’auteur rappelle que cet arrêt n’a été renouvelé que parce que, le 2 juin 2000, il avait déposé un recours en carence auprès de la Cour administrative supérieure. Celle-ci n’a fait aucun acte de procédure entre le 18 octobre 2000, date à laquelle l’auteur a fait recours contre le deuxième arrêt, et le 27 septembre 2005, date à laquelle la Cour l’a annulé.

3.10L’auteur fait valoir que la durée totale de la procédure disciplinaire (près de onze ans) est excessive, étant donné qu’il n’a rien ménagé pour accélérer l’examen de ses recours.

3.11Vu que la procédure devant la Commission disciplinaire et la Commission des recours en matière disciplinaire s’est déroulée à huis clos, en vertu de l’article 128, paragraphe 1, de la loi fédérale sur la fonction publique, et à la lumière de l’Observation générale no 13, l’auteur affirme qu’il n’existait aucunes circonstances exceptionnelles justifiant d’exclure le public ou de n’autoriser la présence aux audiences que d’une catégorie particulière de personnes, étant donné que les accusations portées contre lui avaient été publiées dans les journaux et concernaient ses actes privés et non l’exercice de ses fonctions officielles sur des sujets délicats et confidentiels. La restriction imposée à la publicité de la procédure disciplinaire, jointe à l’absence de toute audience devant la Cour administrative supérieure et la Cour constitutionnelle, a privé l’auteur de la possibilité de se défendre en faisant connaître sa position, violant ainsi son droit à ce que sa cause soit entendue publiquement en vertu du paragraphe 1 de l’article 14.

3.12En ce qui concerne la recevabilité, l’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen et n’a pas été examinée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré ses requêtes irrecevables ratione  materiae en renvoyant à l’affaire Pellegrin c. France, et donc sans procéder à l’examen de ses griefs au fond.

3.13L’auteur affirme que tous les recours internes ont été épuisés. Aucune voie de recours ne permettait de contester la composition de la Commission disciplinaire; il aurait été vain de contester la constitutionnalité de l’article 98, paragraphe 2, de la loi fédérale sur la fonction publique, relative à la composition des commissions disciplinaires, eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la création et de la composition des instances disciplinaires aux niveaux fédéral, provincial et municipal. En ce qui concerne la longueur de la procédure devant la Cour administrative supérieure, aucun recours en carence de la Cour n’était disponible.

3.14En ce qui concerne l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte aux procédures disciplinaires, l’auteur rappelle que la notion de contestations sur les droits et obligations «de caractère civil» repose sur la nature du droit et des obligations en question plutôt que sur le statut des parties. Ainsi, le Comité a appliqué le paragraphe 1 de l’article 14 à des procédures qui mettaient en cause des fonctionnaires ou des agents de l’État, que ces procédures soient liées ou non à leur statut. L’auteur rappelle également la position du Comité qui a déclaré dans l’affaire Perterer c. Autriche que dès lors qu’«un organe judiciaire est chargé de se prononcer sur l’application de mesures disciplinaires, cet organe doit respecter le droit à l’égalité de tous devant les cours et tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ainsi que les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité des moyens implicites dans cette disposition».

Observations de lÉtat partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 13 avril 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, affirmant que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes, que la communication était irrecevable ratione materiae et que la même question avait été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. La réserve formulée par l’Autriche à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif empêchait que le Comité examine la plainte de l’auteur.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief tiré de la durée prétendument excessive de la procédure. En vertu du paragraphe 1 de l’article 73 du Code de procédure administrative générale, les autorités, y compris la Commission disciplinaire, ont l’obligation de statuer sur les requêtes et les appels dans un délai de six mois, faute de quoi l’intéressé peut présenter une demande de dévolution de compétence à une autorité supérieure, en vertu du paragraphe 2 de l’article 73. Or l’auteur n’a jamais présenté une telle demande, alors qu’il était représenté par un conseil. Selon l’État partie, l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale prévoit la possibilité d’introduire un recours pour dénoncer l’inaction des autorités administratives devant la Cour administrative supérieure (un «recours en carence»). L’auteur n’a présenté qu’un seul recours à ce titre, pour dénoncer l’absence de décision de la Cour des comptes sur le recours qu’il avait formé contre l’arrêt daté du 1er septembre 1994. L’État partie rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les possibilités d’accélérer les procédures mentionnées plus haut constituent des recours utiles.

4.3Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie fait valoir que la procédure disciplinaire engagée contre l’auteur sort du champ d’application de l’article 14 du Pacte puisqu’il s’agit d’un litige entre une autorité administrative et un agent de la fonction publique dont l’emploi implique une participation directe à l’exercice de la puissance publique. Les litiges portant sur le recrutement, la carrière et la cessation de service des fonctionnaires ne portent sur une détermination des «droits et obligations de caractère civil» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 que s’ils concernent un «droit purement économique», tel que le paiement d’honoraires, ou un «droit essentiellement économique». Il découle du texte français du paragraphe 1 de l’article 14 que les droits et obligations qu’il faut établir doivent être de caractère civil. Les actions intentées contre l’auteur n’étaient pas «civiles» du seul fait qu’elles soulevaient aussi une question d’ordre économique, c’est‑à‑dire les conséquences financières de sa révocation. Les poursuites disciplinaires n’ont pas non plus constitué une accusation en matière pénale dirigée contre l’auteur, faute d’une sanction suffisamment sévère qui justifierait de qualifier la mesure disciplinaire d’accusation pénale. Enfin, l’auteur se contredit lorsqu’il affirme que les autorités disciplinaires et la Cour administrative supérieure ne sont pas des tribunaux au sens de l’article 14 et en même temps invoque l’affaire Perterer c. Autriche. L’État partie conclut que les griefs de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte, lu séparément ou conjointement avec les articles 2 et 26, sont irrecevables ratione materiae.

4.4L’État partie invoque sa réserve au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, en faisant valoir que la même question a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Que la Cour ait jugé les requêtes de l’auteur incompatibles avec les dispositions de la Convention européenne est la preuve qu’elle a rejeté ses prétentions pour des raisons de fond et non purement de forme, après au moins un examen rapide de l’affaire sur le fond. Elle a fondé sa décision sur le paragraphe 3 de l’article 35 de la Convention européenne, qui concerne les motifs quant au fond, et non sur les paragraphes 1 et 2 de l’article 35, qui énoncent les critères formels d’irrecevabilité. Les griefs de l’auteur sont donc irrecevables au titre des articles 3 et 5 du Protocole facultatif, rapprochés de la réserve formulée par l’Autriche.

5.1Dans une note du 16 août 2006, l’État partie a présenté ses observations sur le fond et a une nouvelle fois contesté la recevabilité de la communication en invoquant le non-épuisement des recours internes, le défaut de qualité de victime et l’inapplicabilité de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir que l’auteur n’a pas saisi les juridictions internes des griefs concernant l’absence d’audience contradictoire dans la procédure concernant sa suspension, la composition proprement dite de la Commission disciplinaire, et la longueur et le défaut de publicité de la procédure. Son argument selon lequel il aurait été vain, compte tenu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, de contester la constitutionnalité de la composition des commissions disciplinaires n’est pas fondé, car les décisions qu’il cite datent de 1956 et portent seulement sur les conditions formelles d’établissement des commissions disciplinaires. L’auteur n’a jamais contesté devant les organes internes la composition proprement dite de la Commission disciplinaire ou de la Commission des recours, et a seulement critiqué la participation du Président de la Commission disciplinaire, P. S., au premier et au deuxième ensembles de procédures disciplinaires. Au lieu de contester l’absence de publicité de la procédure disciplinaire, dans les recours qu’il a déposés le 21 juillet 2000 devant la Cour constitutionnelle et la Cour administrative supérieure, l’auteur a expressément reconnu que «Restreindre la participation du public à trois fonctionnaires en qualité de personnes de confiance (art. 124, par. 3) de la loi fédérale sur la fonction publique) répond encore aux exigences en matière de publicité et peut se comprendre, compte tenu de la possibilité d’exclure le public de la salle d’audience prévue au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme […]. La sécurité nationale n’étant pratiquement jamais en jeu en matière disciplinaire, il n’est pas admissible d’exclure complètement tout public. Dans une moindre mesure toutefois, les intérêts de l’État sont en cause, ce qui justifie une restriction […]».

5.2En vertu du paragraphe 2 de l’article 118 de la loi fédérale sur la fonction publique, le premier ensemble de procédures disciplinaires contre l’auteur a été suspendu ex lege du fait qu’il a été débouté dans le deuxième ensemble de procédures, ce qui a eu le même effet qu’une décision de relaxe. Donc, les griefs de l’auteur relatifs au premier ensemble de procédures sont devenus sans objet. De même, le grief tiré de l’absence d’audience contradictoire lors de la procédure concernant l’arrêt interdisant à l’auteur de se livrer à des activités liées à la société Econtract n’avait plus lieu d’être, après que la Cour administrative supérieure eut annulé le deuxième arrêt, le 27 septembre 2005. Dès lors, l’auteur n’a pas la qualité de victime pour ce qui est des griefs susmentionnés.

