Nations Unies

CCPR/C/98/D/1635/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

10 mai 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communication no 1635/2007

Présentée par:

Kenneth Davidson Tillman (représenté par Eveline Jean Judith Crotty)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

9 octobre 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 décembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

18 mars 2010

Objet :

Ordonnance de maintien en détention à des fins de sûreté après exécution de la peine de prison initiale pour infractions sexuelles

Questions de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Questions de fond :

Détention arbitraire; interdiction d’une double condamnation pour le même fait (n e bis in idem)

Articles du Pacte :

9 (par. 1) et 14 (par. 7)

Article du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

Le 18 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1635/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civilset politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1635/2007 **

Présentée par:

Kenneth Davidson Tillman (représenté par Eveline Jean Judith Crotty)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

9 octobre 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1635/2007 présentée au nom de Kenneth Davidson Tillman en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Kenneth Davidson Tillman, citoyen australien, qui était détenu en Nouvelle-Galles du Sud (Australie) au moment de l’enregistrement. L’auteur affirme être victime de violation par l’Australie du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par Eveline Jean Judith Crotty, religieuse qui lui rend visite en prison.

Rappel des faits

2.1Le 6 mars 1998, l’auteur a été reconnu coupable de deux chefs de relations sexuelles avec un enfant de moins de 10 ans et d’un chef de tentative de relations sexuelles avec le même enfant. Les deux infractions à l’encontre de l’enfant ont été commises en juillet 1996. Au cours de la même procédure, qui a abouti au jugement et à la sentence rendus le 6 mars 1998, l’auteur a également plaidé coupable pour voies de fait simples contre une fille de 15 ans, actes commis le 19 avril 1997. Le 6 mars 1998, l’auteur a été condamné pour ces crimes à des peines concurrentes de dix ans d’emprisonnement à compter du 19 avril 1997.

2.2Le 11 avril 2007 (une semaine avant que l’auteur ne soit libéré de prison), l’Attorney général de l’État de Nouvelle-Galles du Sud a demandé ex officio en vertu de l’article 17 1) b) de la loi sur les infractions pénales (Auteurs d’infractions sexuelles graves) de 2006 (Nouvelle-Galles du Sud) (ci-après «loi sur les infractions pénales»), que l’auteur soit placé dans une prison pendant cinq ans à compter de la date de l’ordonnance. À défaut, l’Attorney général demandait que l’auteur soit soumis à un suivi sociojudiciaire pendant cinq ans.

2.3Le 17 avril 2007, la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud a rendu une ordonnance provisoire de suivi sociojudiciaire de l’auteur en vertu de l’article 8 1) de la loi sur les infractions pénales. Le 3 mai 2007, la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud réunie en formation plénière a annulé l’ordonnance et, en vertu de l’article 16 1) de la loi sur les infractions pénales, a ordonné le placement en détention de l’auteur pour une période de vingt-huit jours. L’ordonnance provisoire de détention a été renouvelée le 29 mai 2007 pour vingt-huit jours supplémentaires. Le 18 juin 2007, la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud a considéré que l’auteur devait être détenu dans une prison pendant une année conformément à l’article 17 1) de la loi sur les infractions pénales.

Teneur de la plainte

3.1Au sujet de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme que la validité constitutionnelle de la loi du Queensland équivalant à la loi sur les infractions pénales de Nouvelle-Galles du Sud a été examinée par la High Court (Cour suprême) australienne dans Fardon v . Attorney General of Queensland (2004). D’après l’auteur, dans l’affaire Fardon, la High Court australienne a confirmé la validité de la loi du Queensland et rejeté un appel fondé sur un certain nombre de motifs, dont le fait que la loi du Queensland autorisait la double peine. L’auteur affirme donc que les recours internes n’auraient aucune chance véritable d’aboutir et qu’il n’est pas nécessaire de les épuiser.

3.2L’auteur affirme que son réemprisonnement en vertu de la loi sur les infractions pénales lui a été imposé à l’issue d’une procédure civile qui ne respectait pas les règles d’un procès pénal. L’absence de réexamen de la culpabilité fait qu’il y a double peine et elle est en outre contraire au principe selon lequel la privation de liberté ne doit pas être arbitraire.

