Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/75/D/902/1999

30 juillet 2002

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑quinzième session8‑26 juillet 2002

CONSTATATIONS

Communication no 902/1999

Présentée par:Mme Juliet Joslin et consorts,(représentée par M. Nigel C. Christie, conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:Nouvelle‑Zélande

Date de la communication:30 novembre 1998 (date de la lettre initiale)

Décision antérieure:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 15 décembre 1999 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:17 juillet 2002

Le 17 juillet 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 902/1999. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques

Soixante‑quinzième session

concernant la

Communication no 902/1999**

Présentée par:Mme Juliet Joslin et consorts,(représentée par M. Nigel C. Christie, conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:Nouvelle‑Zélande

Date de la communication:30 novembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 902/1999 présentée par Mme Juliet Joslin et consorts, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Juliet Joslin, Jennifer Rowan, Margaret Pearl et Lindsay Zelf, toutes de nationalité néo‑zélandaise, nées respectivement le 24 octobre 1950, le 27 septembre 1949, le 16 novembre 1950 et le 11 septembre 1951. Les auteurs se déclarent victimes de violations par la Nouvelle‑Zélande de l’article 16, de l’article 17, lu à la fois individuellement et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, du paragraphe 2 de l’article 23 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Juliet Joslin et Jennifer Rowan ont entamé une relation lesbienne en janvier 1988. Depuis lors, elles assument conjointement la responsabilité de leurs enfants nés de mariages précédents. En vivant ensemble, elles ont mis leurs finances en commun et sont conjointement propriétaires du logement qu’elles occupent. Elles entretiennent des relations sexuelles. Le 4 décembre 1995, elles ont fait au bureau de l’état civil local, en vertu de la loi sur le mariage de 1955, une demande d’autorisation de mariage, en déposant un avis d’intention de mariage auprès de l’officier d’état civil. Le 14 décembre 1995, l’officier général adjoint d’état civil a rejeté leur demande.

2.2.De même, Lindsay Zelf et Margaret Pearl ont entamé une relation lesbienne en avril 1993. Elles partagent également les responsabilités à l’égard des enfants nés d’un mariage précédent, mettent en commun leurs ressources financières et entretiennent des relations sexuelles. Le 22 janvier 1996, le bureau de l’état civil local a refusé d’enregistrer un avis d’intention de mariage. Le 2 février 1996, Lindsay Zelf et Margaret Pearl ont déposé un avis d’intention de mariage auprès d’un autre bureau de l’état civil. Le 12 février 1996, l’officier général d’état civil les a informées qu’il n’était pas possible de donner suite à l’avis. Il a indiqué que l’officier d’état civil agissait conformément à la loi en interprétant la loi sur le mariage comme s’appliquant uniquement à l’union d’un homme et d’une femme.

2.3Les quatre auteurs se sont ensuite adressées à la Haute Cour pour obtenir une déclaration selon laquelle, en tant que couples de lesbiennes, elles avaient légalement le droit d’obtenir une autorisation de mariage et de se marier conformément à la loi sur le mariage de 1955. Le 28 mai 1996, la Haute Cour a rejeté leur demande. Faisant observer notamment que le texte du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte «ne vise pas les mariages entre personnes de même sexe», la Cour a déclaré que le libellé officiel de la loi sur le mariage signifiait clairement que le mariage ne pouvait être contracté qu’entre un homme et une femme.

2.4Le 17 décembre 1997, une assemblée générale des magistrats de la Cour d’appel a rejeté la requête des auteurs. La Cour a déclaré à l’unanimité que la loi sur le mariage, dans son libellé, s’appliquait clairement au mariage entre un homme et une femme uniquement. La majorité de la Cour a déclaré en outre que le fait que la loi sur le mariage s’applique uniquement au mariage entre un homme et une femme ne constituait pas une discrimination. Le juge Keith, exposant en détail les opinions de la majorité, n’a trouvé dans l’esprit et le texte du Pacte, dans la jurisprudence du Comité, dans les travaux préparatoires ou les ouvrages de recherche aucun fondement permettant d’affirmer que le fait de limiter le mariage à l’union d’un homme et d’une femme constituait une violation du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs dénoncent une violation de l’article 26, affirmant que le fait que la loi sur le mariage ne prévoit pas le mariage homosexuel constitue à leur égard une discrimination directe fondée sur le sexe et une discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle. Elles déclarent que leur impossibilité de se marier entraîne pour elles «de réelles incidences néfastes» à plusieurs égards: elles sont privées de la possibilité de se marier, alors que le mariage est un droit civil fondamental, et ne peuvent pas être membres à part entière de la société; leurs relations sont stigmatisées et leur sentiment d’estime d’elles‑mêmes peut en souffrir; elles n’ont pas non plus la possibilité de choisir de se marier ou non, comme les couples hétérosexuels.

