Présentée par:

Sergei Malakhovsky et Alexander Pikul(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

24 juillet 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 octobre 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

26 juillet 2005

Objet: Refus d’enregistrer une association religieuse et restrictions aux activités de l’association qui résultent de ce refus

Questions de fond: Droit de manifester ses convictions et de s’associer avec d’autres; nécessité et proportionnalité des restrictions

Articles du Pacte: 18, paragraphes 1 et 3; 22, paragraphes 1 et 2Le 26 juillet 2005, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations concernant la communication no 1207/2003 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE] ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX

DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑quatrième session

concernant la

Communication n o  1207/2003 *

Présentée par:

Sergei Malakhovsky et Alexander Pikul(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

24 juillet 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1207/2003 présentée par Sergei Malakhovsky et Alexander Pikul en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont M. Sergei Malakhovsky et M. Alexander Pikul, de nationalité bélarussienne, nés en 1953 et 1971, respectivement. Ils se déclarent victimes de violations par le Bélarus des paragraphes 1 et 3 de l’article 18 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Bélarus le 23 mars 1976 et le 30 décembre 1992, respectivement.

Exposé des faits

2.1Les auteurs sont membres de la communauté Vaishnava (communauté du mouvement pour la conscience de Krishna) de Minsk, l’une des sept communautés de ce type enregistrées au Bélarus. La loi applicable fait la distinction entre communauté religieuse enregistrée et association religieuse enregistrée. Les auteurs expliquent que certaines activités qui sont primordiales pour la pratique de leur religion ne peuvent être exercées que par une association religieuse. Selon la loi interne sur «la liberté de conscience et les organisations religieuses» (ci‑après «la loi») et le décret en Conseil des ministres sur «l’autorisation d’inviter des ecclésiastiques étrangers et leur activité au Bélarus» (ci‑après «le décret»), seules les associations religieuses ont le droit de fonder des monastères, des congrégations religieuses, des missions religieuses et des établissements d’enseignement spirituel, ou d’inviter des ecclésiastiques étrangers à se rendre au Bélarus pour y prêcher ou y exercer d’autres activités de caractère religieux.

2.2Le 10 mai 2001, les auteurs ont déposé auprès de la Commission des religions et des nationalités (ci‑après «la Commission») une demande d’enregistrement des sept communautés Krishna du Bélarus en tant qu’association religieuse. Cette demande était accompagnée d’un projet de statuts et des autres pièces requises par la loi, y compris des documents établissant que l’association avait un siège social officiellement agréé («adresse légale») au 11 rue Pavlova, à Minsk, dont les locaux satisfaisaient à toutes les prescriptions applicables du Code du logement, y compris les règles concernant les équipements de sécurité incendie et les installations sanitaires.

2.3Le 5 juin 2001, la Commission a renvoyé ces documents aux auteurs en prescrivant qu’il y soit apporté certaines modifications. Les auteurs ont soumis une nouvelle fois le dossier mais, le 27 juillet 2001, il leur a de nouveau été retourné pour corrections. Les deux fois, la plupart des modifications exigées n’étaient pas fondées sur les textes législatifs applicables et tenaient apparemment à l’appréciation personnelle des fonctionnaires chargés du dossier. Les auteurs ont soumis les documents une troisième fois, le 11 août 2001.

2.4Selon la loi, une décision aurait dû être rendue sur la demande des auteurs dans le mois suivant son dépôt, mais plus d’un an s’est écoulé à partir de la date de présentation initiale du dossier sans que la Commission ait statué. Le 30 mai 2002, les auteurs ont introduit une requête auprès du tribunal central de Minsk pour qu’il ordonne à la Commission de se prononcer sur leur demande. Le 4 juillet 2002, le tribunal a rendu une ordonnance enjoignant à la Commission de statuer sur la demande des auteurs dans le mois.

2.5Le 2 août 2002, la Commission a rejeté la demande des auteurs au motif qu’ils n’avaient pas fourni d’adresse légale dûment agréée. Elle a considéré que la décision de l’Administration de l’arrondissement central de la ville de Minsk d’approuver l’adresse légale de l’association religieuse n’était pas valable, car elle s’appuyait sur une décision antérieure du Comité exécutif de la ville de Minsk qui, en vertu d’une autre loi, ne s’appliquait pas à l’enregistrement des organisations religieuses.