5.3L’État partie affirme que l’auteur n’a pas étayé les allégations suivantes, aux fins de la recevabilité ou, subsidiairement, sur le fond:

a)Il n’a pas montré que la Cour administrative supérieure n’avait pas les caractéristiques d’un tribunal au sens de l’article 14 du Pacte. La Cour est un organe indépendant qui s’est prononcé non seulement sur les points de droit, mais aussi sur les points de fait;

b)L’auteur n’a pas avancé d’éléments suffisants pour montrer que les membres de la Commission disciplinaire et de la Commission des recours n’étaient pas indépendants ni impartiaux. Ces prescriptions sont prévues par la loi fédérale sur la fonction publique, qui a rang constitutionnel et fixe d’importantes garanties en ce qui concerne la composition (participation de représentants du personnel, désignation des membres pour cinq ans) et les méthodes de travail (attribution des tâches une année à l’avance, confidentialité des débats et des votes) des commissions disciplinaires. Que les membres de ces commissions appartiennent à la même administration que l’intéressé leur permettait de prendre les décisions en connaissance de cause et faisait qu’ils étaient mieux placés que des personnes extérieures pour peser les accusations. La confidentialité des débats et du vote s’appliquait également à l’égard des supérieurs et des collègues, ce qui renforçait encore l’indépendance et l’impartialité des membres;

c)Lorsqu’il a été récusé par l’auteur, P. S. a été immédiatement remplacé par un autre président. Le rapport de connexité entre son poste à la Cour des comptes et l’invention de l’auteur ne justifiait pas de mettre en doute son impartialité car la question dont la Commission disciplinaire était saisie ne concernait pas l’invention de l’auteur proprement dite, mais la compatibilité des activités de l’auteur avec l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale;

d)Comme il ressort du procès-verbal intégral de 1 200 pages, dans le cadre du premier ensemble de procédures disciplinaires, une procédure orale a été tenue pendant vingt‑six jours, avec un nouveau président et en présence de l’auteur, de son avocat et de deux personnes de confiance désignées par lui;

e)Il n’était pas nécessaire de tenir une audience contradictoire lors du deuxième ensemble de procédures disciplinaires car les autorités disciplinaires étaient liées par les faits établis par la cour pénale régionale de Vienne dans son arrêt définitif. On pouvait donc examiner l’affaire à partir du dossier seulement, sans porter atteinte aux principes d’un jugement équitable. La tenue d’une autre audience contradictoire n’aurait fait que ralentir la procédure. Du reste, si, comme l’affirme l’auteur, la Commission des recours en matière disciplinaire et la Cour administrative supérieure n’étaient pas des tribunaux au sens de l’article 14, elles n’avaient alors aucune obligation de tenir une procédure orale;

f)La longueur des procédures, multiples et imbriquées, est due à leur complexité, comme en témoigne l’arrêt de 38 pages par lequel, en date du 29 novembre 2002, la Cour administrative supérieure a rejeté le recours formé par l’auteur contre sa suspension définitive. L’auteur a présenté de nombreux recours contre chaque acte de procédure des autorités disciplinaires. La procédure concernant sa suspension a bien duré du mois de février 1995 au mois de novembre 2002, mais elle a cessé de produire des effets à l’égard de l’auteur à partir du 31 janvier 2001, date à laquelle la Cour administrative supérieure a confirmé sa révocation. La durée totale de la procédure (onze ans) a eu pour conséquence qu’au bout du compte l’auteur a considérablement amélioré ses droits à pension;

g)Il était dans l’intérêt du secret professionnel et conforme au paragraphe 1 de l’article 14 d’exclure le public de la procédure disciplinaire. Le paragraphe 3 de l’article 20 de la Loi constitutionnelle fédérale impose aux fonctionnaires de garder le secret «de tous les faits venus à leur connaissance uniquement dans l’exercice de leurs fonctions». L’exclusion du public visait également à protéger l’auteur d’une publicité gênante quant aux actes socialement contestables qu’il avait pu commettre. En vertu du paragraphe 3 de l’article 124 de la loi fédérale sur la fonction publique, l’auteur avait le droit de désigner trois fonctionnaires au plus pour assister aux débats en qualité de personnes de confiance. Le fait qu’il se soit prévalu de cette possibilité montre qu’il n’avait pas d’objection à ce que la procédure disciplinaire fût menée exclusivement par des fonctionnaires.

5.4L’État partie conclut que le Comité n’est pas une «quatrième instance» et que l’auteur n’a pas montré que les irrégularités ayant selon lui entaché la procédure disciplinaire étaient manifestement arbitraires ou constituaient un déni de justice.

Commentaires de lauteur sur les observations de lÉtat partie

6.1Dans une réponse du 15 décembre 2006, l’auteur a fait valoir que l’État partie méconnaissait le fait que, en ce qui concerne ses allégations sur la longueur excessive de la procédure devant le tribunal administratif, aucune des voies de recours susceptibles d’accélérer la procédure n’était applicable. Pour ce qui est des procédures relatives au premier arrêt pris par le Président de la Cour des comptes, l’auteur a bien déposé un recours en carence. Pour ce qui est du délai de trente et un mois qui s’est écoulé entre le dépôt de la plainte disciplinaire et l’ouverture des poursuites disciplinaires, on ne pouvait raisonnablement attendre de l’auteur qu’il participe activement à la conduite de l’action disciplinaire dirigée contre lui. Rien ne l’obligeait à accélérer une procédure qui revenait à s’incriminer lui-même face à l’inertie de l’autorité «de poursuite».

6.2L’auteur dit que le paragraphe 3 de l’article 124 de la loi fédérale sur la fonction publique autorise la récusation d’un seul membre du collège de la Commission disciplinaire chargée de l’affaire. Bien que formellement il n’ait eu le droit de récuser qu’une seule personne, qui fut P. S., il a également mis en doute l’indépendance et l’impartialité des autres membres de la Commission disciplinaire, comme il ressort de plusieurs transcriptions d’audiences tenues à huis clos par la Commission. Il a donc tout fait pour faire savoir qu’il récusait l’ensemble de la Commission disciplinaire.

6.3L’auteur nie qu’il a accepté l’absence d’une audience publique dans ses observations du 21 juillet 2000 à la Cour constitutionnelle et à la Cour administrative supérieure (voir par. 5.2). Le passage cité par l’État partie ne faisait que reproduire la doctrine dominante en droit interne; il ne saurait être interprété comme un renoncement de l’auteur à son droit d’être entendu publiquement.

6.4En ce qui concerne la recevabilité ratione materiae, l’auteur affirme que le fait que l’État partie tienne à faire une lecture restrictive du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à la lumière de la pratique suivie au titre de la Convention européenne des droits de l’homme, est contraire à l’objet et au but du Pacte et ne tient pas compte de ce que la Cour européenne des droits de l’homme a bien compris le caractère temporaire et imparfait des critères dégagés dans l’affaire Pellegrin, qu’elle considérait comme susceptibles d’évoluer vers une notion de protection plus étendue.

6.5L’auteur fait valoir que la réserve concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’applique pas parce que la Cour européenne des droits de l’homme a seulement examiné les éléments nécessaires pour le qualifier de «fonctionnaire» selon le critère Pellegrin et ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de sa plainte.

6.6Sur le fond, l’auteur affirme que les garanties constitutionnelles selon lesquelles les fonctionnaires subalternes sont indépendants pendant la durée de leur mandat de membre de la Commission disciplinaire sont purement fictives, parce qu’il n’existe pas de véritable «culture de l’indépendance». La nomination pour cinq ans des membres de la Commission disciplinaire ne permet pas d’assurer les garanties judiciaires qui existent pour les juges puisque les membres de la Commission continuent de relever entièrement de l’administration qui a engagé les poursuites disciplinaires, qu’ils réintègrent dès la fin de leur mandat. La participation de représentants du personnel à la Commission disciplinaire ne garantit pas que la Commission dans son ensemble réponde aux exigences minimales en matière d’indépendance, puisque leur statut ne leur confère aucune garantie supplémentaire d’indépendance. Le fait que les membres des commissions disciplinaires délibèrent à huis clos n’a rien à voir avec leur indépendance et leur impartialité.

6.7L’auteur se plaint de ce que l’État partie joue sur les mots lorsqu’il considère que son allégation de partialité de la part du Président, P. S., ne concerne que le premier «ensemble» de procédures disciplinaires, qui a été finalement suspendu, mais ne concerne pas le deuxième «ensemble» de procédures. Il n’y a eu qu’un seul ensemble de procédures disciplinaires, au cours duquel une nouvelle accusation a été introduite, et qui s’est donc déroulé en deux phases ou parties. L’auteur a récusé le Président aux deux phases de la procédure interne et son grief au titre du paragraphe 1 de l’article 14 concerne le manque d’indépendance et d’impartialité du Président et de la Commission au cours de ces deux phases.

6.8L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel il n’était pas nécessaire de tenir une audience contradictoire parce que les autorités disciplinaires étaient liées par les faits établis par la juridiction pénale. Le point de droit tenant à sa condamnation pénale, c’est-à-dire concernant le fait de savoir si l’auteur avait par négligence provoqué l’insolvabilité de sa société, était différent de la question soulevée dans la procédure disciplinaire, qui était de savoir si l’auteur avait dirigé une société en infraction à l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale. L’article 126 n’empêche pas le personnel de la Cour des comptes d’occuper des postes de direction dans des entreprises privées travaillant dans des domaines qui n’ont aucun lien avec ses attributions de vérificateur aux comptes. Que la juridiction pénale ait seulement constaté que l’auteur dirigeait «une» société ne suffit donc pas à déterminer s’il dirigeait une société au sens de l’article 126. Le fait que seuls des débats sur la forme aient eu lieu pendant la première partie de la procédure disciplinaire, et qu’aucune délibération n’ait été tenue pendant la deuxième partie de cette procédure, a empêché d’évaluer la gravité de l’infraction, le niveau de sanction requis et le degré de culpabilité, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 93 de la loi fédérale sur la fonction publique. De même, l’absence de procédure orale a privé l’auteur de la possibilité de faire valoir des circonstances atténuantes, conformément au paragraphe 2 de l’article 32 du Code pénal. Même en admettant que la Commission disciplinaire était tenue par les faits établis par la juridiction pénale, la détermination de la culpabilité et d’une sanction adéquate continuait de relever de sa compétence, ce qui exigeait que l’auteur soit entendu.

