Présentée par:

Sholam Weiss(représenté par M. Edward Fitzgerald)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

24 mai 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 86 et de l’article 91, communiquée à l’État partie le 24 mai 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

3 avril 2003

Le 3 avril 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1086/2002. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE*

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante ‑dix ‑septième session

concernant la

Communication n o  1086/2002

Présentée par:

Sholam Weiss(représenté par M. Edward Fitzgerald)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

24 mai 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1086/2002 présentée au nom de M. Sholam Weiss en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

CONSTATATIONS AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF

1.1L’auteur de la communication, initialement datée du 24 mai 2002, est Sholam Weiss, ayant la double nationalité américaine et israélienne, né le 1er avril 1954. Quand il a envoyé sa communication, il se trouvait en détention en Autriche, en attendant d’être extradé vers les États‑Unis d’Amérique («les États‑Unis»). Il se déclare victime de violations par l’Autriche du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il se dit également victime d’une violation du droit de ne pas faire l’objet d’une détention illégale et du droit à l’«égalité devant la loi», ce qui peut soulever des questions au regard des articles 9, 26 et 14, paragraphe 1, du Pacte. Par la suite, ayant été extradé il s’est déclaré victime de ce fait d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, ainsi que de l’article premier et de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 24 mai 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 de son règlement intérieur de ne pas extrader l’auteur tant qu’il n’aurait pas reçu et examiné la réponse de l’État partie sur la question de savoir s’il y avait un risque de préjudice irréparable, comme le conseil le faisait valoir. Le 9 juin 2002, l’État partie a extradé l’auteur vers les États‑Unis sans avoir envoyé au Comité les renseignements demandés.

1.3En ratifiant le Protocole facultatif, l’État partie a émis une réserve rédigée comme suit: «La République autrichienne ratifie le Protocole facultatif … étant entendu que, conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2 dudit Protocole, … le Comité des droits de l’homme ne devra examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme établie en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Accusé de nombreux chefs d’escroquerie, de racket et de blanchiment d’argent, l’auteur a été jugé par le tribunal de district de Floride. Pendant tout le procès, qui s’est ouvert le 1er novembre 1998, il était représenté par un défenseur qu’il avait choisi lui‑même. Le 29 octobre 1999, alors que le procès entrait dans la phase de délibération du jury, l’auteur a quitté précipitamment le prétoire et a pris la fuite. Le 1er novembre 1999, il a été reconnu coupable de tous les chefs d’inculpation. Après avoir entendu l’accusation et la défense qui étaient opposées sur la question de savoir s’il convenait de condamner l’accusé en son absence, la cour a fini par condamner l’auteur par contumace, le 18 février 2000, à un emprisonnement de 845 ans [avec possibilité de remise de peine pour bonne conduite à 711 années (sic)] et à une peine financière dépassant 248 millions de dollars É.‑U.

2.2Le conseil de l’auteur a déposé une déclaration d’appel dans le délai légal de dix jours. Le 10 avril 2000, la cour d’appel de la onzième circonscription a rejeté la demande du conseil de l’auteur qui sollicitait un report du rejet de l’appel et a débouté le condamné en appliquant la règle qui veut que l’accusé en fuite renonce à ses droits. En vertu de cette règle, la cour d’appel peut rejeter un recours formé par un fugitif au seul motif que l’appelant est en fuite. Cette décision a mis un terme à la procédure pénale engagée contre l’auteur aux États‑Unis.

2.3Le 24 octobre 2000, l’auteur a été arrêté à Vienne (Autriche) en vertu d’un mandat d’arrêt international et il a été placé en détention extraditionnelle le 27 octobre 2000. Le 18 décembre 2000, les États‑Unis ont adressé aux autorités autrichiennes une demande d’extradition. Le 2 février 2001, le juge d’instruction du tribunal pénal régional de Vienne (Landesgericht für Strafsachen) a recommandé à la cour d’appel régionale de Vienne (Oberlandesgericht), tribunal de premier et de dernier ressort pour ce qui est de la recevabilité d’une demande d’extradition, de faire droit à la demande des États‑Unis.

2.4Le 25 mai 2001, la cour d’appel régionale de Vienne a demandé aux autorités des États‑Unis s’il existait encore pour l’auteur une possibilité de faire appel de sa condamnation et de sa peine. Le 21 juin 2001, l’Attorney General des États‑Unis a déposé une motion d’urgence visant à rétablir le recours que l’auteur avait formé auprès de la cour d’appel de la onzième circonscription. Le conseil de l’auteur n’a pris explicitement aucune position à ce sujet mais a contesté que l’État ait qualité pour déposer une telle requête au nom de l’auteur. Le 29 juin 2001, la cour a rejeté la motion. Le 5 juillet 2001, le procureur des États-Unis a déposé une autre motion d’urgence auprès de la cour de district de Floride (district du centre), en vue de faire annuler le jugement de ce tribunal. Le 6 juillet 2001, la cour a rejeté la motion et a confirmé que son arrêt n’était pas susceptible de révision.

