Nations Unies

CAT/C/ALB/CO/2

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 juin 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-huitième session

7 mai‑1er juin 2012

Examen des rapports soumis par les États partiesen application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Albanie

1.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique de l’Albanie (CAT/C/ALB/2) à ses 1060e et 1063e séances (CAT/C/SR.1060 et 1063), les 8 et 9 mai 2012. À sa 1084e séance (CAT/C/SR.1084), le 25 mai 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du deuxième rapport périodique de l’État partie, qui lui est cependant parvenu avec près de deux ans de retard. Le Comité note que le rapport, dans l’ensemble, a été établi conformément aux directives concernant la forme et le contenu des rapports, même s’il manquait de données précises, ventilées par sexe, âge et nationalité, notamment sur les actes de torture et les mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre.

3.Le Comité se félicite du dialogue ouvert et constructif, portant sur tous les aspects de la Convention, qu’il a eu avec la délégation de l’État partie composée de représentants de différentes institutions. Le Comité remercie l’État partie d’avoir fait parvenir avant la session des réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter pour faciliter l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 5 juin 2007;

b)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,le 4 octobre 2007;

c)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort,le 17 octobre 2007;

d)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,le 8 novembre 2007;

e)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants,le 5 février 2008;

f)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés,le 9 décembre 2008;

g)La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, le 6 février 2007;

h)Le Protocole no 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, le 6 février 2007.

5.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption des lois suivantes:

a)La loi no9686 du 26 février 2007, portant modification de la définition de la torture énoncée à l’article 86 du Code pénal, qui érige en infraction les actes tombant sous le coup de l’article premierde la Convention, y compris lorsqu’ils sont commis par des personnes agissant à titre officiel, et modifiant également l’article 50 du Code pénal de façon à établir que les motifs liés au sexe, à la race ou à la religion sont des circonstances aggravantes;

b)La loi no9669 du 18 décembre 2006 sur les mesures de lutte contre les violences dans la famille et la loi no10494 du 22 décembre 2011 sur la surveillance électronique des personnes privées de liberté en application de décisions de justice, visant à prévenir les violences dans la famille.

6.Le Comité note également avec satisfaction:

a)La désignation par le Parlement albanais en 2008 de l’Avocat du peuple en tant que mécanisme national de prévention de la torture au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)L’approbation par le Directeur général de la Police d’État, en décembre 2009, du «Manuel pour le traitement des personnes en garde à vue»;

c)L’adoption,par la décision no 573 du Conseil des ministres en date du 16 juin 2011, de la Stratégie nationale pour l’égalité des sexes et la réduction de la violence sexiste et de la violence dans la famille (2011-2015).

7.Le Comité note qu’il existe une société civile active, qui contribue grandement à la surveillance des cas de torture et de mauvais traitements et facilite de ce fait l’application effective de la Convention.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

8.Le Comité constate avec satisfaction que le Code pénal de l’État partie (art. 86) est conforme à l’article premier de la Convention. Cependant, le Comité est vivement préoccupé par le fait qu’aucun renseignement n’a été donné sur l’application de l’article 86 du Code pénal, ni sur la pratique consistant à requalifier des faits de torture qui sont dénoncés en «actes arbitraires» visés par l’article 250 du Code pénal (art. 1er et 4).

Conformément à l ’ Observation générale n o 2 (2007) du Comité sur l ’ application de l ’ article 2 par les États parties, l ’ État partie devrait veiller à ce que les éléments considérés comme constitutifs d ’ actes de torture au sens de l ’ article 86 du Code pénal soient dûment rassemblés et évalués, et s’abstenir de requalifier les actes de torture qui sont dénoncés en « actes arbitraires » visés par l ’ article 250 du Code pénal. L ’ État partie devrait également indiquer quels sont, parmi les mauvais traitements imputés à des membres des forces de l ’ ordre signalés dans les réponse s à la liste de s points à traiter et pendant le dialogue , ceux qui constituent des torture s et d ’ autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que les mesures prises pour garantir que les procureurs puissent appliquer l ’ article 86 du Code pénal.