3.2Les auteurs affirment que la différence de traitement énoncée dans la loi sur le mariage ne peut être justifiée par aucun des divers motifs que l’État peut invoquer. Ces motifs sont que le mariage est centré sur la procréation et que les homosexuels ne peuvent pas procréer; que la reconnaissance du mariage homosexuel serait l’acceptation d’un «mode de vie» particulier; que le mariage est conforme à la moralité publique; que le mariage est une institution de longue date; qu’il existe d’autres formes d’arrangements contractuels/privés; que l’élargissement de l’institution actuelle du mariage ouvrirait la voie à des dangers incontrôlables; que le mariage offre la meilleure disposition d’esprit pour élever des enfants; et que la décision démocratique du Parlement doit être respectée.

3.3Pour contester ces justifications avancées, les auteurs notent tout d’abord que la procréation n’est pas au cœur du mariage et que la condition d’avoir l’intention de procréer n’est pas requise dans la loi néo‑zélandaise sur le mariage. En tout état de cause, les lesbiennes peuvent procréer en ayant recours aux techniques de reproduction et l’autorisation des mariages homosexuels n’influerait pas sur la capacité de procréation des hétérosexuels. Deuxièmement, il n’existe aucun «mode de vie» homosexuel. Quoi qu’il en soit, la loi sur le mariage ne sanctionne pas de modes de vie particuliers et rien ne prouve qu’un hypothétique mode de vie homosexuel comporterait des éléments justifiant l’impossibilité de contracter mariage. Troisièmement, conformément aux «Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions ou des dérogations», aucune discrimination contraire au Pacte ne peut être justifiée au nom de la moralité publique. À cet égard, selon les auteurs, la moralité publique en Nouvelle‑Zélande ne va pas nécessairement dans le sens de l’exclusion des homosexuels de l’institution du mariage.

3.4Quatrièmement, la longue existence d’une institution ou la tradition ne peuvent justifier la discrimination. De plus, les recherches des historiens indiquent que diverses sociétés de différentes régions du monde ont, à des époques variées, reconnu les unions homosexuelles. Cinquièmement, si les homosexuels devaient conclure des arrangements contractuels ou d’autres arrangements privés pour pouvoir bénéficier des avantages découlant du mariage, les hétérosexuels devraient être tenus de supporter les mêmes coûts. Toutefois, en Nouvelle‑Zélande, les arrangements contractuels n’entraîneraient pas les pleins avantages découlant du mariage. Sixièmement, l’autorisation des mariages homosexuels ne signifierait aucunement que les mariages polygames ou incestueux devraient être également autorisés. Il y a d’autres raisons de ne pas autoriser de tels mariages, qui n’existent pas dans le cas des mariages homosexuels. Septièmement, les auteurs déclarent que les recherches en sciences sociales effectuées en Amérique du Nord ont prouvé que les effets de l’éducation des enfants par des parents homosexuels ne diffèrent pas sensiblement des effets de l’éducation par des parents hétérosexuels, y compris dans le domaine de l’identité sexuelle et de l’épanouissement mental et affectif. En tout état de cause, il existe déjà, comme dans le cas des auteurs, des couples homosexuels qui élèvent des enfants. Enfin, les auteurs soutiennent qu’il n’y a pas lieu d’en déférer à la volonté démocratique, telle qu’elle est exprimée par les autorités nationales, en particulier l’appareil législatif de l’État partie, car la question en cause porte sur les droits de l’homme.

3.5Les auteurs se déclarent également victimes d’une violation de l’article 16. Elles déclarent que l’article 16 vise à reconnaître aux personnes leur droit d’affirmer leur dignité fondamentale, par le biais de leur reconnaissance en tant que sujets de droit à part entière, à la fois en tant qu’individus et en tant que membres d’un couple. En empêchant les auteurs d’avoir accès aux droits et avantages légaux découlant du mariage, y compris aux avantages prévus par la législation concernant l’adoption, la succession, la propriété matrimoniale, la protection de la famille et les éléments de preuve, la loi sur le mariage prive les auteurs de l’accès à une institution importante par laquelle les personnes accèdent à la personnalité juridique et exercent les droits qui s’y rattachent.

