Nations Unies

CCPR/C/120/D/2209/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2209/2012 * , **

Communication présentée par :

Amarasinghe Arachchige Simon Amarasinghe (représenté par des conseils, Asian Legal Resources Centre et REDRESS)

Au nom de :

Amarasinghe Arachchige David Amarasinghe et Amarasinghe Arachchige Simon Amarasinghe

État partie :

Sri Lanka

Date de la communication :

27 septembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 novembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

13 juillet 2017

Objet :

Manquement à l’obligation d’enquêter sur la détention arbitraire et les tortures ayant entraîné la mort auxquelles la victime aurait été soumise par des policiers, à l’obligation de poursuivre les responsables et à l’obligation d’offrir réparation

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne

Article(s) du Pacte :

6, 7 et9 lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5

1.1L’auteur de la communication est Amarasinghe Arachchige Simon Amarasinghe, de nationalité sri-lankaise, né en 1963. Il soumet la communication en son nom propre et en celui de son frère décédé, Amarasinghe Arachchige David Amarasinghe, également sri‑lankais, né en 1957.

1.2L’auteur affirme qu’il y a eu violation par l’État partie des droits garantis à son frère par les articles 6, 7 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce que deux policiers ont soumis l’intéressé à des actes de torture et de mauvais traitements graves qui ont entraîné sa mort. Il considère en outre que l’État partie, en mettant fin à l’enquête sur les circonstances du décès de la victime et aux poursuites engagées contre les responsables présumés, a violé les droits garantis à son frère et à lui-même par le paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7 et 9 du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour Sri Lanka le 3 janvier 1998. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que, le 13 août 2010 à 20 h 30, son frère a été arrêté par deux membres de la police de Kirindiwela. Selon un témoin oculaire, les policiers ont infligé à son frère de mauvais traitements graves au moment de l’arrestation. Ils l’ont matraqué, tenu par le menton et la nuque, et lui ont cogné la tête deux fois contre la porte du véhicule de police. Ils l’ont ensuite emmené dans un véhicule de police, où il a été violemment battu avec des barres de fer et frappé à coups de pied à la tête.

2.2L’auteur affirme que, d’après la police, son frère a été emmené à l’hôpital de Radawana immédiatement après avoir été arrêté, et qu’il a ensuite été transféré à l’hôpital Gampana puis à l’hôpital national de Colombo, où il est décédé le matin du 14 août 2010.

2.3La police de Kirindiwela a soumis un rapport daté du 14 août 2010 à un « magistrat non officiel ». Il y était indiqué que le frère de l’auteur avait succombé aux blessures qu’il se serait infligé alors qu’il tentait de sauter d’un véhicule de police en mouvement, après avoir été arrêté par deux policiers pour état d’ébriété et entrave à la circulation. En outre, il y était fait référence à une déposition d’un supposé témoin oculaire qui corroborait la version des faits présentée par la police. Selon l’auteur, le témoin était visé dans plusieurs enquêtes criminelles menées par la police de Kirindiwela et sa crédibilité est sérieusement mise en doute.

2.4Le 14 août 2010, le magistrat non officiel a enquêté sur l’affaire. L’auteur indique qu’au moins deux témoins ont attesté devant le magistrat que les blessures ayant entraîné la mort de son frère avaient été infligées par les policiers et ne résultaient pas d’un accident. Après avoir consigné les dépositions de plusieurs témoins, le magistrat non officiel a ordonné une autopsie et le transfert du dossier au tribunal de première instance (Magistrate ’ s court) de Pugoda.

2.5Le 15 août 2010, le corps de la victime a été examiné par un médecin légiste consultant, qui a rédigé un rapport d’autopsie. Dans le rapport, les lésions constatées étaient les suivantes : a) contusion sur le côté droit de la tête ; b) fractures multiples des os temporal, pariétal et occipital droits sur une surface de 18 x 13 cm ; c) déchirement de la dure-mère ; d) hématome sous-dural droit associé à des contusions superficielles et à une lacération du lobe temporal droit ; e) autres contusions cérébrales et fractures de la tête et du crâne ; f) sur une surface de 9 mm2, écorchures sur la partie supérieure du nez et sur le côté gauche du front ; et g) écorchures et contusions sur le côté extérieur du coude droit (avec hémorragie dans les tissus mous), sur le côté intérieur du coude gauche, sur la partie arrière du haut de l’épaule gauche, au milieu du bas du dos et au milieu de la poitrine (avec hémorragie dans les tissus mous).

