Nations Unies

CCPR/C/105/D/1303/2004

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 août 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1303/2004

Constatations adoptées par le Comité à sa 105e session(9-27 juillet 2012)

Communication p résentée par:

Joyce Nawila Chiti (non représentéepar un conseil)

Au nom de:

Jack Chiti, l’auteur et leurs cinq enfants

État partie:

Zambie

Date de la communication:

26 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 août 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

26 juillet 2012

Objet:

Allégations de torture, peine de mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable et expulsion forcée sans recours approprié

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Torture, procès inéquitable, arrestation et détention arbitraires; peine de mort; droit au respect de la vie privée, droit à la protection de la famille et des enfants; liberté de circulation; droit à un recours approprié

Articles du Pacte:

2 (par. 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 12 (par. 1), 14 (par. 3 c) et g)), 16, 17 (par. 1 et 2), 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26

Article du Protocole facultatif:

5(par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (105e session)

concernant la

Communication no 1303/2004 *

Présentée par:

Joyce Nawila Chiti (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Jack Chiti, l’auteur et leurs cinq enfants

État partie:

Zambie

Date de la communication:

26 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1303/2004 présentée par Mme Joyce Nawila Chiti en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Joyce Nawila Chiti, de nationalité zambienne, née en 1960 à Kitwe (Zambie). Elle présente la communication en son nom, ainsi qu’au nom de son mari, Jack Chiti, né le 10 août 1953 à Kalulushi (Zambie) et de leurs enfants. L’auteur déclare que la Zambie a commis des violations des droits garantis par les articles 2 (par. 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 12 (par. 1), 14 (par. 3 c) et g)), 16, 17 (par. 1 et 2), 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 20 octobre 2004, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté la demande de l’État partie qui souhaitait que le Comité examine la recevabilité de la communication séparément du fond.

Exposé des faits

2.1Le 28 octobre 1997, M. Chiti, qui était un officier de l’armée, a été arrêté par la police en tant que suspect dans une tentative de coup d’État. Il a été inculpé de trahison. Il est resté à l’isolement et au secret, les fers aux pieds, au quartier général de la police pendant neuf jours. Pendant cette période, il a été privé de nourriture et n’a pas eu droit aux services d’un avocat. De plus, du 28 octobre au 6 novembre 1997, chaque nuit entre 19 heures et le lendemain matin, 8 à 12 agents de la sécurité d’État qui se relayaient lui ont fait subir le traitement suivant: il était régulièrement frappé une heure durant avec des tuyaux, des câbles électriques et des matraques en bois et en caoutchouc; contraint de rester debout sur une jambe et frappé lorsqu’il essayait de changer de jambe; soumis à des interrogatoires répétés menés par tous les fonctionnaires de police à la fois présents dans la pièce, parfois couché sur le ventre, un policier debout sur lui, puis frappé de manière répétée; il était menacé de mort et de mutilation; il a été forcé de signer des déclarations mettant en cause des dirigeants politiques dans le coup d’État présumé; suspendu par une corde accrochée au plafond; suspendu sur une tringle «arrondie» en cerceau; une barre de métal passée entre son abdomen et ses jambes repliées; menacé d’être noyé et jeté aux crocodiles à l’embouchure d’une rivière, à 50 kilomètres au sud de Lusaka; contraint de rester nu, debout contre une table, recevant sur le pénis des coups portés avec le tranchant d’une règle.

2.2À la suite de ces tortures, M. Chiti a été transporté à l’hôpital militaire Maina Soko de Lusaka, et une perforation du tympan a été constatée. Le 6 novembre 1997, M. Chiti a été transféré à la prison centrale de Lusaka (Chimbokaila). Le 10 novembre 1997, il a été reconduit au quartier général de la police et a été contraint d’écrire et de signer une déclaration mettant en cause certains hommes politiques dans le coup d’État présumé.

2.3Le même mois, M. Chiti a déposé une plainte auprès de la Commission zambienne permanente des droits de l’homme, organe nommé, administré et contrôlé par le Gouvernement. Un groupe de commissaires aux droits de l’homme de cette commission a tenté de lui rendre visite en prison en novembre ou en décembre 1997, mais il a été transféré et caché dans une autre prison avant leur arrivée. Il a fait suivre sa plainte à la Fondation de ressources juridiques (Legal Resources Foundation), un cabinet d’avocats privé qui le représentait dans la procédure engagée pour trahison (voir plus bas par. 2.7).