3.3L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte en ce que son emprisonnement en vertu de la loi sur les infractions pénales lui impose une double peine sans qu’il y ait eu réexamen de sa responsabilité pénale. L’emprisonnement est fondé sur l’infraction initiale et la question de savoir si un nouveau crime a été commis n’a pas été soulevée. L’auteur affirme en outre qu’il est soumis au même régime carcéral que s’il avait été condamné alors qu’il n’a pas été accusé, jugé ni reconnu coupable d’une infraction pénale et que son statut demeure celui d’un détenu. L’auteur se réfère aux conclusions d’une minorité de membres du Comité au sujet de la communication no 1090/2002, Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande, et souligne que celles-ci vont dans le sens de l’affirmation selon laquelle la loi sur les infractions pénales est contraire au paragraphe 7 de l’article 14, d’autant que rien n’indique que l’élément préventif a été pris en compte au moment de la décision.

3.4L’auteur affirme en outre être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Il déclare que sa détention a été ordonnée pour des motifs et conformément aux procédures établies par la loi. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle, pour éviter tout caractère arbitraire, la détention doit être raisonnable, nécessaire dans toutes les circonstances de l’espèce et proportionnée aux buts légitimes fixés par l’État partie. Si l’État partie peut atteindre ses buts légitimes par des moyens moins attentatoires à l’intégrité que la détention, la détention devient arbitraire.

3.5L’auteur déclare que la nature même du droit de ne pas être soumis à une détention arbitraire justifie un examen approfondi de tout instrument législatif qui impose une restriction à la jouissance de ce droit. L’auteur accepte l’idée que l’adoption de mesures appropriées de soins et de traitement d’un délinquant après sa sortie de prison constitue un objectif légitime, comme énoncé à l’article 3 de la loi sur les infractions pénales, mais il conteste la légitimité d’un réemprisonnement pour réaliser cet objectif. L’auteur conteste en outre le bien-fondé d’un emprisonnement pour une durée indéfinie aux fins de la réadaptation d’un délinquant. Il affirme que l’État partie n’a pas démontré pourquoi il n’était pas en mesure d’instaurer d’autres dispositifs pour réaliser les mêmes objectifs de manière appropriée et pourquoi l’emprisonnement était l’unique moyen d’atteindre ces objectifs.

3.6L’auteur distingue son cas des faits présentés dans la communication no 1090/2002, Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande car en l’espèce, l’élément préventif ne figure pas dans la condamnation initiale. Il explique que dans son cas, la demande de peine préventive et l’application de celle-ci sont survenues après qu’il a exécuté la peine initiale et qu’il s’agit donc d’une détention arbitraire contraire au paragraphe 1 de l’article 9.

3.7L’auteur déclare que la détention dans une prison est une forme de punition et que ce n’est pas parce que son objet est qualifié de non punitif qu’elle cesse de l’être. Il souligne que son emprisonnement ne peut être justifié par la nécessité de protéger l’ordre public, car il n’a été ni accusé ni reconnu coupable d’aucun crime pendant qu’il était en prison. On ne lui a pas non plus diagnostiqué de maladie mentale qui pourrait justifier sa détention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 septembre 2008, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Au sujet des faits, il affirme que le 7 avril 2008, sur la base d’un avis de motion de la part de l’État de Nouvelle-Galles du Sud, non contesté par l’auteur, la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud a prolongé l’ordonnance de détention conformément à l’article 19 1) de la loi sur les infractions pénales, jusqu’au 31 octobre 2008. L’auteur participe au programme de traitement intensif en lieu fermé (CUBIT), qu’il devrait avoir achevé au début d’octobre 2008. Le 15 juillet 2008, il a été accusé de nouvelles infractions sexuelles et la libération conditionnelle lui a donc été refusée. De plus, la détention de l’auteur en vertu de l’ordonnance de maintien en détention a été suspendue alors que la date d’expiration de l’ordonnance demeure le 31 octobre 2008.