2.6Le refus de la Commission d’enregistrer l’association a eu pour conséquence de priver les membres des sept communautés Krishna, dont les auteurs, du droit de créer des établissements d’enseignement spirituel pour y dispenser une formation à leurs prêtres, et les a ainsi empêchés d’œuvrer dûment au développement de la doctrine. L’impossibilité pour eux d’inviter des prêtres étrangers et de se nourrir de la présence à leurs côtés d’adeptes plus avancés sur le plan spirituel se traduit par un relâchement spirituel. De même, ils n’ont pas pu créer des monastères et des missions aux fins d’appliquer certains préceptes essentiels de leur religion.

2.7Le 24 septembre 2002, les auteurs ont fait appel devant le tribunal de l’arrondissement central de Minsk du refus de la Commission d’enregistrer l’association et ils ont été déboutés le 18 octobre 2002. Le 29 octobre 2002, ils se sont pourvus en cassation devant la cour de la ville de Minsk; leur pourvoi a été rejeté le 28 novembre 2002. Le 21 décembre 2002, les auteurs ont saisi le Président de la cour d’une demande de contrôle juridictionnel, laquelle a été rejetée le 17 février 2003. Enfin, le 14 avril 2003, ils ont déposé une requête en contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême du Bélarus, qui l’a rejetée le 30 mai 2003. Ces divers recours ont été rejetés pour deux motifs: d’une part, l’absence d’adresse légale dûment agréée pour les raisons exposées dans la décision de la Commission (par. 2.5 ci‑dessus) et, d’autre part, la non‑conformité des locaux aux prescriptions du Code du logement, plusieurs manquements aux règles relatives aux installations sanitaires et au dispositif de sécurité incendie ayant été constatés.

2.8Les auteurs font valoir que la décision de l’organe administratif d’approuver l’adresse du siège social de leur association n’a jamais été annulée et qu’elle reste valable. Ils reconnaissent que la décision antérieure du Comité exécutif de la ville de Minsk, sur laquelle était fondée la décision d’agréer leur adresse légale, n’était pas applicable à l’enregistrement d’organismes religieux, mais font valoir qu’elle était purement et simplement sans objet et que les locaux devaient seulement être conformes aux dispositions pertinentes du Code du logement, ce qui était le cas. S’agissant du dispositif de sécurité incendie et des installations sanitaires des locaux, les auteurs font observer que ces derniers sont situés dans un immeuble résidentiel où des gens vivent, et que l’on ne peut pas soutenir que l’immeuble est sûr pour les résidents mais non pour leur organisation.

2.9Les auteurs font valoir que, en conséquence des modifications de la loi adoptées le 31 octobre 2002, il est encore plus difficile pour une association religieuse de se faire enregistrer. La loi exige désormais que l’association religieuse compte au moins 10 communautés, dont une au moins doit exercer ses activités au Bélarus depuis 20 ans au minimum.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le refus de la Commission d’enregistrer leur association religieuse et le fait que les instances judiciaires internes n’ont pas fait droit à leurs recours, ainsi que les conséquences qui résultent de ces décisions, constituent une violation de leurs droits au titre des paragraphes 1 et 3 de l’article 18 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 du Pacte. Ils relèvent que la procédure par laquelle ils ont cherché en vain à obtenir l’enregistrement de l’association a pris deux ans, ce qui montre selon eux que l’État partie pratique une politique discriminatoire à l’égard des minorités religieuses.

3.2Les auteurs font valoir que les conditions fixées par la loi de l’État partie à l’enregistrement d’une association religieuse constituent des restrictions injustifiées à leur droit de manifester leur religion et à l’exercice de leur droit de s’associer librement avec d’autres, restrictions qui ne satisfont pas au critère énoncé au paragraphe 3 de l’article 18 et dans la disposition correspondante du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, car elles ne sont pas nécessaires «à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui».

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 29 avril 2004, l’État partie affirme que la communication ne fait apparaître aucune violation des articles 18 ou 22 du Pacte. Il note que les auteurs ont pu pratiquer leur religion sans entrave, individuellement ou avec d’autres. Depuis 1992, ils participent activement aux activités de la communauté Krishna de Minsk, qui a été enregistrée conformément à la loi. Les sept communautés Krishna qui existent au Bélarus ont un statut autonome et ne sont pas soumises à un contrôle d’ordre religieux.