2.4Le 31 octobre 1997, deux jours après l’arrestation de M. Chiti, des soldats, des policiers et des agents de la sûreté de l’État ont fait irruption dans le logement de fonction qu’occupait la famille Chiti. Ils ont pris tous les biens de la famille, les ont chargés dans un camion militaire, et sont partis vers une destination inconnue. Aucun membre de la famille n’était dans la maison à ce moment-là, car l’auteur était allée voir son mari au quartier général de la police. Lorsqu’ils ont voulu rentrer chez eux, l’auteur et ses enfants en ont été empêchés. Presque tous les biens de la famille, y compris des documents importants comme des certificats de naissance et de mariage, ont disparu ou ont été endommagés ou volés. L’auteur a découvert ensuite que toutes ses affaires avaient été jetées à la gare routière et ferroviaire principale de Lusaka. Elle n’a rien pu récupérer.

2.5Plus tard, à six reprises, l’auteur et ses enfants ont été expulsés de force et illégalement par des agents de la sûreté de l’État des six domiciles où ils avaient tenté de trouver refuge. Selon l’auteur, ils ont été victimes de brimades, harcelés, intimidés et privés de la liberté de circulation et de réunion. Les enfants de l’auteur ne pouvaient plus aller à l’école par crainte du harcèlement. En novembre 1998, l’auteur et ses trois plus jeunes enfants ont fui la Zambie pour demander l’asile politique en Namibie. Ils y sont restés jusqu’en octobre 1999. Après leur retour, l’État partie a continué à les harceler. La famille se retrouve donc sans domicile et sans ressources et l’éducation des enfants a été gravement perturbée.

2.6L’État partie a mis en place une commission chargée d’enquêter sur les tortures qui auraient été commises par ses agents sur les personnes soupçonnées de participation au coup d’État. Ni l’auteur ni son mari n’ont jamais reçu copie du rapport de la Commission, mais ils ont été informés oralement que les responsables des tortures décrites par M. Chiti (voir plus haut par. 2.1) avaient été identifiés comme étant des agents de l’État. Les auteurs du rapport ont recommandé à l’État partie d’indemniser la famille.

2.7Entre-temps, en 1998, la Fondation de ressources juridiques a intenté un procès à l’État partie au nom de Jack Chiti. Le tribunal a donné raison à ce dernier et a ordonné le versement d’une indemnisation à M. Chiti, à l’auteur et à leurs enfants pour l’expulsion illégale de leur domicile et pour la perte ou la détérioration de leurs biens, ainsi que le versement d’une indemnité à M. Jack Chiti pour les tortures subies.

2.8En dépit de la recommandation faite par la Commission d’enquête et de la décision du tribunal, l’État partie a refusé de verser l’indemnisation.

2.9Le procès a subi des retards injustifiés, les audiences étant souvent reportées. M. Chiti a été reconnu coupable de trahison et condamné à la peine de mort par pendaison. Plus tard, la condamnation à mort a été annulée sur grâce présidentielle. Alors que M. Chiti était en prison, un cancer de la prostate a été diagnostiqué, mais il n’avait pas les moyens d’acheter les médicaments prescrits et la prison ne les lui a pas fournis. Il n’a pas pu non plus bénéficier du régime riche en protéines recommandé pour ralentir la progression du cancer. Séropositif, il était détenu dans des conditions inhumaines, privé d’une alimentation appropriée, d’un environnement propre et d’une assistance psychologique.

2.10En décembre 1998, l’auteur et ses trois plus jeunes enfants ont demandé l’asile en Namibie. Ils ont vécu dans le camp de réfugiés d’Osire pendant un an dans des conditions extrêmement pénibles. L’auteur est rentrée en Zambie à cause de la maladie de son mari. En septembre 2002, elle a appris que l’état de son mari s’était aggravé. Il a été hospitalisé à l’hôpital général de Kabwe. Malgré plusieurs demandes, l’hôpital a refusé de transférer M. Chiti à Lusaka, où tous les enfants de l’auteur se trouvaient.

2.11Le mari de l’auteur a été gracié par le Président de la République de Zambie en juin 2004 et remis en liberté pour motifs humanitaires liés à son état de santé. Il est mort le 18 août 2004.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque des violations par la Zambie des droits qu’elle-même ainsi que son mari, Jack Chiti, et leurs enfants tiennent des articles 2 (par. 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 12 (par. 1), 14 (par. 3 c) et g)), 16, 17 (par. 1 et 2), 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26 du Pacte.