6.9En ce qui concerne la longueur de la procédure, l’auteur fait valoir que l’affaire n’était pas particulièrement complexe et n’exigeait pas d’investigations approfondies car elle portait seulement sur le point de savoir si promouvoir son invention en étant propriétaire et directeur présumé d’une société était incompatible avec son poste de fonctionnaire à la Cour des comptes. Certes l’affaire était complexe et emmêlée mais il appartenait à l’État partie de la régler en veillant à ce que ses organes judiciaires et administratifs travaillent avec diligence et efficacité. L’auteur s’est simplement défendu contre les accusations de manquement aux règles en usant des procédures en vigueur et a exercé son droit de faire appel des décisions qui lui étaient défavorables.

6.10L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme qu’il aurait tiré avantage de la longueur de la procédure en ce qui concerne ses droits à une pension de retraite. Outre qu’il a vécu dans l’angoisse pendant onze ans à cause de l’incertitude sur sa situation professionnelle, il a perdu tout droit à une pension de retraite du fait de sa révocation de la fonction publique.

6.11En ce qui concerne le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, l’auteur fait valoir que le public ne peut ipso facto être exclu de tous les procès disciplinaires contre tous les fonctionnaires en vertu d’une interdiction générale de publicité dans «l’intérêt du secret professionnel». Que l’exclusion du public ait été ou non contraire à ses intérêts n’est pas pertinent, vu que la publicité est un droit absolu qu’un défendeur n’a pas besoin de revendiquer en invoquant des «intérêts» particuliers. Au contraire, la publicité doit être assurée à moins qu’il puisse être prouvé que le huis clos est justifié au regard du paragraphe 1 de l’article 14. L’État partie n’a apporté aucune justification en l’espèce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2En ce qui concerne l’objection ratione materiae soulevée par l’État partie, le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est fondée sur la nature du droit en cause et non sur le statut de l’une des parties. L’imposition de mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ne constitue pas nécessairement en soi une décision concernant les droits et obligations de caractère civil et ne constitue pas non plus, sauf dans le cas de sanctions qui, indépendamment de leurs qualifications en droit interne, ont un caractère pénal, une décision sur le bien-fondé d’une accusation pénale au sens de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Dans l’affaire Pertererc. Autriche, qui concernait également la révocation d’un fonctionnaire par une commission disciplinaire, tout en observant que la décision relative à la révocation disciplinaire ne doit pas obligatoirement être rendue par un tribunal, le Comité a considéré que, dès lors qu’un organe judiciaire est chargé de se prononcer sur l’application de mesures disciplinaires, il doit respecter le droit à l’égalité de tous devant les cours et les tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ainsi que les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité des moyens implicites dans cette disposition. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur lui-même a fait valoir que ni la Commission des recours en matière disciplinaire ni la Cour administrative supérieure ne pouvaient être considérées et n’ont agi comme des tribunaux au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Toutefois, le Comité ne voit pas dans la déclaration de l’auteur un déni général du caractère judiciaire de la Commission des recours en matière disciplinaire et de la Cour administrative supérieure, mais considère qu’il affirme qu’aucun de ces organes ne satisfaisait en l’espèce aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 14. En outre, le Comité note que l’État partie lui-même a souligné que la Cour administrative supérieure était un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable ratione materiae pour ce qui est des griefs de violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte avancés par l’auteur.

7.3L’État partie invoque la réserve qu’il a formulée sur le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il appartient au Comité d’examiner si «la même question» a déjà été «examinée» par la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle «la même question» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 doit s’entendre comme concernant le même auteur, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. En ce qui concerne la longueur de la procédure, l’auteur peut seulement invoquer les retards survenus avant le 4 mars 2002, date de l’introduction de sa dernière requête (no 13874/02) à la Cour européenne des droits de l’homme. Tous les retards après cette date ne sont donc pas ab  initio couverts par la réserve de l’État partie. Pour autant que les griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 14 portent sur des faits datant d’avant le 4 mars 2002, il faut déterminer si la présente communication concerne les mêmes droits substantiels que les requêtes que l’auteur a présentées devant la Cour européenne. Dans ses décisions du 26 février et du 14 juin 2002, la Cour européenne a déclaré que les requêtes de l’auteur en date du 13 mars 2001 (no 73230/01) et du 4 mars 2002 (no 13874/02) étaient incompatibles ratione materiae avec l’article 6 de la Convention européenne. Le Comité note que, malgré une forte convergence entre l’article 6 de la Convention et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le champ d’application de ces deux articles, tel qu’il a été défini par la jurisprudence de la Cour et du Comité, diffère en ce qui concerne les procédures devant les organes judiciaires chargés de se prononcer sur l’application de mesures disciplinaires. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle si les droits invoqués devant la Cour européenne des droits de l’homme diffèrent sur le fond des droits consacrés dans le Pacte, une affaire qui a été déclarée irrecevable ratione materiae par la Cour européenne n’a pas, au sens des réserves respectives émises au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, été «examinée» d’une façon qui empêche le Comité de l’examiner à son tour. Il s’ensuit que la réserve émise par l’Autriche n’empêche pas le Comité d’examiner le grief présenté par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14.

