Nations Unies

CCPR/C/101/D/1604/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

28 avril 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

101 e session

14 mars-1er avril 2011

Constatations

Communication no 1604/2007

Présentée par:

Elena Zalesskaya (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

8 février 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partiele 5 octobre 2007 (non publiée sous formede document)

Date de l ’ adoption des constatations:

28 mars 2011

Objet:

Engagement de poursuites à l’encontre de l’auteur pour distribution de journaux et de tracts dans la rue

Question s de procédure:

Fondement des griefs

Questions de fond:

Liberté d’expression; droit de répandre des informations; réunion pacifique; interdiction de la discrimination

Articles du Pacte:

19 (par. 2 et 3), 21 et 26

Article du Protocole facultatif:

2

Le 28 mars 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1604/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (101e session)

concernant la

Communication no 1604/2007 **

Présentée par:

Elena Zalesskaya (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

8 février 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1604/2007 présentée par Elena Zalesskaya en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication datée du 8 février 2007 est MmeElena Zalesskaya, de nationalité ukrainienne, née en 1932. Elle se déclare victime de violations par le Bélarus des droits garantis par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 27 juillet 2006 l’auteur, en compagnie de deux autres personnes, distribuait aux passants sur un trottoir de Vitebsk des exemplaires des journaux officiellement reconnus Tovarichtch («Camarade») et Narodnaya Volya («La volonté du peuple») ainsi que des tracts d’information. Ils ont rapidement été arrêtés par la police et conduits au Département des affaires intérieures du district d’Oktyabr de la ville de Vitebsk, où il a été dressé un procès-verbal établissant qu’ils avaient agi en violation de l’article 167, partie 1, du Code des infractions administratives du Bélarus. L’auteur a été accusée d’avoir enfreint la procédure régissant l’organisation et la tenue de défilés de rue. Le 28 juillet 2006, elle a été condamnée à une amende d’un montant de 620 000 roubles bélarussiens par le tribunal de district de Vitebsk.

2.2Le 14 août 2006, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district de Vitebsk auprès du tribunal régional de Vitebsk qui a rejeté l’appel le 20 septembre 2006. Le 25 septembre 2006, elle a formé un recours en appel auprès de la Cour suprême qui a confirmé la décision du tribunal régional de Vitebsk le 10 novembre 2006.

2.3L’auteur affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a commis une violation du droit de répandre des informations ainsi que du droit qu’a toute personne de recevoir des informations, garantis par l’article 19 du Pacte.

3.2Elle affirme également que le tribunal n’a pas établi qu’elle avait organisé et conduit un défilé de rue à Vitebsk, entre la place de la Liberté et la place Lénine le 27 juillet 2006. Le fait qu’un groupe de trois personnes marche sur un trottoir en distribuant des exemplaires du journal officiellement reconnu Tovarichtch («Camarade»), initiative pour laquelle elles avaient une autorisation écrite, ainsi que des imprimés (tracts) dont la légalité n’a pas été contestée par le tribunal, ne peut être considéré comme une manifestation collective organisée.

3.3L’auteur affirme que ni elle ni les deux autres personnes ne brandissaient de banderoles, pancartes ou autres supports de propagande, comme il apparaît dans les enregistrements vidéo présentés par la police à titre de preuve de sa culpabilité. Ses actes ont été indûment qualifiés de manifestation collective organisée.

3.4L’auteur explique que si elle n’avait pas demandé aux autorités compétentes l’autorisation d’organiser une manifestation collective, c’est qu’elle n’avait pas l’intention d’en organiser une. La distribution d’imprimés a duré à peine dix minutes avant que les intéressés ne soient arrêtés et leurs actes n’ont pas porté atteinte aux droits et libertés d’autrui ni porté préjudice à des concitoyens ou au patrimoine municipal. Elle estime que la décision rendue par le tribunal est déraisonnable, injuste et cruelle et fait remarquer que le montant de l’amende qui lui a été infligée équivaut à deux mois de sa pension de retraite.