3.2Bien que cela n’ait pas été explicitement évoqué par l’auteur, il apparaît que la communication soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une réponse du 11 novembre 2004, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. L’État partie fait valoir que, après la soumission de la communication initiale, Jack Chiti est décédé et que les questions qui font l’objet de la communication sont toujours pendantes devant les tribunaux nationaux.

4.2Dans une note verbale datée du 8 février 2005, l’État partie a indiqué que ni M. Chiti, ni l’auteur, ni leurs enfants n’avaient épuisé les recours internes qui étaient ouverts. Il note que pour l’affaire de M. Chiti la défense est assurée par un conseil devant les tribunaux nationaux.

4.3L’État partie nie que la mort du mari de l’auteur soit de quelque manière la conséquence des tortures qu’il aurait subies. Il affirme aussi qu’il est faux de dire qu’il n’a pas versé aux membres de la famille Chiti les indemnités ordonnées par les tribunaux.

4.4En ce qui concerne les conclusions de la Commission d’enquête, l’État partie note que le Gouvernement les a rejetées à la suite d’une décision du cabinet qui avait relevé que les personnes accusées d’avoir torturé M. Chiti n’avaient pas été entendues par la Commission. Toutefois, ce rejet n’empêche pas les tribunaux zambiens de statuer sur toutes les questions soulevées dans la communication.

4.5Dans une note du 10 octobre 2005, l’État partie a informé le Comité qu’il avait engagé des négociations avec l’auteur et sa famille en vue de régler l’affaire. L’État partie ajoute que l’auteur est entrée en négociations de son plein gré et que le Comité sera avisé de l’issue dès qu’elles auront abouti.

Réponses supplémentaires des parties

5.1En date du 7 mars 2006 l’auteur a informé le Comité, par l’intermédiaire de sa sœur, qu’elle ne vivait plus dans l’État partie et qu’elle avait donc chargé sa sœur de percevoir les indemnités ordonnées par le tribunal. Malgré plusieurs tentatives, sa sœur n’a pas pu obtenir le versement des indemnités. Bien que l’indemnisation sollicitée couvre à la fois le préjudice pour les tortures infligées et la perte des biens, l’État n’a accepté de verser que l’indemnité pour la perte des biens, d’un montant total de 6 600 dollars des États-Unis.

5.2L’auteur joint un article de presse qui indique que M. Chiti a été libéré de prison le 21 juin 2004 pour raisons médicales car il souffrait d’un cancer et ne pouvait se déplacer qu’en fauteuil roulant.

6.Le 8 février 2007, l’État partie a fait savoir au Comité que les négociations avec l’auteur avaient abouti à un accord. Le 22 septembre 2005, l’auteur avait accepté par écrit une offre définitive de l’État partie de 20 millions de kwacha zambiens, pour indemniser l’auteur et sa famille dans le cadre de leur plainte pour torture. Le Ministère de la justice a écrit au Ministère des finances pour ordonner le versement du montant en question à l’auteur, en tant que bénéficiaire et pour le compte des ayants droit de la famille Chiti.

7.Le 9 mai 2008, l’auteur a fait savoir au Comité que, lorsque l’État partie l’a informée du montant définitif des indemnités auxquelles elle avait droit à raison des tortures infligées à son mari, elle n’a pas accepté et a envoyé un courrier par télécopie au Ministère de la justice pour informer l’État partie de sa décision. Toutefois, sa décision n’a pas été acceptée et un représentant de l’État lui a enjoint d’accepter le montant proposé comme paiement final. L’auteur considère que le montant proposé est trop faible par rapport aux souffrances endurées par son mari à la suite des tortures.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

8.1Dans une lettre du 1er février 2010, l’auteur réaffirme que l’État partie a violé les droits de son époux, qui a subi des tortures physiques après son arrestation le 28 octobre 1997. De plus, elle-même et ses enfants ont subi un préjudice moral du fait des tortures infligées à son mari, ainsi qu’un préjudice matériel dû à la destruction de leurs biens. L’auteur affirme que le montant de l’indemnité versée correspond à une petite partie des pertes subies et qu’elle a finalement accepté ce montant en désespoir de cause, parce qu’elle était sans ressources.

8.2Après son expulsion, l’auteur est allée vivre chez sa sœur. Toutefois, au bout de quelques jours, elles ont aussi été expulsées, toutes deux, du domicile de sa sœur. Les autorités ont clairement fait savoir que la sœur avait été expulsée parce qu’elle hébergeait l’auteur. À partir de ce jour, l’auteur n’a cessé de changer de domicile, craignant d’être de nouveau expulsée.