4.2L’État partie déclare que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il maintient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles vu qu’il n’a pas sollicité l’autorisation de former un recours devant la High Court d’Australie ni intenté d’action en habeas corpus invoquant la compétence originale de la High Court et contestant la constitutionnalité de la loi sur les infractions pénales. Si elle avait abouti, une requête devant la High Court aurait pu aboutir à l’annulation ou au renvoi pour réexamen de l’ordonnance de maintien en détention. L’État partie affirme que les faits et certaines des dispositions législatives en cause dans l’affaire Fardon v. Attorney General devant la High Court étaient différents. Il souligne en outre que l’auteur n’a pas prouvé à première vue que ces recours étaient inutiles, ni qu’une demande de réexamen serait inévitablement rejetée à cause d’un précédent légal.

4.3Sur le fond, l’État partie déclare que la détention de l’auteur était conforme aux procédures établies par la loi sur les infractions pénales, et que la High Court a considéré à la majorité qu’une loi similaire du Queensland était constitutionnellement valide. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle la détention préventive pour des raisons tenant à la sécurité publique n’est pas arbitraire en soi. L’État partie soutient que l’ordonnance de détention de l’auteur datée du 18 juin 2007 a été rendue par la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, organe judiciaire indépendant, à l’issue d’une audience en assemblée plénière conforme aux règles d’une procédure équitable établies en common law. Il souligne que dans l’affaire Fardon, la High Court a considéré que la Cour suprême du Queensland avait joué son rôle d’organe judiciaire en tranchant une demande similaire de maintien en détention en vertu de la loi correspondante du Queensland.

4.4Quant à la nécessité d’éloigner l’auteur de la collectivité pour des raisons de sécurité publique, l’État partie affirme que la loi sur les infractions pénales fixe un critère rigoureux que la Cour doit respecter avant qu’une ordonnance puisse être rendue. La Cour doit considérer comme établi avec un haut degré de probabilité le fait que le délinquant est susceptible de commettre une nouvelle infraction sexuelle grave. À cette fin, elle doit prendre en considération la sécurité de la collectivité, les rapports psychiatriques, y compris ceux qui traitent des risques de récidive, la volonté de l’intéressé de participer à des programmes de réadaptation et toute propension à un comportement délinquant. L’État partie déclare en outre que la mise en liberté surveillée n’était pas appropriée dans le cas de l’auteur pour des raisons liées à la sécurité de la collectivité et à sa propre protection. Le maintien en détention permet en outre de disposer des meilleurs services d’aide spécifiquement conçus pour les délinquants sexuels récidivistes, incluant l’accompagnement par un thérapeute formé au traitement des délinquants sexuels et des programmes de réadaptation. L’auteur a refusé de participer au programme CUBIT pendant sa peine de prison initiale mais a continué de prendre part à ce programme lors de son placement actuel en détention pour différentes infractions sexuelles présumées. L’État partie affirme que le renvoi de l’auteur dans un établissement pénitentiaire où il avait accès à des programmes de réadaptation était une mesure raisonnablement proportionnée aux objectifs de réadaptation de la loi sur les infractions pénales et qu’il satisfaisait en outre aux principes de justice naturelle et d’examen indépendant périodique.

4.5L’État partie déclare par ailleurs qu’une détention à des fins de sûreté en vertu de la loi sur les infractions pénales découle d’une procédure purement civile au cours de laquelle il n’est pas examiné s’il y a eu perpétration d’une infraction pénale. Les antécédents judiciaires de l’auteur et les éléments criminels de l’infraction n’ont pas constitué la base de l’ordonnance de maintien en détention en vertu de l’article 17 de la loi sur les infractions pénales. L’État partie soutient que la loi sur les infractions pénales autorise les ordonnances de maintien en détention à des fins non punitives de protection du public. Il avance en outre que l’auteur avait accès aux meilleurs moyens et ressources disponibles en matière de réadaptation au sein du système pénitentiaire, ce qui permettait à l’État partie d’atteindre le double objectif consistant à assurer la sécurité de la collectivité et la réadaptation de l’auteur. La Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud a motivé son ordonnance de maintien en détention par le fait que le programme CUBIT n’était pas disponible en dehors du système pénitentiaire et elle a fixé la durée du maintien en détention de l’auteur en fonction du temps nécessaire pour achever avec succès le programme de réadaptation en question. L’État partie déclare donc que le maintien en détention de l’auteur ne constituait pas une double peine au sens du paragraphe 7 de l’article 14 car il n’était pas en lien avec la même infraction et n’avait aucun caractère punitif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1L’auteur conteste les éléments que l’État partie ajoute à l’exposé des faits et souligne qu’il n’a été jugé ni condamné pour aucun crime depuis qu’il a purgé sa peine d’emprisonnement, le 18 avril 2004, pour un crime dont il avait été reconnu coupable en 1998. Il insiste sur le fait que sa communication concerne les procédures qui ont eu lieu le 17 avril, le 3 mai, le 29 mai et le 18 juin 2007 après qu’il a achevé de purger sa peine initiale.