3.6Les auteurs se déclarent en outre victimes d’une violation de l’article 17, lu individuellement ainsi que conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, en raison du fait que la restriction du droit de se marier aux seuls couples hétérosexuels constitue une violation des droits des auteurs à la vie privée et à la vie familiale. Les auteurs font valoir que leurs relations revêtent toutes les caractéristiques de la vie de famille, mais qu’elles sont néanmoins privées de la reconnaissance de leur situation civile par le mariage. L’État partie manque ainsi à son obligation de protéger la vie familiale. En outre, le non‑respect public du choix fondamental de la personne de sa propre identité sexuelle et des partenariats qui en découlent constitue une atteinte au principe du respect de la vie privée, énoncé à l’article 17. Cette ingérence est également arbitraire car elle résulte d’une discrimination fondée sur le parti pris et ne repose sur aucune justification pour les raisons indiquées ci‑dessus.

3.7Les auteurs se déclarent également victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2. Elles déclarent que leurs relations revêtent toutes les caractéristiques d’après lesquelles une famille hétérosexuelle est censée exister, le seul critère manquant étant la reconnaissance selon la loi. Les auteurs déclarent que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 supposent que l’existence des familles est reconnue de façon non‑discriminatoire, ce que ne prévoit pas la loi sur le mariage.

3.8Enfin, les auteurs se déclarent victimes d’une violation du paragraphe 2 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2. Elles déclarent que le droit des hommes et des femmes de se marier doit être interprété à la lumière du paragraphe 1 de l’article 2, qui interdit les distinctions de tout ordre qu’elles soient. La loi sur le mariage établissant des distinctions interdites fondées sur le sexe, y compris sur l’orientation sexuelle, les droits des auteurs à cet égard ont été violés. Même si la Cour européenne a estimé que le droit correspondant énoncé dans la Convention européenne des droits de l’homme était restreint au mariage entre un homme et une femme, le Comité devrait adopter une interprétation plus large. De plus, l’analyse du texte du Pacte permet de conclure que l’expression «l’homme et la femme» figurant au paragraphe 2 de l’article 23 ne signifie pas que seuls des hommes peuvent se marier avec des femmes, mais plutôt que les hommes en tant que groupe et les femmes en tant que groupe peuvent se marier.

3.9Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, les auteurs déclarent qu’il serait vain de faire appel auprès du conseil privé de la décision de la Cour d’appel car les tribunaux ne peuvent pas refuser d’appliquer les textes de lois d’application directe tels que la loi sur le mariage.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’État partie rejette les arguments des auteurs qui affirment qu’il aurait été vain de former un recours auprès du conseil privé, faisant observer qu’il était loisible au conseil privé d’interpréter les termes de la loi sur le mariage comme autorisant le mariage entre lesbiennes. L’État partie note que les juridictions inférieures ont estimé que le sens du texte officiel de la loi était clair et qu’il n’existait ni contradiction avec la Charte des droits ni opposition avec le droit à la non‑discrimination qui y était énoncé. La question posée devant les tribunaux locaux était celle de l’interprétation officielle et le conseil privé pouvait tout aussi bien en arriver à une conclusion contraire concernant le sens réel de la loi. L’État partie se refuse néanmoins expressément à tirer une conclusion quelconque quant à la recevabilité de la communication pour cette raison ou toute autre raison que ce soit.

4.2Pour ce qui est du fond, l’État partie réfute les arguments des auteurs selon lesquels les États parties sont tenus en vertu du Pacte de permettre aux couples homosexuels de se marier, faisant observer que dans une telle éventualité, il faudrait donner une nouvelle définition d’une institution juridique protégée et définie dans le Pacte lui‑même, ainsi que d’une institution reflétant les valeurs sociales et culturelles respectées dans l’État partie et conformes aux dispositions du Pacte. Dans la loi et la pratique, l’État partie protège les couples homosexuels et en reconnaît l’existence de diverses façons, mais cette reconnaissance par le biais de l’institution du mariage «dépasse largement les termes du Pacte». L’État partie souligne que si divers États parties ont institué certaines formes de reconnaissance officielle des couples homosexuels, aucun d’entre eux n’a encore autorisé le mariage d’homosexuels. Tant dans le Pacte que dans d’autres instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dans la législation néo‑zélandaise, le mariage est conçu fondamentalement comme étant l’union d’un homme et d’une femme.