2.6D’après les conclusions du rapport, les blessures de la victime ont été causées par un traumatisme contondant, et le type de blessure concordait avec « une chute en arrière sur le côté droit de la tête sur une surface dure ». Il était également indiqué qu’il n’y avait « aucune trace de blessures infligées intentionnellement ». Dans un rapport toxicologique rédigé par un laboratoire de criminalistique et joint au rapport d’autopsie, il était précisé qu’aucune trace d’alcool n’avait été décelée dans l’échantillon de sang prélevé sur la victime.

2.7Le 18 août 2010, le tribunal de première instance de Pugoda a ouvert une information judiciaire. Dans la déclaration qu’il a faite sous serment devant la Cour d’appel, le magistrat a fait remarquer que ce jour-là, les dépositions faites par plusieurs témoins ne correspondaient pas complétement à la version des faits donnée par les policiers, notamment s’agissant du lieu où le frère de l’auteur aurait été arrêté et de la manière dont il aurait reçu les blessures ayant causé sa mort.

2.8Sur la base des « éléments probants » qu’il avait entendus, le magistrat a ordonné le placement en détention provisoire des deux policiers impliqués dans l’agression du frère de l’auteur. Il a déclaré que cette décision avait été prise de bonne foi, compte tenu tant de l’obligation qui incombe à la police de poursuivre ses membres que du fait qu’au cours de l’information judiciaire des témoins avaient dit craindre être pris pour cible par la police pour avoir identifié les délinquants.

2.9Le 23 août 2010, la police de Kirindiwela a transmis au magistrat un autre rapport, qui insistait sur les déclarations faites par le médecin légiste de Colombo et le médecin de l’hôpital Radawana, selon lesquelles le corps de la victime ne portait aucune trace d’une agression avec usage d’une quelconque arme. Dans la déclaration qu’il a faite sous serment devant la Cour d’appel, le magistrat a fait remarquer qu’il était « assez inhabituel » que des médecins mettent l’accent sur un tel point dans leurs déclarations. Le même jour, le magistrat a rejeté une demande de libération sous caution émanant des deux policiers. Ceux-ci ont interjeté appel devant la Cour suprême de Gampaha à deux reprises et déposé deux nouvelles demandes de libération sous caution. Après avoir examiné les faits, la Cour suprême a rejeté les demandes, bien que le Procureur général ne se soit pas prononcé contre une libération sous caution.

2.10Le 9 septembre 2010, le rapport d’autopsie a été remis au magistrat ; celui-ci a jugé « plutôt inhabituel » que le médecin légiste ait indiqué, dans la section du rapport consacrée à la cause du décès, que le « type de blessure concordait avec une chute en arrière sur le côté droit de la tête sur une surface dure » et qu’il n’y avait aucune trace de blessures infligées intentionnellement. Il a considéré en outre que les blessures externes constatées sur le corps de la victime et énumérées dans le rapport d’autopsie, ainsi que la confirmation de l’absence d’alcool dans l’organisme de la victime au moment du décès, n’étaient pas cohérentes avec la version des faits présentée par les policiers. Le médecin légiste a été appelé à déposer devant le magistrat, mais ne s’est pas présenté, prétendument pour des raisons médicales. Après avoir tenté plusieurs fois de le faire comparaître, sans succès, la Cour a été contrainte, faute de témoignage oral, de s’appuyer sur la déclaration sous serment qu’il avait faite.

2.11Le 22 décembre 2010, compte tenu du « témoignage direct et convaincant du témoin oculaire ainsi que du dossier médical qui, au mieux, n’était pas concluant », le magistrat a conclu que les preuves semblaient indiquer un homicide et a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire contre les deux policiers ainsi que la prolongation de leur placement en détention provisoire.