3.5D’après l’auteur, les autorités n’ont présenté aucun fait démontrant qu’il y avait eu atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public pendant la distribution des imprimés et, par conséquent, elles ont reconnu implicitement son caractère pacifique. Elles n’ont pas non plus apporté de preuves littérales montrant qu’il y avait eu des atteintes à la vie, à la santé de personnes, à leur moralité ou à leurs droits et libertés. En conséquence, l’auteur affirme que l’État partie a également violé le droit de réunion pacifique qu’elle tient de l’article 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 2 mai 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il déclare qu’un rapport rédigé le 27 juillet 2006 établit que l’auteur a enfreint l’article 167, partie 1, du Code des infractions administratives du Bélarus. Selon ce rapport le 27 juillet 2006 à 18 h 10, l’auteur a organisé sans autorisation une manifestation collective − un défilé rassemblant un groupe de personnes qui se sont rendues de la place de la Liberté à la place Lénine à Vitebsk, afin d’exprimer publiquement leurs opinions sociopolitiques (manifestation accompagnée d’une distribution de tracts). Interrogée par la police, l’auteur a expliqué qu’en tant que membre du Parti uni des citoyens (Obedinennaya Grazhdanskaya Partya) et Présidente de l’antenne de ce parti à Vitebsk, elle avait reçu une lettre du parti Unité nationale russe (Russkoye Natsionalnoe Edinstvo) appelant à la haine interethnique et qu’elle avait décidé d’y répondre en distribuant des tracts aux habitants de Vitebsk.

4.2L’État partie souligne également que des procès-verbaux similaires ont été établis pour les deux autres personnes impliquées. Le 27 juillet 2006 à 18 h 10 l’auteur accompagnée de deux personnes a organisé sans autorisation un défilé de rue de la place de la Liberté à la place Lénine et a distribué des imprimés, notamment le journal Narodnaya Volya («La volonté du peuple») et des tracts titrant: «Za nachu, za vachu svobodou» («Pour notre liberté et pour la vôtre»). Le procès-verbal établit que quand elle a été fouillée, l’auteur était en possession de 13 exemplaires du journal Narodnaya Volya, d’une centaine d’exemplaires du journal Tovarichtch et d’environ 200 tracts d’information.

4.3Les rapports sur les faits constitutifs de l’infraction administrative ont été examinés par le tribunal de district de Vitebsk le 28 juillet 2006. À l’audience, l’auteur a plaidé non coupable, objectant que le fait de distribuer des journaux et des tracts aux passants en marchant sur un trottoir ne pouvait pas être assimilé à un défilé de rue. Les policiers ont expliqué que l’auteur et les deux autres personnes marchaient ensemble sur le trottoir de la rue Lénine en distribuant des tracts et le journal Tovarichtch aux passants, attirant ainsi leur attention. Ils ont également informé le tribunal que le Comité exécutif de la ville n’avait pas reçu de demande d’autorisation pour organiser un défilé le 27 juillet 2006 entre la place de la Liberté et la place Lénine. Un enregistrement vidéo a été présenté au tribunal.

4.4L’auteur et les deux autres personnes ont été reconnues responsables d’infraction à la procédure régissant l’organisation et la tenue des défilés établie à l’article 167, partie 1, du Code des infractions administratives du Bélarus et ont été condamnées à une amende de 620 000 roubles bélarussiens (20 fois le montant de base). Le tribunal a désigné l’auteur comme l’organisatrice de ce défilé non autorisé. L’affaire a été examinée en appel par le tribunal régional de Vitebsk en octobre 2006 puis par la Cour suprême du Bélarus, en novembre 2006. La décision rendue en première instance a été confirmée. Mme Zalesskaya n’a pas déposé de plainte auprès du Bureau du Procureur de la région de Vitebsk. En revanche elle a introduit une plainte auprès du Bureau du Procureur du district d’Oktyabr de Vitebsk le 16 août 2006, plainte qui lui a été retournée le 21 août 2006 parce qu’elle n’avait pas acquitté les frais administratifs.

