Présentée par:

Manuel Wackenheim (représenté par un conseil, Me Serge Pautot)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

France

Date de la communication:

13 novembre 1996 (date de la lettre initiale)

Décision antérieure:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 février 1999 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

15 juillet 2002

Le 15 juillet 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 854/1999. Le texte des constatations est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante ‑quinzième session

concernant la

Communication n o  854/1999 **

Présentée par:

Manuel Wackenheim (représenté par un conseil, Me Serge Pautot)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

France

Date de la communication:

13 novembre 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 854/1999 présentée par Manuel Wackenheim en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est M. Manuel Wackenheim, citoyen français, né le 12 février 1967 à Sarreguemines (France). Il se déclare victime de violations par la France du paragraphe 1 de l’article 2, du paragraphe 2 de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 9, de l’article 16, du paragraphe 1 de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le requérant est représenté par unavocat.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, atteint de nanisme, se produisait depuis juillet 1991 dans des spectacles dits de «lancer de nains» produits par la société Fun‑Productions. Muni des protections nécessaires, il se faisait lancer à une courte distance sur un matelas pneumatique par certains clients de l’établissement dans lequel le spectacle était organisé (discothèque).

2.2Le 27 novembre 1991, le Ministre français de l’intérieur a publié une circulaire relative à la police des spectacles, en particulier à l’organisation de spectacles dits de «lancer de nains». Celle‑ci prescrivait aux préfets d’user de leur pouvoir de police pour demander aux maires une grande vigilance à l’égard des spectacles de curiosité organisés dans leur commune. La circulaire précisait que l’interdiction des «lancers de nains» devrait notamment se fonder sur l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

2.3Le 30 octobre 1991, le requérant a demandé l’annulation devant le tribunal administratif de Versailles d’un arrêté du 25 octobre 1991 par lequel le maire de Morsang‑sur‑Orge avait interdit le spectacle de «lancer de nains» prévu dans une discothèque de sa commune. Par jugement du 25 février 1992, le tribunal administratif a annulé l’arrêté du maire au motif que:

«Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le spectacle dont l’interdiction a été prononcée ait été de nature à porter atteinte au bon ordre, à la tranquillité ou à la salubrité publiques dans la ville de Morsang‑sur‑Orge; que la seule circonstance que certaines personnalités aient exprimé publiquement leur désapprobation de l’organisation d’un tel spectacle ne pouvait être de nature à laisser présager la survenance de troubles à l’ordre public; qu’à supposer même que ledit spectacle ait porté atteinte à la dignité humaine et ait revêtu un aspect dégradant ainsi que le soutient le maire, l’interdiction ne pouvait légalement être décidée en l’absence de circonstances locales particulières; qu’ainsi l’arrêté attaqué est entaché d’excès de pouvoir (...)».

2.4Le 24 avril 1992, la commune de Morsang‑sur‑Orge représentée par son maire en exercice a fait appel du jugement du 25 février 1992.

2.5Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d’État a annulé ledit jugement au motif, d’une part, que le «lancer de nains» est une attraction qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine, dont le respect est une composante de l’ordre public, l’autorité investie du pouvoir de police municipale en étant la garante et, d’autre part, que le respect du principe de la liberté du travail et du commerce ne fait pas obstacle à ce que cette autorité interdise une activité même licite si elle est de nature à troubler l’ordre public. Le Conseil d’État précisa que cette attraction pouvait être interdite même en l’absence de circonstances locales particulières.

2.6Le 20 mars 1992, le requérant a présenté une autre requête tendant à l’annulation de l’arrêté du 23 janvier 1992 par lequel le maire de la commune d’Aix‑en‑Provence avait interdit le spectacle du «lancer de nains» prévu sur le territoire de sa commune. Par jugement du 8 octobre 1992, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du maire au motif que l’activité en cause n’était pas de nature à porter atteinte à la dignité humaine. Par requête datée du 16 décembre 1992, la ville d’Aix‑en‑Provence, représentée par son maire, a fait appel de ce jugement. Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d’État a annulé ledit jugement pour les mêmes motifs que ceux développés ci‑dessus. Depuis cet arrêt, la société Fun‑Productions a décidé d’abandonner ce type d’activité. Malgré son souhait de poursuivre cette activité, le requérant est depuis lors sans emploi en raison de l’absence d’organisateur de spectacles de «lancer de nains».