7.4En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que l’absence d’audience contradictoire dans le premier ensemble de procédures concernant sa suspension et sa révocation a violé le droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note que, d’après l’auteur, seules des audiences «formelles» ont été tenues pendant le premier ensemble de procédures et que, durant le deuxième ensemble de procédures, les autorités disciplinaires n’étaient pas liées par les faits établis par la tribunal pénal régional de Vienne car les questions de droit soulevées étaient différentes dans la procédure pénale et les procédures disciplinaires. En tout état de cause, l’auteur avait la possibilité d’y faire valoir des circonstances atténuantes et sa position en ce qui concerne sa culpabilité et la sanction encourue. Le Comité prend note de la référence de l’État partie à la procédure orale de vingt-six jours qui s’est déroulée en présence de l’auteur et de son avocat pendant le premier ensemble de procédures et de son avis quant au caractère contraignant du verdict de la juridiction pénale. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve, ou l’application faite de la législation nationale, dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation a été manifestement arbitraire ou avait représenté une erreur manifeste ou un déni de justice. L’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que les décisions de la Cour administrative supérieure du 31 janvier 2001, du 29 novembre 2002 et des 27 février et 27 mars 2003 étaient entachées de telles irrégularités. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que l’absence d’audience contradictoire dans la procédure de recours contre le deuxième arrêt du Président de la Cour des comptes constitue également une violation de son droit à un procès équitable en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle que la Cour administrative supérieure a annulé cet arrêt le 27 septembre 2005. Ce grief est donc privé d’objet, et cette partie de la communication est irrecevable ratione personae en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne le huis clos des audiences de la Commission disciplinaire et de la Commission des recours en matière disciplinaire le Comité note que l’auteur, tout en faisant valoir son droit à une procédure orale, n’allègue pas de violations du droit à ce que sa cause soit entendue publiquement dans les observations qu’il a présentées à la Cour administrative supérieure le 6 février 1995 (nouveau recours contre la mesure de suspension), le 21 juillet 2000 (nouveau recours contre la mesure de révocation), le 18 octobre 2000 (recours contre le deuxième arrêt du Président de la Cour des comptes), le 31 octobre 2000 (demande d’une audience contradictoire dans la procédure concernant le deuxième arrêt) et le 31 décembre 2002 (demande de réouverture des procédures de révocation et de suspension devant la Cour administrative supérieure). Il n’a pas non plus allégué de telles violations devant la Cour constitutionnelle. Dans le recours qu’il a déposé le 21 juillet 2000, l’auteur, tout en faisant valoir que l’article 6 de la Convention européenne établit le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue publiquement, a déclaré que limiter la présence du public à l’audience à trois fonctionnaires jouant le rôle de personnes de confiance de l’inculpé satisfaisait encore aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne. S’il est possible que cette déclaration reflète la doctrine dominante en droit autrichien, sans constituer un renoncement de l’auteur à son droit à être entendu en audience publique, il est également vrai que cette déclaration ne peut pas être interprétée comme contestant l’absence d’audience publique. Par conséquent, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne l’absence alléguée d’audience publique. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.7En ce qui concerne le grief concernant le Président du troisième collège de la Commission disciplinaire, P. S., qui n’a pas été remplacé avant la fin du premier ensemble de procédures disciplinaires, alors qu’il avait d’emblée été récusé, le Comité prend acte de plusieurs documents qui semblent prouver le contraire. Ainsi, dans un mémorandum daté du 3 juin 1997, signé par P. S. et son successeur en tant que Président du troisième collège de la Commission disciplinaire, H. A., il est dit que l’auteur a récusé P. S. par une lettre du 30 mai 1997, dans le délai prescrit; conformément à la répartition des affaires au sein de la Commission disciplinaire de la Cour des comptes, le Président du premier collège, H. A., devait remplacer le Président du troisième collège, P. S. Dans une note datée du 3 juin 1997, H. A. confirme qu’il a pris contact avec l’auteur et son avocat pour leur indiquer que, vu qu’il devait remplacer l’ancien Président P. S., l’audience prévue pour le 12 juin 1997 devait être reportée. Le troisième collège de la Commission disciplinaire s’est réuni le 12 juin 1997 pour examiner des questions de procédure. Le procès-verbal de cette réunion montre que H. A. exerçait la fonction de président. De même, le procès-verbal de l’audience contradictoire tenue le 20 octobre 1997 montre que H. A. présidait l’audience. Le Comité relève également qu’il n’est pas contesté que, dans le deuxième ensemble de procédures, P. S. a été remplacé après sa récusation par l’auteur le 26 août 1999. Par conséquent, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi la partialité supposée de P. S. aurait compromis son droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, et conclut que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8En ce qui concerne l’allégation relative au manque d’indépendance et d’impartialité d’autres membres du troisième collège de la Commission disciplinaire, le Comité prend note des arguments formulés par l’auteur, qui fait valoir que le paragraphe 3 de l’article 124 de la loi fédérale sur la fonction publique l’autorisait à récuser un seul membre du collège, qu’il s’est efforcé de faire connaître sa récusation aux autres membres et qu’il aurait été vain de contester la constitutionalité du paragraphe 2 de l’article 98 de la loi fédérale sur la fonction publique. Il prend note également de l’argument de l’État partie qui affirme que les décisions de la Cour constitutionnelle invoquées par l’auteur pour affirmer que sa requête n’avait aucune chance d’aboutir ne sont pas pertinentes, étant donné qu’elles remontent à l’année 1956 et ne portent pas sur la question de savoir si des fonctionnaires appartenant à la même administration que l’inculpé peuvent être considérés comme des membres indépendants et impartiaux de la Commission. À cet sujet, le Comité rappelle que, outre les recours judiciaires et administratifs ordinaires, les auteurs doivent aussi faire usage de tous les autres recours judiciaires, y compris les plaintes constitutionnelles, pour satisfaire à la prescription de l’épuisement des recours internes. Il considère que l’auteur n’a pas démontré que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’il invoque aurait ab initio empêché toute chance de succès d’une plainte contestant la constitutionalité du paragraphe 2 de l’article 98 et d’autres dispositions pertinentes de la loi fédérale sur la fonction publique. Par conséquent, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes lui permettant de contester l’indépendance et l’impartialité de la Commission disciplinaire elle-même. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.9En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui fait valoir que le fait qu’il n’ait eu aucune possibilité de faire examiner sa cause par les tribunaux ordinaires en raison de son statut de fonctionnaire constitue une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que dans de nombreuses juridictions de droit civil, les fonctionnaires ne sont pas admis à faire examiner leur cause par les tribunaux ordinaires et doivent saisir d’autres organes judiciaires de recours. Cela ne saurait être considéré comme l’application injustifiée d’un traitement différent, et le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé cette allégation aux fins de la recevabilité. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le délai écoulé entre le dépôt de la plainte disciplinaire (10 octobre 1994) et la décision de la Commission disciplinaire (prise le 20 mai 1997) de fixer la première audience disciplinaire était contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note de l’argument avancé par l’État partie qui objecte que l’auteur aurait dû porter plainte sur le fondement de l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale quant au fait que la Commission disciplinaire n’avait pas fixé la date d’une telle audience. Il prend note également de la réponse de l’auteur dans laquelle celui-ci indique qu’il n’était pas tenu de participer activement à l’ouverture d’une procédure disciplinaire dirigée contre lui. Toutefois, le Comité rappelle que la procédure disciplinaire contre l’auteur a été engagée le 11 novembre 1994. À partir de cette date, l’auteur aurait pu former un recours en carence devant la Cour administrative supérieure sans participer activement à l’ouverture de la procédure disciplinaire contre lui. Si l’auteur veut dire que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il accélère sa propre «incrimination» en introduisant un recours en carence, le Comité considère pour sa part que cela ne suffit pas à l’exonérer de l’obligation relative à l’épuisement de tous les recours disponibles, étant donné que la procédure disciplinaire avait déjà été engagée et que l’adoption de la décision sur la tenue devant le Comité d’une première audience était une formalité. Pour invoquer à présent des lenteurs de procédure, l’auteur aurait dû commencer par donner aux juridictions de l’État partie la possibilité de réparer la violation alléguée. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.11Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui fait valoir que la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure concernant le deuxième arrêt du Président de la Cour des comptes était excessive, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité observe que cette procédure avait cessé de produire tout effet à son égard à partir du 31 janvier 2001, date à laquelle la Cour administrative supérieure a confirmé sa révocation. De même, les décisions définitives rendues par la Cour administrative supérieure le 31 janvier 2001 et le 29 novembre 2002, qui confirmaient sa révocation et sa suspension sur le fondement de l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale, ont dissipé toute incertitude juridique quant à la compatibilité des activités commerciales privées de l’auteur avec sa fonction de membre de la Cour des comptes. Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la longueur de la procédure d’annulation du deuxième arrêt devant la Cour administrative supérieure, qui a abouti le 27 septembre 2005, avait eu sur sa situation juridique des effets préjudiciables constituant une violation du paragraphe 1 de l’article 14. Par conséquent, ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.12En ce qui concerne les lenteurs de la procédure devant la Cour administrative supérieure relative à la suspension de l’auteur et à sa demande de levée de cette suspension, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui objecte que cette procédure a cessé de produire des effets à l’égard de l’auteur à partir du 31 janvier 2001, date à laquelle sa révocation est devenue définitive. Il considère néanmoins que, même si l’on ne tient pas compte de la durée de la procédure après cette date, l’auteur a suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que sa durée était excessive. Il rappelle également que l’auteur a fait valoir qu’aucun recours ne lui était ouvert pour contester l’inaction de la Cour administrative supérieure. Cela semble correct, étant donné que l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale invoqué par l’État partie ne s’applique pas à la Cour administrative supérieure. Le Comité conclut que la communication est recevable en ce qui concerne le grief qui affirme que la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure concernant sa suspension et sa demande de levée de sa suspension ainsi que la durée totale de la procédure soulèvent des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14.

Examen au fond

8.1Le Comité rappelle que le droit à un procès équitable reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte comporte un certain nombre de conditions, notamment la condition que la procédure devant les tribunaux internes soit conduite avec célérité. Cette garantie s’applique à tous les stades de la procédure, et inclut le temps écoulé jusqu’à la décision définitive en appel. Afin de déterminer si une durée est excessive, il convient de l’évaluer à la lumière des circonstances propres à chaque affaire, en tenant compte notamment de la complexité de l’affaire, du comportement des parties, de la manière dont l’affaire a été traitée par les autorités administratives et judiciaires, et éventuellement des effets préjudiciables que les lenteurs de la procédure auraient pu avoir sur la situation juridique du plaignant.

8.2Pour déterminer le caractère excessif ou non du délai écoulé entre le 6 février 1995, date à laquelle l’auteur a fait appel de sa mesure de suspension devant la Cour administrative supérieure, et le 29 novembre 2002, date à laquelle cette juridiction a confirmé la suspension, le Comité prend en considération l’argument, qui n’a pas été contesté, avancé par l’auteur selon lequel la Cour administrative supérieure n’a pris strictement aucune mesure de procédure pendant toute la période en question, durant laquelle son traitement était réduit d’un tiers. Même en supposant que la minutie du jugement de la Cour administrative supérieure du 29 novembre 2002 illustre la complexité de l’affaire, le Comité ne considère pas que cette circonstance justifie que la décision ait été prise au bout de plus de sept ans et demi, délai pendant lequel, jusqu’à la date de sa révocation le 31 janvier 2001, l’auteur a subi une réduction de salaire et s’est trouvé placé dans une situation d’incertitude juridique au plan professionnel. Le Comité conclut que la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure relative à la suspension de l’auteur était excessive et contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.3Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’a pas à examiner si la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure relativement à la demande de levée de la mesure de suspension présentée par l’auteur, ainsi que la longueur totale de la procédure, font apparaître des violations du paragraphe 1 de l’article 14.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M me  Ruth Wedgwood

Opinion dissidente de Ruth Wedgwood dans l’affaire Lederbauer c. Autriche (communication n o 1454/2006)

1.1Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été le résultat des travaux des États parties mais également de plusieurs personnalités éminentes, au nombre desquelles Mme Eleanor Roosevelt, veuve du Président de la période de guerre, célébrée en tant que réformatrice sociale. Son idéal consistait à soutenir la démocratie et les droits civils mais elle avait également le sens pratique de ce qui pouvait être accompli au plan international dans la promotion des droits de l’homme.

1.2Dans la lecture qu’il propose de l’article 14 du Pacte, le Comité des droits de l’homme ne devrait pas ignorer les mises en garde de Mme Roosevelt. Du reste, sur le plan du droit, les propos de Mme Roosevelt constituent un élément essentiel de l’histoire de la négociation de l’instrument et ont une valeur juridique. À une époque où les organes administratifs commençaient déjà à assumer des fonctions étendues de gouvernement, Eleanor Roosevelt a recommandé de veiller à ce que le Pacte et le Comité qui serait chargé de surveiller son application ne soient pas utilisés pour exercer un contrôle sur chaque organe de réglementation et chaque décision administrative. L’article 14 a été rédigé par elle dans ce sens; le Comité ne peut pas ne pas tenir compte de l’histoire de cette négociation sans mettre en péril sa vocation plus large qui est de s’occuper des violations graves.