2.12Le 7 février 2011, la police de Kirindiwela a présenté un rapport de l’enquête visant les deux policiers. Le 28 février 2011, au nom du Procureur général, le Solicitor General a écrit au magistrat par l’intermédiaire du responsable du poste de police local, pour lui faire savoir qu’il ne comptait pas engager de poursuites pénales contre les policiers qui seraient impliqués dans les mauvais traitements infligés au frère de l’auteur.

2.13Le 3 mars 2011, la mise en liberté des policiers a été demandée sur la base de la lettre du Solicitor General. Le magistrat a rejeté la requête au motif que le Code de procédure pénale n’indique pas qu’un accusé peut être libéré sur la base d’un avis du Procureur général avant que les éléments de preuve ne soient réunis. L’auteur explique que selon le Code, un accusé ne peut être mis en liberté que sur ordre du Procureur général, après renvoi de l’accusé devant la Cour suprême ou à tout moment au cours du procès devant la Cour suprême.

2.14Le 8 mars 2011, sur la base de la décision du Procureur général, le conseil des accusés a de nouveau demandé leur mise en liberté au magistrat. Ce dernier a de nouveau refusé de prononcer la mise en liberté et a décidé de poursuivre l’enquête.

2.15Le 31 mars 2011, l’enquête préliminaire a débuté. Le Premier Conseiller juridique, représentant l’accusation, a demandé l’abandon des poursuites engagées contre les policiers. Le magistrat a rejeté cette demande et a fixé la date de l’examen de l’affaire au 28 avril 2011.

2.16Le 20 avril 2011, les représentants de l’auteur ont soumis d’autres requêtes écrites. Toutefois, à ce moment-là, les accusés avaient déjà été mis en liberté sans condition quelques jours plus tôt, contrairement à ce que le magistrat avait ordonné.

2.17Le 31 avril 2011, les policiers ont contesté devant la Cour d’appel de Sri Lanka la décision du magistrat de poursuivre l’enquête préliminaire. Les policiers contestaient la légalité des poursuites engagées contre eux par le magistrat et demandaient l’annulation de la procédure menée par le tribunal de première instance et l’interdiction de nouvelles poursuites. L’auteur explique que, dans l’acte d’appel, d’importants faits liés à l’affaire n’étaient pas mentionnés et certains documents du dossier n’étaient pas présentés, notamment les témoignages impliquant les policiers dans l’agression de la victime et le défaut de comparution du médecin légiste devant le magistrat pendant l’enquête.

2.18Le 3 juin 2011, la Cour d’appel a tenu une audience à laquelle le conseil des policiers accusés, le responsable du poste de police de Kirindiwela et le Procureur général ont assisté. L’auteur précise que ni lui (quatrième intimé), ni le magistrat (troisième intimé) n’étaient présents. Le Procureur général, qui était lui aussi parmi les intimés, a soutenu la requête des policiers accusés.

2.19À l’audience, la Cour d’appel a ordonné la suspension des poursuites jusqu’au prononcé de son jugement définitif et la libération sans condition des deux policiers. L’auteur affirme que la Cour a pris cette décision en se fondant uniquement sur les renseignements fournis par les appelants, sans prendre en compte les éléments de preuve infirmant la version des faits présentée par les policiers devant les magistrats.

2.20Après notification de cette décision, l’auteur et le magistrat ont chacun déposé auprès de la Cour d’appel un acte d’opposition demandant à la Cour de rejeter la requête des policiers.