2.5Le 13 août 2001, l’auteur a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour européenne») en faisant valoir que son extradition constituerait une violation des dispositions ci‑après de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales («la Convention européenne»): l’article 3 parce qu’il devrait exécuter une peine obligatoire de réclusion à perpétuité; l’article 6 et l’article 2 du Protocole no 7 parce que sa condamnation et sa peine avaient été prononcées par contumace et qu’aucune voie de recours ne lui était ouverte; l’article 5 parce que sa détention extraditionnelle était illégale; et l’article 13.

2.6Le 11 septembre 2001, la cour d’appel régionale de Vienne a refusé l’extradition demandée par les États-Unis, en avançant pour seul motif qu’il était contraire à l’article 2 du Protocole no 7 de la Convention européenne d’extrader l’auteur sans avoir l’assurance qu’il pourrait exercer tous les recours disponibles.

2.7Le procureur de l’État (qui est le seul à avoir qualité pour former un tel pourvoi) a fait appel de la décision de la cour d’appel régionale auprès de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof). Le 9 avril 2002, la Cour suprême a statué que la décision de la cour d’appel régionale n’était pas valable parce qu’elle n’était pas compétente pour examiner la question du droit d’appel en vertu de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention européenne. Cette cour ne pouvait examiner que les aspects spécifiques énoncés dans la loi sur l’extradition (déterminer si l’auteur avait bénéficié d’un procès équitable et si sa peine pourrait constituer un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant); le Ministre de la justice était la seule autorité ayant compétence pour examiner toute autre question (y compris le droit d’appel) quand il décidait si la personne dont l’extradition avait été judiciairement déclarée recevable allait ou non être extradée. L’arrêt de la cour d’appel régionale a donc été annulé et l’affaire a été renvoyée.

2.8Le 8 mai 2002, la cour d’appel régionale, ayant réexaminé l’affaire, a conclu que l’extradition était recevable pour tous les chefs d’accusation sauf celui de «faux témoignage en tant que défendeur» (pour lequel l’auteur avait été condamné à 10 ans d’emprisonnement). Conformément à la décision de la Cour suprême, la cour a conclu que l’auteur avait bénéficié d’un procès équitable et que sa condamnation ne serait pas cruelle, inhumaine ou dégradante. Elle n’a pas traité de la question du droit d’appel. Le 10 mai 2002, le Ministre de la justice a autorisé l’extradition de l’auteur vers les États-Unis sans mentionner les autres questions relatives aux droits fondamentaux de l’auteur.

2.9Le 10 mai 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a demandé des mesures provisoires de sursis à l’extradition. Le 16 mai 2002, ayant reçu les observations de l’État partie, la cour a décidé de ne pas prolonger l’application des mesures provisoires. À la demande de l’auteur, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) a rendu une injonction, en date du 17 mai 2002, ordonnant le sursis à exécution de l’extradition (jusqu’au 23 mai 2002).

2.10Le 23 mai 2002, la Cour constitutionnelle a refusé de faire droit à une demande de décision déposée par l’auteur, au motif que ses chances d’aboutir étaient insuffisantes et qu’elle n’était pas exclue de la compétence du Tribunal administratif (Verwaltungsgerichtshof). La cour a donc mis fin à l’injonction de sursis. Le même jour, l’auteur s’est de nouveau adressé à la Cour européenne des droits de l’homme pour demander des mesures provisoires et sa requête a été rejetée.

2.11Le 24 mai, l’auteur a informé la Cour européenne qu’il retirait sa demande «avec effet immédiat». Le même jour, il a déposé une requête auprès du Tribunal administratif pour contester la décision du Ministre d’autoriser son extradition et pour demander un sursis à l’exécution de la mesure en attendant une décision sur le fond. Le sursis a été accordé et renvoyé au Ministère de la justice et au tribunal pénal régional de Vienne.

2.12Le 26 mai, les autorités ont voulu livrer l’auteur. Après un coup de téléphone de l’officier responsable de la police de l’aéroport au Président du tribunal administratif, l’auteur a été renvoyé dans un centre de détention, en raison du sursis qui avait été ordonné par le tribunal administratif et de son mauvais état de santé. Le 6 juin 2002, le juge d’instruction du tribunal pénal régional de Vienne a statué que le tribunal administratif n’était pas compétent pour examiner une procédure d’extradition ou pour empêcher l’exécution d’une décision d’extradition et a ordonné que l’auteur soit livré. Le 9 juin 2002, l’auteur a été transféré de sa prison et des Ministères de la justice et de l’intérieur à la juridiction des autorités militaires américaines à l’aéroport de Vienne puis a été renvoyé aux États-Unis.

2.13Quand l’auteur a été extradé, il restait deux actions en cours devant la Cour constitutionnelle, dont aucune n’avait d’effet suspensif en vertu de la loi de l’État partie. Tout d’abord, l’auteur avait déposé le 25 avril 2002 une action pour contester la constitutionnalité de plusieurs dispositions de la loi d’extradition de l’État partie, ainsi que du traité d’extradition conclu avec les États-Unis, en particulier la façon dont le jugement par contumace y est traité. Deuxièmement, il avait déposé le 17 mai 2002 une motion tendant à demander une décision pour trancher le conflit négatif d’attributions (Antrag auf Entscheidung eines negativen Kompetenzkonfliktes) afin de résoudre la question de savoir si c’est à un tribunal administratif ou à une juridiction de l’ordre judiciaire qu’il appartient de se prononcer sur le droit à un recours, étant donné que la cour d’appel régionale aussi bien que le Ministre de la justice avaient refusé de traiter de cette question.