8.3Comme les enfants portaient le nom de famille de leur père, leur inscription à l’école a été refusée. L’auteur considère qu’elle-même et ses enfants ont été empêchés de mener une vie normale. En outre, elle n’a pas pu trouver d’emploi et s’est donc retrouvée totalement sans ressources.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité

9.1Dans une note du 3 mars 2011, l’État partie affirme que, contrairement à ce que dit l’auteur dans ses commentaires, l’affaire est toujours examinée par le Gouvernement. L’État partie considère que rien ne montre qu’il n’a pas répondu aux demandes de l’auteur. Il est prouvé qu’en 2006 le Gouvernement a versé 20 millions de kwacha pour tenter de régler l’affaire, ce que l’auteur ne conteste pas. L’État partie conclut que l’auteur dispose de voies de recours utiles, qu’elle n’a pas épuisées. Depuis qu’elle a adressé sa communication au Comité, l’auteur est constamment absente du territoire de l’État partie, ce qui fait qu’il est extrêmement difficile pour le Gouvernement d’achever de régler l’affaire. L’État partie souligne qu’il tient à agir de manière efficace et dans le cadre d’une «entente mutuelle» avec l’auteur.

9.2L’État partie se réfère à une lettre du Ministère de la justice, datée du 14 décembre 2006, dans laquelle il est indiqué que l’auteur ne s’est pas encore présentée au Ministère des finances pour percevoir ses indemnités, car elle est absente du territoire de l’État partie.

Absence d’observations supplémentaires de l’État partie sur le fond

10.Par des notes verbales datées du 8 mars 2005 et du 24 mai 2005, l’État partie a été prié de faire parvenir au Comité des informations supplémentaires sur le fond de la communication. Comme l’auteur a décidé de ne pas accepter le montant de l’indemnité qui lui a été offerte, le Comité a accordé à l’État partie un délai supplémentaire pour faire part de ses observations sur le fond, allant jusqu’au 25 août 2010. Malgré trois rappels en date du 13 octobre 2010, du 23 décembre 2010 et du 1er mars 2011, l’État partie n’a pas répondu.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.2Le Comité relève le retard considérable avec lequel l’auteur a fourni des informations après l’enregistrement de la communication, mais compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il considère que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication.

11.3Le Comité note que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.4En ce qui concerne la condition prévue au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que la question soulevée dans la communication est encore en instance devant les tribunaux nationaux. Le Comité relève aussi que l’État partie explique qu’après la soumission de la communication il a engagé des négociations avec l’auteur en vue de parvenir à un règlement amiable et que, le 22 septembre 2005, l’auteur a accepté par écrit l’offre définitive de l’État partie d’un montant de 20 millions de kwacha. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur qui explique qu’elle a été contrainte d’accepter ce montant en raison de la situation très difficile dans laquelle elle se trouvait, mais qu’il n’était pas en rapport avec les pertes et les préjudices subis, en ce qui concerne tant les tortures infligées à M. Jack Chiti que les préjudices matériels résultant de l’expulsion de l’appartement que la famille occupait. Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’auteur qui indique que son mari avait déposé une plainte auprès de la Commission zambienne permanente des droits de l’homme et que la Fondation de ressources juridiques avait engagé en son nom une action en justice contre l’État partie. Le tribunal avait ordonné le versement d’une indemnisation à M. Chiti, à l’auteur et à leurs enfants pour l’expulsion illégale de leur domicile et pour la perte ou la détérioration de leurs biens, ainsi que le versement d’une indemnisation à M. Jack Chiti pour les tortures subies. Cette indemnité dont le montant avait été fixé par le tribunal n’a pas été versée par l’État partie. Le Comité note que l’État partie ne nie pas que le versement n’a pas été effectué.

11.5Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les auteurs doivent se prévaloir de tous les recours judiciaires ouverts pour satisfaire à la condition de l’épuisement de tous les recours internes disponibles, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. Le Comité rappelle aussi que l’État partie a le devoir non seulement de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de violations de l’interdiction de la torture, mais aussi d’engager des poursuites contre les personnes à qui ces violations sont imputées, de les juger et de les condamner si elles sont reconnues coupables. En l’espèce, les informations dont le Comité dispose indiquent que près de seize ans après les faits l’État partie n’a toujours pas ouvert d’enquête sur les allégations de torture et d’expulsion et s’est limité à proposer à l’auteur une somme d’argent à titre de règlement amiable. De plus, en ce qui concerne les griefs tenant à d’autres faits que la torture, l’État partie n’a pas indiqué quels recours judiciaires sont de facto ouverts à l’auteur. Par conséquent, le Comité considère que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et qu’il n’est pas empêché par ce motif d’examiner la communication.

