Présentée par:

Mme Raihon Hudoyberganova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

15 septembre 1999 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 mai 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

5 novembre 2004

Le 5 novembre 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 931/2000, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte est joint en annexe au présent document.

[ANNEXE]

Annexe

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

− Quatre ‑vingt ‑deuxième session −

concernant la

Communication n o  931/2000*

Présentée par:

Mme Raihon Hudoyberganova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

15 septembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 931/2000, présentée par Mme Raihon Hudoyberganova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Raihon Hudoyberganova, de nationalité ouzbèke, née en 1978. Elle affirme être victime de violations par l’Ouzbékistan de ses droits garantis par les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Mme Hudoyberganova était étudiante au Département de persan à la faculté des langues de l’Institut d’État pour les langues orientales de Tachkent depuis 1995. En 1996, elle a rejoint le Département des affaires islamiques de l’Institut, qui venait d’être créé. Elle explique qu’en tant que musulmane pratiquante elle s’habille correctement conformément aux préceptes de sa religion, et qu’elle a commencé au cours de sa deuxième année d’études à porter le foulard (hijab). Selon elle, en septembre 1997 l’administration de l’Institut a commencé à restreindre de manière draconienne le droit à la liberté de croyance des musulmans pratiquants. La salle de prière de l’Institut a été fermée et, lorsque les étudiants se sont plaints à la direction, l’administration a commencé à les harceler. Toutes les étudiantes qui portaient le hijab ont été «invitées» à quitter l’Institut pour aller étudier à l’Institut islamique de Tachkent.

2.2L’auteur et les étudiantes concernées ont continué de suivre les cours, mais les enseignants ont commencé à exercer de plus en plus de pressions sur elles. Le 5 novembre 1997, après qu’elles eurent adressé une nouvelle plainte au recteur de l’Institut pour dénoncer les empiètements présumés sur leurs droits, leurs parents ont été convoqués à Tachkent. À son arrivée, le père de l’auteur s’est fait signifier que Mme Hudoyberganova était en contact avec un groupe religieux dangereux qui pourrait lui porter préjudice, qu’elle portait le hijab à l’Institut, et qu’elle persistait à se rendre dans les salles de cours malgré l’interdiction qui lui avait été adressée. Comme la mère de Mme Hudoyberganova était à l’époque gravement malade, le père a décidé de ramener sa fille à la maison. Cette dernière est revenue à l’Institut le 1er décembre 1997. Le vice‑doyen chargé des questions idéologiques et éducatives a alors convoqué les parents de l’auteur et s’est plaint de sa manière de s’habiller; à la suite de cet entretien, l’auteur aurait été menacée et des tentatives auraient été faites pour l’empêcher d’assister aux cours.

2.3Le 17 janvier 1998, l’auteur a été informée de l’adoption d’un nouveau règlement de l’Institut en vertu duquel les étudiants n’étaient plus autorisés à porter des tenues religieuses et qu’on lui a demandé de signer. Elle a accédé à cette demande, tout en notant par écrit qu’elle n’était pas d’accord avec les dispositions du nouveau règlement qui interdisaient aux étudiantes de couvrir leur visage. Le lendemain, le vice‑doyen chargé des questions idéologiques et éducatives l’a convoquée à son bureau pendant les cours, lui a de nouveau montré le règlement et lui a demandé d’ôter son foulard. Le 29 janvier, il a fait venir les parents de l’auteur parce que, apparemment, Mme Hudoyberganova avait été exclue de la cité universitaire. Le 20 février 1998, l’auteur a été transférée du Département des affaires islamiques à la faculté des langues. On lui a signifié que le Département était fermé et qu’il ne rouvrirait que si les étudiantes concernées cessaient de porter le hijab.

2.4Le 25 mars 1998, le doyen du Département de persan a informé l’auteur d’une décision par laquelle le recteur l’avait exclue de l’Institut. Cette décision avait été prise en raison de l’attitude négative présumée de l’auteur à l’égard des professeurs et parce qu’elle aurait violé les dispositions du règlement de l’Institut. Il a été signifié à Mme Hudoyberganova que la décision serait annulée si elle changeait d’avis au sujet du hijab.