5.2Au sujet de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’il n’y a aucun doute quant à leur efficacité mais que ses chances de voir un appel auprès de la High Court aboutir sont nulles. Rappelant la jurisprudence du Comité, l’auteur fait valoir que si un tribunal a déjà tranché la question à l’examen sur le fond, le plaignant n’a pas à utiliser une voie de recours nationale. Il souligne que la loi sur les infractions pénales a été adoptée après la décision de la High Court dans l’affaire Fardon et a fait de cette décision un précédent. Il affirme en outre qu’un avocat plaidant, également professeur de droit, lui a conseillé de ne pas s’adresser à la High Court car il n’avait pas de chances raisonnables de succès. Étant donné que la loi sur les infractions pénales et la loi sur les prisonniers dangereux (délinquants sexuels) examinée dans l’affaire Fardon ont le même effet matériel − un emprisonnement sans procès pénal sur la base d’une prédiction de risque pour la collectivité − l’appel auprès de la High Court était objectivement inutile. L’auteur rappelle en outre la jurisprudence du Comité selon laquelle on peut considérer que les recours internes ont été épuisés lorsqu’on a des motifs raisonnables de penser qu’ils seraient vains, par exemple lorsqu’il n’est guère probable que la jurisprudence établie de la juridiction suprême sera contredite en appel, ou lorsqu’en vertu des lois nationales applicables, la requête sera inévitablement rejetée.

5.3L’auteur déclare que l’effet de double peine de la loi sur les infractions pénales est renforcé par le fait que la Cour suprême est tenue de prendre en considération les infractions antérieures de l’intéressé pour ordonner ou non son maintien en détention. Il ajoute que son maintien en détention constituait une peine car il a été soumis au même régime carcéral que s’il avait été reconnu coupable d’une infraction pénale. Il compare sa situation à celle de l’affaire Fardon, dans laquelle la High Court a considéré que l’emprisonnement en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux (délinquants sexuels) (Queensland) ne constituait pas une peine bien que M. Fardon ait été maintenu en détention après avoir achevé de purger sa peine initiale.

5.4L’auteur avance que son affaire est fondamentalement différente d’autres affaires sur lesquelles se sont prononcés le Comité et la Cour européenne des droits de l’homme, dans lesquelles un élément préventif est entré en ligne de compte. L’application de l’ordonnance de maintien en détention de l’auteur après qu’il a purgé sa peine initiale constitue une violation de l’interdiction de la double peine. Son réemprisonnement était indépendant du procès pénal initial et a eu lieu alors que la peine à temps avait été exécutée, sans que de nouveaux motifs de culpabilité n’aient été établis. L’auteur avance qu’un placement en détention fondé uniquement sur un risque de dangerosité donne aux autorités les moyens de contourner les exigences de l’article 14.