4.3L’argument essentiel opposé par l’État partie est que, selon les termes du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte, le mariage est clairement considéré comme une institution concernant des personnes de sexe opposé. Le sens courant des termes «se marier» s’applique à des personnes de sexe opposé. Il y a lieu de noter que le droit fondamental énoncé au paragraphe 2 de l’article 23 est le seul droit protégé par le Pacte qui soit énoncé dans les termes sexospécifiques de «l’homme et la femme», tous les autres droits étant énoncés dans des termes neutres par rapport au sexe. Cette lecture contextuelle est renforcée par l’emploi, aux paragraphes 3 et 4 de l’article 23, du terme «époux», signifiant des personnes de sexe opposé unies dans le mariage. La pratique universelle et uniforme des États justifie ce point de vue: aucun État partie n’autorise les mariages homosexuels et aucun État n’a non plus interprété le Pacte comme faisant obligation de l’autoriser et n’a en conséquence émis de réserve à ce sujet.

4.4L’État partie fait observer que cette lecture du paragraphe 2 de l’article 23 est conforme aux conclusions des travaux préparatoires ayant précédé la rédaction du Pacte. L’article 23 a été inspiré directement de l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui énonce, dans le seul libellé sexospécifique de la Déclaration, le droit de «l’homme et de la femme» de se marier. Les travaux préparatoires concernant la rédaction de l’article 23 contiennent également maintes références à «l’époux et l’épouse». Cette interprétation est également celle qui est reprise dans d’éminents ouvrages spécialisés et dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans lesquelles il a été conclu à maintes reprises que la disposition équivalente de la Convention européenne ne s’appliquait pas aux couples homosexuels.

4.5L’État partie souligne que le libellé spécifique du paragraphe 2 de l’article 23, qui vise clairement les personnes de sexe différent, doit être pris en compte dans l’interprétation des autres droits invoqués énoncés dans le Pacte. Suivant le principe d’interprétation generalia specialisibus non derogant, signifiant que les dispositions générales ne doivent pas restreindre le sens de dispositions spécifiques, les termes particuliers employés au paragraphe 2 de l’article 23 excluent toute possibilité de tirer une interprétation contraire d’autres dispositions plus générales du Pacte.

4.6Pour ce qui est de l’article 16, l’État partie déclare que ces dispositions garantissent un droit individuel. Il n’est pas possible d’interpréter l’article 16 comme faisant obligation de reconnaître des formes particulières de relations d’une manière donnée, car la personnalité juridique protégée par l’article 16 est celle de particuliers et non pas de couples ou de tous autres groupes sociaux. Tant les travaux préparatoires que les ouvrages savants confirment que l’article 16 vise à empêcher l’État de refuser aux particuliers la possibilité d’exercer et de faire valoir leurs droits selon la loi, plutôt qu’à garantir la capacité des particuliers d’entreprendre une action. En conséquence, l’article 16 ne peut pas être interprété comme ouvrant la possibilité d’acquérir des droits selon la loi, comme suite à l’obtention d’un statut juridique particulier ou d’entreprendre une action particulière consistant par exemple à contracter mariage.

4.7Pour ce qui est de l’article 17, lu à la fois individuellement et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie renvoie à l’Observation générale no 16 du Comité, selon laquelle l’article 17 protège l’expression de l’identité de toute personne contre «toutes ces immixtions et atteintes». Toutefois, les obligations énoncées dans la loi sur le mariage ne constituent pas une immixtion ou une atteinte à la vie familiale ou privée des auteurs, dont les droits sont protégés par la législation générale régissant la vie privée, les droits de l’homme et le droit de la famille. À la différence de la législation pénale faisant l’objet de l’affaire Toonen c. Australie, la loi sur le mariage n’autorise pas d’immixtion dans les affaires personnelles, ni ne porte atteinte d’une autre façon à la vie privée ou familiale des auteurs et ne vise pas non plus les auteurs en tant que membres d’un groupe social. Les auteurs ne font l’objet d’aucune restriction pour ce qui est de l’expression de leur identité ou de leur choix d’une relation personnelle, mais demandent plutôt à l’État de conférer un statut juridique précis à leurs relations.

4.8À propos du paragraphe 1 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie déclare que, contrairement à ce que les auteurs affirment dans la communication, il reconnaît les auteurs, avec et sans enfants, comme constituant des familles. La loi contient des dispositions protégeant les familles de diverses façons, notamment des dispositions concernant la protection des enfants, la protection des biens de la famille, la dissolution du mariage, etc. Si certaines de ces dispositions ne s’appliquent pas aux couples homosexuels, certains domaines sont à l’étude et un certain nombre d’autres mesures s’appliquent déjà aux couples homosexuels, compte tenu de l’évolution de la société, et des études et des consultations approfondies sont en cours. Ces différences de traitement sont admissibles car il est évident, d’après la jurisprudence du Comité, que les conceptions de la famille et son traitement devant la loi varient considérablement. Le Comité reconnaît également dans son Observation générale no 19 que la loi et les mesures appliquées concernant la famille peuvent naturellement varier d’une forme de famille à une autre.