2.14Le 13 juin 2002, le tribunal administratif a statué que, vu que l’auteur avait été renvoyé dans son pays en violation du sursis ordonné, les procédures étaient privées de tout objet et il les a donc suspendues. Il a relevé que le but de l’ordonnance de sursis à extradition était de préserver les droits de l’auteur en attendant l’issue des actions principales et que désormais aucune mesure ne pouvait être prise au détriment de l’auteur sur la base de la décision attaquée du Ministre. En conséquence, le renvoi de l’auteur n’avait pas de base légale suffisante.

2.15Le même jour, la Cour européenne des droits de l’homme a pris acte du souhait de l’auteur de retirer sa requête. Après avoir pris connaissance des faits et des griefs, elle a conclu que le respect des droits de l’homme garantis dans la Convention et dans les protocoles y relatifs ne rendait pas nécessaire la poursuite de l’examen de l’affaire même si l’auteur souhaitait retirer sa demande, et a radié la requête.

2.16Le 12 décembre 2002, la Cour constitutionnelle s’est prononcée en faveur de l’auteur, statuant que la cour d’appel régionale devait examiner toutes les questions relatives à la recevabilité se rapportant aux droits de l’homme de l’auteur, notamment la question du droit d’appel. Il s’ensuit que la décision formelle d’extrader l’intéressé prise par le Ministre devait tenir compte de toutes autres questions relatives à la dignité humaine qui pouvaient se poser. La Cour a également établi que l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’auteur du fait de la loi d’extradition de l’État partie de contester une décision de la cour d’appel régionale ouvrant droit à une demande d’extradition était contraire aux principes de la légalité et à la Constitution.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa première communication (adressée avant d’avoir été extradé), l’auteur affirme que son extradition vers les États‑Unis entraînerait pour lui l’impossibilité d’être présent dans l’État partie pour faire valoir ses griefs dans cette juridiction. En particulier, il ne pourrait pas bénéficier des recours qui découleraient de la décision de la Cour constitutionnelle quand elle aurait tranché le conflit négatif d’attributions et déterminé quelle juridiction ou autorité administrative devait examiner le grief de déni du droit à un procès équitable/droit d’appel ainsi que de l’examen ultérieur de cette question par l’autorité compétente, selon les prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement. L’extradition l’empêcherait d’obtenir certains résultats comme la décision pure et simple de ne pas l’extrader, l’extradition consentie pour une peine équivalente à celle qui serait prononcée dans l’État partie ou l’extradition sous réserve de la possibilité d’exercer l’intégralité des droits de recours. Il fait valoir que ni les tribunaux ni les autorités administratives de l’État partie n’ont jamais examiné sur le fond la question du déni aux États‑Unis du droit à un procès équitable/droit d’appel.

3.2L’auteur ajoute que si l’État partie l’extradait, il faciliterait et cautionnerait la violation du droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 qu’il affirme avoir déjà subie aux États‑Unis. Eu égard à l’issue de la procédure pénale aux États‑Unis, l’extradition dans ce pays serait illégale, en premier lieu parce qu’il a été reconnu coupable et condamné par contumace et en deuxième lieu parce qu’il n’a pas eu et qu’il n’a toujours pas de possibilité de faire appel de la déclaration de culpabilité ou de la peine, en application de la règle qui veut que l’accusé en fuite est déchu de ce droit. Plus précisément, il ne peut pas faire appel du fait qu’il a été reconnu coupable et condamné par contumace. L’auteur fait valoir que tel qu’il est garanti dans le Pacte, le droit à un procès équitable/droit d’appel est obligatoire et que s’il n’était pas respecté, l’extradition serait illégale.

3.3L’auteur invoque une violation du droit à l’égalité devant la loi. Seul le procureur de l’État a la faculté de former un pourvoi devant la Cour suprême contre une décision de la cour d’appel régionale sous réserve, selon la loi de l’État partie, que ce pourvoi ne puisse pas opérer au détriment de la personne qui a été jugée et dont le jugement est attaqué, étant donné qu’elle ne peut pas elle‑même se prévaloir du même recours. En l’espèce, la Cour suprême a annulé la décision de la cour d’appel régionale qui avait statué que l’auteur ne pouvait pas être extradé et a renvoyé l’affaire, laquelle a été réexaminée sans que le droit de l’auteur à un procès équitable/droit d’appel ait été pris en considération.

3.4L’auteur fait valoir que sa condamnation à un emprisonnement de 845 ans, sans possibilité de remise en liberté avant au moins 711 ans, est une peine «exceptionnelle et grotesque», «inhumaine» et équivalente à la forme la plus grave d’incarcération pour ne pas dire qu’elle équivaut à une torture. Il fait valoir qu’il y a une violation «manifeste et irréversible» du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte du fait de la longueur excessive de la peine et de l’absence de possibilité de libération pendant la vie d’un homme ou de possibilité de recours. L’État partie est responsable du fait que ses tribunaux et ses autorités administratives n’ont pas examiné la question.