2.21Le 21 avril 2017, l’auteur a avisé le Comité de ce que l’affaire était toujours pendante devant la Cour d’appel. Il a aussi indiqué qu’à deux reprises, la Cour avait commencé à examiner l’affaire mais avait arrêté en raison d’un changement de juge. Selon l’auteur, il n’existe aucun moyen d’accélérer la procédure.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits garantis à son frère par les articles 6, 7 et 9 lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 6 du Pacte, puisque son frère est décédé alors qu’il était détenu par la police sri-lankaise. Il soutient que le décès de son frère est directement dû aux graves sévices que les policiers lui ont infligés immédiatement après l’arrestation et dans le véhicule de police. Il avance que la charge de la preuve incombe aux autorités de l’État partie, qui auraient dû fournir une explication plausible de la cause du décès de la victime. L’auteur indique que la version des faits présentée par la police au magistrat, selon laquelle la victime s’est infligé ses blessures elle-même sous l’emprise de l’alcool, ne correspond ni aux dépositions des témoins oculaires ni aux résultats de l’autopsie. Il estime que la cause du décès « peu convaincante » avancée par le médecin légiste n’était qu’une « supposition » et ne correspondait à aucun autre élément factuel de l’affaire. Il ajoute que, d’après le magistrat, la présence d’autres blessures sur le corps de la victime laissait planer de sérieux doutes sur les conclusions et que, malgré plusieurs appels à comparaître, le médecin légiste ne s’est pas présenté devant le magistrat au cours de l’information judiciaire.

3.3L’auteur dénonce également une violation de l’article 7 du Pacte. Il soutient que le corps de son frère présentait des blessures graves, ce qui a été confirmé par les résultats de l’autopsie et corroboré par la déposition d’un témoin oculaire, qui affirme que la victime a été rouée de coups et que sa tête a été cognée brutalement contre le véhicule de la police. Il explique que le nombre et la nature des blessures ne correspondaient pas à ce que prétendaient les policiers, à savoir que la victime s’était blessée en sautant d’un véhicule. Il fait aussi référence au fait que le magistrat doutait sérieusement que les blessures puissent concorder avec les conclusions du médecin légiste, selon lesquelles le corps de la victime ne présentait aucune trace de blessures infligées intentionnellement.

3.4L’auteur dénonce en outre une violation des droits garantis à son frère par l’article 9 du Pacte. Il soutient que l’arrestation et la détention de son frère ne reposaient sur aucun fondement de droit et que les policiers n’ont pas été en mesure de prouver que la détention était « raisonnable » ou « nécessaire » compte tenu des circonstances.

3.5L’auteur affirme que, d’après les dépositions des policiers, son frère a été arrêté pour état d’ébriété et entrave à la circulation. Cependant, le rapport toxicologique a montré qu’un observateur objectif n’aurait pas pu conclure que la victime était en état d’ébriété au moment de l’arrestation. L’auteur ajoute qu’aucun témoin oculaire ne vient appuyer l’allégation des policiers selon laquelle l’intéressé entravait la circulation au moment de l’arrestation.

3.6L’auteur affirme que, en l’espèce, l’entrave à l’enquête et l’absence de toutes poursuites constituent une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7 et 9 du Pacte. Il indique que l’enquête et les poursuites ont été suspendues par intervention du Procureur général, ce qui l’a privé de tout recours utile. Il considère que le Procureur a choisi de s’appuyer sur un nombre très restreint de preuves et s’est employé à faire obstacle à l’enquête menée par le magistrat, malgré les preuves qui justifiaient la poursuite de l’enquête et la mise en accusation.

3.7L’auteur soutient que, bien que la Cour d’appel examine toujours l’affaire, on ne peut pas considérer que cela constitue un recours interne utile au sens de l’article 2 du Protocole facultatif, et qu’il ne devrait donc pas être tenu d’épuiser tous les recours internes alors que l’État partie ne s’acquitte pas de ses responsabilités.

3.8L’auteur fait en outre observer qu’il ne dispose d’aucun moyen de recours pour s’opposer à la décision du Procureur général de ne pas poursuivre. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, il fait valoir que les procédures devant les juridictions supérieures de Sri Lanka telles que la Cour d’appel sont susceptibles d’excéder des délais raisonnables, alors que, comme le Comité l’a reconnu à plusieurs reprises, certaines violations, notamment celles des articles 6 et 7, « requièrent des États parties au Pacte qu’ils procèdent promptement à des enquêtes ». L’auteur renvoie aussi à la position du Comité dans des affaires concernant Sri Lanka, dans lesquelles le Comité a affirmé que « la rapidité et l’efficacité [étaient] particulièrement importantes dans le jugement des affaires de torture ».