Applicabilité directe

9.Le Comité se félicite de ce que la Convention soit directement applicable, conformément à l’article 112 de la Constitution albanaise, mais il note avec préoccupation que pendant le dialogue l’État partie a reconnu qu’il ne disposait pas d’informations précises sur des cas dans lesquels la Convention avait été invoquée devant les juridictions internes et directement appliquée par elles (art. 2 et 10).

Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures pour:

a) Garantir la mise en œuvre effective de la Convention ainsi que son applicabilité directe et son caractère exécutoire dans l ’ ordre juridique interne , et diffuse r la Convention auprès de toutes les autorités publiques concernées, y compris l es autorités judiciaires, de façon à en faciliter l ’ application directe par les juridictions nationales;

b ) Donner dans son prochain rapport périodique des exemples de cas concrets d’application directe de la Convention par des organes judiciaires internes.

Avocat du peuple en tant que mécanisme national de prévention

10.Le Comité est préoccupé par les renseignements indiquant que l’Avocat du peuple, qui fait fonction de mécanisme national de prévention, n’intervient pour surveiller la situation des personnes privées de liberté − par l’intermédiaire de l’unité pour la prévention de la torture − qu’après avoir reçu des informations dénonçant des mauvais traitements et avec l’accord préalable des autorités concernées, ce qui limite la capacité de protection des visites de prévention (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie de faire le nécessaire pour que l’Avocat du peuple puisse se rendre régulièrement et en temps utile dans tous les lieux de détention, et pour que ses visites ne se limitent pas à des enquêtes sur place conduites à la suite d ’ allégations de mauvais traitements et ne soient pas subordonnées à l ’ accord préalable des autorités concernées.

11.Le Comité est également préoccupé par le fait que le bureau de l’Avocat du peuple ne dispose pas de personnel qualifié, de ressources méthodologiques et de moyens financiers suffisants et que, d’après certaines informations, des pressions injustifiées entravent son fonctionnement, au point par exemple que le poste d’Avocat du peuple soit resté vacant pendant plus de deux ans, autant de facteurs qui font que les lieux de détention n’ont pas été inspectés régulièrement, que l’Avocat du peuple ne peut pas s’acquitter adéquatement de son mandat de surveillance et que le rôle et l’importance de cette institution sont amoindris (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l’État partie de doter le bureau de l’Avocat du peuple des ressources humaines, financières, techniques et logistiques suffisantes pour lui permettre de remplir ses fonctions efficacement et en toute indépendance, conformément au paragraphe 3 de l’article 18 du Protocole facultatif et aux directives 11 et 12 du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de veiller à ce que l’ institution fonctionne sans subir de pressions injustifiées .

12.Le Comité salue les recommandations de l’Avocat du peuple visant notamment à l’amélioration des conditions de détention dans les locaux de garde à vue, mais il relève avec préoccupation que le Parlement n’a pas engagé de dialogue avec l’Avocat du peuple ni donné suite à ses recommandations, comme il y est tenu par la loi, et que le grand public n’a pas été informé de ses recommandations. Le Comité note également avec préoccupation l’absence de mandat de l’Avocat du peuple pour promouvoir les droits de l’homme des détenus, d’accès à l’institution au niveau régional et d’interaction systématique avec le système international des droits de l’homme et le manque de transparence des procédures de nomination aux organes de direction (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l’État partie de:

a) Prendre des mesures pour améliorer le dialogue et les procédures du Parlement de façon à donner effet aux conclusions et recommandations formulées par l’Avocat du peuple à l’issue des missions réalisées dans les centres de détention par l’unité pour la prévention de la torture, comme l’exige la loi;

b ) Rendre publiques, en utilisant tous les moyens de communication appropriés, les mesures qu’il a prises pour garantir l’application effective des conclusions et recommandations émanant de l’Avocat du peuple et faire mieux connaître ces recommandations au grand public;

c ) Compiler et diffuser régulièrement les meilleures pratiques de l’Avocat du peuple et dispenser une formation en ce sens à son personnel;

d ) R enforcer le mandat de l’Avocat du peuple en y intégrant la promotion des droits de l’homme de façon à améliorer la protection, les conditions de vie et le traitement des détenus, rendre l’institution plus accessible grâce à l’établissement d’une présence régionale permanente, e t assurer une interaction plus systématique avec le système international des droits de l’homme et une plus grande transparence des procédures de nomination aux organes de direction.

Garanties juridiques fondamentales

13.Le Comité se déclare profondément préoccupé par les informations selon lesquelles les garanties fondamentales contre les mauvais traitements ne sont pas encore appliquées systématiquement et efficacement pendant la détention avant jugement, car les détenus ne sont pas toujours pleinement informés de leurs droits fondamentaux dès le début de la privation de liberté, se voient dénier le droit de consulter un avocat ou un médecin en temps opportun et le droit à ce qu’un membre de leur famille ou une personne qu’ils ont désignée soit informé de leur arrestation et du lieu de détention où ils se trouvent, et sont rarement présentés devant un juge dans les délais prévus par la Constitution (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie de:

a) Prendre des mesures pour que toute personne détenue par la police soit pleinement informée de ses droits fondamentaux dès le début de la privation de liberté , ce qui suppose que ces renseignements lui soient donnés oralement dès le début de la détention, puis complétés dès que possible par une notice imprimée, dont la réception devrait être attestée par la signature de la personne détenue;

b) Dispenser régulièrement aux policiers une formation sur l’obligation imposée par la loi de permettre aux personnes en état d’arrestation de consulter un avocat et un médecin dès le début de la privation de libert é et d’informer un membre de leur famille ou une personne qu’elles ont désignée de leur arrestation et du lieu de détention où elles se trouvent;

c) Faire le nécessaire pour que toute personne détenue par la police soit présentée devant un juge dans les délais prévus par la Constitution.

Violence à l’égard des femmes, violence au foyer et violence à l’égard des enfants

14.Le Comité accueille favorablement la loi no 9669 du 18 décembre 2006 sur les mesures de lutte contre les violences dans la famille, qui vise à mettre en place des structures de police adaptées, des mécanismes de protection pour les victimes de violence dans la famille et un ensemble d’activités de formation, et il note l’adoption, le 16 juin 2011, de la Stratégie nationale pour l’égalité des sexes et la réduction de la violence sexiste et de la violence dans la famille, mais il s’inquiète de ce que le viol conjugal et la violence au foyer ne soient pas considérés comme des infractions pénales à part entière. Le Comité est aussi particulièrement préoccupé par le grand nombre d’actes de violence commis contre des enfants dans la famille et à l’école, et par le fait que les châtiments corporels sur les enfants soient couramment acceptés par la société (art. 2 et 16).

Le Comité engage instamment l’État partie à :

a) Élaborer et adopter , à titre prioritaire, une législation complète sur la violence à l’égard de s femmes érigeant en infractions pénales à part entière le viol conjugal et la violence au foyer;

b) Adopter le nouveau projet de loi contre la violence à l’égard des enfants à l’école , interdire les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris dans la famille et les structures assurant une protection de remplacement, et traduire en justice les auteurs de tels actes;

c) Prendre des mesures à tous les niveaux de l’administration de façon que le grand public sache que la violence à l’égard des femmes et des enfants est interdite en tout lieu et qu’il soit sensibilisé aux conséquences préjudiciables de cette violence dans tous les secteurs.

Traite des êtres humains

15.Le Comité prend note des explications données par l’État partie au sujet des modifications apportées au Code pénal en ce qui concerne la lutte contre la traite des êtres humains (art. 110/a, 114/b et 128/b), des activités du Coordonnateur national de la lutte contre la traite des personnes et de l’adoption des «Procédures uniformes pour l’identification et l’orientation des victimes potentielles de la traite» en date du 27 juillet 2011. Cependant, il relève avec une profonde préoccupation qu’il n’existe pas de données sur les mesures prises pour prévenir les actes de traite non plus que sur les poursuites engagées et le type de peine prononcée pour de tels actes (art. 2, 3, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité engage instamment l’État partie à:

a) Continuer à prendre des mesures efficaces pour améliorer la protection des victimes de la traite;

b) Prévenir la traite des personn es et les pratiques analogues, procéder rapidement à des enquêtes impartiales et approfondies sur les actes de traite et poursuivre et punir les responsables de tels actes;

c) Donner des moyens de recours aux victimes de la traite, notamment en les aidant à dénoncer les cas de traite à la police, et plus particulièrement en leur fournissant une assistance d’ordre juridique, médical et psychologique ainsi que des services de réadaptation et en mettant à leur disposition des refuges appropriés, conformément à l ’ article 14 de la Convention;

d) Empêcher le renvoi de victimes de la traite dans leur pays d ’ origine lorsqu ’ il y a de s motifs sérieux de craindre qu’elles ne soient soumis es à la torture, conformément à l ’ article 3 de la Convention;

e) Dispenser régulièrement aux membres de la police, aux procureurs et aux juges une formation sur les moyens efficaces à mettre en œuvre pour prévenir les actes de traite, enquêter sur ces actes, poursuivre leurs auteurs et prononcer des peines appropriées, ainsi qu ’ une formation sur les garanties relatives au droit d ’ être représenté par le conseil de son choix, et informer le grand public de la nature criminelle de ces actes;

f) R assembler des données désagrégées sur les victimes de la traite, les poursuites engagées, le type de peine prononcée , les mesure s de réparation offertes aux victimes et les dispositions prises pour prévenir les actes de traite ainsi que les difficultés rencontrées dans le cadre de la prévention de tels actes .

Détention avant jugement

16.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la loi no 10494 du 22 décembre 2011 relative à la surveillance électronique des personnes sous contrôle judiciaire comme moyen de limiter la détention avant jugement. Il est toutefois préoccupé par le fait que les mesures de détention avant jugement continuent d’être excessivement fréquentes. Le Comité est en particulier préoccupé par des informations indiquant que le nombre d’actes de torture et de mauvais traitements pendant la détention avant jugement est élevé, que la détention avant jugement peut durer jusqu’à trois ans, et que le placement en détention avant jugement est souvent ordonné par les tribunaux sans justification. En outre, le Comité est également préoccupé par des informations indiquant que les personnes qui ont été détenues pendant de longues périodes avant d’être jugées et dont les droits n’ont pas été respectés pendant la détention ont souvent du mal à saisir la justice et à obtenir réparation (art. 2, 11 et 14).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à :

a) Modifier la législation pénale pertinente de façon que le placement en détention avant jugement ne soit ordonné qu’en dernier ressort, en particulier quand aucune autre mesure ne conviendrait compte tenu de la gravité du délit;

b) M ettre en place des mesures de substitution à la détention avant jugement et assurer leur mise en œuvre effective par les autorités judiciaires;

c) A dopter toutes les mesures nécessaires pour que la détention avant jugement soit moins fréquente et dure moins longtemps et prendre en considération les dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) aux fins de la mise en place de mesures de substitution à la détention provisoire;

d) D ispenser aux membres des forces de l ’ ordre et aux autres catégories de personnel une formation adéquate concernant l ’ application des mesures de détention avant jugement;

e) O uvrir sans délai une enquête sur tout acte de torture ou mauvais traitement perpétré pendant la détention avant jugement et garantir l ’ accès des victimes à la justice et à des mesures de réparation.

Détention administrative

17.Le Comité demeure préoccupé par le maintien en vigueur de la période de détention administrative de dix heures à des fins d’interrogatoire qui précède le délai de quarante-huit heures dans lequel un suspect doit être présenté à un juge (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de supprimer la période de détention administrative de dix heures à des fins d ’ interrogatoire et de faire en sorte que les mesures nécessaires à l ’ identification des suspects soient exécutées au cours du délai de quarante-huit heures dans lequel un suspect doit être présenté à un juge.