3.5Enfin, l’auteur se plaint d’être en détention illégalement. D’après lui, comme l’extradition est illégale puisqu’il n’a pas eu droit à un procès équitable/appel, la détention extraditionnelle est automatiquement illégale.

3.6En ce qui concerne la recevabilité de la plainte, l’auteur fait valoir que, depuis que la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt, tous les recours utiles sont épuisés. Il affirme que les questions soulevées dans la communication ne sont pas «en cours d’examen» au sens du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, au titre de la procédure européenne (ou autre) d’enquête ou de règlement. La réserve émise par l’État partie à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêche pas non plus le Comité d’examiner la communication.

3.7L’auteur fait valoir tout d’abord qu’il n’y a jamais eu de décision formelle de la Cour européenne concernant la recevabilité ou le fond de sa requête mais qu’il n’y a eu que des décisions de procédure. Étant donné l’interprétation donnée par le Comité dans l’affaire Pauger c. Autricheau mot «examinée» utilisé par l’Autriche dans sa réserve, il fait valoir que ces décisions de procédure ne constituent pas un «examen» de l’affaire. Deuxièmement, quand elle était pendante, la requête n’a pas été transmise à l’État partie pour qu’il formule ses observations sur la recevabilité ou sur le fond. Troisièmement, en tout état de cause, la communication porte en partie sur des droits (comme le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte) qui ne font pas l’objet de dispositions de la Convention européenne.

3.8Par une lettre datée du 19 juin 2002 (après son extradition), l’auteur fait valoir que son renvoi n’empêche pas le Comité d’examiner la communication et ne doit pas non plus avoir d’effet sur les mesures provisoires demandées par le Comité. Il se réfère au débat que le Comité avait eu au sujet des obligations des États parties à l’occasion de l’examen d’une affaire précédente, dans laquelle une demande de mesures provisoires n’avait pas été respectée. Il invoque la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale, indiquant que la participation à un système de justice internationale implique que l’État partie accepte l’obligation de s’abstenir de toute mesure propre à avoir un effet préjudiciable à l’égard de l’exécution de la décision qui sera rendue et, d’une façon générale, de ne pas permettre que soit prise une quelconque mesure qui pourrait aggraver ou prolonger le litige. De même, la Cour internationale de Justice a statué que les mesures provisoires qu’elle demandait étaient obligatoires pour les parties à un litige dont elle était saisie.

3.9Dans le cas d’espèce, l’auteur fait valoir que, d’après la jurisprudence du Comité, il encourt un risque de préjudice irréparable. Dans l’affaire Stewart c. Canada, des mesures provisoires avaient été demandées alors qu’il n’était pas probable que l’auteur puisse retourner dans son pays d’adoption, le Canada, tandis que dans le cas d’espèce il n’y a aucune possibilité d’être libéré de prison.

3.10L’auteur rappelle qu’en ce qui le concerne il ne s’agit pas d’une affaire où il s’est écoulé peu de temps entre le moment où des mesures provisoires ont été demandées (24 mai 2002) et le moment où la mesure que l’on cherchait à éviter a été exécutée (9 juin 2002). Il demande donc au Comité de demander à l’État partie d’expliquer par quels faits il justifie son renvoi, s’il a tenu compte de la demande de mesures provisoires et de quelle façon, et comment il comptait s’acquitter de ses obligations persistantes.

Réponse de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par une réponse datée du 24 juillet 2002, l’État partie a contesté la communication autant du point de vue de la recevabilité que du fond. Il fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Tout en reconnaissant que le Comité n’exige pas d’ordinaire que les procédures internes aient été achevées au moment où la communication est adressée, il souligne que ces procédures doivent avoir été achevées au moment où le Comité examine la communication. Étant donné qu’une procédure était toujours en cours devant la Cour constitutionnelle au moment où l’État partie adresse sa réponse, cette condition n’a pas été remplie.

4.2L’État partie rappelle la réserve qu’il a faite à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif et objecte qu’une plainte déjà soumise aux organes européens ne peut pas être soumise au Comité. Il affirme que la Cour européenne a «examiné» la requête sur le fond − après avoir demandé ses observations, la Cour a procédé à une indiscutable appréciation du fond de l’affaire. En demandant la radiation de sa requête du registre de la Cour avant de soumettre sa plainte au Comité, l’auteur montre bien que les griefs qu’il présente aux deux organes sont essentiellement les mêmes.

4.3Pour ce qui est du fond, l’État partie relève que l’extradition en tant que telle n’entre pas dans le champ d’application du Pacte de sorte qu’il s’agit de déterminer si l’État partie soumettrait l’auteur à un traitement contraire au Pacte dans un État qui n’est pas partie au Protocole facultatif, par le fait de l’extradition. Du point de vue de la procédure interne, l’État partie objecte que les juridictions ordinaires ainsi que les juridictions supérieures de même que les autorités administratives ont étudié attentivement les arguments développés par l’auteur et que celui‑ci a été représenté par un défenseur de bout en bout des procédures. L’État partie rappelle que, d’après la jurisprudence de la Cour européenne, la procédure d’extradition ne doit pas nécessairement être entourée des mêmes garanties de procédure que la procédure pénale qui est à l’origine de la demande d’extradition.