1.3Dans l’affaire à l’examen, un fonctionnaire autrichien du nom de Wolfgang Lederbauer a adressé au Comité des droits de l’homme une communication pour se plaindre de la procédure à l’issue de laquelle il avait été suspendu et démis de ses fonctions à la Cour des comptes de son pays. La suspension était motivée par le conflit d’intérêts assez évident entre ses fonctions publiques de vérificateur aux comptes au sein de l’autorité qui contrôlait l’administration nationale des chemins de fer et ses activités économiques privées consistant à vouloir vendre un procédé particulier d’isolation sonore pour les autoroutes et les chemins de fer. Malgré ses fonctions publiques de vérificateur aux comptes, M. Lederbauer est allé jusqu’à pressentir un dirigeant parlementaire pour qu’il fasse la promotion de son produit plutôt que d’autres systèmes d’isolation pour les autoroutes. Il a entrepris cette démarche alors que l’article 126 de la Loi constitutionnelle autrichienne interdit expressément aux membres de la Cour des comptes de «participer à la direction d’entreprises à but lucratif».

1.4M. Lederbauer a été suspendu de ses fonctions de vérificateur aux comptes pour cette infraction à l’article 126. Il a ensuite été condamné par un tribunal pénal autrichien qui l’a déclaré «responsable de l’insolvabilité d’une société par négligence» et a été condamné à un emprisonnement de cinq mois avec sursis. L’appel qu’il avait formé contre la décision du tribunal pénal ayant été rejeté, la Commission disciplinaire de la fonction publique autrichienne l’a officiellement révoqué en faisant valoir qu’elle «était obligée de se conformer aux conclusions juridiquement contraignantes de la juridiction pénale quant aux faits».

1.5M. Lederbauer s’est depuis adressé au Comité des droits de l’homme pour se plaindre d’une multitude de questions de procédure relatives à sa suspension et à sa révocation. Le Comité a élaboré une constatation compliquée de 22 pages qui passe en revue tous les coups et les parades de ce litige avec la fonction publique autrichienne, en se fondant sur des motifs de pure procédure.

1.6Le Comité rejette tous les griefs de l’auteur sauf: il constate qu’il s’est écoulé un temps excessif avant que les cinq recours formés par l’auteur devant la Cour administrative supérieure aient été tranchés. L’auteur a fait appel de la décision de le suspendre de ses fonctions le 6 février 1995 et la décision finale de la Cour administrative supérieure n’a été rendue que le 29 novembre 2002. La décision de suspension est évidemment devenue sans objet quand l’auteur a été formellement révoqué et sa révocation a été confirmée par la Cour administrative supérieure, le 31 janvier 2001. Le Comité conclut que cette durée était «déraisonnable» et que l’auteur doit bénéficier d’un recours utile «sous la forme d’une indemnisation appropriée». Voir les constatations du Comité, paragraphes 8.1, 8.2 et 10.

1.7Certes, la Cour administrative supérieure a laissé l’affaire en souffrance pendant longtemps mais affirmer qu’il y a un retard susceptible d’engager la responsabilité de l’administration est une conclusion contestable dans un contexte où l’auteur n’a cessé de faire des démarches visant de toute évidence à empêcher l’application de toute décision prise concernant sa suspension et sa révocation et à obtenir qu’elle soit revue. À différents moments, l’auteur a déposé cinq recours distincts auprès de la Cour administrative supérieure, trois recours auprès de la Cour constitutionnelle et cinq recours auprès de la Commission des recours en matière disciplinaire. Tous ces recours s’ajoutaient à plusieurs actions engagées devant la Commission disciplinaire de la fonction publique. S’il faut conclure quelque chose, c’est peut‑être que tout le temps consacré aux procédures et la confusion due à leur enchevêtrement montrent les risques qu’il y a à permettre de présenter un recours interlocutoire pour chaque décision intérimaire. Avant de s’adresser au Comité des droits de l’homme, l’auteur et son conseil ont également déposé quatre requêtes distinctes à la Cour européenne des droits de l’homme qui les a rejetées l’une après l’autre parce qu’elles n’entraient pas dans le champ d’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

1.8Pendant le laps de temps précis qui constituerait une violation du Pacte, correspondant à la procédure d’appel devant la Cour administrative supérieure, entre le 6 février 1995 et le 29 novembre 2002, ou plus exactement le 31 janvier 2001, il est également à noter qu’une partie du temps a été consacrée à la procédure pénale engagée contre M. Lederbauer. Il est légitime qu’une cour d’appel veuille attendre l’achèvement d’une procédure pénale avant d’agir sur l’affaire civile.

1.9Pour se prononcer sur cette durée, il faut aussi tenir compte d’un autre aspect. Malgré une façon d’agir dynamique, voire téméraire, M. Lederbauer et son conseil n’ont jamais demandé que la Cour administrative supérieure accélère la procédure ni même adressé une lettre pour s’enquérir de l’état de l’affaire. L’État partie a informé le Comité que l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale aurait pu servir de fondement pour exiger de la Cour administrative supérieure qu’elle accélère sa décision. Le Comité balaie cet argument de l’État partie sans se référer à un texte du droit administratif autrichien. Mais, indépendamment de l’applicabilité de l’article 132, il n’y a aucun motif convaincant pour conclure qu’il y a eu un retard «excessif» au sens du Pacte, alors que ni l’auteur ni son conseil n’ont jamais pris la plume pour écrire au greffe de la Cour administrative supérieure et demander qu’une décision soit rapidement prise. Il est légitime de demander aux plaignants, en particulier dans la situation confuse créée par leurs nombreuses actions, de faire quelque chose pour contribuer à démêler l’écheveau.

2.Cela dit, la communication soulève un ensemble de questions beaucoup plus importantes auxquelles le Comité des droits de l’homme doit réfléchir posément, si ce n’est dans la présente affaire en tout cas à une autre occasion. Il s’agit notamment de la portée du Pacte telle que les rédacteurs l’avaient envisagée, et de son application problématique aux autorités administratives et aux procédures administratives quand une affaire n’a pas été portée devant un tribunal. Il y a de plus la question incontournable de l’affectation des ressources matérielles limitées du Comité, face à des situations graves de violation des droits de l’homme dans le monde. Il est douteux que les rédacteurs du Pacte aient voulu que le Comité siège pour examiner les milliers voire les centaines de milliers de décisions administratives courantes prises chaque année dans le monde, surtout sachant que les heures de réunion du Comité lui permettent d’examiner peut‑être une centaine de communications par an. Le Comité ne s’est pas encore interrogé sur la façon dont il pourrait adapter ses méthodes de travail afin de pouvoir traiter une avalanche d’affaires relevant du droit administratif, sans détourner des ressources extrêmement limitées de son travail le plus important. Au minimum, il serait nécessaire de concevoir un moyen de se prononcer sur les communications d’une façon qui tienne compte de l’importance relative de la question en jeu. Le Comité n’a pas encore été saisi d’une pléthore de plaintes relevant du droit administratif mais, dans des affaires isolées, il s’est engagé sur un chemin qui risque de conduire à ce résultat, peut‑être sans tenir pleinement compte des problèmes inhérents à sa jurisprudence et même des difficultés qui tiennent au texte du Pacte et qui ressortent aussi de l’histoire de sa négociation.

3.1Comme point de départ, il faut revenir au texte du Pacte. Le libellé du Pacte diffère selon la version de l’instrument et chaque texte fait également foi, ce qui pose un problème particulier. Les variations dénotent non seulement les problèmes de traduction mais les différences dans la façon dont les systèmes juridiques conçoivent les droits civils et privés. Dans le texte anglais du Pacte, la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 est ainsi conçue: «All persons shall be equal before the courts and tribunals». La deuxième phrase indique «In the détermination of any criminal charge against him, or of hisrightsand obligations in a suit atlaw,everyone shall be entitled to a fair and public hearing by a competent, independent and impartial tribunal established by law» (non souligné dans le texte) (en français: «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.»). Il y a une différence évidente et importante entre les dispositions du texte appliquées dans l’article 14 aux accusations en matière pénale et aux suits at law. Ce n’est qu’en ce qui concerne les premières que le texte régit explicitement la question du droit à être jugé sans retard. Le paragraphe 3 c) de l’article 14 garantit directement le droit de toute personne accusée d’une infraction pénale «à être jugée sans retard excessif». Déduire qu’une règle analogue s’applique dans les affaires civiles impose d’établir que l’idée de procès «équitable» ou de tribunal «compétent» comporte implicitement des limites temporelles. Cette différence dans le texte peut avoir des conséquences, certainement pour ce qui est de l’ampleur du retard qui doit être accumulé pour que la question relève de l’article 14.

3.2Il faut également poser la question de savoir ce qui constitue une «suit at law». Cette expression n’apparaît pas dans le texte français qui parle de «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil». Le texte français comme le texte espagnol semblent s’articuler plus directement autour de la nature du droit plutôt que de l’organe qui se prononce; toutefois, il ne faut pas oublier que les formes d’action dans la common law anglaise ne sont pas variables à l’infini. Il faut relever que l’expression «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil» a également été retenue dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’homme a statué dans la célèbre affaire Pellegrinc. France que l’expression «caractère civil» ne visait pas les questions de droit du travail relativement aux agents de la fonction publique, qui détiennent une partie de la souveraineté de l’État, comme la police par exemple. Voir Pellegrinc. France, Cour européenne des droits de l’homme, 8 décembre 1999, Recueil 1999‑VIII, no 28541/95.