4.9L’État partie affirme en conséquence qu’il est clairement possible en vertu du paragraphe 1 de l’article 23 d’envisager des traitements différents pour des formes différentes de famille. La différence de traitement accordée aux familles qui sont constituées ou sont dirigées par un couple marié correspond également à l’obligation faite aux États parties en vertu du paragraphe 2 de l’article 23 de prévoir le mariage en tant qu’institution séparée. L’État partie souligne qu’il effectue un examen par programme de la législation et des mesures touchant les couples homosexuels pour veiller à ce que les valeurs sociales, politiques et culturelles soient respectées dans la législation et la pratique relatives à la famille.

4.10Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie renvoie à ses observations précédentes selon lesquelles le paragraphe 2 de l’article 23 ne peut pas être interprété comme conférant aux couples homosexuels le droit de se marier. En tout état de cause, le fait que les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier en vertu de la législation néo‑zélandaise ne tient pas à une différence de traitement de ces couples, mais à la nature de l’institution du mariage reconnue au paragraphe 2 de l’article 23 lui‑même.

4.11Quant à l’article 26, l’État partie souligne que le fait que les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier découle directement du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte et ne peut pas en conséquence constituer une discrimination au sens de l’article 26. S’agissant des éléments de discrimination en vertu de l’article 26, l’État partie déclare tout d’abord que le fait que les homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier ne découle pas d’une distinction, d’une exclusion ou d’une restriction, mais tient plutôt à la nature inhérente du mariage lui‑même. À l’heure actuelle, le mariage est universellement considéré comme accessible uniquement à des personnes de sexe opposé et est reconnu comme tel dans le droit civil de tous les autres États parties au Pacte. Si, dans les dernières années, certains États parties ont institué des formes de reconnaissance officielle de relations homosexuelles, aucune de ces formes n’a été considérée comme un mariage et aucune n’a d’effets juridiques identiques à ceux du mariage. Ainsi, la conception claire du mariage, telle qu’elle est soulignée par le sens du paragraphe 2 de l’article 23, est celle de l’union de personnes de sexe opposé.

4.11L’État partie déclare qu’en tentant d’interpréter le principe de la non‑discrimination afin de redéfinir l’institution du mariage, les auteurs recherchent non pas la non‑discrimination, mais l’identité de traitement, ce qui dépasse largement la portée de l’article 26. Dans les travaux préparatoires ayant précédé la rédaction du Pacte, il est également reconnu que le droit à la non‑discrimination ne suppose pas nécessairement un traitement identique. L’institution du mariage est un exemple clair de cas dans lequel la législation de fond crée nécessairement une différence entre les couples composés de personnes de sexe opposé et d’autres groupes ou individus et, en conséquence, la nature de l’institution ne peut pas être considérée comme une discrimination contraire à l’article 26.

4.12Deuxièmement, en tout état de cause, le fait que les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier en vertu de la loi néo‑zélandaise ne constitue pas une distinction ou une différenciation fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. L’élément déterminant est la nature du couple, plutôt que celle des membres individuels. La loi sur le mariage accorde à toutes les personnes des droits égaux en matière de mariage, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle, et n’établit pas de distinction entre les personnes pour ce motif. Elle vise plutôt à attribuer un statut civil défini à certaines formes définies de groupes sociaux. À cet égard, l’État partie renvoie à une décision récente de la Cour européenne de justice, selon laquelle l’octroi d’avantages particuliers à des couples composés de personnes de sexes opposés mais non pas à des couples homosexuels ne constituait pas une discrimination fondée sur le sexe car les dispositions dans ce sens s’appliquaient de la même façon aux personnes de sexe masculin et féminin.

4.13Troisièmement, l’État partie déclare qu’il est objectivement et raisonnablement justifié d’établir une distinction à des fins légitimes en vertu du Pacte. En prévoyant une distinction entre les couples homosexuels et les couples composés de personnes de sexe différent, la loi sur le mariage s’inspire de critères clairs et historiquement objectifs et a pour but de protéger l’institution du mariage ainsi que les valeurs sociales et culturelles que celle‑ci représente. Cet objectif est explicitement reconnu comme légitime au paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte.