4.4En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, au motif que l’auteur a été reconnu coupable et condamné par contumace, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité qui a considéré qu’un jugement par contumace était compatible avec l’article 14 si l’accusé avait été cité à comparaître en temps opportun et avait été informé des poursuites engagées contre lui. En l’espèce, l’auteur ne dit pas que ces conditions n’ont pas été remplies − il a pris la fuite à la fin de la phase du procès consacrée à la présentation des preuves et quand le jury s’était retiré pour délibérer et ne s’est jamais présenté de nouveau au procès. Il n’a donc pas été reconnu coupable par contumace, et le fait que la condamnation a été prononcée ensuite ne change rien.

4.5Pour ce qui est de la deuxième allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, découlant de l’impossibilité pour l’auteur, du fait de son absence, de bénéficier d’un procès en appel équitable, l’État partie relève que le paragraphe 5 de l’article 14 garantit un droit d’appel «conformément à la loi». L’État partie en question est donc libre de définir en détail le contenu de ce droit, du point de vue du fond et du point de vue de la procédure et peut prévoir, comme dans le cas d’espèce, l’obligation de forme que l’appelant ne soit pas en fuite quand il se pourvoit. L’auteur était représenté par un conseil et connaissait la situation légale aux États-Unis; on peut donc raisonnablement conclure de son comportement général, notamment de sa fuite, qu’il avait renoncé à son droit de faire appel. L’État partie relève que l’auteur n’a pas soutenu la demande de l’Attorney général des États‑Unis tendant à rétablir le recours qu’il avait formé, parce qu’il voulait empêcher son extradition vers les États-Unis. Il ne s’est jamais pourvu en appel et la déclaration d’appel qu’il avait faite est restée sans suite. Pour ce qui est du traitement qu’il peut attendre à l’avenir à ce sujet, l’État partie signale que son Ministre de la justice a demandé et obtenu que les autorités américaines compétentes donnent l’assurance que de nouvelles procédures de détermination de la peine seraient ouvertes à l’auteur pour tous les chefs d’inculpation.

4.6En ce qui concerne le grief concernant l’emprisonnement à vie qui, d’après l’auteur, constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 10, l’État partie fait valoir que cette disposition porte exclusivement sur les conditions de détention et ne porte pas sur la durée. Il se réfère à la jurisprudence du Comité qui avait établi que la simple privation de liberté ne suppose pas une violation de la dignité humaine. D’après l’État partie, la peine de 845 ans d’emprisonnement n’est pas excessive ni inhumaine au regard des innombrables atteintes aux biens commises et des pertes subies par des titulaires de pension escroqués. L’État partie note aussi que la juridiction de jugement n’a pas écarté la possibilité d’une remise en liberté conditionnelle si l’auteur restituait 125 millions de dollars et versait une amende de 123 millions de dollars. L’État partie souligne également que la Cour européenne a certes laissé entendre qu’une réclusion à perpétuité pouvait soulever des questions au regard de l’article 3 de la Convention européenne mais n’a pas à ce jour fait de constatations dans ce sens.

4.7De l’avis de l’État partie, rien dans le Pacte n’empêche d’extrader quelqu’un vers un État où l’infraction emporte une peine plus lourde (à l’exception d’une peine corporelle). S’il en était autrement, l’extradition serait vidée de son utilité en tant qu’outil de coopération internationale dans l’administration de la justice et de refus de l’impunité, objectif que le Comité a lui‑même mis en relief.

Autres questions liées à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité

5.1Par une lettre en date du 2 août 2002 adressée au représentant de l’État partie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, le Comité a, par l’intermédiaire de son Président, exprimé son profond regret face à l’extradition de l’auteur, intervenue alors qu’il avait demandé des mesures provisoires de protection. Le Comité a demandé à l’État partie d’expliquer par écrit les motifs qui l’ont conduit à ne faire aucun cas de sa demande et de préciser comment il entendait à l’avenir garantir que de telles demandes soient observées. Par une note datée du même jour, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a prié l’État partie de suivre de près la situation et le traitement qui serait réservé à l’auteur après son extradition ainsi que de faire auprès du Gouvernement des États‑Unis l’intervention qui serait jugée utile pour empêcher qu’un préjudice irréparable ne soit porté à l’auteur en violation des droits garantis dans le Pacte.

5.2Dans une réponse datée du 15 octobre 2002, l’État partie explique qu’après réception de la demande de mesures provisoires du Comité, le Ministre fédéral de la justice a ordonné le 25 mai 2002 au service du Procureur de Vienne (Staatsanwaltschaft) de demander au juge d’instruction du tribunal pénal régional de Vienne la suspension de la mesure d’extradition. Le même jour, le tribunal a répondu en refusant de faire droit à cette demande, faisant valoir que l’article 86 du règlement intérieur du Comité ne peut pas infirmer une décision judiciaire ni restreindre la compétence d’une juridiction nationale indépendante. Le 6 juin 2002, le juge d’instruction a donc ordonné que l’auteur soit livré.