2.5Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur explique que, le 10 mars 1998, elle a écrit au Ministère de l’éducation pour lui demander de faire en sorte que l’Institut cesse de violer la loi; sa démarche aurait eu pour effet sa déchéance de son statut d’étudiante le 15 mars 1998. Le 31 mars 1998, l’auteur a adressé une plainte au recteur, affirmant que cette décision était illégale. Le 13 avril 1998, elle s’est plainte auprès du Président du Comité des affaires religieuses (Conseil des ministres); le 22 avril 1998, le Président lui a conseillé de respecter le règlement de l’Institut. Le 14 avril 1998, l’auteur a écrit au Directoire spirituel des musulmans d’Ouzbékistan mais n’a reçu de cet organisme «aucune réponse écrite». Suite à ses lettres adressées le 3 mars et les 13 et 15 avril 1998 au Ministre de l’éducation, le Vice‑Ministre lui a conseillé, le 11 mai 1998, de se conformer au règlement de l’Institut.

2.6Le 15 mai 1998, une nouvelle loi (loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses) est entrée en vigueur. Son article 14 dispose que les citoyens ouzbeks ne sont pas autorisés à porter des habits religieux dans les lieux publics. L’administration de l’Institut a informé les étudiantes que celles d’entre elles qui porteraient le hijab seraient exclues.

2.7Le 20 mai 1998, l’auteur a saisi le tribunal de district de Mirabadsky (Tachkent), demandant son rétablissement dans ses droits en tant qu’étudiante. Le 9 juin 1998, le conseiller juridique de l’Institut a demandé au tribunal d’ordonner l’arrestation de l’auteur en application de l’article 14 de la nouvelle loi. L’avocat de Mme Hudoyberganova a objecté que cette loi portait atteinte aux droits de l’homme. Selon l’auteur, au cours de l’audience du tribunal du 16 juin, son avocat a demandé, en son nom, la comparution de l’avocat du Comité des affaires religieuses, qui a témoigné que la tenue de l’auteur n’avait pas de rapport avec le culte.

2.8Le 30 juin 1998, le tribunal a débouté l’auteur, en se fondant apparemment sur les dispositions de l’article 14 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses. Selon l’auteur, l’Institut a fourni au tribunal de faux documents pour prouver que l’administration l’avait avertie qu’elle risquait d’être renvoyée. L’auteur a ensuite demandé au Procureur général, au Vice‑Premier Ministre et au Président du Comité des affaires religieuses de préciser le sens des termes tenue de «culte» (religieuse) et elle a été informée par le Comité que l’islam ne prescrivait aucune tenue de culte spécifique.

2.9Le 15 juillet 1998, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district (du 30 juin 1998) devant le tribunal municipal de Tachkent. Le 10 septembre, ce dernier a confirmé la décision du tribunal de district. À la fin de 1998 et en janvier 1999, l’auteur a adressé une plainte au Parlement, au Président de la République et à la Cour suprême; le Parlement et les services de la présidence ont transmis ses lettres à la Cour suprême. Le 3 février 1999 et le 23 mars 1999, la Cour suprême l’a informée qu’elle ne voyait aucune raison de contester les décisions prises par les tribunaux.

2.10Le 23 février 1999, l’auteur a adressé une plainte à l’Ombudsman. Le 26 mars 1999, elle a reçu copie de la réponse du recteur de l’Institut à l’Ombudsman, dans laquelle il réaffirmait que Mme Hudoyberganova avait constamment violé le règlement de l’Institut et s’était mal conduite à l’égard de ses professeurs, que ses actes montraient qu’elle appartenait à une organisation extrémiste wahhabite et qu’il n’avait aucune raison de l’admettre à nouveau en tant qu’étudiante. Le 12 avril 1999, l’auteur a adressé une plainte à la Cour constitutionnelle. Cette dernière lui a fait savoir qu’elle n’était pas compétente pour examiner ses griefs, et sa requête a donc été envoyée au Bureau du Procureur général, qui l’a à son tour transmise au Bureau du Procureur de Tachkent qui a informé l’auteur le 30 juin 1999 qu’il n’y avait aucune raison d’annuler les décisions des tribunaux la concernant. Le 1er juillet 1999, l’auteur a adressé une nouvelle plainte au Procureur général, lui demandant de faire examiner son cas. Elle n’a pas reçu de réponse.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme être victime de violations des articles 18 et 19 du Pacte dans la mesure où elle a été exclue de l’Université parce qu’elle portait un foulard pour des raisons religieuses et refusait de l’ôter.