11.6Bien que l’auteur ne développe ni ne fournisse aucun argument pour étayer les griefs de violation de divers articles qu’elle a formulés, les faits tels qu’elle les a présentés semblent soulever des questions au regard des articles 2 (par. 3), 7, 10 et 14 (par. 3 g)) en ce qui concerne Jack Chiti, qui a été arrêté et qui aurait été torturé par des agents de l’État et contraint de signer des aveux. Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme qu’à la suite de son arrestation, son époux est resté détenu à l’isolement et au secret pendant neuf jours, le Comité note qu’aucune information n’a été donnée sur l’arrestation et sur le point de savoir s’il a été présenté devant une autorité judiciaire. Toutefois, l’auteur indique que le 31 octobre 1997 elle a rendu visite à son époux au quartier général de la police de Lusaka. Le Comité conclut par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations de violation des articles 9 et 16 du Pacte. Pour ce qui est du retard excessif dans le procès de M. Chiti que l’auteur dénonce, le Comité note que les indications données sont très générales et que rien n’est dit des conditions dans lesquelles le procès s’est déroulé. Le Comité considère donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Bien que l’auteur n’ait pas spécifiquement invoqué cet article, ses allégations relatives au lien direct entre le traitement que son mari a subi en détention et son décès semblent soulever des questions au regard de l’article 6 du Pacte.

11.7Pour ce qui est des griefs de violation des articles 2 (par. 3), 7, 12 (par. 1), 17 (par. 1 et 2), 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26, ils semblent concerner l’auteur et sa famille. Le Comité note que l’auteur n’a pas indiqué l’identité complète et l’âge de ses enfants et n’a pas joint de procuration pour le cas où les enfants auraient été âgés de plus de 18 ans quand la communication a été présentée. Il n’examinera donc par conséquent pas séparément les griefs de l’auteur ayant trait à ses enfants, en particulier au regard du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Étant donné que l’auteur a fait à plusieurs reprises des allers et retours entre l’État partie et l’étranger, le Comité estime que les griefs qu’elle tire du paragraphe 1 de l’article 12 sont insuffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne l’article 26, l’auteur n’a pas expliqué en quoi consistait la discrimination qu’aurait exercée l’État partie. Cette partie de la communication est donc aussi irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Cela étant, le Comité considère que les griefs de l’auteur au titre des articles 2 (par. 3), 7, 17 et 23 (par. 1), concernant le bouleversement de sa vie de famille et l’angoisse qu’elle a éprouvée à cause de la détention de son mari, des tortures que celui-ci a subies et, finalement, de son décès, ainsi que l’absence d’indemnisation, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

11.8En conséquence, le Comité estime que les griefs tirés des articles 2 (par. 3), 6, 7, 10 et 14 (par. 3 g)) du Pacte en ce qui concerne Jack Chiti, et des articles 2 (par. 3), 7, 17 et 23 (par. 1) en ce qui concerne l’auteur et sa famille sont recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

12.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

12.2Le Comité relève que l’auteur affirme que son époux, Jack Chiti, a été torturé au quartier général de la police de Lusaka pendant neuf jours, à la suite de son arrestation le 28 octobre 1997, qu’à la suite des tortures subies, il a été transféré à l’hôpital militaire de Maina Soko, où une perforation du tympan a été diagnostiquée. Le Comité relève également que l’auteur affirme qu’un cancer de la prostate a été diagnostiqué alors que son mari était en prison mais que celui-ci n’avait pas les moyens d’acheter les médicaments prescrits et que la prison ne les lui a pas fournis; qu’il n’a pas pu non plus bénéficier du régime riche en protéines recommandé pour ralentir la progression du cancer. Le Comité relève en outre que M. Chiti était séropositif et qu’il aurait été détenu dans des conditions inhumaines, privé d’une alimentation appropriée et d’un environnement propre. Il fait observer à cet égard que d’après l’auteur, ces conditions de détention inhumaines ont entraîné le décès prématuré de M. Chiti. Étant donné le cancer et la séropositivité de M. Chiti, le fait qu’on ne lui a pas fourni les médicaments nécessaires, et les tortures et les conditions de détention inhumaines auxquelles il a été soumis, cette affirmation semble plausible. Le Comité note que l’État partie se limite à nier le lien de cause à effet que l’auteur établit entre les conditions de détention de son mari et le décès de celui-ci, sans apporter d’autre explication. En l’absence de toute contestation de la part de l’État partie, le Comité conclut que l’État partie n’a pas protégé la vie de M. Chiti, en violation de l’article 6 du Pacte.