5.3Au sujet des questions de droit qui se posent, l’État partie fait valoir que l’article 86 du règlement intérieur du Comité n’oblige pas les États à modifier leur constitution de façon à permettre que les demandes de mesures provisoires aient un effet direct. Une demande de mesures provisoires en application de l’article 86 «n’a pas en tant que telle d’effet contraignant en droit international». Une telle requête ne peut pas l’emporter sur une obligation de droit international contraire, c’est‑à‑dire une obligation contractée en vertu du traité d’extradition entre l’État partie et les États‑Unis de livrer un individu quand les conditions nécessaires énoncées dans le traité ont été respectées. L’État partie souligne que les juridictions autrichiennes et la Cour européenne ont examiné en détail le cas de l’auteur.

5.4Pour ce qui est de la situation actuelle, l’État partie fait remarquer que l’Attorney des États‑Unis a demandé à la Cour de district de prononcer une nouvelle peine (de façon qu’il n’exécute pas de peine pour le délit de «faux témoignage» pour lequel l’extradition a été refusée). Selon les informations communiquées à l’État partie, l’auteur bénéficiera, en cas de nouvelle condamnation, de toutes les possibilités de recours pour attaquer la (nouvelle) peine et la déclaration de culpabilité initiale elle‑même. L’État partie continuera à demander des renseignements aux autorités des États‑Unis, par les voies appropriées, pour savoir où en est la procédure aux États‑Unis.

Commentaires de l’auteur

6.1Par une lettre datée du 8 décembre 2002, l’auteur a affirmé qu’il était victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte pour avoir été extradé vers les États‑Unis en violation de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. Il invoque les constatations du Comité dans l’affaire Piandiong c. Philippines .

6.2Par une lettre du 21 janvier 2003, l’auteur a rejeté l’argument de l’État partie qui affirme que la demande de mesures provisoires en application de l’article 86 ne pouvait pas l’emporter sur l’obligation internationale d’extrader qui découlait de son traité d’extradition avec les États‑Unis. L’auteur relève que le traité lui‑même, ainsi que la législation interne de l’État partie, prévoit la possibilité de refuser l’extradition pour des motifs liés aux droits de l’homme. En tout état de cause, les dispositions obligatoires des instruments relatifs aux droits de l’homme applicables erga omnes, dont le Pacte, priment toutes obligations découlant d’un traité liant deux États.

6.3L’auteur fait valoir qu’il existe une obligation exprès en vertu du droit international, du Pacte et du Protocole facultatif pour l’État partie de respecter une demande formulée en application de l’article 86 du règlement intérieur. Cette obligation découle à la fois du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et de la reconnaissance, au moment de la ratification du Protocole facultatif, de la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte, ce qui implique subsidiairement de respecter le règlement intérieur que le Comité a valablement établi.

6.4L’auteur s’appuie sur la jurisprudence du Comité pour faire valoir que le fait d’exposer quelqu’un à une mesure irréversible avant d’examiner une affaire va à l’encontre de l’objectif du Protocole facultatif et prive l’intéressé du recours utile que le Pacte oblige l’État partie à garantir. Par conséquent, par sa décision (voir plus haut par. 5.2) le tribunal pénal régional de Vienne a ignoré les obligations découlant directement de l’article premier et de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité est invité à demander à l’État partie d’indiquer quelles mesures il entend prendre pour remédier à cette violation, y compris par la voie diplomatique auprès des États‑Unis, pour rétablir le statu quo ante.

6.5En ce qui concerne les arguments avancés par l’État partie pour contester la recevabilité, l’auteur objecte que les procédures encore en cours devant les tribunaux ne sont pas opportunes ni effectives puisqu’il a été renvoyé avant qu’elles soient achevées. Quoi qu’il en soit, avec la décision que la Cour constitutionnelle a rendue le 12 décembre 2002, les recours internes ont été épuisés. Il rejette l’argument selon lequel la Cour européenne a «examiné» sa requête au sens de la réserve émise par l’État partie à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif car la décision de radier l’affaire des registres de la Cour «ne supposait assurément pas une décision sur le fond».

6.6.Sur le fond, l’auteur maintient qu’il est victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 car l’application de la règle qui veut que l’accusé en fuite perd ses droits l’a privé de la révision, en appel, de la déclaration de culpabilité ou de la peine aux États‑Unis. L’application de cette règle a également servi à empêcher la motion des États‑Unis tendant à rétablir le recours qu’il avait formé. L’auteur conteste qu’il ait «renoncé» à faire recours étant donné que la juridiction d’appel a rejeté sa demande (la demande de son conseil) de report du rejet du recours. En Autriche, cette violation a été entérinée puisque aucun tribunal effectivement compétent n’a examiné cet aspect de l’affaire avant qu’il ne soit extradé. Quand la Cour constitutionnelle a reconnu que les juridictions inférieures auraient dû le faire, il était trop tard pour que ce soit un recours utile.