3.9L’auteur affirme que la perméabilité du système judiciaire aux ingérences extérieures engendre l’impunité. Il indique que le Comité contre la torture s’est dit préoccupé par « les nombreuses informations faisant état de l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire » dans l’État partie.

3.10L’auteur souligne en outre qu’il ne s’agit pas d’une affaire complexe et que le magistrat a collecté de nombreux éléments lui permettant de conclure à l’existence de preuves solides pour inculper les policiers accusés, malgré la décision du Procureur général de ne pas engager une autre action en justice. L’auteur indique aussi qu’en janvier 2012, le Secrétaire du Ministre de la justice a confirmé qu’il y avait 650 000 affaires en souffrance dans l’ensemble du système judiciaire sri-lankais et qu’il fallait sans tarder procéder à une réforme pour réduire cet arriéré.

3.11L’auteur prie le Comité de demander à l’État partie de lui assurer des moyens de recours utiles, conformément aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.

3.12L’auteur demande en outre que quatre mesures concrètes soient prises, à savoir : a) la fourniture des garanties appropriées, par les autorités sri-lankaises, pour que de telles violations des droits de l’homme ne se reproduisent pas, notamment au moyen de la création d’un organe d’enquête indépendant chargé d’examiner les infractions violentes qui auraient été commises par des membres de la police, selon ce qu’ont recommandé le Comité contre la torture et d’autres acteurs nationaux et internationaux ; b) l’ouverture d’une enquête complète et approfondie sur les circonstances de l’arrestation illégale, de la torture et de la mort de la victime ainsi que l’exercice de poursuites pénales en toute indépendance et autonomie contre les responsables des violations ; c) la présentation d’excuses publiques de la part du Procureur général ; et d) le versement à l’auteur d’une indemnisation suffisante pour couvrir les préjudices matériels et moraux subis, sachant que l’auteur est un proche parent de la victime et le principal soutien de la famille.

Absence de coopération de l’État partie

4.Le 26 novembre 2012, les 17 juin, 30 septembre et 19 novembre 2013 et le 12 mai 2017, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité fait remarquer qu’il n’a pas reçu les renseignements demandés. Il regrette que l’État partie n’ait donné aucune information sur la recevabilité ou sur le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie concerné est prié de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations apportant des éclaircissements sur l’affaire et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son encontre. Le Comité note que, selon l’auteur, le Procureur général, qui dirige le ministère public, a montré son intention de bloquer l’enquête sur l’infraction commise et l’éventuelle mise en accusation des policiers, malgré d’importants éléments portant à croire que l’intéressé avait été victime d’un crime. Il relève aussi que l’auteur estime ne disposer d’aucun moyen de recours pour contester la décision du Procureur général de ne pas poursuivre.

5.4Le Comité relève en outre que, d’après les dires de l’auteur, l’affaire est pendante devant la Cour d’appel depuis 2011, il n’existe aucun moyen d’accélérer la procédure et la réparation que la Cour suprême pourrait théoriquement fournir ne viendrait que trop tard. Il rappelle aussi sa jurisprudence, dont il ressort que dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, l’État partie est tenu de faire procéder sans délai à une enquête impartiale. Le Comité note également que, malgré les quatre rappels qui lui ont été envoyés, l’État partie ne lui a adressé aucune information ou observation pour contester la recevabilité de la communication. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

5.5Le Comité considère que les griefs de l’auteur au titre des articles 6, 7 et 9, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et il procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité prend note des affirmations ci-après de l’auteur : le 13 août 2010 à 20 h 30, son frère a été arrêté par deux agents de la police de Kirindiwela ; selon un témoin oculaire, il a été matraqué, tenu par le menton et la nuque, et sa tête a été cognée deux fois contre la porte du véhicule de police, il a ensuite été emmené dans un véhicule de la police, où il a été violemment battu avec des barres de fer et frappé à coups de pied à la tête ; il est décédé le 14 août 2010 à l’hôpital national de Colombo.

6.3Le Comité prend note en outre de la lettre de l’auteur, dans laquelle celui-ci a indiqué que, selon la police de Kirindiwela, son frère avait succombé aux blessures qu’il aurait reçues alors qu’il tentait de sauter d’un véhicule de la police en mouvement après avoir été arrêté par deux policiers pour état d’ébriété et entrave à la circulation.