12.3Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut en outre que les tortures infligées à Jack Chiti, les mauvaises conditions dans lesquelles il est resté détenu, sans recevoir les soins nécessités par son état de santé, l’angoisse dans laquelle il a vécu pendant sept ans avant que la condamnation à mort ne soit annulée, ainsi que l’absence d’enquête impartiale, rapide et approfondie sur ces faits constituent une violation de l’article 7, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

12.4Le Comité note aussi l’angoisse et la détresse causées par l’arrestation du mari de l’auteur, ses mauvaises conditions de détention, les allégations de torture et l’expulsion de leur domicile. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur et de sa famille.

12.5Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas les griefs au titre de l’article 10 du Pacte.

12.6En ce qui concerne le grief de violation des droits que son mari tenait du paragraphe 3 g) de l’article 14, le Comité relève que l’auteur affirme que, le 10 novembre 1997, son mari a été reconduit au quartier général de la police où il avait été torturé pendant neuf jours et contraint de faire une déclaration écrite mettant en cause certains hommes politiques dans un coup d’État présumé, et de signer le document. Le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté ce grief. Il rappelle son Observation générale no 32 sur l’article 14, dans lequel il insiste sur le fait que le droit de ne pas témoigner contre soi-même doit s’entendre comme l’interdiction de toute contrainte physique ou psychologique directe ou indirecte, des autorités chargées de l’enquête sur l’accusé, dans le but d’obtenir une reconnaissance de culpabilité. Aussi est-il d’autant plus inacceptable de traiter l’accusé d’une manière contraire à l’article 7 du Pacte pour le faire passer aux aveux. La législation interne doit veiller à ce que les déclarations ou aveux obtenus en violation de l’article 7 du Pacte ne constituent pas des éléments de preuve, si ce n’est lorsque ces informations servent à établir qu’il a été fait usage de la torture ou d’autres traitements interdits par cette disposition et à ce qu’en pareil cas il incombe à l’État de prouver que l’accusé a fait ces déclarations de son plein gré. À la lumière des informations dont il est saisi, le Comité conclut à une violation, à l’égard de M. Chiti, des droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

12.7Le Comité note l’allégation de l’auteur qui affirme que le 31 octobre 1997 des soldats, des agents de police et des agents de la sûreté de l’État ont fait irruption dans le logement de fonction qu’occupait la famille Chiti et ont emporté tous les biens de la famille. Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme que tous ses biens, y compris d’importants documents officiels, ont disparu ou ont été endommagés ou volés, et qu’elle-même et ses enfants n’ont pas pu retourner dans le logement de fonction. Ensuite, l’auteur et ses enfants auraient été expulsés six fois de force et illégalement par des agents de la sûreté de l’État de six logements dans lesquels ils avaient cherché refuge. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté cette partie de la communication. Il note aussi que l’auteur indique qu’un tribunal a statué en sa faveur et décidé qu’une indemnisation devait être accordée à la famille pour l’expulsion illégale de son domicile et pour la perte et la détérioration de ses biens. Le Comité note que l’existence de cette décision de justice n’a pas été contestée par l’État partie et qu’à ce jour le montant fixé par le tribunal n’a pas été versé à l’auteur.

12.8À la lumière des informations dont il dispose, le Comité conclut que l’expulsion illégale de l’auteur et la destruction des biens de la famille ont nui gravement à la vie de famille de l’auteur et constituent une violation des droits que la famille tient de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, pour laquelle aucune réparation effective n’a été assurée. Le Comité conclut que l’expulsion de la famille Chiti et la destruction de ses biens constituent une violation des articles 17 et 23, seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte; une violation de l’article 7, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2; une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14, et une violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

14.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile consistant: a) à mener une enquête approfondie et diligente sur les tortures infligées à son mari en détention; b) à fournir à l’auteur des informations détaillées sur les résultats de l’enquête; c) à engager des poursuites pénales contre les responsables des tortures, à les juger et à les condamner; d) à assurer à l’auteur une réparation appropriée pour toutes les violations des droits de l’auteur ainsi que des droits de son mari. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

15.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]