6.7Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 7 et 10, l’auteur fait valoir qu’une condamnation à 845 ans d’emprisonnement pour des délits d’escroquerie était manifestement disproportionnée, élément qui équivaut à une peine inhumaine. L’auteur réfute l’argument tiré par l’État partie de l’affaire Vuolanne c. Finlande en faisant remarquer que cette affaire portait sur une privation de liberté de 10 jours qui ne saurait être comparable à sa peine. Il ajoute que la réclusion à perpétuité (sans possibilité de libération conditionnelle) pour un crime non violent est en soi une peine inhumaine. Il invoque une décision de la Cour constitutionnelle de l’Allemagne qui a établi qu’une peine de réclusion à perpétuité pour un meurtre était inconstitutionnelle si elle n’était pas assortie de la possibilité d’une réhabilitation sur parole et d’une libération conditionnelle. A fortiori, une peine d’emprisonnement à perpétuité pour un délit qui n’a pas entraîné d’atteintes physiques ou psychiques irréparables et avec une possibilité de restitution serait inhumaine. Cette peine est une atteinte à la dignité de l’homme et l’absence de possibilité de remise de peine fait qu’elle est incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

6.8L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’y a rien à redire à une extradition vers un pays où l’intéressé risque une peine éventuellement plus grave que celle qui est applicable dans l’État qui extrade car elle est inhérente à la nature de l’extradition, étant donné qu’à un certain stade, la peine plus lourde devient tellement inhumaine que le fait d’extrader est un acte inhumain. L’auteur cite les constatations du Comité dans l’affaire Ng c. Canada à l’appui de cet argument et renvoie également à la jurisprudence de la Cour européenne qui laisse entendre qu’une peine de prison totalement disproportionnée comme peut l’être une condamnation à perpétuité incompressible (différente d’une torture physique ou psychologique) pourrait également atteindre ce degré d’inhumanité.

Inobservation de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité

7.1Le Comité constate, dans les circonstances de l’espèce, que l’État partie a manqué à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en extradant l’auteur avant qu’il ait pu examiner son allégation d’atteinte irréparable aux droits consacrés dans le Pacte. Le Comité est préoccupé en particulier par la séquence des événements dans cette affaire car, avant de demander des mesures provisoires de protection directement en supposant que l’extradition pouvait entraîner pour l’auteur un préjudice irréversible, il avait d’abord demandé, en application de l’article 86 de son règlement intérieur, les observations de l’État partie sur le caractère irréparable d’un préjudice éventuel. En répondant, l’État partie aurait pu montrer au Comité que l’extradition n’entraînerait pas un préjudice irréparable.

7.2Demander des mesures provisoires en application de l’article 86 de son règlement intérieur adopté conformément à l’article 39 du Pacte constitue un élément essentiel du rôle du Comité en vertu du Protocole. Ne faire aucun cas de cette demande, en particulier, en prenant des mesures irréversibles telles que l’exécution de la victime présumée ou son expulsion du territoire affaiblit la protection des droits énoncés dans le Pacte par l’intermédiaire du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la question de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés, le Comité relève que le recours auprès de la Cour constitutionnelle est épuisé depuis que l’État partie a envoyé sa réponse. Il relève en outre que quand il demande des mesures provisoires de protection, c’est parce qu’il existe un risque de préjudice irréparable. Dans de tels cas, un recours dont il est dit qu’il reste ouvert après que l’acte que les mesures provisoires visent à empêcher s’est produit est par définition inutile car le préjudice irréparable ne peut pas être annulé si le recours interne aboutit ensuite à une décision favorable à l’auteur. En pareil cas, il n’y a plus de recours utile à épuiser après que l’acte que la demande de mesures provisoires vise à empêcher s’est produit; spécifiquement, aucun recours approprié n’est ouvert à l’auteur maintenant qu’il est détenu aux États‑Unis même si les juridictions internes de l’État partie se prononçaient en sa faveur à l’issue des procédures qui étaient toujours en cours après l’extradition. Le Comité n’est donc pas empêché en vertu de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 d’examiner la communication.

8.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que sa réserve à l’égard de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif empêche l’examen de la communication, le Comité note que cette réserve porte sur les requêtes soumises à la Commission européenne des droits de l’homme. Supposant que la réserve vaut pour les plaintes reçues non plus par l’ancienne Commission européenne mais par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité se réfère à sa jurisprudence et rappelle que, dans les cas où la Cour européenne est allée plus loin qu’une simple décision technique ou procédurale concernant la recevabilité, et a procédé à une appréciation du fond de l’affaire, la plainte a bien été «examinée» au sens du Protocole facultatif ou, dans le cas d’espèce, au sens de la réserve émise par l’État partie. Dans le cas d’espèce, le Comité note que la Cour a estimé que le respect des droits de l’homme n’était pas en jeu au point de justifier la poursuite de l’examen de l’affaire et l’a radiée de ses registres. Il estime que décider qu’une affaire n’est pas suffisamment importante pour justifier la poursuite de son examen après que le requérant a retiré sa plainte n’équivaut pas à procéder à une véritable appréciation du fond de l’affaire. En conséquence, la plainte ne saurait être considérée comme ayant été «examinée» par la Cour européenne et le Comité n’est pas empêché par la réserve de l’État partie d’examiner les griefs présentés en vertu de la Convention européenne, mais retirés par l’auteur. En l’absence d’autres obstacles s’opposant à la recevabilité, le Comité conclut que les questions soulevées dans la communication sont recevables.