3.3Si le Comité des droits de l’homme n’a pas fait référence à l’affaire Pellegrindans ses décisions récentes, il faut relever que la décision majeure rendue le 8 avril 1986 dans l’affaire Y. L. c. Canada (communication no 112/1981) a suivi une ligne identique. Dans cette affaire, il a donné à entendre que l’application du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dans des affaires non pénales dépendrait soit de la nature du droit soit de l’organe particulier saisi. On peut dire que la portée du paragraphe 1 de l’article 14 dans des affaires autres que pénales était limitée aux questions de droit civil − à l’exclusion du droit public − et aux questions soumises devant une «cour de justice» ou un «tribunal». Le Comité reprend souvent les questions qui ont été posées dans l’affaire Y. L. c. Canada, mais de façon plus succincte, notant que c’est la nature du droit en question et non le statut de l’une des parties qui importe. Mais il est bon de se souvenir que la nature du droit n’a pas été considérée comme une question futile dans la formulation originale. Au contraire, selon le texte de la décision Y. L. c. Canada, il peut y avoir des décisions du Gouvernement qui ne sont pas susceptibles d’examen au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en raison de la portée limitée de cet article.

4.1Pour ce qui est des questions de droit administratif qui ne seraient pas susceptibles d’être examinées par le Comité des droits de l’homme, l’histoire de la négociation de l’article 14 est particulièrement éclairante. Le texte initialement proposé à la Commission des droits de l’homme en 1947, dans un projet établi par le Secrétariat, aurait garanti aux individus, dans des affaires non pénales, l’accès «à des tribunaux indépendants et impartiaux qui diront quels sont [leurs] droits et [leurs] devoirs au regard de la loi» et un droit «de consulter un conseil et d’être représentés par lui». Voir E/CN.4/21, annexe A (projet du Secrétariat), article 27.

4.2La représentante des États‑Unis avait dans un premier temps fait une proposition analogue − tendant à garantir que «tout individu a droit à ce qu’un tribunal compétent et impartial statue sans délais indus sur tous droits ou obligations de caractère civil; chacun a la faculté de se faire entendre dans des conditions équitables par un tribunal, ainsi que de consulter un conseil et d’être représenté par lui». Voir E/CN.4/21, annexe C, article 10, et E/CN.4/AC.1/8 (correspondant à l’article 27 du texte établi par le Secrétariat).

4.3À sa deuxième session, le groupe de rédaction de la Commission des droits de l’homme a examiné un troisième texte, qui prévoyait un droit d’accès à un tribunal pour obtenir le règlement de questions de droit civil. Le texte était le suivant: «En ce qui concerne la détermination de ses droits et obligations, tout individu a le droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial et d’être assisté d’un défenseur.». Voir E/CN.4/37 (États-Unis), article 10.

4.4Toutefois, le 1er juin 1949, la représentante des États-Unis, MmeEleanor Roosevelt, a mis en garde contre le danger de donner une portée trop étendue au droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial, si la garantie s’appliquait à tous «les droits et obligations». Eleanor Roosevelt a remanié le texte de façon qu’il vise seulement les «civil suits», et non les «droits et obligations». Voir E/CN.4/253. Elle a expliqué la raison de ce changement en termes très clairs:

«La raison en est que beaucoup de droits et d’obligations civils comme, par exemple, ceux qui se rapportent au service militaire et aux impositions, sont généralement déterminés par des fonctionnaires de l’administration plutôt que par des tribunaux; d’autre part, le texte initial semble suggérer que tous les droits et toutes les obligations de ce genre doivent nécessairement être déterminés par un tribunal indépendant et impartial. L’amendement des États-Unis préviendrait une telle interprétation.». (E/CN.4/SR.107, p. 3).

La modification de Mme Roosevelt visait apparemment à préserver le rôle des procédures administratives dans lesquelles l’autorité compétente pourrait appartenir au pouvoir exécutif et ne pas satisfaire aux conditions strictes d’indépendance et d’impartialité.

4.5Le représentant de la France, l’éminent homme d’État René Cassin, a répondu en proposant de supprimer le mot «civils» dans le membre de phrase «droits et obligations civils» − (en faisant valoir que la portée de la garantie serait élargie) étant donné que le mot «civils» n’englobait pas «les questions d’ordre fiscal, administratif et militaire, pour lesquelles il est possible, en dernier ressort, d’exercer un recours en justice» (E/CN.4/SR.107, p. 6).

4.6Le représentant de l’Égypte, M. Omar Loutfi, a considéré que le mot «civils» avait «un sens étroit qui exclut les affaires ayant trait, par exemple, aux impôts ou au service militaire» (E/CN.4/SR.107, p. 8). M. KarimAzkoul, représentant du Liban, était du même avis (voir E/CN.4/SR.107, p. 8 et 9).

4.7Ultérieurement, le 2 juin 1949, le représentant du Danemark, M. Max Sorensen, a déclaré craindre que la proposition tendant à donner à toute personne le droit à ce que le tribunal décide de ses droits et obligations n’ait «une portée beaucoup trop vaste; elle tendait à soumettre à une décision judiciaire toute mesure prise par des organes administratifs qui exercent un pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré par la loi. Il reconnaissait qu’il conviendrait d’assurer la protection de l’individu contre tout abus de pouvoir de la part des organes administratifs, mais la question était extrêmement délicate et il était douteux que la Commission soit en mesure de la résoudre maintenant» (voir E/CN.4/SR.109, p. 3 et 4).

4.8Le représentant du Guatemala, M. Carlos García Bauer, s’était fait l’écho de l’inquiétude exprimée par la France, l’Égypte et le Liban, qui craignaient que «l’action civile ne s’étende pas à tous les cas envisagés, aux questions commerciales et de travail par exemple» (voir E/CN.4/SR.109, p. 7).

4.9Mme Roosevelt, revenue dans le débat, ne s’est pas opposée à la suppression de l’adjectif «civils». Apparemment en réponse à l’objection selon laquelle toutes les actions administratives seraient automatiquement régies par les dispositions restrictives du Pacte, ou que le pouvoir discrétionnaire de l’administration serait perdu, elle a proposé d’introduire les mots «dans une action en justice» («in a suit atlaw») afin de mettre en évidence «le fait que le recours à un tribunal a un caractère judiciaire» (voir E/CN.4/SR.109, p. 8). Autrement dit, c’était le recours à un tribunal et non pas la matière qui faisait l’objet du recours, qui constituait une «a suit atlaw». L’application du Pacte était limitée aux affaires dans lesquelles un droit ou une obligation était jugé ou réexaminé par une cour de justice ou un tribunal.

4.10Enfin, le 2 juin 1949, le représentant de la France, René Cassin, a proposé une modification qui partait de la rédaction de Mme Roosevelt:

«Le représentant du Danemark l’a convaincu qu’il est très difficile de régler, dans cet article, toutes les questions de l’exercice de la justice dans les rapports entre les particuliers et les gouvernements. Il est disposé, par conséquent, à accepter que l’expression “soit de ses droits et obligations”, dans la première phrase de l’amendement de la France et de l’Égypte, soit remplacée par “soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil”.» (voir E/CN.4/SR.109, p. 9).

4.11Ainsi l’adjectif «civil» a été abandonné dans la version anglaise et la portée du paragraphe 1 de l’article 14 pour les questions administratives a, semble‑t‑il, été limitée au dernier stade du recours à une juridiction. Cette idée a été incorporée dans le texte proposé et approuvé le 2 juin 1949 (voir E/CN.4/286 et E/CN.4/SR.110, p. 5).

4.12Le représentant de la Yougoslavie, M. Jeremovic, a ensuite réaffirmé l’idée qu’il ne fallait pas donner à entendre que toutes les affaires civiles devaient être jugées par un tribunal indépendant. Des questions telles que «des infractions aux règlements régissant le trafic routier» étaient «habituellement considérées comme étant du ressort des organes de la police ou d’organes semblables et traitées par voie administrative» (voir E/CN.4/SR.155, partie II, p. 6 et 7). Une proposition soumise ensuite par les Philippines tendant à supprimer l’expression «suit at law» («de caractère civil») avait été rejetée par 11 voix contre 1, avec une abstention (voir E/CN.4/SR.155, partie II, p. 11).

4.13Cette étude préliminaire d’une histoire de négociation complexe est présentée dans l’idée que le Comité, quand il interprète l’article 14, devrait se référer non seulement à sa propre opinion de la pratique souhaitable mais aussi à ce que les États parties de l’époque voulaient élaborer comme instrument. Il ne s’agit pas de nier la possibilité d’une «évolution progressive» du droit et pas davantage d’une manifestation simpliste du «syndrome du fondateur». Mais il s’agit de souligner que le Comité voudra peut‑être s’intéresser à l’histoire de la négociation d’un texte compliqué, comme point de départ important pour l’interprétation du Pacte. Les attentes des États parties qui ont ratifié l’instrument méritent assurément une certaine considération.

4.14Dans le contexte de la présente affaire, l’histoire de la négociation du Pacte n’offre guère d’arguments pour étayer l’idée que l’ensemble d’une procédure administrative doit se dérouler dans des délais stricts ou que toute phase autre que le recours à un tribunal entre dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14. Il faut supposer que quand il invoque des motifs concrets de fait pour rejeter divers griefs avancés par M. Lederbauer, le Comité n’entend pas modifier cette importante distinction. De plus, il ne conviendrait pas de conclure que chaque fois qu’un État partie cherche à garantir l’indépendance et l’impartialité d’un organe administratif, cet organe devient automatiquement, de ce fait, une cour de justice ou un tribunal au sens du Pacte.

5.1Enfin, il peut être utile de passer en revue plusieurs nuances présentes dans les décisions du Comité au titre de l’article 14, dans un contexte de droit administratif. Même cette série non continue d’affaires montre qu’il faut se garder de penser de façon simpliste que le Comité peut constituer un organe de quatrième instance pour réexaminer d’innombrables questions de procédure administrative.

5.2La première grande affaire, Y. L. c. Canada (communication no 112/1981, adressée le 7 décembre 1981, décision rendue le 8 avril 1986) portait sur la radiation de l’armée d’un soldat canadien pour troubles mentaux. Le recours déposé par l’intéressé avait été examiné et rejeté successivement par la Commission canadienne des pensions, par un conseil chargé de déterminer les conditions à remplir pour bénéficier d’une pension («Entitlement Board») et par le Conseil de révision des pensions. Le plaignant faisait valoir que le Conseil de révision n’était pas un organe indépendant et impartial et qu’il n’avait pas bénéficié d’une procédure équitable. L’État partie avait contesté le grief en faisant valoir que la procédure engagée devant le Conseil de révision des pensions ne constituait pas un procès («suit atlaw») au sens de l’article 14 du Pacte et que, en tout état de cause, le militaire aurait pu contester la décision de ce conseil en s’adressant à la Cour d’appel fédérale.

5.3Comme on l’a vu plus haut, quand il a examiné la question de la recevabilité de la communication, le Groupe de travail du Comité des droits de l’homme a conclu qu’il fallait déterminer si les droits et obligations d’un membre des forces armées étaient réputés être «des droits et obligations civils» ou au contraire «des droits et obligations relevant du droit public». Voir la décision du Comité, Y. L. c. Canada, communication no 112/1981, paragraphe 5. C’est la distinction que, plus tard, la Cour européenne des droits de l’homme a considérée comme essentielle au regard l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales quand elle a examiné l’affaire Pellegrin. Dans l’affaire Y. L. c. Canada, la majorité des membres du Comité des droits de l’homme a relevé de plus qu’il était «exact que» les garanties énoncées dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte «valent seulement pour les affaires pénales et pour toute “suit atlaw”». Décision du Comité, paragraphe 9.1 (non souligné dans le texte).

5.4La majorité des membres du Comité a fini par rejeter les griefs de l’auteur en relevant que celui‑ci disposait d’un autre recours, devant la Cour d’appel fédérale. Quand il a décrit la portée du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité a arrêté un double critère, fondé sur les différentes versions du Pacte qui font également foi. Il ne faut pas oublier le deuxième élément du critère.

5.5Le Comité a indiqué ce qui suit:

«De l’avis du Comité, la notion de suit at law ou ses équivalents dans les autres langues du Pacte est fondamentalement liée à la nature du droit en question et non au statut de l’une des parties (entité gouvernementale ou paraétatique ou entité officielle autonome), non plus qu’à l’organisme devant lequel les différents systèmes juridiques peuvent prévoir qu’il sera statué sur le droit en question, tout particulièrement dans les systèmes relevant de la common law, où il n’y a pas de différence intrinsèque entre le droit public et le droit privé et où les tribunaux exercent normalement leur juridiction sur le déroulement des affaires soit en première instance, soit à la suite d’un appel expressément prévu par la loi, soit encore par le moyen d’une révision judiciaire.».

Voir décision du Comité dans l’affaire Y. L. c. Canada (communication no 112/1981), paragraphe 9.2 (non souligné dans le texte).

5.6Le premier élément semble renvoyer à la distinction entre droits privés et droits publics. Le deuxième semble autoriser (autant que limiter) une extension du Pacte, pour le faire porter sur les décisions d’organes judiciaires dans les cas où le système juridique d’un pays particulier autorise l’examen d’un ensemble plus large de droits. La majorité a fini par conclure que le fait que l’auteur ne se soit pas pourvu devant la Cour d’appel fédérale empêchait de constater une violation.

5.7Trois membres du Comité des droits de l’homme sont allés plus loin et ont déclaré dans l’affaire Y. L. c. Canada que le Pacte ne s’appliquait pas au litige du soldat, pour deux raisons: la nature du droit et l’organe qui avait pris la décision. Premièrement, au Canada «la relation entre un militaire, qu’il soit en service actif ou à la retraite, et la Couronne a de nombreux aspects spécifiques qui en font tout autre chose qu’un contrat de travail régi par le droit canadien». Opinion individuelle signée de Bernhard Graefrath, Fausto Pocar et Christian Tomuschat jointe à la décision concernant la recevabilité de la communication no 112/1981 (Y. L. c. Canada) paragraphe 3. Deuxièmement, d’après les membres qui avaient joint l’opinion individuelle, «le Pension Review Board est un organe administratif relevant du pouvoir exécutif et n’ayant pas qualité de tribunal. Ainsi, aucun des deux critères qui permettent de déterminer ensemble si les garanties prévues au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été respectées n’est satisfait».

5.8Dans une autre grande affaire, Casanovas c. France (communication no 441/1990, décision du 7 juillet 1993), la plainte émanait d’un ex-sapeur pompier de la ville de Nancy (France) qui avait été démis de ses fonctions pour incompétence. Le tribunal administratif avait fait droit au recours déposé par le sapeur pompier et avait réintégré celui-ci dans ses fonctions. Or une deuxième action engagée contre le sapeur pompier avait de nouveau abouti à sa révocation. Cette fois le tribunal administratif avait ordonné la clôture de l’instruction préliminaire et avait refusé d’inscrire l’affaire au rôle du tribunal à une date aussi rapprochée que possible, faisant valoir que d’autres affaires étaient en souffrance depuis quatre ans. La Commission européenne des droits de l’homme avait entre‑temps déclaré sa communication irrecevable au motif que la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquait pas aux procédures de révocation des fonctionnaires. Voir constatations du Comité Casanovas c. France, paragraphe 2.5.

5.9Dans ses observations concernant la communication soumise au Comité des droits de l’homme, l’État français a relevé que la Commission européenne avait fondé sa décision sur un texte de la Convention européenne qui était identique à celui de l’article 14 du Pacte et a fait valoir que le Comité devait interpréter la catégorie des droits «de caractère civil» d’une façon parallèle. L’État français faisait aussi valoir que le paragraphe 1 de l’article 14 ne contenait pas de disposition qui imposait qu’une décision judiciaire soit rendue dans un certain délai dans des affaires autres que pénales.

5.10Curieusement, le Comité n’a examiné que le premier élément des critères dégagés dans l’affaire Y. L. c. Canada, estimant qu’il fallait se fonder «sur la nature du droit en question plutôt que sur le statut de l’une des parties». Constatations du Comité, Casanovas c. France (communication no 441/1990, décision du 7 juillet 1993), paragraphe 5.2. Dans son argumentation sur la recevabilité, le Comité n’a donné aucun motif pour expliquer pourquoi il concluait que la relation de travail entre un sapeur pompier français et la municipalité devait être interprétée différemment de la relation entre un soldat canadien et son gouvernement. Le Comité a conclu plus tard, dans une décision distincte sur le fond, que le retard mis par le tribunal administratif français pour statuer sur l’affaire, qui était de deux ans et neuf mois, ne constituait pas une violation du paragraphe 1 de l’article 14, en partie parce que le tribunal avait bien examiné la question de savoir si l’affaire «méritait un traitement prioritaire». Constatations du Comité Casanovas c. France (communication no 441/1990) adoptées le 19 juillet 1994, paragraphe 7.4.

5.11Le Comité a eu de nouveau à examiner l’application de l’article 14 dans l’affaire Nicolov c. Bulgarie (communication no 824/1998) présentée le 14 janvier 1997, la décision ayant été prise le 24 mars 2000. Le Comité a déclaré que le grief de violation du Pacte avancé par un procureur qui avait été démis de ses fonctions n’était pas étayé. Le Conseil de la magistrature bulgare avait démis ce magistrat de ses fonctions et la révocation avait été confirmée par la Cour suprême. Le Comité des droits de l’homme a considéré que le Conseil supérieur de la magistrature était un simple «organe administratif», voir décision, paragraphe 2.1, note de bas de page 1, et que le grief de l’auteur qui affirmait que les membres du Conseil étaient prévenus contre lui était irrecevable faute d’être étayé, sans expliquer si un organe administratif en tant que tel pouvait être tenu de se conformer aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 14. La révocation contestée en invoquant le fait aurait pu être que la procédure de révision de la décision par la Cour suprême pouvait elle‑même être examinée par le Comité, étant donné que cette juridiction était incontestablement un organe judiciaire, entrant dans le champ d’application de l’article 14.

5.12Il faut évoquer aussi une quatrième affaire, l’affaire Franz et Maria Deislc. Autriche (communication no 1060/2002 présentée le 17 septembre 2001, décision rendue le 27 juillet 2004). Représentés par un conseil, Alexander H. E. Morawa, les auteurs de la communication avaient présenté toute une série de faits extrêmement compliqués se rapportant à la loi sur le zonage dans une commune située près de Salzbourg, notamment la transformation d’une grange en maison de campagne et un recours formé contre la décision de démolition d’une autre grange qui devait être transformée en remise. Les auteurs se plaignaient de ce que la procédure administrative avait duré «plus de trente ans» et s’était terminée par des décisions du tribunal administratif et de la Cour constitutionnelle rendues au bout de deux ans et neuf mois. Voir constatations du Comité, Deislc. Autriche, paragraphe 3.4. L’État autrichien avait invoqué sa réserve à l’article 14 du Pacte, tendant à maintenir «la structure administrative autrichienne sous le contrôle judiciaire du tribunal administratif et de la Cour constitutionnelle». Voir constatations du Comité, idem, paragraphe 6.4. En ce qui concernait la durée de la procédure devant ces deux juridictions, l’État autrichien avait souligné que la Cour constitutionnelle avait été saisie d’environ 5 000 affaires relevant du droit des étrangers, comme suite à la crise dans les Balkans, et de 11 000 plaintes concernant l’imposition des entreprises.

5.13Les auteurs affirmaient que la gamme de droits visés par l’article 14 du Pacte était plus étendue que celle des droits couverts par le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne, en particulier parce que le mot «civil» n’apparaissait pas dans le Pacte. Se fondant sur l’argumentation relative à «la nature du droit» avancée dans l’affaire Y. L. c. Canada, malgré un contexte bien différent, le Comité a considéré que «les procédures relatives à la demande de dérogation au règlement de zonage introduite par les auteurs, et aux ordres de démolition, concernent la détermination de leurs droits et obligations dans une action civile». Voir constatations du Comité, Deisl c. Autriche, par. 11.1 (non souligné dans le texte de la décision). Cette formulation plus large pourrait laisser entendre que les décisions administratives préliminaires sont également couvertes par le Pacte.

5.14Quand il a examiné la recevabilité et le fond dans l’affaire Deisl, le Comité a noté que le paragraphe 1 de l’article 14 n’imposait pas «… de veiller à ce que les décisions prises soient rendues par des tribunaux à tous les stades de la procédure». Voir constatations du Comité, paragraphe 10.7. Mais le Comité a ensuite, semble‑t‑il, étudié des critères pour établir ce qui constitue une durée excessive en rapport avec des autorités administratives municipales et provinciales qui n’étaient pas des «cours de justice» ou des «tribunaux» au sens de l’article 14, même s’il existe en Autriche des tribunaux de recours qui en dernier ressort réexamineraient ces procédures. Le Comité avait également évoqué les «retards constatés dans l’ensemble de la procédure», sans se limiter aux deux tribunaux judiciaires particuliers. Voir constatations du Comité, paragraphe 10.11.

5.15.À l’époque je me suis ralliée à la majorité mais ces critères, s’ils étaient largement appliqués, impliqueraient que le Comité des droits de l’homme, siégeant à Genève, pourrait devenir un arbitre pour les retards de tous les organes administratifs des 160 États parties. Il est très peu probable que ce soit ce que le Comité voulait dans l’affaire Y. L. c. Canada, et encore moins ce que les rédacteurs souhaitaient en 1949. Le Comité n’a constaté aucune violation dans les faits de l’affaire Deislc. Autriche mais le texte de la décision pourrait bien ouvrir la boîte de Pandore. Cela n’a pas été entièrement appréhendé au moment de l’adoption de la décision mais celle‑ci pourrait entraîner la soumission au Comité de milliers d’affaires par an. On peut remarquer que la décision dans cette affaire précise a demandé une argumentation d’une vingtaine de pages et énormément de temps alors que l’affaire est loin d’avoir l’importance morale ou juridique d’un grand nombre d’autres communications soumises au Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif.

5.16Il y a eu ensuite l’affaire Pertererc. Autriche (communication no 1015/2001, présentée le 31 juillet 2001, décision rendue le 20 juillet 2004). L’auteur de la communication était un employé municipal, énergiquement représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa. Comme dans l’affaire Lederbauer, l’auteur de cette communication était accusé d’avoir détourné des fonds publics à des fins personnelles et de ne pas avoir assisté à certaines auditions qui faisaient partie de son travail, sur des projets immobiliers. Il avait été suspendu de ses fonctions par la Commission disciplinaire autrichienne et, comme dans l’affaire Lederbauer, il avait récusé le Président de la Chambre de la Commission disciplinaire, et avait même voulu engager une action pénale contre lui. Il avait opposé toute une série d’objections qui avaient ralenti la procédure. Il avait fait valoir qu’il n’était pas en état de passer en jugement, pour des raisons médicales. Un nouveau président avait été désigné mais l’auteur avait de nouveau récusé deux membres ordinaires nommés par la municipalité, affirmant qu’eux aussi manquaient d’indépendance. Une décision avait été rendue par une instance supérieure confirmant son droit de récuser ces deux membres et il avait une nouvelle fois récusé le nouveau Président. Le premier Président était donc revenu pour conduire la procédure et avait de nouveau été récusé; le deuxième Président était revenu pour diriger les débats. La Commission de recours avait finalement rejeté la plainte de Perterer qui avançait que le fait que le deuxième Président ait occupé brièvement la fonction lui avait porté préjudice. Et ce n’est pas tout: Perterer avait également contesté la composition de la Commission de recours disciplinaire, en cherchant à récuser son président et deux membres. La Cour administrative autrichienne a rejeté les objections élevées au sujet de la composition et de la décision de la Commission d’appel. Perterer a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a aussi rejetée au motif que la Convention européenne ne visait pas la question de la révocation d’employés de la fonction publique; il s’est alors adressé au Comité des droits de l’homme affirmant, apparemment sans ironie, que la procédure avait duré trop longtemps. L’État partie a objecté que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne s’appliquait pas aux litiges qui opposent des autorités administratives et des membres de la fonction publique participant directement à l’exercice de la puissance publique. En reprenant le raisonnement suivi dans l’affaire Y. L. c. Canada, l’État partie a également noté que les décisions de la Commission disciplinaire étaient susceptibles d’appel devant la Commission de recours de la fonction publique ainsi que devant la Cour administrative et que l’indépendance et l’impartialité incontestées de la Cour administrative répondaient entièrement aux prescriptions de l’article 14.

5.17Le Comité des droits de l’homme a conclu que l’État partie avait «reconnu que le collège de la Commission disciplinaire était un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte» (voir constatations du Comité dans l’affaire Perterer c. Autriche, par. 9.2), mais on peut très bien concevoir que l’État partie voulait dire simplement que la Commission était un organe indépendant et impartial, même si elle ne constituait pas un tribunal. Le Comité a également conclu que le fait que le Président ait de nouveau présidé le collège jetait «un doute» sur l’impartialité du collège, alors même que le tribunal administratif avait rejeté ce grief, considérant qu’il était dénué de fondement. Le Comité a considéré que le tribunal administratif avait «examiné la question» mais a ajouté qu’il ne l’avait «fait que de manière sommaire» (voir constatations du Comité dans l’affaire Perterer c. Autriche, par. 10.4). Enfin, le Comité des droits de l’homme a conclu que les cinquante‑sept mois qui avaient été nécessaires pour statuer dans la procédure administrative avaient représenté une durée excessive parce qu’une partie de ce temps avait été consacré à l’appel de décisions ensuite annulées (voir constatations du Comité dans l’affaire Perterer c. Autriche, par. 10.7). Ces constatations du Comité n’ont été assorties d’aucune opinion dissidente mais on peut se demander maintenant, avec le recul et avec une vision plus large de la jurisprudence, si ce genre de réprobation détaillée du droit administratif d’un État particulier peut vraiment être le type de violation que les rédacteurs de l’article 14 voulaient viser. Il est certain que la durée considérable de la procédure − cinquante‑sept mois − apparaît déjà moins étonnante quand l’on sait que le plaignant a fait des démarches pour récuser chacune des personnes appelées à se prononcer sur son cas. Il serait également étonnant de conclure, d’une façon générale, que l’annulation d’une décision entachée d’erreurs commises de bonne foi par un organe inférieur signifie nécessairement que la durée de la procédure a été excessive. En fixant des normes sur ce qui constitue une durée acceptable, le Comité des droits de l’homme doit tenir compte des difficultés rencontrées par les organes de recours des États, eu égard à leur calendrier chargé. On voudra peut‑être aussi se rappeler les retards inévitables et importants que même le Comité des droits de l’homme a accumulés parfois dans son travail.

6.1Ce genre d’affaire mériterait donc une réflexion sur l’histoire de la rédaction et les travaux préparatoires du Pacte − ne serait‑ce que pour vérifier si cette déviation du paragraphe 1 de l’article 14, l’utilisation qui en résulte du temps limité du Comité, qui doit analyser en détail les procédures administratives nationales complexes, est vraiment conforme à la vocation profonde, essentielle, du Pacte.

6.2Le Comité des droits de l’homme protège, à juste titre, sa juridiction. Mais ce nouvel exemple d’un genre d’affaires administratives, routinier et portant sur des faits précis, oblige à se demander si nous avons fait justice à la réserve émise par de nombreux États européens quand ils ont ratifié le Protocole facultatif. L’Autriche a émis une réserve qui empêche le Comité d’examiner une communication qui porte sur la même question qu’une requête déjà examinée par la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le texte français du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est une réplique presque mot pour mot du texte français du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention dans sa référence aux «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil». Il est assurément audacieux d’affirmer qu’une «question» n’est pas visée par la réserve simplement parce que le Comité préfère adopter sur le fond une perspective différente de celle de la Cour européenne. Il faut également rappeler que l’expression «droits et obligations de caractère civil» utilisée délibérément dans le Pacte international était manifestement plus étroite que la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale en 1948, où il est question en général de «droits et obligations». L’adhésion des États parties au Protocole facultatif se rapportant au Pacte n’est pas irréversible et l’utilisation d’une certaine prudence dans l’exercice de notre compétence est peut‑être plus fidèle au but de la réserve.

6.3Cette circonspection dans l’interprétation se justifie aussi par la nécessité de préserver la capacité du Comité de rendre des décisions efficacement et rapidement dans les cas graves, dans le système des droits de l’homme des Nations Unies où de multiples besoins sont en concurrence. Dans l’affaire Pellegrin c. France, le juge Ferrari Bravo, a joint une opinion concordante dans laquelle il s’est inquiété de ce que la Cour européenne des droits de l’homme recevait «une avalanche de recours en matière de traitement économique des agents de la fonction publique». M. Manfred Nowak a soulevé la problématique des garanties procédurales détaillées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme». Les 180 000 affaires en souffrance à la Cour européenne sont là pour alerter tout système international qui aspire à s’occuper des crises graves des droits de l’homme qui surgissent dans les pays du monde entier.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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