Observations de l’État partie

4.1.En date des 24 mai 2000, 26 février 2001, 11 octobre 2001 et 3 septembre 2004, le Comité a demandé à l’État partie de lui fournir des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. L’État partie a fait part de ses observations en date du 21 octobre 2004. Il rappelle que, le 21 mai 1998, l’auteur a saisi le tribunal de district de Mirabadsky (municipalité de Tachkent), lui demandant de reconnaître l’illégalité de son renvoi de l’Institut d’État pour les langues orientales de Tachkent et de la rétablir dans son statut d’étudiante. Le 30 juin 1998, le tribunal de district de Mirabadsky l’a déboutée de sa plainte.

4.2L’État partie explique qu’il ressort du dossier de l’affaire civile que l’auteur a intégré la faculté des langues de l’Institut en 1995, et qu’en 1996 elle a poursuivi ses études à la faculté d’histoire (Département d’études islamiques). En vertu de l’alinéa d de l’article 2 du règlement intérieur (régissant les droits et obligations des étudiants de l’Institut), il est interdit aux étudiants de porter des vêtements «suscitant une attention excessive» et de circuler le visage couvert (par un hijab). Ces dispositions ont été débattues lors d’une assemblée générale des étudiants le 15 janvier 1998. Le texte en a été soumis à l’auteur, qui a rédigé une note dans laquelle elle exprimait son désaccord avec les prescriptions de l’alinéa d de l’article 2. Le 26 janvier 1998, le doyen de la faculté d’histoire lui a adressé un avertissement au motif qu’elle violait les dispositions de l’alinéa d de l’article 2. L’auteur a refusé de signer l’avertissement, comme il est constaté dans le procès‑verbal établi le 27 janvier 1998.

4.3Le 10 février 1998, sur ordre du doyen de la faculté d’histoire, l’auteur a reçu un blâme pour inobservation du règlement intérieur. Le 16 mars 1998, sur l’ordre du recteur de l’Institut, Mme Hudoyberganova a été renvoyée de l’Institut aux motifs suivants: «attitude profondément irrespectueuse à l’égard d’un enseignant et violation du règlement intérieur de l’Institut malgré des injonctions répétées». Selon l’État partie, il n’a pas été fait appel de cette décision. La plainte de l’auteur au titre de la procédure de supervision (nadzornaya zhaloba) n’a pas abouti.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Aucune réponse de l’État partie contestant cette conclusion n’a été reçue. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont donc été remplies.

5.3Le Comité note que l’auteur invoque l’article 19 du Pacte sans toutefois formuler de griefs précis à ce titre, et qu’elle se contente de le citer. Il conclut donc que l’auteur n’a pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication n’est pas recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Quant aux autres griefs de l’auteur au titre de l’article 18 du Pacte, le Comité considère qu’ils ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et décide de les examiner au fond.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que ses droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion ont été violés du fait de son exclusion de l’Université par suite de son refus d’ôter le foulard qu’elle portait pour se conformer à ses croyances. Le Comité considère que la liberté de manifester sa religion englobe le droit de porter en public des vêtements ou une tenue conformes à sa foi ou à sa religion. Par ailleurs, il estime que le fait d’empêcher une personne de porter un habit religieux en public et en privé peut constituer une violation du paragraphe 2 de l’article 18, qui interdit toute contrainte qui porterait atteinte à la liberté de la personne d’avoir ou d’adopter une religion. Comme l’indique l’Observation générale no 22 (par. 5), les politiques ou les pratiques ayant le même but ou le même effet de contrainte directe, telles que celles restreignant l’accès à l’éducation, sont incompatibles avec le paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte. Le Comité rappelle toutefois que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction n’est pas une liberté absolue, et qu’elle peut faire l’objet des restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé ou de la morale publics ou des droits et libertés fondamentaux d’autrui (art. 18, par. 3, du Pacte). En l’espèce, l’exclusion de l’auteur a eu lieu le 15 mars 1998 et se fondait sur les dispositions du nouveau règlement de l’Institut. Le Comité note que l’État partie n’a pas invoqué de raison particulière montrant que la restriction imposée à l’auteur serait, selon lui, nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article18. Au contraire, l’État partie a cherché à justifier l’expulsion de l’auteur de l’Université par son refus de se conformer à l’interdiction. Ni l’auteur ni l’État partie n’a clarifié quel type précis d’habit l’auteur portait, et qui a été désigné comme «hijab» par les deux parties. Dans les conditions particulières de l’affaire en question et sans préjuger ni du droit de l’État de limiter les manifestations de la religion ou de la conviction dans le cadre de l’article 18 du Pacte et compte dûment tenu des données propres au contexte, ni de celui des institutions universitaires d’établir des règles spécifiques à leur fonctionnement propre, en l’absence de justification fournie par l’État partie, le Comité se trouve amené à conclure à une violation du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Mme Hudoyberganova un recours utile. Il a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné que, en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Mon opinion dissidente sur la communication à l’examen porte sur les points suivants:

Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit examiner la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui sont soumises par les parties. Dans le cas présent, c’est l’auteur qui a fourni le plus d’informations, encore que ces informations ne confirment pas ses propres allégations et vont même jusqu’à les contredire.

L’auteur dit (par. 2.4) avoir été exclue de l’Institut pour les langues orientales de Tachkent par le recteur, après plusieurs avertissements, pour les motifs ci‑après:

1.Son attitude négative à l’égard des professeurs;

2.La violation des dispositions du règlement de l’Institut.

Pour ce qui est de l’attitude négative à l’égard des professeurs, il ressort de la décision du tribunal de district de Mirabad que l’auteur a accusé l’un de ses professeurs de corruption, affirmant que ses étudiants étaient reçus aux examens contre rémunération. Selon l’État partie (par. 4.3), l’auteur a été renvoyée pour «attitude profondément irrespectueuse à l’égard d’un enseignant». L’auteur n’a donné aucune information accréditant la grave accusation portée contre le professeur en question ou invalidant le premier motif invoqué contre son renvoi. Elle n’a pas expliqué non plus l’éventuel rapport entre ce motif de renvoi et la violation de l’article 18 du Pacte qu’elle invoque.

En ce qui concerne la violation du règlement de l’Institut, qui n’autorisait pas le port de tenues religieuses dans son enceinte, l’auteur a indiqué qu’elle n’était pas d’accord avec les dispositions de ce règlement parce qu’elles «interdisaient aux étudiantes de couvrir leur visage» (par. 2.3). L’État partie signale que le règlement intérieur interdit de porter dans les locaux de l’Institut des vêtements «suscitant une attention excessive» et de circuler le visage couvert (par. 4.2). Si l’auteur et l’État partie n’ont pas spécifié le type de vêtement que portait l’auteur, cette dernière indiquait qu’elle s’habillait «conformément aux préceptes de sa religion». Mais l’auteur elle‑même ajoutait qu’elle avait déposé plainte auprès du Président du Comité des affaires religieuses (qui relève du Conseil des ministres) et que le Président l’avait «informée que l’islam ne prescrivait aucune tenue de culte spécifique» (par. 2.8) sans que l’auteur réfute cette information qu’elle apportait elle‑même.

S’agissant du règlement de l’Institut universitaire, il faut tenir compte du fait que les institutions universitaires ont le droit d’adopter des normes spécifiques de fonctionnement à respecter dans leur enceinte. Il convient aussi d’ajouter que ce règlement s’applique à tous les étudiants sans exception, dans la mesure où il s’agit non pas d’un lieu de culte mais d’un établissement d’enseignement public où la liberté de manifester sa religion est soumise à la nécessité de protéger les droits et les libertés fondamentaux d’autrui, c’est‑à‑dire la liberté religieuse de chacun en vertu de l’égalité devant la loi garantie à chaque étudiant, indépendamment de ses convictions religieuses ou croyances. Il n’y aurait pas lieu de demander à l’État partie d’exposer la raison particulière motivant la restriction dont l’auteur se plaint, puisque le règlement qui lui a été appliqué représente une norme générale valable pour tous les élèves et qu’il ne s’agit pas d’une prescription qui lui serait imposée à elle seule ou aux tenants d’une religion particulière. Qui plus est, l’exclusion de l’auteur, selon les informations qu’elle a données elle‑même, s’expliquait par des causes plus complexes et non pas seulement par la tenue religieuse qu’elle portait ou l’exigence de se couvrir le visage dans les locaux de l’Institut.

Les considérations ci‑dessus et les informations fournies m’amènent à la conclusion que l’auteur n’a pas justifié l’allégation de violation de l’un quelconque des quatre paragraphes de l’article 18 du Pacte.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, j’estime que les faits ne révèlent en l’espèce aucune violation des articles 18 et 19 du Pacte.

(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley

J’approuve les constatations du Comité et l’essentiel du raisonnement exposé au paragraphe 6.2. Je suis toutefois dans l’obligation de me désolidariser d’une partie de la dernière phrase de ce paragraphe, celle où le Comité précise qu’il agit «compte dûment tenu des données propres au contexte».

Le Comité a raison de donner à entendre que, dans les cas où les dispositions en jeu comportent une clause autorisant une restriction, comme les dispositions des articles 12, 18, 19, 21 et 22, il est nécessaire de tenir compte du contexte dans lequel les restrictions prévues dans ces clauses sont appliquées. Malheureusement, dans l’affaire à l’examen, l’État partie n’a pas expliqué le fondement sur lequel il voulait justifier la restriction imposée à l’auteur. Le Comité n’était donc pas en mesure de tenir compte du contexte. Préciser qu’il l’a fait alors qu’il ne disposait pas des éléments qui lui auraient permis de le faire ne renforce ni la justification ni l’autorité du raisonnement.

(Signé) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood

Les faits de la cause demeurent trop obscurs pour permettre de conclure à une violation du Pacte. L’auteur s’est plainte d’avoir été empêchée de porter un «hijab» à l’Institut d’État de Tachkent, en Ouzbékistan. Souvent, le mot «hijab» est traduit pas «foulard» et peut être simplement un foulard couvrant la tête et les épaules. Mais dans la lettre de protestation qu’elle a adressée aux doyens de l’Institut de Tachkent, l’auteur a dit qu’elle «n’était pas d’accord avec les dispositions (…) qui interdisaient aux étudiantes de couvrir leur visage» (par. 2.3) L’État partie dit de son côté (par. 4.2) qu’il est «interdit aux étudiantes de circuler le visage couvert (par un hijab)».

En l’absence d’une clarification des faits de la part de l’auteur, il semblerait donc que la manifestation de convictions religieuses en cause en l’espèce peut consister à avoir le visage entièrement couvert dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement laïc. La pratique des États parties diffère dans ce domaine. Certains États autorisent toute forme de tenue religieuse, y compris un voile couvrant le visage, ce qui permet de faire des études à des femmes qui sinon ne pourraient pas aller à l’université. D’autres États parties estiment que le principe de la laïcité de l’enseignement exige l’application de restrictions à la tenue vestimentaire. Un professeur d’université peut par exemple avoir besoin d’observer la réaction de sa classe à un cours ou un séminaire ou rencontrer le regard des étudiants quand il pose des questions et donne des réponses.

La Cour européenne des droits de l’homme a conclu dans une affaire récente qu’une université laïque pouvait restreindre le port par les étudiantes du hijab traditionnel, c’est‑à‑dire un foulard couvrant la tête et le cou, à cause des effets que cela pouvait avoir sur les autres femmes. Voir Leyla Sahin c. Turquie, requête no 44774/98, décision rendue le 29 juin 2004. La Cour a estimé que les «droits et libertés d’autrui» et le «maintien de l’ordre public» étaient en jeu parce que le port d’un vêtement particulier pouvait conduire d’autres personnes de la même religion à se sentir obligées de se conformer à la même pratique. La Cour européenne a relevé qu’elle «ne perd[ait] pas de vue qu’il exist[ait] en Turquie des mouvements politiques extrémistes qui s’efforcent d’imposer à la société tout entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses».

Cette ingérence dans la manifestation de convictions religieuses personnelles pose problème. Mais un État peut être fondé à imposer des restrictions à certaines formes de tenue vestimentaire qui ont une incidence directe sur le déroulement d’un cours, et s’il s’agit pour une étudiante de couvrir son visage la situation de fait est différente. L’incertitude dans laquelle on se trouve en l’espèce ne permet pas d’examiner la question correctement ni même de constater une violation sui generis .

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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