4.2L’État partie confirme l’entrée en vigueur le 16 novembre 2002 de modifications de la loi qui imposent de nouvelles conditions pour l’enregistrement des associations religieuses, parmi lesquelles l’obligation de compter au minimum 10 communautés, dont une au moins doit exercer des activités au Bélarus depuis au minimum 20 ans.

4.3En ce qui concerne les demandes d’enregistrement déposées par les auteurs, l’État partie fait observer que les deux premières n’étaient pas conformes aux prescriptions légales. Pour ce qui est de la troisième, la Commission a dû s’intéresser de près aux statuts de l’association, à ses enseignements et à ses activités, car ses objectifs et rôles déclarés différaient sensiblement de ceux des sept communautés religieuses qui la composaient. En particulier, il était dit dans le projet de statuts de l’association que celle‑ci aspirait à faire de la Société internationale pour la conscience de Krishna, qui n’est que l’une des nombreuses composantes de l’hindouisme vishnouite, la seule organisation religieuse représentant le vishnouisme au Bélarus.

4.4L’État partie confirme qu’une condition essentielle de l’enregistrement d’une association religieuse est qu’elle doit avoir une adresse légale agréée. Les auteurs mentionnaient dans leur demande un immeuble d’habitation situé au 11 rue Pavlova, à Minsk. Le Code du logement dispose que toute utilisation de bâtiments d’habitation à des fins autres que résidentielles exige l’accord des autorités locales, ainsi que la conformité des locaux aux règles en matière d’équipements sanitaires et de sécurité incendie; or l’inspection des locaux par les autorités a révélé des manquements à ces règles. L’État partie relève que les auteurs se proposaient d’utiliser les lieux à des fins collectives − cérémonies religieuses, rites et autres rassemblements − qui requièrent des mesures de sécurité particulières et le strict respect des normes applicables. Une inspection des lieux effectuée après une cérémonie de mariage, le 25 mai 2002, a ainsi permis de découvrir que l’on y avait allumé des feux sans dispositif de protection.

4.5Selon l’État partie, les juridictions qui ont examiné les recours déposés par les auteurs étaient fondées à considérer que la décision administrative autorisant l’utilisation des locaux comme adresse légale de l’association avait été prise sans qu’il ait été procédé à l’inspection obligatoire desdits locaux et en violation des textes législatifs en matière de logement susmentionnés. En tout état de cause, l’organe administratif qui l’avait prise n’avait pas compétence pour les questions relatives aux associations religieuses et sociales. C’est donc à bon droit que les juridictions de l’État partie ont rejeté les recours formés par les auteurs contre le refus de la Commission d’enregistrer l’association.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie et nouvelles observations de ce dernier

5.1Dans leurs commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 31 mai 2004, les auteurs réaffirment qu’en refusant d’enregistrer leur association pour des motifs non fondés et illégaux, l’État partie a considérablement restreint leur droit de pratiquer leur religion et de professer leurs opinions, en commun avec d’autres, y compris avec des personnes venues de l’étranger. Ils ajoutent que, du fait des modifications apportées à la loi en 2002, il ne leur sera plus possible de faire enregistrer leur association, laquelle ne compte en effet que sept communautés au Bélarus, dont aucune n’exerce ses activités depuis plus de 20 ans. Ils font valoir que les conditions prévues par la loi sont discriminatoires à l’égard des religions qui n’ont pas pu avoir d’activités pendant l’ère soviétique.

5.2Les auteurs soutiennent que ce que dit l’État partie à propos de problèmes de sécurité concernant les locaux en question est inexact, les autorités ayant procédé plus tôt à une inspection du dispositif de sécurité incendie des locaux et autorisé l’utilisation de ces derniers comme siège social, sous réserve de sept mesures correctives, que les auteurs ont toutes apportées.

5.3Les auteurs affirment que la mention par l’État partie du feu allumé dans les locaux pendant une cérémonie de mariage atteste le caractère discriminatoire du refus d’enregistrer leur association, car d’autres religions pratiquent des formes de dévotion analogues sans que les autorités y trouvent à redire. Enfin, les auteurs font observer que si l’association a besoin d’un siège social, ce n’est pas nécessairement pour y tenir des cérémonies et rites religieux, c’est pour disposer d’un centre pour l’organisation de ses activités. Par conséquent, les mesures spéciales de sécurité évoquées par l’État partie ne sont pas nécessaires.