Examen quant au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le fait que la déclaration de culpabilité et la condamnation ont été prononcées par contumace a entraîné une violation de l’article 14 du Pacte, le Comité note qu’en l’espèce l’auteur et son défenseur étaient présents pendant toute la phase du procès consacrée aux plaidoiries et à l’administration des preuves et que, par conséquent, l’auteur ne pouvait pas ne pas savoir que le jugement et, en cas de condamnation, la peine allaient être prononcés. Dans ces circonstances, le Comité, rappelant sa jurisprudence, estime que l’on ne peut faire valoir qu’il y a eu violation du Pacte par l’État partie du fait que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur ont été prononcées dans un autre État.

9.3Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que du fait de l’application de la règle qui veut que l’accusé en fuite perd ses droits il a été privé d’un droit d’appel complet, le Comité note qu’il ressort des renseignements dont il dispose que, comme l’auteur est extradé pour des chefs d’inculpation moins nombreux que ceux pour lesquels il a été condamné, conformément à la règle de la spécialité, il fera l’objet d’une nouvelle peine. Selon les informations communiquées à l’État partie, cette nouvelle condamnation lui permettra de se pourvoir et d’obtenir la révision complète de la déclaration de culpabilité et de la peine. Le Comité n’a donc pas à examiner si la règle qui veut que l’accusé en fuite perd ses droits est compatible ou non avec le paragraphe 5 de l’article 14 ni si l’extradition vers un pays où un appel a été rejeté pour ce motif soulève une question au regard du Pacte en ce qui concerne l’État partie.

9.4Pour ce qui est de la question de savoir si l’extradition de l’auteur par l’État partie afin qu’il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération anticipée constitue une violation de l’article 7 et de l’article 10 du Pacte, le Comité relève, comme il l’a exposé dans le paragraphe précédent, que la déclaration de culpabilité et la peine ne sont pas encore définitives puisqu’on attend le nouveau prononcé de la peine, décision qui donnerait la possibilité de former recours contre la déclaration de culpabilité initiale elle‑même. Comme la déclaration de culpabilité et la peine ne sont pas encore définitives, il est prématuré de déterminer en fonction de faits qui restent hypothétiques si la situation a fait naître une responsabilité de l’État partie en vertu du Pacte.

9.5Ces constatations font qu’il est inutile pour le Comité d’examiner les autres griefs fondés sur une constatation de violation du Pacte pour l’un quelconque des éléments ci‑dessus.

9.6En ce qui concerne l’allégation de violation du droit à l’égalité devant la loi lors des procédures devant les tribunaux de l’État partie, le Comité relève qu’après avoir adressé sa communication au Comité, l’auteur a obtenu du Tribunal administratif un sursis à l’exécution de l’extradition tant que celui‑ci ne se serait pas prononcé sur la demande de l’auteur contestant la décision du Ministre qui avait ordonné son extradition. Il note que, bien que l’ordre de sursis ait été dûment transmis aux autorités compétentes, l’auteur a été renvoyé dans la juridiction des États‑Unis après plusieurs tentatives, en violation de l’ordre de sursis du tribunal. Ce dernier, ayant appris le renvoi de l’auteur, a fait remarquer qu’il avait été extradé en violation du sursis à l’exécution de la mesure qu’il avait ordonné et qu’il n’y avait pas de fondement légal à l’extradition; en conséquence, les procédures étaient caduques et n’avaient plus d’objet compte tenu de l’extradition et seraient donc arrêtées. Le Comité note en outre que la Cour constitutionnelle a conclu qu’il était inconstitutionnel que l’auteur ne puisse pas attaquer une décision défavorable de la cour d’appel régionale, dans la mesure où le Procureur pouvait faire appel d’un jugement antérieur de la cour d’appel régionale déclarant l’extradition irrecevable et a de fait exercé ce recours. Le Comité estime que l’extradition de l’auteur en violation d’un sursis ordonné par le Tribunal administratif et l’impossibilité pour l’auteur de faire appel d’une décision qui lui était défavorable de la cour d’appel régionale alors que le Procureur pouvait le faire constituent une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux garanti au paragraphe 1 de l’article 14, considéré conjointement avec le droit à un recours utile et exécutoire reconnu au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Autriche du paragraphe 1 (première phrase) de l’article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il réitère sa conclusion que l’État partie a violé ses obligations en vertu du Protocole facultatif en extradant l’auteur sans laisser le Comité examiner la question de savoir s’il subirait de ce fait un préjudice irréparable, comme il l’affirmait.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Étant donné les circonstances, l’État partie a l’obligation de faire auprès des autorités des États‑Unis les démarches qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne subisse pas de violation des droits garantis par le Pacte du fait de son extradition effectuée en violation des obligations contractées par l’État partie en vertu du Pacte et du Protocole facultatif. L’État partie est également tenu de veiller à ce que pareilles violations ne se reproduisent pas à l’avenir, en particulier en prenant les mesures voulues pour faire en sorte que les demandes de mesures provisoires de protection que le Comité pourra lui adresser soient respectées.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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