6.4Le Comité prend note des renseignements fournis par l’auteur, selon lesquels le magistrat a considéré que les blessures externes trouvées sur le corps de la victime, ainsi que la confirmation du fait qu’aucune trace d’alcool n’avait été décelée dans l’échantillon sanguin prélevé sur la victime au moment du décès, n’étaient pas cohérentes avec la version des faits présentée par les policiers. Il relève en outre que le magistrat a conclu que les preuves dont il disposait semblaient indiquer un homicide, et que le Solicitor General a néanmoins décidé de ne pas engager de poursuites contre les policiers.

6.5S’appuyant sur sa jurisprudence, le Comité réaffirme sa position, à savoir que la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant que seul l’État partie dispose de certains renseignements nécessaires. En l’absence de toute réfutation ou observation concernant ces faits de la part de l’État partie, le Comité accorde le poids voulu aux allégations de l’auteur, qui portent fortement à croire que l’État partie a directement participé à la violation du droit à la vie du frère de l’auteur, en violation de l’article 6 du Pacte.

6.6Le Comité note que, selon l’auteur, les blessures graves constatées sur le corps de son frère correspondaient à la déposition d’un témoin oculaire ayant affirmé que la victime avait été rouée de coups par les policiers et que sa tête avait été cognée brutalement contre le véhicule de la police. En l’absence de réponse de l’État partie à cet égard, le Comité accorde le poids voulu à ces allégations et constate une violation des droits garantis par l’article 7 du Pacte.

6.7Le Comité note également que, selon l’auteur, l’État partie n’a pas été en mesure de prouver que la détention de la victime était « raisonnable » ou « nécessaire » compte tenu des circonstances. Il relève en outre qu’un rapport toxicologique a montré qu’il n’y avait pas de trace d’alcool dans l’organisme de la victime et qu’aucune preuve ne venait étayer les allégations des policiers selon lesquelles la victime était en état d’ébriété et entravait la circulation au moment de l’arrestation. En l’absence d’explication de la part de l’État partie concernant les motifs de détention de la victime, le Comité constate une violation par l’État partie de l’article 9 du Pacte.

6.8L’auteur invoque également le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toutes les personnes dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour l’examen de plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, où il indique que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

6.9Le Comité constate que près de sept ans après la mort de la victime, l’auteur ignore toujours les circonstances du décès de son frère et les autorités de l’État partie n’ont toujours pas mené une enquête complète et indépendante.

6.10À cet égard, le Comité note que, selon l’auteur, le Procureur général, en décidant de ne pas inculper les policiers malgré les preuves qui justifiaient la poursuite de l’enquête et la mise en accusation, a fait obstacle à l’enquête conduite par le magistrat. Il relève en outre que, selon l’auteur, le 3 juin 2011, la Cour d’appel a ordonné la suspension des poursuites jusqu’au prononcé de son jugement définitif ainsi que la libération sans condition des deux policiers, et que ni l’auteur ni le magistrat n’étaient présents à l’audience. Il relève aussi qu’au 21 avril 2017, l’affaire était toujours pendante devant la Cour d’appel. Le Comité considère donc que l’État partie a manqué à son obligation de faire procéder à une enquête en bonne et due forme sur la détention, la torture et la mort du frère de l’auteur, de poursuivre les responsables et d’offrir réparation, en violation des droits garantis à l’auteur et à son frère par le paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7 et 9 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 6, 7 et 9, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est notamment tenu : a) de faire procéder à une enquête approfondie et diligente sur les faits décrits par l’auteur ; b) de poursuivre, juger et punir les personnes responsables de l’arrestation arbitraire du frère de l’auteur, des mauvais traitements qui lui ont été infligés ainsi que de son décès, et de rendre publics les résultats de ces mesures ; et c) d’assurer à l’auteur une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées à raison des violations subies. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. En particulier, il devrait faire en sorte que sa législation soit conforme aux dispositions du Pacte.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations.