Nations Unies

CCPR/C/98/D/1629/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

10 mai 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communication no 1629/2007

Présentée par :

Robert John Fardon (représenté par un conseil, Reeanna Maloney, The Prisoners’ Legal Service Inc. du Queensland)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

1er mars 2006 et 29 mai 2007 (dates des lettres initiales)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 décembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

18 mars 2010

Objet :

Ordonnance de maintien en détention à des fins de sûreté après accomplissement d’une peine d’emprisonnement pour infractions sexuelles

Questions de procédure :

s.o.

Questions de fond :

Interdiction d’une double condamnation pour le même fait (ne bis in idem); détention arbitraire

Articles du Pacte :

14 (par.7), 9 (par. 1)

Article du Protocole facultatif :

s.o.

Le 18 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1629/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no1629/2007 **

Présentée par:

Robert John Fardon (représenté par un conseil, Reeanna Maloney, The Prisoners’ Legal Service Inc. du Queensland)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

1er mars 2006 et 29 mai 2007 (dates des lettres initiales)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1629/2007 présentée au nom de M. Robert John Fardon, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.La communication, datée du 1er mars 2006 et du 29 mai 2007, est présentée par Robert John Fardon, de nationalité australienne, né le 16 octobre 1948. L’auteur se dit victime d’une violation par l’Australie du paragraphe 7 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Il est représenté par un conseil, Reeanna Maloney, du Prisoners’ Legal Service du Queensland.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 30 juin 1989, l’auteur a été condamné à une peine de quatorze ans d’emprisonnement pour viol, sodomie et brutalités, actes commis sur une personne de sexe féminin le 3 octobre 1988. Il a fini de purger sa peine le 30 juin 2003. Il n’a commis aucune infraction depuis le 3 octobre 1988.

2.2Le 6 juin 2003, la loi du Queensland sur les prisonniers dangereux (délinquants sexuels) de 2003 (ci-après «loi sur les prisonniers dangereux») est entrée en vigueur. Le 17 juin 2003, l’Attorney général du Queensland a présenté une demande d’ordonnance de mise en détention de l’auteur pendant une période indéfinie en vertu de l’article 13 de cette loi. Cet article 13 dispose qu’un prisonnier dont il est démontré qu’il constitue un danger grave pour la collectivité peut être maintenu en détention pour une durée indéfinie à des fins de surveillance, de soins ou de traitement. Il appartient à l’Attorney général d’apporter la preuve de ce danger.

2.3Le 27 juin 2003, la Cour suprême du Queensland a ordonné, en se fondant sur la loi de 2003, le maintien de l’auteur en détention à titre temporaire jusqu’au 4 août 2003. Cette date a ensuite été reportée au 3 octobre 2003, puis ultérieurement, «jusqu’à nouvel ordre». Le 6 novembre 2003 et le 11 mai 2005, la Cour suprême du Queensland a réaffirmé que l’auteur devait «continuer à faire l’objet d’une ordonnance de maintien en détention». Le 8 novembre 2006, après deux décisions préliminaires sur cette question, elle a ordonné que l’auteur fasse l’objet d’une ordonnance de mise en liberté surveillée conditionnelle et que l’ordonnance de maintien en détention soit annulée, à la suite de quoi l’auteur a été libéré le 4 décembre 2006, après rejet du pourvoi formé par l’Attorney général.

2.4Le 9 juillet 2003, la Cour suprême du Queensland a déclaré que les dispositions de la loi sur les prisonniers dangereux étaient constitutionnelles. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel du Queensland le 23 septembre 2003. Le 1er octobre 2004, la High Court d’Australie a rejeté l’appel par lequel l’auteur contestait la validité constitutionnelle des dispositions autorisant les tribunaux du Queensland à maintenir des personnes en détention en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte parce que son emprisonnement sur la base de la loi de 2003 sur les prisonniers dangereux (délinquants sexuels) l’a puni une deuxième fois d’une infraction pour laquelle il avait déjà été condamné par un jugement définitif. Selon lui, la loi sur les prisonniers dangereux impose une double peine en l’absence de nouvelle déclaration de culpabilité. Alors que le but de l’emprisonnement est qualifié de non punitif, l’auteur a été soumis au même régime carcéral que s’il avait été condamné pour une infraction pénale. Il reconnaît que les tribunaux peuvent, lorsqu’ils prononcent une peine, prendre une ordonnance pour des motifs «de prévention», mais son cas était différent du fait que les ordonnances de maintien en détention n’étaient pas prévues au moment où il a été condamné.

3.2L’auteur fait valoir que son emprisonnement ne pouvait être justifié par des considérations de sécurité publique, étant donné qu’il n’a été ni inculpé ni condamné au titre d’une infraction quelconque pendant qu’il était en prison. Les considérations «d’ordre public» sur lesquelles peut être fondée la privation de liberté peuvent seulement justifier de nouvelles restrictions temporaires de la liberté qui sont absolument nécessaires et fondées sur des preuves manifestes. L’auteur ajoute que sa détention n’est pas non plus justifiée par une maladie mentale.

3.3L’auteur affirme en outre que sa détention en vertu de l’article 13 de la loi sur les prisonniers dangereux était arbitraire et, par conséquent, contraire au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Il fait valoir que cette détention à des fins de sûreté n’a pas été infligée dans le cadre de la peine initiale, mais après l’accomplissement de celle-ci, ce qui distingue la présente communication de celles sur lesquelles s’est constituée la jurisprudence du Comité. Rappelant cette jurisprudence, l’auteur fait valoir que, pour ne pas avoir un caractère arbitraire, la détention doit être raisonnable, nécessaire et proportionnée. Les objectifs de la loi sur les prisonniers dangereux étant «d’assurer une protection adéquate de la collectivité» et «de faciliter la réadaptation d’une certaine catégorie de prisonniers», l’auteur affirme que sa détention pendant une durée indéterminée, qui avait selon lui un caractère punitif, ne saurait être rattachée de manière rationnelle à l’objectif de faciliter sa réadaptation. Il affirme en outre que le même objectif visé par la loi aurait pu être atteint par des mesures moins attentatoires à l’intégrité, comme un placement dans une structure de réadaptation ou un centre thérapeutique plutôt qu’en prison.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1L’État partie a présenté ses observations sur le fond dans une note en date du 8 septembre 2008. Il ajoute des éléments à l’exposé des faits présenté par l’auteur. Il indique que celui-ci a été libéré sur ordonnance de mise en liberté surveillée le 4 décembre 2006, après quoi il n’a pas enfreint les règles jusqu’à ce qu’un blâme écrit lui soit adressé le 1er juin 2007 parce qu’il avait pris la parole devant des étudiants en droit pour parler de son expérience en prison et de sa réinsertion; l’ordonnance de mise en liberté surveillée imposait à l’auteur de se soumettre à des contrôles jusqu’au 8 novembre 2016. Du 24 juillet au 30 octobre 2007, l’auteur a été de nouveau incarcéré pour infraction à l’ordonnance de mise en liberté surveillée. Depuis le 3 avril 2008, il est en détention provisoire pour infraction sexuelle contre une femme âgée.

4.2En ce qui concerne le grief de l’auteur concernant le caractère arbitraire de sa détention au titre de la loi sur les prisonniers dangereux, l’État partie affirme que cette détention était conforme à la loi, raisonnable et nécessaire dans toutes les circonstances. L’auteur, délinquant sexuel récidiviste, avait besoin de programmes intensifs de soutien psychologique et de réadaptation, que l’on ne trouve pas dans les établissements psychiatriques. En outre, il avait refusé de participer à tout programme de réadaptation pendant l’accomplissement de sa première peine d’emprisonnement. Sa détention à des fins de sûreté était régulièrement examinée par un organe indépendant et répondait aux objectifs déclarés de réadaptation du délinquant et de protection de la collectivité. L’État partie explique que la détention de l’auteur était fondée sur les procédures prévues par la loi sur les prisonniers dangereux, loi que la High Court de l’État partie avait jugée constitutionnelle. Selon cette loi, l’ordonnance de maintien en détention est prise seulement lorsqu’il existe un risque inacceptable que le prisonnier commette une infraction sexuelle s’il est libéré. Deux experts indépendants au moins font un bilan médical, psychologique et psychiatrique afin d’évaluer la propension du prisonnier à commettre de graves infractions sexuelles et d’apprécier sa participation à des programmes de réadaptation pendant sa première période de détention. L’ordonnance de maintien en détention de l’auteur a été prise à la suite d’une audience devant la Cour suprême du Queensland réunie en plénière, qui a conclu que la mise en liberté surveillée n’était pas appropriée dans le cas de l’auteur. Rappelant la jurisprudence du Comité sur la détention à des fins de sûreté, l’État partie souligne que la détention de l’auteur faisait l’objet d’un réexamen annuel par un organe judiciaire indépendant, à savoir la Cour suprême du Queensland. Le renvoi de l’auteur dans un établissement de détention avec accès à des programmes de réadaptation individualisés était par conséquent, vu les besoins de l’intéressé, une mesure raisonnablement proportionnée aux objectifs de la loi sur les prisonniers dangereux.

4.3En ce qui concerne le grief de violation présumée du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, l’État partie note que la High Court n’a pas conclu à une violation du principe ne bis in idem dans le cas de l’auteur. Cette juridiction a considéré que la peine imposée à l’auteur en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux ne contenait pas d’éléments rattachés à sa première infraction, et a souligné le caractère préventif de sa détention, notamment dans l’optique de la protection de la collectivité. L’État partie explique que la décision de placement en détention à des fins de sûreté au titre de la loi sur les prisonniers dangereux est une procédure civile dans laquelle n’entre pas en jeu la question d’une infraction pénale. Pendant l’internement de sûreté, l’auteur a reçu beaucoup d’assistance individualisée à la réadaptation, assistance qui ne pouvait lui être apportée dans aucune structure autre que la prison. Cette ordonnance n’a pas été prise sur la base des antécédents judiciaires de l’auteur, et le tribunal n’a pas introduit les éléments pénaux de l’infraction précédente dans sa décision. L’État partie estime donc que la procédure civile relevant de la loi sur les prisonniers dangereux ne se rattache pas à l’infraction initiale commise par l’auteur. Il considère que la détention de l’auteur à des fins de sûreté n’avait pas un caractère punitif. Le caractère de protection de cet emprisonnement était lié non seulement à la possibilité d’apporter à l’auteur une aide individualisée à la réadaptation, mais aussi à la nécessité de protéger la sécurité publique.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre en date du 18 novembre 2008, l’auteur note qu’il a été réincarcéré les 12 et 24 juillet 2007 pour avoir enfreint les ordonnances de mise en liberté surveillée. Il souligne qu’il n’a été condamné pour aucune infraction depuis le 29 juin 2003, date à laquelle il a fini de purger sa peine d’emprisonnement initiale pour des infractions commises en 1988. Il affirme que sa détention au titre de la loi sur les prisonniers dangereux représentait l’imposition d’une double peine si l’on considère que le tribunal doit prendre en compte les infractions antérieures pour décider d’ordonner ou non le maintien en détention. L’auteur souligne en outre le caractère punitif de son maintien en prison, puisqu’il a été interné dans une prison et selon le même régime carcéral que s’il avait été condamné pour une infraction pénale.

5.2L’auteur affirme que sa communication est centrée sur le fait que la détention à des fins de sûreté n’a pas été imposée dans le cadre du procès pénal initial. Il cite l’opinion dissidente de l’un des juges de la High Court dans son affaire et note que la réincarcération en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux impose une «nouvelle peine en l’absence de toute infraction, de tout procès ou de toute condamnation». Il souligne que l’emprisonnement en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux n’est pas une détention à des fins de sûreté mais un simple maintien en détention selon le même régime carcéral.

5.3L’auteur fait valoir que sa détention n’avait pas de lien rationnel avec un quelconque objectif légitime découlant de la loi sur les prisonniers dangereux, étant donné que, selon les psychiatres, l’efficacité de la réadaptation ne peut être évaluée que lorsque la personne a une certaine liberté. Il souligne que l’emprisonnement n’est pas nécessaire pour assurer la protection de la collectivité et répondre aux besoins de réadaptation d’un ancien délinquant. Il souligne que, en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux, une personne peut se voir infliger un emprisonnement sur la base de ce qu’elle pourrait faire et non sur ce qu’elle a fait.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance d’enquête ou de règlement.

6.3Touchant le critère de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que, selon les informations fournies par l’auteur, tous les recours internes disponibles, notamment devant la High Court d’Australie, ont été épuisés. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été remplies.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, et procède par conséquent à l’examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité note les observations de l’État partie, qui indique que la High Court a examiné le grief que l’auteur tire du principe ne bis in idem et a conclu que l’ordonnance de mise en détention en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux n’était pas fondée sur les antécédents judiciaires de l’auteur et ne se rattachait pas à l’infraction initiale que celui-ci avait commise. Le Comité note en outre que l’État partie a expliqué que la procédure relevant de la loi sur les prisonniers dangereux était de nature civile et que la détention de l’auteur avait un caractère préventif. Le Comité a également noté le grief de l’auteur, lequel fait valoir que sa mise en détention en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux lui impose une double peine sans qu’il ait été reconnu coupable d’une autre infraction, et que le tribunal n’avait pas assorti la peine initiale d’une ordonnance pour des motifs de prévention. Le Comité note aussi que l’auteur affirme avoir été détenu selon le même régime carcéral que lorsqu’il purgeait sa peine initiale.

7.3Le Comité fait observer que le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte reconnaît que tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et que nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. L’article 9 autorise toutefois certaines restrictions de ce droit, par la privation de liberté, pour autant que les motifs invoqués et la procédure suivie soient prévus par la loi. De telles restrictions sont effectivement autorisées et existent dans la plupart des pays, en vertu de lois ayant pour objet, par exemple, le contrôle de l’immigration ou le traitement en institution de personnes souffrant de maladie mentale ou d’autres maladies qui les rendent dangereuses pour elles-mêmes ou pour la société. Cependant, une restriction faisant partie d’une sanction pénale ou en découlant peut soulever certaines difficultés. De l’avis du Comité, dans de tels cas, l’énoncé officiel des motifs et procédures dans une loi qui a pour objet d’autoriser ces restrictions n’est pas suffisant si les motifs et les procédures en question sont en eux-mêmes arbitraires ou déraisonnables ou portent inutilement atteinte au droit lui-même.

7.4En l’espèce, le Comité doit déterminer si, dans leur application à l’auteur, les dispositions de la loi sur les prisonniers dangereux, en vertu desquelles l’auteur a été maintenu en détention lorsqu’il a fini de purger sa peine initiale de quatorze ans d’emprisonnement, étaient arbitraires. Le Comité est parvenu à la conclusion qu’elles étaient arbitraires et, en conséquence, contraires au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, pour plusieurs raisons dont chacune, prise séparément, constituerait une violation. Les raisons les plus importantes sont les suivantes:

1.L’auteur avait déjà purgé sa peine de quatorze ans d’emprisonnement et, malgré cela, il a continué en fait d’être emprisonné en vertu d’une loi qui qualifie cet emprisonnement, sous le même régime carcéral, de simple «détention». Cette prétendue détention constituait en réalité une nouvelle peine d’emprisonnement qui, à la différence de la détention elle-même, n’est pas autorisée en l’absence d’une déclaration de culpabilité pouvant entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement prévue par la loi.