4.5Les allégations de l’auteur qui fait valoir que la sanction administrative prononcée pour infraction à la procédure régissant l’organisation et la tenue de manifestations collectives constitue une violation du droit de répandre librement des informations, consacré à l’article 34 de la Constitution du Bélarus, sont dénuées de fondement. Le droit de répandre librement des informations est parfaitement respecté au Bélarus. L’auteur essaie indûment de faire passer pour une violation d’un de ses autres droits constitutionnels la sanction qui a été prononcée légalement pour infraction à la procédure régissant l’organisation et la tenue des réunions, rassemblements et défilés. Il a été maintes fois expliqué à l’auteur que ce n’était pas la distribution d’imprimés pendant le défilé et par conséquent la diffusion d’informations qui avaient été retenues comme preuves contre elle dans l’affaire administrative. L’auteur a également tenté de contester l’appréciation faite par le tribunal des circonstances de l’affaire et d’imposer sa propre définition de l’expression «défilé de rue». À ce sujet, l’État partie rappelle que les normes juridiques, tout comme l’appréciation des faits de la cause, relèvent des droits souverains des États et n’entrent donc pas dans le champ d’application du Pacte. L’auteur considère que la décision du tribunal de lui infliger une amende de 620 000 roubles bélarussiens est cruelle au vu de sa pension de retraite. Ce montant représente pourtant le minimum fixé par la loi et toutes les circonstances décrites par l’auteur ont été prises en considération lors de la procédure.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 17 juillet 2008, l’auteur rappelle que sa communication au Comité des droits de l’homme vise à rétablir le droit des citoyens bélarussiens de répandre et de recevoir librement des informations, droit garanti par la Constitution et par plusieurs autres textes, ainsi que par des instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie. L’auteur prend acte des informations présentées par l’État partie concernant son arrestation le 27 juillet 2006, l’inculpation qui a suivi pour infraction à la procédure régissant l’organisation et la tenue des défilés, l’établissement d’un rapport pour infraction à l’article 167, partie 1, du Code des infractions administratives et la condamnation à une amende de 620 000 roubles bélarussiens.

5.2L’auteur déclare également qu’elle est Présidente de l’antenne locale du Parti uni des citoyens depuis plus de dix ans et qu’elle connaît donc la procédure à respecter pour organiser et mener des rassemblements, des défilés et des piquets. Elle ajoute qu’elle sait quelles sont les sanctions encourues en cas de non-respect de la loi sur les manifestations collectives dans la République du Bélarus (la «loi sur les manifestations collectives») et qu’elle s’est toujours considérée comme une citoyenne respectueuse des lois. L’action du 27 juillet 2006 ne prétendait pas être une manifestation collective. Il s’agissait simplement de distribuer aux passants des exemplaires de deux journaux publiés officiellement, Narodnaya Volya et Tovarichtch, et des tracts d’information. C’est pour cette raison qu’elle n’avait pas demandé aux autorités compétentes l’autorisation d’organiser une manifestation collective, comme l’exige la loi. Il a été vérifié, pendant la procédure, que les journaux et les tracts distribués ne contenaient pas d’informations susceptibles de porter atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui. Elle ajoute que ces imprimés ne révélaient pas de secrets d’État et ne contenaient pas non plus d’appels à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la santé et à la moralité publiques. Ce fait n’a pas été contesté par les autorités du Bélarus dans leurs observations sur la recevabilité et sur le fond. Par conséquent, elle fait valoir qu’aucune des restrictions qui peuvent être imposées au droit de répandre librement des informations selon la législation bélarussienne ne s’applique dans son cas.

5.3L’auteur se réfère également à l’article 34 de la Constitution du Bélarus qui garantit à tous les citoyens le droit de recevoir, de conserver et de diffuser une information complète, authentique et à jour sur les activités des organes de l’État et des associations publiques, sur la vie politique, économique et internationale et sur l’état de l’environnement. Elle souligne que l’État est le garant de la réalisation de ce droit mais que des policiers − des représentants de l’État − l’ont empêchée en agissant de manière illégale d’exercer son droit à la liberté de répandre des informations et ont dénié aux autres citoyens leur droit de recevoir des informations.

5.4L’auteur relève en outre que selon l’État partie elle avait organisé et mené sans autorisation un défilé de rue avec deux autres personnes. Elle objecte que la loi sur les manifestations collectives ne définit pas l’expression «manifestation collective» et que l’État partie a donc indûment qualifié les faits du 27 juillet 2006 de manifestation collective. Sur ce point, la loi est ambiguë et peu claire ce qui laisse la porte ouverte à des erreurs, comme cela s’est produit dans son cas. Selon elle, trois personnes qui marchent sur un trottoir en distribuant des tracts ne peuvent pas être considérées comme un défilé collectif. C’est pourtant le terme qu’ont retenu la police et les tribunaux. L’auteur réaffirme qu’elle est victime d’une violation des droits consacrés par l’article 19 du Pacte.

5.5L’auteur se réfère à d’autres faits survenus en 2007 et en 2008 pour lesquels elle a été condamnée à des amendes de 62 000 et de 700 000 roubles bélarussiens respectivement, pour participation à des manifestations collectives non autorisées (piquets).

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations du 12 janvier 2009, l’État partie rappelle que le droit à la liberté d’expression est garanti à chacun dans les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en vertu du paragraphe 2 de l’article 19. Il affirme que la République du Bélarus, en tant que partie au Pacte, reconnaît et respecte pleinement ses obligations découlant du Pacte et il fait référence à l’article 33 de la Constitution qui consacre le droit à la liberté d’opinion, de conviction et d’expression. Il se réfère également à l’article 26 du Pacte et affirme que les Bélarussiens jouissent, en plus d’autres droits, du droit à une protection juridictionnelle, consacré par la Constitution, qui garantit à tous l’accès libre aux tribunaux ainsi que l’égalité de tous devant la loi. L’État partie soutient donc que la législation bélarussienne prévoit toutes les conditions nécessaires pour que les citoyens puissent exercer leur droit à la liberté d’expression et leur droit de recevoir et de répandre des informations. Il ajoute que Mme Zalesskaya a enfreint les dispositions législatives établissant la procédure applicable pour organiser et mener des manifestations collectives et a tenté d’exercer par des moyens illégitimes ses droits au titre de l’article 19 du Pacte et de l’article 33 de la Constitution.

6.2Pour ce qui est des faits survenus en 2007 et 2008 mentionnés par l’auteur, l’État partie note que ni le Protocole facultatif ni le Règlement intérieur du Comité des droits de l’homme ne contiennent de dispositions autorisant l’examen de nouveaux arguments fondés sur des faits et griefs sans rapport avec la communication initiale.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

7.1En date du 12 mars 2009, l’auteur a présenté des commentaires supplémentaires sur les observations de l’État partie et elle réaffirme que les articles 19 et 21 du Pacte ont été violés. Elle confirme que comme l’avance l’État partie, la procédure régissant l’organisation de manifestations collectives est fixée par la législation nationale et que les organisateurs de telles manifestations doivent respecter certaines conditions pour obtenir une autorisation. Cependant, elle n’a pas demandé d’autorisation aux autorités municipales parce que son action n’était pas une manifestation «collective». La loi sur les manifestations collectives ne donne pas d’indication de nombre qui permettrait aux citoyens, aux policiers et aux tribunaux de juger si une manifestation peut être qualifiée de «collective». C’est pourquoi, lorsqu’elle a fait le projet de distribuer des tracts imprimés avec deux autres personnes, elle ne pensait pas que trois personnes pouvaient tenir une manifestation «collective». Elle ajoute que l’État partie n’a apporté aucune preuve établissant que la distribution de journaux et de tracts constituait un défilé de rue.

7.2L’auteur explique que l’arrêté relatif à l’organisation des manifestations collectives à Vitebsk est une autre raison pour laquelle elle n’a pas demandé d’autorisation. Selon elle, la décision no 820 du Comité exécutif de la ville, en date du 24 octobre 2003, sur la procédure régissant l’organisation et la tenue de manifestations collectives dans la ville de Vitebsk («la décision no 820») limite de manière importante le droit à la liberté d’opinion, de conviction et d’expression ainsi que le droit de réunion pacifique des citoyens de Vitebsk. Ces restrictions sont les suivantes: 1) la désignation de lieux spécifiques dans lesquels des manifestations collectives peuvent être organisées (seulement trois parcs peu fréquentés); 2) le paiement obligatoire de services municipaux spéciaux (police, service de ramassage des ordures, services de secours, toutes activités qui devraient, selon l’auteur, être prises en charge par le budget de la ville, alimenté par les impôts); 3) l’impossibilité d’organiser des manifestations collectives pendant les vacances, les journées commémoratives et les autres jours décrétés importants par les autorités. Ces conditions sont incompatibles avec l’article 19 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.1En date du 4 septembre 2009, l’État partie a présenté ses nouvelles observations. Il se réfère aux termes de l’article 19 du Pacte, et fait valoir que le paragraphe 3 de cet article impose au titulaire de droits des devoirs et responsabilités spéciaux. Le droit à la liberté d’expression peut donc être assorti de certaines restrictions qui doivent être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits et de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Cette disposition est reflétée à l’article 23 de la Constitution qui énonce que la restriction des droits et libertés individuels n’est autorisée que dans les circonstances spécifiées par la loi pour assurer la sécurité nationale, l’ordre public et la protection de la santé et de la moralité publiques ainsi que des droits et libertés d’autrui. L’article 35 de la Constitution garantit la liberté de se réunir, de se rassembler et d’organiser des défilés de rue, des manifestations ou des piquets pour autant qu’ils ne troublent pas l’ordre public et ne portent pas atteinte aux droits des autres citoyens. La procédure régissant l’organisation de telles manifestations est prévue par la loi. À ce sujet, l’article 6 de la loi sur les manifestations collectives prévoit expressément que les décisions relatives à l’heure et au lieu d’une éventuelle manifestation appartiennent au responsable de l’organe exécutif local. Étant donné que les interdictions et les dispositions régissant la tenue des manifestations collectives sont inscrites dans la Constitution et les lois, comme le prévoit le Pacte, et que la décision no 820 du Comité exécutif de la ville de Vitebsk a été adoptée conformément aux dispositions de ces textes, l’État partie considère que la décision du Comité exécutif ne constitue pas un manquement à ses obligations internationales ni une atteinte aux droits des citoyens. En conséquence, l’allégation de l’auteur qui affirme que la décision no 820 sur la procédure régissant l’organisation et la tenue de manifestations collectives dans la ville de Vitebsk limiterait le droit à la liberté d’opinion, de conviction et d’expression des citoyens de Vitebsk, ainsi que leur droit de réunion pacifique, est dénuée de fondement.

8.2L’État partie déclare aussi que conformément à l’article 2 de la loi sur les manifestations collectives, est considéré comme une manifestation collective tout rassemblement, réunion, défilé de rue, piquet ou autre manifestation à caractère collectif. L’action organisée par l’auteur a été qualifiée par les organes compétents de défilé de rue, c’est-à-dire un déplacement collectif organisé d’un groupe de personnes sur un trottoir, une rue, un boulevard, une avenue ou une place, en vue d’attirer l’attention sur un problème ou d’exprimer publiquement une opinion ou un grief d’ordre sociopolitique. Puisque la loi ne fixe pas le nombre minimum de participants, l’État partie estime qu’il est dans les prérogatives des autorités compétentes de qualifier tel ou tel projet de manifestation «collective», compte tenu de la situation sur le lieu de la manifestation. L’auteur a ignoré toutes les prescriptions de la loi en ne déposant pas une demande d’autorisation pour organiser une manifestation collective auprès de l’organe exécutif local. Elle a participé plusieurs fois à des manifestations collectives non autorisées et a donc été à juste titre reconnue responsable d’une infraction administrative. Le 25 mars 2008, elle a ainsi été condamnée à une amende pour avoir participé pendant une année à une manifestation collective, un piquet, que la loi sur les manifestations collectives définit comme l’expression publique par un citoyen ou un groupe de citoyens de leurs opinions sociopolitiques, collectives, individuelles ou d’autres intérêts ou de leur mécontentement (sans défilé), notamment par une grève de la faim, concernant tout problème, avec ou sans utilisation de pancartes, banderoles ou autres supports. L’État partie déclare que l’allégation de l’auteur qui fait valoir que ses actions dans un groupe de trois personnes ne peuvent être considérées comme une participation à une manifestation collective représente l’opinion personnelle de l’auteur et reflète une interprétation erronée des dispositions du Pacte et de la législation nationale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Eu égard à la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas formé recours de la décision rendue par le tribunal du district d’Oktyabr de Vitebsk (tribunal de première instance) auprès du Bureau du procureur de la région de Vitebsk, même s’il reconnaît que l’auteur a déposé une plainte auprès du Bureau du procureur du district d’Oktyabr de Vitebsk, plainte qui a été rejetée pour non-paiement des frais administratifs. Le Comité note également que l’auteur s’est pourvue auprès de la Cour suprême, qui a confirmé la décision du tribunal de première instance. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

9.4Le Comité considère que les griefs de violation des articles 19 et 21 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de recevabilité; il les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties.

10.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui fait valoir que le droit de répandre des informations garanti au paragraphe 2 de l’article 19 a été violé puisqu’elle a été arrêtée puis condamnée à une amende de 620 000 roubles bélarussiens (20 fois le montant de base) pour avoir distribué des journaux et des tracts d’information le 27 juillet 2006, à Vitebsk.

10.3Le Comité prend note aussi de l’argument de l’auteur affirmant que la loi sur les manifestations collectives dans la République du Bélarus est ambiguë et manque de clarté, puisqu’elle ne définit pas précisément ce qu’il faut entendre par «manifestation collective» et qu’elle ne spécifie pas à partir de quel nombre de participants une manifestation devient «collective». L’État partie reconnaît ce fait et indique que c’est aux organes compétents de l’État de décider au cas par cas si une manifestation doit être définie comme «collective» ou non.

10.4Le Comité considère que la question de droit qu’il doit examiner n’est pas de savoir si les actions de l’auteur doivent ou ne doivent pas être qualifiées de manifestation collective non autorisée au sens de la législation bélarussienne, c’est-à-dire que son rôle n’est pas d’apprécier les faits et les preuves invoqués par les tribunaux de l’État partie ni d’interpréter la législation nationale. En revanche, il doit se prononcer sur la question de savoir si la condamnation à une amende constitue une violation de l’article 19 du Pacte. Il ressort des informations dont le Comité est saisi que les actes de l’auteur ont été qualifiés par les tribunaux de participation à un défilé non autorisé et non comme consistant à «répandre des informations». Le Comité estime que l’appréciation ainsi faite par les autorités, quelle que soit sa qualification en droit, constitue de facto une limitation des droits que tient l’auteur du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.5Le Comité doit examiner si les restrictions imposées au droit à la liberté d’expression de l’auteur sont fondées en vertu de l’un quelconque des critères énumérés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il fait observer que, en l’espèce, l’État partie a simplement avancé que le droit à la liberté d’expression tel qu’il est garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte peut être soumis à des limitations fixées par la loi (par. 3 de l’article 19 du Pacte et art. 32 de la Constitution du Bélarus). Il observe également que l’État partie n’a pas contesté que les journaux et les tracts distribués ne contenaient aucune information susceptible de nuire aux droits ou à la réputation d’autrui, ne révélaient aucun secret d’État et ne contenaient aucun appel visant à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la santé et à la moralité publiques, comme l’affirme l’auteur. En outre, l’État partie n’a invoqué aucun motif précis justifiant les restrictions imposées aux activités de l’auteur, comme il est exigé au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Le Comité estime que dans les circonstances de l’espèce, l’amende infligée à l’auteur n’était justifiée par aucun des critères établis au paragraphe 3 de l’article 19. Il conclut donc à la violation des droits que tient l’auteur du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 21 du Pacte, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que les restrictions imposées à l’auteur étaient nécessaires pour maintenir la sécurité nationale, la sûreté publique ou l’ordre public ou pour protéger la santé et la moralité publiques ou sauvegarder les droits et libertés d’autrui. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ont entraîné également une violation des droits de l’auteur garantis par l’article 21 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que tient l’auteur du paragraphe 2 de l’article 19 ainsi que de l’article 21 du Pacte.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme notamment du remboursement de la valeur actuelle de l’amende, ainsi que des frais de justice encourus par l’auteur, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]