5.4Dans une autre lettre en date du 26 novembre 2004, l’État partie réaffirme que les dispositions de la loi de 2002 sur la liberté de conscience et les organisations religieuses ne sont pas de nature discriminatoire et renvoie à la législation interne d’autres États, qui exige un nombre minimum d’organes constituants et une certaine durée d’existence comme conditions préalables à l’enregistrement d’une communauté religieuse.

5.5L’État partie note que de nombreuses infractions à la réglementation sanitaire et aux normes relatives à la prévention des incendies ont été enregistrées dans les locaux de la communauté Vaishnava de Minsk. Un mariage célébré dans ces locaux le 25 mai 2002 a ensuite été qualifié par l’administration de l’arrondissement central de Minsk de «manifestation ayant menacé la vie et la santé des participants et des voisins». En conséquence, la Commission a refusé d’agréer les statuts de l’association. Le 18 octobre 2002, le tribunal de l’arrondissement central de Minsk a débouté l’auteur de son appel contre la décision de la Commission au même motif; cette décision a été confirmée en cassation.

5.6L’État partie explique qu’il était impossible d’enregistrer l’association à l’adresse donnée parce que ceci serait traduit par une augmentation de la fréquence et de la fréquentation des manifestations religieuses dans les locaux en question, ce qui aurait eu pour effet d’accroître les risques sanitaires. Les fondateurs de l’association ont été priés de remédier aux infractions à la réglementation en matière de santé et de sécurité et invités à étudier la possibilité de choisir une autre adresse.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé leurs allégations de violation des articles 18 (par. 1 et 3) et 22 (par. 1 et 2) aux fins de la recevabilité. Il conclut que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication sur le fond en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2En ce qui concerne le grief de violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 18, le Comité rappelle son Observation générale no 22, selon laquelle l’article 18 n’autorise aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la conviction de son choix. En revanche, le droit de manifester librement sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de certaines restrictions, mais uniquement si ces restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Par ailleurs, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés, y compris les actes indispensables au groupe religieux pour mener ses activités essentielles, tels que la liberté de choisir ses responsables religieux, ses prêtres et ses enseignants, et celle de fonder des séminaires ou des écoles religieuses. En l’espèce, le Comité relève que la loi de l’État partie distingue entre communautés religieuses et associations religieuses, certaines activités ne pouvant être exercées que par ces dernières. Faute d’avoir obtenu le statut d’association religieuse, les auteurs et leurs coreligionnaires ne peuvent inviter des ecclésiastiques étrangers au Bélarus, ni créer des monastères ou des établissements d’enseignement. Dans le droit fil de son Observation générale, le Comité considère que ces activités relèvent du droit des auteurs de manifester leurs convictions.

7.3Le Comité doit à présent examiner la question de savoir si les restrictions imposées au droit des auteurs de manifester leur religion sont «nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui», au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Le Comité renvoie à nouveau à son Observation générale no 22, dans laquelle il est indiqué que le paragraphe 3 de l’article 18 doit être interprété au sens strict, et que les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui‑ci.

7.4Dans la présente affaire, les restrictions dont fait l’objet le droit des auteurs de manifester leurs convictions consistent en plusieurs conditions attachées à l’enregistrement d’une association religieuse. La demande d’enregistrement présentée par les auteurs ne répondait pas à la condition selon laquelle l’association doit avoir un siège social agréé, satisfaisant à certaines normes sanitaires et règles concernant la sécurité incendie qui sont nécessaires pour les locaux utilisés à des fins telles que les cérémonies religieuses. Ces restrictions doivent être appréciées au regard des conséquences qu’elles ont pour les auteurs et leur association religieuse.

7.5Le Comité estime que la condition selon laquelle une association religieuse doit, pour pouvoir exercer son droit de mener ses activités à caractère religieux, avoir l’usage de locaux qui satisfont aux normes applicables de santé et de sécurité publiques, est une restriction qui est nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité publiques et proportionnée à cette nécessité.