5.5L’auteur réaffirme qu’il ne conteste ni la légalité de l’ordonnance de maintien en détention ni la légitimité de l’objectif législatif qui consiste à protéger la collectivité. Ce qu’il conteste c’est le recours à un réemprisonnement pour atteindre les objectifs de la loi sur les infractions pénales, en particulier l’objectif de réadaptation. Il affirme que la réadaptation ne peut être mesurée que si l’intéressé jouit d’une certaine liberté. Il maintient que l’emprisonnement n’est pas nécessaire pour réaliser l’objectif légitime de réadaptation d’une personne dans l’intérêt de la protection de la collectivité, qui peut être atteint grâce à des services psychiatriques et psychologiques dans un cadre collectif établissant un équilibre entre la sécurité de la collectivité et les besoins en matière de réadaptation de l’ancien délinquant. Il affirme que la loi sur les infractions pénales impose une détention arbitraire contraire au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte car cette détention est fondée sur ce qu’une personne pourrait faire plutôt que sur ce qu’elle a fait.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a noté que l’objection de l’État partie à la recevabilité de la communication de l’auteur repose sur le fait que celui-ci n’a pas porté son affaire devant la High Court australienne, que ce soit en sollicitant l’autorisation de faire appel ou en intentant une action en habeas corpus. Il note également l’argument de l’auteur selon lequel la loi sur les infractions pénales a été promulguée après l’arrêt de la High Court dans l’affaire Fardon, dans lequel la High Court a considéré qu’une ordonnance de maintien en détention en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux (délinquants sexuels) (Queensland) − loi du Queensland équivalant à la loi sur les infractions pénales − était constitutionnelle. Le Comité fait observer en outre que l’État partie lui-même se réfère à la validité constitutionnelle de la loi sur les infractions pénales en s’appuyant sur l’arrêt Fardon rendu par la High Court (voir 4.3). Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, aux fins du Protocole facultatif, lorsque la plus haute juridiction d’un État a statué sur la question objet du litige dans un sens tel que toute possibilité de succès d’un recours devant les juridictions internes est exclue, l’auteur n’est pas tenu d’épuiser les recours internes. Le Comité conclut par conséquent que les critères énoncés au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été satisfaits.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte et procède par conséquent à l’examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité note que l’État partie a fait observer que la High Court avait considéré à la majorité que la loi du Queensland équivalant à la loi sur les infractions pénales était constitutionnelle. Il note en outre que l’État partie a expliqué que la procédure relevant de la loi sur les infractions pénales était de nature civile et que la détention de l’auteur avait des fins de sûreté. Le Comité a également noté le grief de l’auteur faisant valoir que son maintien en détention en vertu de la loi sur les infractions pénales lui impose une double peine sans qu’il ait été reconnu coupable d’une autre infraction, et que le tribunal n’a pas assorti la peine initiale d’une ordonnance pour des motifs de sûreté. Il note aussi les griefs de l’auteur tirés du fait qu’il était détenu suivant le même régime carcéral que lorsqu’il purgeait sa peine de prison initiale.

7.3Le Comité fait observer que le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte reconnaît que tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et que nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. L’article prévoit toutefois certaines restrictions de ce droit, par la privation de liberté, pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. De telles restrictions sont bien autorisées et existent dans la plupart des pays, en vertu de lois ayant pour objet, par exemple, le contrôle de l’immigration ou le traitement en institution de personnes souffrant de maladie mentale ou d’autres maladies qui les rendent dangereuses pour elles-mêmes ou pour la société. Cependant, une restriction faisant partie d’une sanction pour une infraction pénale ou en découlant peut soulever certaines difficultés. De l’avis du Comité, dans de tels cas, l’énoncé officiel des motifs et procédures dans une loi qui a pour objet d’autoriser ces restrictions n’est pas suffisant si les motifs et les procédures en question sont en eux-mêmes arbitraires ou déraisonnables ou portent inutilement atteinte au droit lui-même.

7.4Le Comité doit à présent déterminer si, dans leur application à l’auteur, les dispositions de la loi sur les infractions pénales en vertu desquelles l’auteur a été maintenu en détention lorsqu’il a fini de purger sa peine initiale de dix ans d’emprisonnement étaient arbitraires. Le Comité est parvenu à la conclusion qu’elles étaient arbitraires et, en conséquence, contraires au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, pour plusieurs raisons dont chacune, prise séparément, constituerait une violation. Les raisons les plus importantes sont les suivantes:

1.L’auteur a déjà purgé sa peine de dix ans d’emprisonnement et malgré cela, il demeure en fait emprisonné en vertu d’une loi qui qualifie cet emprisonnement sous le même régime carcéral de simple «détention». Cette prétendue détention constitue en réalité une nouvelle peine d’emprisonnement qui, à la différence de la détention elle-même, n’est pas autorisée en l’absence d’une déclaration de culpabilité dont peut découler une peine d’emprisonnement en vertu de la loi.