2.L’emprisonnement a un caractère pénal. Il ne peut être prononcé qu’à titre de condamnation pour une infraction et ce, au cours de la procédure visant à connaître de cette infraction. La nouvelle peine d’emprisonnement imposée à l’auteur résulte d’ordonnances que la cour a rendues quelque quatorze ans après que l’auteur a été reconnu coupable et condamné, en se fondant sur l’hypothèse qu’il existait, au vu de l’infraction pour laquelle il avait déjà purgé sa peine, des risques de comportement criminel. Cette nouvelle peine, qui résulte de nouvelles procédures − même si celles-ci sont qualifiées de «civiles» − est contraire à l’interdiction énoncée au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. À cet égard, le Comité observe en outre que, étant donné que la loi sur les prisonniers dangereux a été promulguée en 2003 peu de temps avant que l’auteur eût fini de purger une peine infligée pour une infraction dont il avait été reconnu coupable en 1989 et qui est devenue un élément essentiel de la décision de le maintenir en détention, cette loi était appliquée d’une manière rétroactive à l’auteur. Cela aussi est contraire à l’interdiction énoncée au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, en ce que l’auteur s’est vu infliger une peine «plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise». Le Comité considère par conséquent qu’un placement en détention en vertu de procédures incompatibles avec l’article 15 est nécessairement arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.La loi sur les prisonniers dangereux prévoit une procédure particulière pour obtenir les ordonnances nécessaires de la cour. Comme l’a reconnu l’État partie, cette procédure particulière a été conçue comme étant de nature civile. Elle ne respecte donc pas les garanties d’une procédure régulière exigées en vertu de l’article 14 du Pacte pour qu’un procès à l’issue duquel une sanction pénale est imposée soit équitable.

4.La «détention» de l’auteur en tant que «prisonnier» en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux a été ordonnée parce que l’on craignait que l’intéressé soit dangereux pour la collectivité à l’avenir, et aussi aux fins de sa réadaptation. Le fait de craindre ou de prédire qu’un ancien délinquant sera dangereux pour la collectivité pose en lui-même un problème. Il s’agit essentiellement d’une opinion, par opposition à des éléments de preuve factuels, même si en l’espèce ces éléments consistent en opinions d’experts en psychiatrie. Mais la psychiatrie n’est pas une science exacte. D’un côté, la loi sur les prisonniers dangereux exige de la cour qu’elle prenne en considération l’opinion d’experts en psychiatrie à propos de la dangerosité future de l’intéressé mais, d’un autre côté, elle lui demande de constater cette dangerosité. Si les tribunaux sont libres d’accepter ou de rejeter l’opinion d’experts et doivent prendre en considération tous les autres éléments de preuve pertinents et disponibles, ils doivent en réalité formuler une conclusion au sujet du comportement qu’un ancien délinquant pourrait avoir à l’avenir, autrement dit une hypothèse qui peut ou non se concrétiser. Pour que la décision ne soit pas arbitraire, en l’espèce, l’État partie aurait dû démontrer que la réadaptation de l’auteur ne pouvait pas se faire par des mesures moins attentatoires à l’intégrité qu’un maintien en prison ou même un placement en détention, d’autant qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 10 il avait l’obligation continue de prendre des mesures efficaces pour favoriser la réadaptation de l’auteur, si celle-ci était vraiment nécessaire, pendant les quatorze années que celui-ci a passées en prison.

7.5Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner la question séparément au titre du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, et notamment de mettre un terme à sa détention au titre de la loi sur les prisonniers dangereux.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Krister Thelin et Mme Zonke Zanele Majodina

M. Krister Thelin a exprimé un avis différent, auquel a souscrit Mme Zonke Zanele Majodina. Il a déclaré ce qui suit:

«La majorité des membres du Comité a conclu à une violation dans cette affaire. Je me permets de ne pas être d’accord avec cette décision. Les constatations du Comité devraient se fonder sur le raisonnement et les conclusions qui suivent:

7.1Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que sa détention en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux était arbitraire, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la détention à des fins de sûreté doit être justifiée par des raisons impérieuses et réexaminée périodiquement par un organe indépendant. Il relève que l’auteur a été détenu à titre préventif du 27 juin 2003 au 4 décembre 2006 et que cette mesure a été décidée pour des motifs et selon des procédures prévus par la loi − la loi sur les prisonniers dangereux −, et qu’elle a été réexaminée périodiquement par un organe judiciaire indépendant, la Cour suprême du Queensland. Le Comité relève aussi que les deux objectifs de la loi sur les prisonniers dangereux sont la sécurité publique et la réadaptation du délinquant sexuel. Néanmoins, pour éviter tout caractère arbitraire, la détention de l’auteur à des fins de sûreté devait être nécessaire dans toutes les circonstances de l’espèce et proportionnée aux buts légitimes fixés par l’État partie. Le Comité note que le cas de l’auteur a été examiné de manière approfondie et à plusieurs reprises par la Cour suprême du Queensland, que la décision a été confirmée en appel, que les conditions requises par la loi sur les prisonniers dangereux étaient remplies, ainsi qu’il a été constaté lors du contrôle juridictionnel, et que le refus de l’auteur de participer aux programmes de réadaptation pendant l’accomplissement de sa peine initiale est entré en ligne de compte dans l’évaluation de sa dangerosité pour la collectivité. Vu les circonstances de l’espèce, le Comité conclut par conséquent que la détention de l’auteur à des fins de sûreté n’était pas disproportionnée à l’objectif légitime visé par la loi applicable et ne constituait pas, à cet égard ou à tout autre égard, une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.2Le Comité prend note des observations de l’État partie, qui indique que la High Court a examiné le grief que l’auteur tire du principe ne bis in idem et a conclu que l’ordonnance de mise en détention prise en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux n’était pas fondée sur les antécédents judiciaires de l’intéressé et n’avait pas de lien avec l’infraction initiale que celui-ci avait commise. Le Comité prend note également des explications de l’État partie selon lesquelles la procédure engagée en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux était de nature civile et que la détention de l’auteur avait un caractère préventif. Il prend note par ailleurs du grief de l’auteur, qui affirme que le fait de le placer en détention en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux revenait à lui imposer une double peine sans qu’il ait été reconnu coupable d’une autre infraction et que le tribunal n’avait pas assorti la peine initiale d’une ordonnance pour des motifs de prévention. Le Comité note en outre que l’auteur affirme avoir été détenu selon le même régime carcéral que lorsqu’il purgeait sa peine initiale.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 32, dans laquelle il indique qu’un individu qui a été condamné pour une infraction déterminée ou acquitté ne peut être traduit de nouveau pour la même infraction, que ce soit devant la même juridiction ou devant une autre juridiction. Cette garantie, toutefois, s’applique aux infractions pénales uniquement et ne s’applique pas aux mesures disciplinaires qui ne sont pas une sanction pénale au sens de l’article 14 du Pacte. Le Comité a noté que, selon l’État partie, la procédure relevant de la loi sur les prisonniers dangereux était de caractère civil, ce qui signifie qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 14 du Pacte. Il renvoie à son Observation générale no 32 ainsi qu’à sa jurisprudence et réaffirme que le caractère pénal d’une sanction peut être étendu à des mesures qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Le Comité constate que, même si la loi sur les prisonniers dangereux a des objectifs préventifs, à savoir la protection de la sécurité publique et la réadaptation du délinquant sexuel, et que les décisions prises en vertu de cette loi sont qualifiées légalement de procédures civiles, la sévérité de la mesure − maintien en prison soumis à un réexamen annuel − doit être considérée comme ayant un caractère pénal.

7.4Le Comité doit par conséquent déterminer si la sanction pénale appliquée en vertu de la loi sur les prisonniers dangereux était fondée sur la même infraction que celle qui avait motivé la peine initiale de l’auteur. Il rappelle que le Pacte ne limite pas la faculté des États parties d’autoriser une peine indéfinie comportant un élément de prévention. Dans le cas de l’auteur, l’élément qui a servi de base à l’ordonnance de détention à des fins de sûreté était, selon les conclusions des tribunaux, la grande dangerosité de l’intéressé pour la collectivité. Le Comité en déduit que la mesure préventive n’a pas été imposée pour les mêmes motifs que la peine prononcée pour l’infraction précédente, mais à des fins légitimes de protection. Il en conclut que la détention de l’auteur à des fins de sûreté ne constituait pas une violation du principe ne bis in idem au sens du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 9 ni du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.».

(Signé) M. Krister Thelin

(Signé) Mme Zonke Zanele Majodina

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]