7.6Le Comité note toutefois que l’État partie n’a présenté aucun argument pour expliquer en quoi il est nécessaire, aux fins du paragraphe 3 de l’article 18, qu’une association religieuse dispose, pour être enregistrée, d’un siège social agréé satisfaisant non seulement aux normes requises pour le siège administratif de l’association mais aussi aux normes nécessaires à la tenue de cérémonies, rites religieux et autres activités de groupe. Il est possible d’obtenir des locaux appropriés à cet usage après l’enregistrement. Le Comité note aussi que l’argument invoqué par l’État partie dans ses observations sur la communication, lorsqu’il prétend que la communauté à laquelle appartiennent les auteurs cherche à monopoliser la représentation du vishnouisme au Bélarus, est un point qui n’a pas été soulevé au cours de la procédure judiciaire interne. Prenant également en compte les conséquences du refus de l’enregistrement, à savoir l’impossibilité pour l’association d’avoir certaines activités, par exemple créer des établissements d’enseignement et inviter au Bélarus des dignitaires religieux étrangers, le Comité conclut que le refus d’enregistrer l’association constitue une restriction du droit des auteurs de manifester leur religion en vertu du paragraphe 1 de l’article 18 qui est disproportionnée et, de ce fait, ne répond pas aux critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 18. Il y a donc eu violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 18.

7.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner les allégations des auteurs relativement à une violation des droits consacrés à l’article 22 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 18.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que les auteurs ont droit à un recours approprié consistant dans le réexamen de leur demande en fonction des principes, des règles et de la pratique en vigueur au moment du dépôt de leur requête et compte dûment tenu des dispositions du Pacte.

10.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood

Le droit d’une communauté religieuse de fonder des monastères, des établissements d’enseignement ou des missions religieuses et d’inviter des personnalités religieuses étrangères à venir parler devant elle a été considérablement restreint par le Gouvernement du Bélarus. Seuls les groupes officiellement enregistrés auprès des autorités en tant qu’«associations religieuses» peuvent exercer ces aspects du droit de pratiquer librement la religion.

Les sept communautés religieuses «Krishna» du Bélarus ont voulu se faire enregistrer en tant qu’association en déposant une demande auprès de la «Commission des religions et des nationalités». Cette commission a rejeté leur demande, au bout d’un an, au motif que le groupe Krishna n’avait pas «d’adresse légale» dûment agréée. L’adresse donnée par les requérants était celle de locaux situés dans un immeuble résidentiel. Elle avait auparavant été approuvée par le comité exécutif de la ville de Minsk.

Le refus d’enregistrer le groupe Krishna en tant qu’«association» religieuse a motivé un recours en appel devant le tribunal de l’arrondissement central de Minsk en 2002. Un mois après le rejet du recours, l’État a modifié la loi applicable en y ajoutant de nouvelles restrictions à l’enregistrement des associations religieuses.

En vertu des nouvelles dispositions, les groupes religieux qui demandent le statut d’«association» doivent prouver qu’ils exercent leurs activités au Bélarus depuis 20 ans au minimum et qu’ils comptent au moins 10 communautés dans le pays. Le groupe Krishna n’a pas le nombre requis de communautés et ne peut pas justifier d’une implantation de 20 ans au Bélarus.

Le Comité des droits de l’homme constate à juste titre que l’État partie a commis une violation de l’article 18 du Pacte en refusant d’accepter l’adresse légale de la communauté Krishna comme «siège administratif» d’une association religieuse. Je pense comme les autres membres du Comité qu’il est légitime pour l’État de se préoccuper des conditions de sécurité dans lesquelles se tiennent de grands rassemblements publics mais que ces réunions peuvent également avoir lieu dans d’autres lieux. Le refus d’enregistrer le groupe Krishna au motif que son adresse était celle d’un immeuble d’habitation était donc déraisonnable.

En outre, la nouvelle règle de «droits acquis» instaurée par l’État partie pose également un sérieux problème, car elle constitue un obstacle supplémentaire à la liberté de la pratique religieuse au Bélarus. On voit mal pourquoi une confession moins ancienne n’aurait pas le droit de dispenser un enseignement religieux, et l’obligation de justifier d’une présence de 20 ans au minimum est donc contestable. On ne comprend pas non plus pourquoi l’existence de 10 «communautés» devrait être un préalable à toute activité d’enseignement, étant donné en particulier qu’une «communauté» comme celle de Minsk peut être plus importante qu’un grand nombre de petites communautés distinctes.

Le Comité ayant conclu à une violation de l’article 18, il n’a pas eu à examiner ces autres questions. Mais il est bon de rappeler que le Pacte reconnaît et garantit la liberté de toute personne «de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement». Voir l’article 18, paragraphe 1. Ce droit n’est pas réservé aux religions anciennes et établies ni aux grandes congrégations et constitue un des fondements de la liberté de religion.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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