2.L’emprisonnement a un caractère pénal. Il ne peut être prononcé qu’à titre de condamnation pour une infraction, et ce, au cours de la procédure visant à connaître de cette infraction. La nouvelle peine d’emprisonnement imposée à l’auteur résulte d’ordonnances que la Cour a rendues une dizaine d’années après que l’auteur a été reconnu coupable et condamné, sur la base de prétendus risques de comportement criminel liés à l’infraction pour laquelle il avait déjà purgé sa peine. Cette nouvelle peine, qui résulte de nouvelles procédures − même si celles-ci sont qualifiées de «civiles» − est contraire à l’interdiction énoncée au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. À cet égard, le Comité observe en outre que, étant donné que la loi sur les infractions pénales a été promulguée en 2006 peu avant l’expiration de la peine infligée à l’auteur pour une infraction dont il avait été reconnu coupable en 1998 et qui est devenue un élément essentiel de la décision de le maintenir en détention, la loi sur les infractions pénales a été appliquée d’une manière rétroactive à l’auteur. Cela aussi est contraire à l’interdiction énoncée au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, en ce qu’il lui a été infligé une peine «plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise». Le Comité considère par conséquent qu’un placement en détention en vertu de procédures incompatibles avec l’article 15 est nécessairement arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.La loi sur les infractions pénales prévoit une procédure particulière pour obtenir les ordonnances nécessaires de la Cour. Comme l’a reconnu l’État partie, cette procédure particulière a été conçue comme étant de nature civile. Elle ne respecte donc pas les garanties d’une procédure régulière exigées en vertu de l’article 14 du Pacte pour qu’un procès à l’issue duquel une sanction pénale est imposée soit équitable.

4.La «détention» de l’auteur en tant que «prisonnier» en vertu de la loi sur les infractions pénales a été ordonnée parce que l’on craignait qu’il soit dangereux pour la collectivité à l’avenir et aux fins de sa réadaptation. Le fait de craindre ou de prédire qu’un ancien délinquant sera dangereux pour la collectivité pose en lui-même un problème. Il s’agit essentiellement d’une opinion par opposition à des éléments de preuve factuels même si ces éléments correspondent à l’opinion d’experts en psychiatrie. Mais la psychiatrie n’est pas une science exacte. D’un côté, la loi sur les infractions pénales exige de la Cour qu’elle prenne en considération l’opinion d’experts en psychiatrie à propos de la dangerosité future de l’intéressé mais, d’un autre côté, elle requiert de la Cour qu’elle constate la dangerosité. Si les tribunaux sont libres d’accepter ou de rejeter l’opinion d’experts et doivent prendre en considération tous les autres éléments de preuve pertinents et disponibles, la réalité est qu’ils doivent faire une constatation matérielle relative au comportement futur présumé d’un ancien délinquant qui pourrait se concrétiser ou non. Pour éviter tout arbitraire dans ces circonstances, l’État partie devrait avoir démontré que la réadaptation de l’auteur n’aurait pu être réalisée par des mesures moins attentatoires à l’intégrité que la poursuite de l’emprisonnement, voire la détention, d’autant qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte l’État partie avait l’obligation continue de prendre, si cela était vraiment nécessaire, des mesures efficaces en vue de la réadaptation de l’auteur pendant les dix années que celui-ci a passées en prison.

7.5Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner la question séparément au titre du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, y compris en mettant fin à sa détention en vertu de la loi sur les infractions pénales.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Krister Thelin et Mme Zonke Zanele Majodina

M. Krister Thelin a exprimé un avis différent, auquel a souscrit Mme Zonke Zanele Majodina. Il a déclaré:

«La majorité des membres du Comité a conclu à une violation. Je me permets de ne pas être d’accord avec cette décision. Le raisonnement et les conclusions du Comité devraient être les suivants:

7.1Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que sa détention en vertu de la loi sur les infractions pénales était arbitraire, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la détention à des fins de sûreté doit être justifiée par des raisons impérieuses et réexaminée périodiquement par un organe indépendant. Le Comité note que l’auteur a été détenu à des fins de sûreté du 17 avril 2007 au 31 octobre 2008 et que cette mesure a été décidée pour des motifs et selon des procédures établis par la loi − la loi sur les infractions pénales − et qu’elle est réexaminée périodiquement par un organe judiciaire indépendant, à savoir la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud. Il note également que l’auteur a refusé de participer au programme CUBIT lorsqu’il purgeait sa peine de prison initiale et que le programme n’était pas offert en dehors du système pénitentiaire. Il note encore que les deux objectifs de la loi sur les infractions pénales sont la sécurité publique et la réadaptation du délinquant sexuel. Néanmoins, pour éviter tout caractère arbitraire, le maintien en détention de l’auteur à des fins de sûreté devait être raisonnable, nécessaire dans toutes les circonstances de l’espèce et proportionné aux buts légitimes fixés par l’État partie. Le Comité observe que le cas de l’auteur a été examiné de manière approfondie et à plusieurs reprises par la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud et que la décision a été confirmée en appel, que les conditions préalables énoncées dans la loi sur les infractions pénales ont été, selon le contrôle juridictionnel effectué, remplies et que le refus de l’auteur de participer au programme de réadaptation CUBIT pendant qu’il purgeait sa peine initiale est entré en ligne de compte dans l’évaluation de sa dangerosité pour la collectivité. Vu les circonstances de l’espèce, le Comité conclut par conséquent que le maintien en détention de l’auteur à des fins de sûreté n’était pas disproportionné à l’objectif légitime de la loi applicable et ne constituait pas, à cet égard ou à tous autres égards, une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.2Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme que son maintien en détention en vertu de la loi sur les infractions pénales impose une double peine en l’absence d’une nouvelle déclaration de culpabilité et que le tribunal n’a inscrit aucune ordonnance pour des motifs de prévention dans la peine initiale. Il note également le grief de l’auteur concernant le fait qu’il a été placé sous le même régime carcéral que lorsqu’il purgeait sa première peine de prison. Il note en outre l’explication de l’État partie selon laquelle la procédure engagée en vertu de la loi sur les infractions pénales est de nature civile et la détention de l’auteur avait un caractère de prévention.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale nº 32, selon laquelle un individu qui a été condamné ou acquitté pour une infraction déterminée ne peut être traduit de nouveau, soit devant la même juridiction, soit devant une autre juridiction pour la même infraction. Cette garantie, toutefois, s’applique aux infractions pénales uniquement et non aux mesures disciplinaires qui ne sont pas une sanction pour une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte. Le Comité a noté que l’État partie affirme que la procédure civile d’application de la loi sur les infractions pénales n’entre pas dans le champ d’application de l’article 14 du Pacte. Il rappelle, toutefois, son Observation générale nº 32 ainsi que sa jurisprudence selon laquelle le caractère pénal d’une sanction peut être étendu à des mesures qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Le Comité observe que malgré les objectifs de la loi sur les infractions pénales, à savoir la protection de la sécurité publique et la réadaptation des délinquants sexuels, ainsi que la qualification légale comme procédures civiles des décisions prises en vertu de cette loi, la sévérité de la mesure − le maintien en prison sous réserve d’un examen sur demande − doit être considérée comme ayant un caractère pénal.

7.4Le Comité doit par conséquent déterminer si la sanction pénale prise en vertu de la loi sur les infractions pénales était fondée sur la même infraction que la peine initiale infligée à l’auteur. Le Comité rappelle que le Pacte ne limite pas la faculté qu’a l’État partie d’autoriser une peine indéfinie comportant un élément de prévention. L’élément qui a servi de base au maintien en détention de l’auteur à des fins de sûreté, qui a été décidé séparément de la condamnation initiale, était, selon les conclusions des tribunaux, son caractère de grave dangerosité pour la collectivité. Le Comité conclut que la mesure de maintien en détention à des fins de sûreté n’a pas été imposée pour les mêmes motifs que la peine prononcée pour l’infraction précédente, mais à des fins légitimes de protection. Il conclut par conséquent que le maintien en détention de l’auteur à des fins de sûreté ne constituait pas une violation du principe ne bis in idem au sens du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des dispositions du Pacte.».

(Signé) Krister Thelin

(Signé) Zonke Zanele Majodina

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]