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que l’interdiction d’exercer son travail a eu des conséquences négatives sur sa vie et représente une atteinte à sa dignité. Il se déclare victime de la part de la France d’une violation de son droit à la liberté, au travail, au respect de la vie privée et à un niveau de vie suffisant ainsi que d’une discrimination. Il précise d’une part qu’en France il n’y a pas d’emploi pour les nains, et d’autre part que son travail ne constitue pas une atteinte à la dignité humaine car la dignité est de trouver un emploi. Le requérant invoque le paragraphe 1 de l’article 2, le paragraphe 2 de l’article 5, le paragraphe 1 de l’article 9, l’article 16, le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations du 13 juillet 1999, l’État partie considère en premier lieu que les violations alléguées du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 16 doivent être écartées d’emblée dans la mesure où ces griefs sont sans rapport avec les faits de l’espèce. L’État partie précise que le grief tiré de la violation du paragraphe 1 de l’article 9 est, en substance, identique à celui relatif à la violation de l’article 5 de la Convention européenne, qui a déjà été porté par le requérant devant la Commission européenne. Il estime que ce grief doit être rejeté pour les mêmes raisons que celles invoquées par la Commission. Selon l’État partie, le requérant n’a en effet fait l’objet d’aucune privation de liberté. Concernant le grief de violation de l’article 16 du Pacte, l’État partie précise que le requérant ne développe aucune argumentation de nature à démontrer que l’interdiction de spectacles de «lancer de nains» aurait porté une quelconque atteinte à sa personnalité juridique. L’État partie affirme en outre que ces mesures d’interdiction ne comportent aucune atteinte à la personnalité juridique du requérant et donc ne remettent nullement en cause sa qualité de sujet de droit. D’après l’État partie, au contraire, elles le reconnaissent titulaire d’un droit au respect de sa dignité en tant qu’être humain et assurent la jouissance effective de ce droit.

4.2Au sujet de la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, l’État partie déclare que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Il estime que la communication, étant fondée sur les mêmes faits et procédures que ceux portés à la connaissance de la Commission européenne, l’absence d’invocation du grief de violation du droit au respect de la vie privée et familiale devant les juridictions nationales a ici également pour conséquence de rendre la communication irrecevable. À titre subsidiaire, s’agissant du droit du requérant au respect de sa vie privée, l’État partie explique que l’interdiction litigieuse n’a emporté aucune violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte. Selon l’État partie, dans un premier temps, il apparaît que le droit dont se prévaut le requérant – et qui lui permettrait de se faire «lancer» publiquement et à titre professionnel – n’appartient pas à la sphère de la vie privée et familiale. Il n’est pas davantage certain qu’il ressortisse au domaine de la vie privée. L’État partie argue que la pratique du «lancer de nains» est une pratique publique et constitue pour le requérant une véritable activité professionnelle. Pour ces raisons, l’État partie conclut qu’il semble exclu qu’elle puisse être protégée au nom de considérations tirées du respect dû à la vie privée. Elle relève davantage, comme le souligne la motivation retenue par le Conseil d’État, de la liberté du travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie. Dans un second temps, l’État partie ajoute qu’en admettant même, au nom d’une conception particulièrement extensive de cette notion, que la possibilité de se faire «lancer» à titre professionnel relève bien du droit au respect de la vie privée du requérant, la limitation apportée à ce droit ne serait pas contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte. Ladite limitation est en effet, d’après l’État partie, justifiée par des considérations supérieures tirées du respect dû à la dignité de la personne humaine. Elle repose donc sur un principe fondamental et ne constitue dès lors ni une atteinte illégale, ni une atteinte arbitraire au droit des individus au respect de leur vie privée et familiale.

4.3En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’État partie estime que les dispositions de cet article sont voisines de celles figurant à l’article 14 de la Convention européenne et rappelle que la Commission avait considéré que cet article, invoqué par le requérant dans sa requête devant cette instance, ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce, car le requérant n’invoquait pas par ailleurs le bénéfice d’aucun droit protégé par la Convention. L’État partie fait valoir qu’il en est de même dans la présente communication au motif que le requérant ne démontre pas davantage que le droit de se faire lancer professionnellement, dont il se prévaut, serait reconnu par le Pacte ou qu’il se rattacherait à l’un des droits qui y figurent. L’État partie ajoute qu’à supposer que le requérant entende se prévaloir de tels droits, il convient de rappeler que la liberté du travail et la liberté du commerce et de l’industrie ne sont pas au nombre des droits protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.4Au sujet de la violation alléguée de l’article 26 du Pacte, l’État partie souligne que le Conseil d’État considère que la clause de non‑discrimination de cet article est le pendant de celle figurant au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, et que, comme c’est le cas pour ce dernier article, son champ d’application se limite aux droits protégés par le Pacte. Cette interprétation conduit, selon l’État partie, à la conclusion déjà exposée relativement à la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte que le droit pour un nain de se faire lancer à titre professionnel ne se rattache à aucun des droits protégés par le Pacte, et que, dès lors, la question de la non‑discrimination ne se pose pas. L’État partie ajoute que, si pour les besoins du raisonnement, l’on suppose que la clause de non‑discrimination de l’article 26 du Pacte vaut pour l’ensemble des droits consacrés dans le Pacte et dans l’ordre juridique interne, se pose alors la question du caractère discriminatoire de l’interdiction litigieuse. L’État partie affirme qu’à l’évidence, cette interdiction n’est pas discriminatoire. Par définition, elle ne s’applique qu’aux personnes atteintes de nanisme, car elles sont seules susceptibles d’être concernées par l’activité interdite et l’indignité de cette activité résulte tout particulièrement des particularités physiques de ces personnes. D’après l’État partie, il ne peut lui être fait grief de traiter différemment les nains et ceux qui ne le sont pas, puisqu’il s’agit là de deux catégories différentes d’individus, dont l’une ne peut être concernée par le phénomène du «lancer» pour d’évidentes raisons physiques. L’État partie note par ailleurs que la question de l’indignité d’une activité consistant à lancer des personnes de taille normale, c’est‑à‑dire non affectées d’un handicap particulier, se poserait dans des termes très différents. L’État partie conclut que la différence de traitement repose sur une différence objective de situation entre les personnes atteintes de nanisme et celles qui ne le sont pas, et, à ce titre et compte tenu de l’objectif de préservation de la dignité humaine sur lequel elle repose, elle est légitime et, en tout état de cause, conforme à l’article 26 du Pacte.

4.5Concernant la violation alléguée du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, l’État partie déclare que le requérant ne développe aucune argumentation en vue de démontrer en quoi l’interdiction du «lancer de nains» serait contraire aux dispositions en cause. D’après l’État partie, il est difficile de percevoir en quoi les autorités nationales auraient, en se fondant sur le Pacte, indûment restreint l’exercice des droits reconnus en droit interne. Mentionnant que peut‑être le requérant considère que les autorités ont manifesté une conception trop extensive de la notion de dignité humaine, qui l’a empêché de jouir de ses droits au travail et à exercer l’activité qu’il a librement choisie, l’État partie argue que le droit de la personne humaine au respect de sa dignité n’est pas au nombre des droits figurant dans le Pacte, même si certaines dispositions qui y figurent s’inspirent bien de cette notion – et notamment celles relatives à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Pour cette première raison, l’État partie conclut que le paragraphe 2 de l’article 5 ne trouve pas à s’appliquer ici. L’État partie ajoute qu’à supposer que l’on retienne, par pure hypothèse, l’applicabilité de cet article, ses dispositions ne seraient pas méconnues. L’État partie explique que la démarche des autorités ne procède pas de la volonté de restreindre abusivement la liberté du travail et la liberté du commerce et de l’industrie en invoquant le respect dû à la personne humaine. Cette démarche consiste, d’après l’État partie, de façon très classique en matière de police administrative, à concilier l’exercice de libertés économiques avec le souci de faire respecter l’ordre public, dont l’une des composantes est la moralité publique. L’État partie précise que la conception retenue ici ne présente aucun caractère excessif puisque, comme l’a relevé le Commissaire du Gouvernement Frydman dans ses conclusions, d’une part, l’ordre public intègre de longue date des considérations de moralité publique et, d’autre part, il serait choquant que le principe fondamental du respect dû à la personne humaine cède devant des considérations matérielles propres au requérant – et par ailleurs peu répandues – portant ainsi préjudice à l’ensemble de la communauté à laquelle il appartient.

4.6Pour tous ces motifs, l’État partie conclut que la communication doit être rejetée comme étant dépourvue de fondements en tous ses griefs.

Commentaires du conseil du requérant aux observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 19 juin 2000, le conseil du requérant considère que l’État partie se retranche tout d’abord derrière deux arrêts identiques rendus le 27 octobre 1995 par le Conseil d’État qui reconnaît aux maires le droit d’interdire les spectacles de «lancer de nains» dans leur commune, au motif que «la dignité humaine est une composante de l’ordre public», même en l’absence de circonstances locales particulières, et malgré l’accord de la personne concernée. Le Conseil rappelle les faits, objet de la communication, et notamment l’annulation des arrêtés municipaux d’interdiction de spectacles par les tribunaux administratifs ainsi que la circulaire du Ministre de l’intérieur.

5.2Le conseil déclare que les décisions importantes prises sur le plan des principes dans le cas de M. Wackenheim sont décevantes. Il note qu’à la conception classique de la trilogie de l’ordre public français, le bon ordre (la tranquillité), la sûreté (la sécurité), la salubrité publique, on ajoute la moralité publique, le respect de la dignité humaine entrant dans cette quatrième composante. D’après le conseil, cette jurisprudence, à l’aube du XXIe siècle, réactive la notion d’ordre moral en direction d’une activité aussi marginale qu’inoffensive comparée aux nombreux comportements réellement violents et agressifs que tolère actuellement la société française. Il ajoute qu’il s’agit de la consécration d’un nouveau pouvoir de police risquant d’ouvrir la porte à tous les abus, et pose la question de savoir si le maire va s’ériger en censeur de la moralité publique et en protecteur de la dignité humaine. Il se demande également si les tribunaux vont décider du bonheur des citoyens. Selon le conseil, jusqu’à présent le juge pouvait prendre en compte la protection de la moralité publique pour autant qu’elle a des répercussions sur la tranquillité publique. Or, le conseil affirme que cette condition n’était pas réunie pour le spectacle du «lancer de nains».

5.3Le conseil maintient les éléments fondant sa plainte et souligne que le travail est un élément de la dignité de l’homme et que priver un homme de son travail revient à lui ôter une partie de sa dignité.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Bien que la France ait une réserve à l’article 5, paragraphe 2 a), le Comité constate que l’État partie n’a pas invoqué cette réserve et que, dès lors, il n’est pas fait obstacle à l’examen de la communication par le Comité.

6.3Relativement aux plaintes de violations du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 16 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’État partie concernant l’incompatibilité ratione materiae de ces allégations avec les dispositions du Pacte. Il considère que les éléments présentés par le requérant ne permettent pas d’invoquer une violation des dispositions incriminées et d’établir la recevabilité des griefs au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, le Comité relève qu’à aucun moment le grief de violation du droit au respect de la vie privée et familiale n’a été invoqué par le requérant devant les juridictions nationales. Le requérant n’a donc pas épuisé en l’espèce tous les recours dont il aurait pu user. Le Comité déclare en conséquence cet aspect de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, le Comité note que l’article 5 du Pacte constitue un engagement général des États parties et ne peut être invoqué par des particuliers pour fonder à lui seul une communication au titre du Protocole facultatif. Par conséquent, cette plainte est irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Néanmoins, cette conclusion n’empêche pas le Comité de prendre en considération l’article 5 dans l’interprétation et l’application d’autres dispositions du Pacte.

6.6En ce qui concerne l’allégation de discrimination au titre de l’article 26 du Pacte, le Comité a pris note de l’observation de l’État partie d’après laquelle le Conseil d’État considère que le champ d’application de l’article 26 se limite aux droits protégés par le Pacte. Le Comité souhaite cependant rappeler sa jurisprudence qui a établi que l’article 26 ne reprend pas simplement la garantie déjà énoncée à l’article 2, mais prévoit par lui‑même un droit autonome. L’application du principe de non‑discrimination énoncé à l’article 26 n’est donc pas limitée aux droits stipulés dans le Pacte. L’État partie n’ayant pas soulevé d’autres arguments contre la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte et procède à l’examen de la plainte sur le fond, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen sur le fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’interdiction par les autorités de l’activité de «lancer de nains» constitue une discrimination au regard de l’article 26 du Pacte, comme l’affirme le requérant.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute distinction entre les personnes ne constitue pas obligatoirement une discrimination, interdite par l’article 26 du Pacte. Une distinction constitue une discrimination lorsqu’elle ne repose pas sur des motifs objectifs et raisonnables. La question, en l’espèce, est de savoir si la distinction entre les personnes visées par l’interdiction prononcée par l’État partie et celles auxquelles cette interdiction ne s’applique pas peut être valablement justifiée.

7.4L’interdiction du «lancer» prononcée par l’État partie dans la présente affaire s’applique uniquement aux nains (comme décrit au paragraphe 2.1). Toutefois, si ces personnes sont visées à l’exclusion des autres, la raison en est qu’elles sont seules susceptibles d’être lancées. Ainsi, la distinction entre les personnes visées par l’interdiction, à savoir les nains, et celles auxquelles elle ne s’applique pas, à savoir les personnes qui ne sont pas atteintes de nanisme, est fondée sur une raison objective et n’a pas d’objet discriminatoire. Le Comité considère que l’État partie a démontré, en l’espèce, que l’interdiction du «lancer de nains» tel que pratiqué par le requérant ne constituait pas une mesure abusive mais était nécessaire afin de protéger l’ordre public, celui‑ci faisant notamment intervenir des considérations de dignité humaine qui sont compatibles avec les objectifs du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que la distinction entre le requérant et les personnes auxquelles l’interdiction prononcée par l’État partie ne s’applique pas reposait sur des motifs objectifs et raisonnables.

7.5Le Comité n’ignore pas qu’il existe d’autres activités qui ne sont pas interdites mais qui pourraient l’être éventuellement sur la base de motifs analogues à ceux qui justifient l’interdiction du «lancer de nains». Toutefois, le Comité est d’avis que, compte tenu du fait que l’interdiction du «lancer de nains» est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et que le requérant n’a pas établi que cette mesure avait une visée discriminatoire, le simple fait qu’il puisse exister d’autres activités susceptibles d’être interdites ne suffit pas en soi à conférer un caractère discriminatoire à l’interdiction du «lancer de nains». Pour ces raisons, le Comité estime qu’en prononçant ladite interdiction, l’État partie n’a pas violé, en l’espèce, les droits du requérant tels qu’ils sont énoncés à l’article 26 du Pacte.

7.6Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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