Commentaires des auteurs

5.1Les auteurs rejettent les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, les auteurs affirment que si les tribunaux considéraient que le véritable sens de la loi sur le mariage était néanmoins discriminatoire et contraire à la loi sur la Charte des droits, ces derniers seraient toujours tenus d’appliquer la loi sur le mariage car la législation applicable au premier degré ne peut pas être considérée sans effet au motif de son incompatibilité avec la loi sur la Charte des droits. Pour ce qui est du fond, les auteurs déclarent que la Cour d’appel a eu tort de décider que la loi sur le mariage n’était pas discriminatoire. Leurs arguments sont qu’étant donné i) que les homosexuels sont traités différemment des hétérosexuels face au mariage, ii) que cette différence de traitement est fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle et iii) que les couples homosexuels subissent pour cette raison des effets profondément néfastes et une stigmatisation, la loi sur le mariage est discriminatoire. Est citée à l’appui de cette allégation une récente décision de la Cour suprême de la Colombie britannique tendant à déclarer que le refus du droit au mariage en vertu de la loi canadienne est discriminatoire.

5.2Les auteurs déclarent qu’en décidant qu’en vertu de la législation locale, les couples homosexuels ne pouvaient pas se marier, les tribunaux internes ont fait erreur eu égard à la loi néo‑zélandaise. Ils affirment que les tribunaux n’ont pas tenu compte de l’obligation faite par la législation interne de veiller à ce que la loi sur le mariage soit interprétée conformément à la disposition de la loi sur la Charte des droits de 1990 interdisant la discrimination. Les tribunaux n’ont pas respecté cette prescription, bien que le Gouvernement n’ait pas objectivement justifié la distinction faite dans la loi sur le mariage. Les auteurs ajoutent que les tribunaux ont eu tort de se référer à une notion «traditionnelle» immuable du mariage, déclarant que la discrimination exercée par le passé ne peut pas justifier le maintien d’une telle discrimination et que les tenants d’une telle opinion ne tiennent pas compte de l’évolution des mentalités dans la société. Selon les auteurs, en tant que construit social, le mariage peut être en conséquence socialement détruit ou reconstruit. Les auteurs estiment que les tribunaux locaux, composés d’une majorité d’hétérosexuels, se sont appuyés sur un «hétérosexisme dominant». Ils déclarent que la société et l’État ont programmé leurs mémoires sélectives de façon à considérer le mariage comme foncièrement et naturellement hétérosexuel, en en excluant en conséquence clairement l’accès aux autres «catégories déviantes». Les auteurs soulignent que la célébration du mariage en Nouvelle‑Zélande est un acte laïc exécuté selon des règles laïques et que les conceptions religieuses d’autrui ne doivent pas limiter les droits des homosexuels.

5.3Selon les auteurs, leur exclusion de l’institution du mariage signifie que la dignité inhérente des homosexuels n’est pas reconnue, que leurs droits égaux et inaliénables en tant que membres de la famille humaine ne sont pas reconnus, que les fondements de la liberté et de la justice leur sont refusés, que les droits de l’homme des homosexuels ne sont pas protégés, qu’il leur est impossible d’invoquer la règle de droit pour que ces droits soient protégés, et elle est contraire à la conviction manifestée par les peuples des Nations Unies qui ont affirmé leur croyance en la dignité et en la valeur des lesbiennes et des gays en tant qu’êtres humains.

5.4Les auteurs considèrent également que les couples homosexuels peuvent légitimement espérer, en se fondant sur les dispositions des Pactes concernant l’égalité, que l’État partie cherche activement à mettre en œuvre des mesures législatives appropriées visant à promouvoir la reconnaissance des relations homosexuelles. Ils ajoutent toutefois que les améliorations progressives de la place accordée aux couples homosexuels dans la loi ne constituent pas un moyen acceptable de remédier à la discrimination exercée par le passé et qu’en tout état de cause les améliorations qui ont été apportées n’ont pas entraîné l’instauration d’une plus grande égalité. Les auteurs déclarent que la mention des couples homosexuels dans la loi de 1976 sur la propriété (relations) (prévoyant des droits égaux de propriété en cas de séparation), la loi de 1992 sur l’électricité, la loi de 1995 sur la violence domestique, la loi de 1992 sur le harcèlement, la loi de 1998 sur l’assurance accident et la loi de 2000 portant modification de la loi sur la restructuration des logements (loyers proportionnels aux revenus) ne signifie pas que les couples homosexuels sont pleinement reconnus. Les auteurs déclarent qu’un projet de loi sur l’union civile prévoyant un critère autre que le mariage pour la reconnaissance légale d’une union doit être déposé par le Gouvernement auprès du Parlement. Ce projet de loi serait néanmoins insuffisant et n’éliminerait pas les inégalités car il ne contiendrait sans doute pas toutes les garanties légales résultant du mariage. Les auteurs déclarent également que les autres améliorations prévues de la législation intéressant les couples homosexuels et qui devraient être apportées avec l’adoption du projet de loi 2001 portant modification de la Charte des droits de l’homme sont insuffisantes en nombre et de façon générale insatisfaisantes.

5.5Enfin, pour ce qui est de la pratique des États, les auteurs soulignent qu’un État partie, les Pays‑Bas, a autorisé le mariage civil pour les couples homosexuels à compter du 1er avril 2001.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1L’État partie a fait des observations supplémentaires sur les questions exposées ci‑après et il a rejeté les observations des auteurs en réitérant ses observations initiales pour ce qui est des questions restantes. L’État partie souligne tout d’abord que le Gouvernement néo‑zélandais n’a pas encore décidé d’adopter le projet de loi sur l’union civile actuellement soumis par un membre du Parlement. Deuxièmement, il déclare qu’il a poursuivi son examen par programme de la loi et de la réglementation et, en adoptant la loi portant modification de la législation relative aux droits de l’homme, a apporté un certain nombre d’améliorations à la position des couples homosexuels au regard de la loi. La loi portant modification prévoit également une procédure de dépôt de plainte (avec possibilité d’aide juridictionnelle) en cas de contestation de la politique gouvernementale. Les tribunaux existants et les cours pourront accorder des recours conséquents. En cas de contestation de la législation, ces instances pourront faire une déclaration d’incompatibilité en demandant une réponse du Gouvernement dans les 120 jours, alors que des ordonnances obligatoires peuvent être délivrées pour ce qui est des politiques et des pratiques. En tout état de cause, l’État partie n’admet pas qu’une démarche par programme et progressive constitue une violation du Pacte.

6.2.Pour ce qui est de l’interprétation que font les auteurs de la jurisprudence, l’État partie ne partage pas l’opinion des auteurs. Il déclare que, contrairement à ce qu’il a pu comprendre, la Cour suprême de la Colombie britannique n’a pas conclu à une discrimination dans l’affaire Shortt. La Cour a estimé qu’en l’espèce, le refus du droit à l’égalité des requérants était justifié et qu’en conséquence, il n’y avait pas eu violation de la Charte canadienne des droits et des libertés. Pour ce qui est de l’affaire non précisée que mentionnent les auteurs, l’État partie note que dans l’affaire concernant une demande de T, la Haute Cour a décidé que la demande de T qui souhaitait adopter l’un des trois enfants de sa partenaire lesbienne ne serait pas, considérant les faits, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’enfant n’en tirerait aucun avantage autre que ceux dont il bénéficie déjà en vertu de la garde. Dans l’affaire A c. R à la suite de la séparation de ce même couple, la Cour a attribué une pension pour enfant au parent qui avait obtenu la garde afin que l’enfant soit entretenu comme il convient. L’État partie rejette l’affirmation selon laquelle ces affaires traduisent une reconnaissance anormale de la relation uniquement lorsqu’elle a cessé, affirmant au contraire que dans chaque cas les besoins des enfants et les incidences sur eux de la relation à chaque étape ont été soigneusement évalués.

6.3Enfin, en réponse à l’affirmation des auteurs qui déclarent que le Pacte crée, de par ses dispositions, une «attente légitime» de reconnaissance des couples homosexuels, l’État partie déclare qu’en vertu de ses dispositions constitutionnelles, il est tenu de veiller, comme il l’a fait, à ce que sa législation interne soit conforme au Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel il aurait été loisible au Conseil privé d’interpréter la loi sur le mariage, contrairement à l’opinion de la Cour d’appel, de la façon souhaitée par les auteurs. Le Comité note toutefois que l’État partie a déclaré expressément qu’il ne faisait «aucune observation quant à la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif». Compte tenu de cette déclaration et en l’absence de toute autre objection à la recevabilité de la communication, le Comité décide que la communication est recevable.

Examen quant au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2L’allégation essentielle des auteurs est que le Pacte fait obligation aux États parties de donner aux couples homosexuels la possibilité de se marier et qu’en leur refusant cette possibilité, l’État partie commet des violations de leurs droits en vertu de l’article 16, de l’article 17, des paragraphes 1 et 2 de l’article 23 et de l’article 26 du Pacte. Le Comité note que le paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte porte expressément sur la question du droit de se marier.

Étant donné l’existence dans le Pacte d’une disposition qui porte expressément sur le droit au mariage, toute allégation de violation de ce droit doit être examinée à la lumière de cette disposition. Le paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte est la seule disposition de fond qui définit un droit en employant les termes «l’homme et la femme», plutôt que «tout être humain», «chacun» et «toutes les personnes». L’emploi des termes «l’homme et la femme» plutôt que des termes généraux figurant ailleurs dans la troisième partie du Pacte, a été régulièrement et uniformément interprété comme signifiant que l’obligation incombant aux États parties en vertu de l’article 2 du paragraphe 23 du Pacte, se limite à reconnaître comme constituant un mariage l’union entre un homme et une femme qui souhaitent se marier.

8.3À la lumière des paramètres associés au droit de se marier énoncé au paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte, le Comité ne peut pas conclure que par son simple refus d’accorder le droit de se marier à des couples homosexuels, l’État partie a violé les droits des auteurs au titre de l’article 16, de l’article 17, des paragraphes 1 et 2 de l’article 23 et de l’article 26 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de MM. Rajsoomer Lallah et Martin Scheinin,membres du Comité

Nous n’avons eu aucune difficulté à nous associer au consensus du Comité sur l’interprétation du droit de se marier en vertu du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte. Cette disposition entraîne pour les États parties l’obligation de reconnaître comme constituant un mariage l’union d’un homme adulte et d’une femme adulte qui souhaitent se marier. Elle ne limite en rien la liberté des États, conformément au paragraphe 2 de l’article 5, de reconnaître, sous la forme du mariage ou sous une forme comparable, le fait que deux hommes ou deux femmes vivent de compagnie. Toutefois, rien dans cette disposition ne peut être interprété comme avalisant des pratiques qui violent les droits de l’homme ou la dignité des personnes, comme le mariage d’enfants ou le mariage forcé.

Quant au fait que le Comité a conclu à l’unanimité que la non‑reconnaissance comme mariage des relations entre les auteurs, qui sont des personnes de même sexe, ne constituait pas une violation de l’article 26, non plus, nous tenons à ajouter quelques observations. Cette conclusion ne doit pas être interprétée comme une déclaration générale indiquant qu’une différence de traitement entre les couples mariés et les couples de même sexe que la loi n’autorise pas à se marier ne représenterait jamais une violation de l’article 26. Au contraire, la jurisprudence du Comité tend à prouver qu’une telle différence peut très bien, selon les circonstances d’une affaire précise, constituer une discrimination interdite.

Contrairement à ce que l’État partie a affirmé (par. 4.12), l’opinion constante du Comité est que l’interdiction de toute discrimination pour des raisons de «sexe» énoncées à l’article 26 s’étend aussi à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Et lorsque le Comité a conclu que certaines différences dans le traitement des couples mariés et des couples hétérosexuels non mariés reposaient sur des critères raisonnables et objectifs qui n’étaient donc pas discriminatoires, c’était parce qu’il partait du principe que les couples en question avaient la possibilité de choisir de se marier ou de ne pas se marier, avec toutes les conséquences qui en découlaient. Cette possibilité de choisir n’est pas offerte aux couples de même sexe dans les pays où la loi n’autorise pas le mariage entre personnes du même sexe ou d’autres types de partenariat reconnus entre elles ayant des conséquences analogues ou identiques à celles du mariage. En conséquence, le refus aux couples de même sexe de certains droits ou avantages dont bénéficient les couples mariés peut constituer une discrimination interdite en vertu de l’article 26, à moins que ce refus ne soit justifié par des critères raisonnables et objectifs.

Toutefois, nous constatons en l’espèce que les auteurs n’ont pas, peut-être délibérément, prouvé que dans l’exercice de certains droits qui ne sont pas nécessairement liés à l’institution du mariage, ils subissaient personnellement les conséquences d’une distinction entre personnes mariées et personnes non mariées qui constituerait une discrimination au sens de l’article 26. Soit leurs allégations de différences de traitement entre couples mariés et unions entre personnes de même sexe pour des redites du refus de l’État partie de reconnaître comme mariage les unions entre personnes de même sexe (par. 3.1), question sur laquelle le Comité a tranché en vertu de l’article 23, soit elles ne sont pas étayées de manière à indiquer si et comment ce refus a sur les acteurs des incidences personnelles (par. 3.5). Étant donné que l’État partie affirme qu’il reconnaît les auteurs, avec et sans enfants, comme constituant des familles (par. 4.8), nous sommes convaincus, en nous associant au consensus, du Comité qu’il n’y a pas eu violation de l’article 26.

(Signé) Rajsoomer Lallah

(Signé) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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