Non-refoulement

18.Le Comité regrette l’absence d’informations sur les motifs d’expulsion des personnes considérées comme une menace pour la sécurité et sur les garanties offertes à ces personnes eu égard à l’article 3 de la Convention (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie de respecter scrupuleusement dans tous les cas l ’ article 3 de la Convention , qui fait obligation aux États parties de ne pas expulser, refouler ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture .

Assurances diplomatiques

19.Le Comité prend note des informations concernant le statut des neuf anciens détenus de Guantanamo et de leurs enfants accueillis par l’Albanie, dont la situation a été régularisée par la délivrance de documents, mais il relève avec préoccupation l’absence d’informations sur les critères appliqués pour demander et accepter des assurances diplomatiques, notamment sur le point de savoir si l’obtention de telles assurances peut influer sur la décision de renvoyer une personne dont il a été établi qu’elle risquerait d’être torturée dans son pays d’origine (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie de ne pas demander ni accepter d ’ assurances diplomatiques pour extrader ou renvoyer une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’elle risque d ’ être soumise à la torture ou à des mauvais traitement s , et de renoncer à renvoyer une personne dans son pays d’origine si elle risque d’y être soumise à la torture ou à des mauvais traitem ents .

Accès aux mécanismes de plainte

20.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les victimes présumées de mauvais traitements de la part de la police ne connaissent pas les procédures de plainte autres que celle consistant à déposer plainte auprès de la police, laquelle refuse dans certains cas d’accueillir les plaintes faisant état de comportements fautifs de la part de ses membres. Le Comité est également préoccupé par les cas signalés de personnes en situation de vulnérabilité qui auraient renoncé à dénoncer des mauvais traitements de peur que la police ne porte plainte contre elles ou n’exerce d’autres formes de représailles (art. 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues pour:

a) Faire en sorte que des informations sur la possibilité de déposer une plainte contre la police et la procédure à suivre à cet effet soient mises à la disposition du public et largement diffusées, notamment par un affichage bien visible dans tous les postes de police de l ’ État partie;

b) Veiller à ce que toutes les plaintes dénonçant des comportements fau tifs de la part de la police, y  compris des cas d ’ intimidation ou de représailles exercées en particulier à l ’ encontre de personnes vulnérables après qu ’ elles ont déposé un plainte contre la police pour mauvais traitements, fassent l ’ objet d ’ un examen et d ’ une enquête en bonne et due forme.

Ouverture sans délai d’enquêtes indépendantes et approfondies

21.Le Comité est préoccupé par l’insuffisance des informations concernant les enquêtes sur les affaires de torture, de mauvais traitements et d’utilisation illicite de la force par la police. Il est particulièrement préoccupé par l’absence d’enquêtes effectives sur les allégations de torture et de mauvais traitements mettant en cause des membres des services du Ministère de l’intérieur, due à l’ingérence de ce dernier dans les enquêtes, en violation du principe d’impartialité. Le Comité est préoccupé également par l’absence d’informations concernant le point de savoir s’il a été procédé sans délai à une enquête indépendante et approfondie sur le décès par balle de trois manifestants sur lesquels la police aurait tiré lors de manifestations antigouvernementales à Tirana en janvier 2011. Le Comité se dit par conséquent une nouvelle fois préoccupé par l’absence d’enquêtes indépendantes et efficaces sur les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements de la part de membres des forces de l’ordre et par l’impunité des auteurs de tels actes. Le Comité est en outre préoccupé par l’absence d’enquêtes sur les cas signalés de maltraitance d’enfants dans des structures de protection sociale (art. 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De prendre toutes les mesures voulues pour faire en sorte que toutes les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements de la part de la police fassent sans délai l ’ objet d ’ une enquête approfondie menée par des organes indépendants, qu ’ il n ’ y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés et que les responsables soient traduits en justice, et de prendre toutes les mesures qui s ’ imposent pour empêcher que l ’ impunité ne règne , conformément à la recommandation formulée dans le cadre de l ’ Examen périodique universel concernant l ’ Albanie;

b) De faire savoir rapidement au Comité s ’ il a été procédé sans délai à une enquête indépendante et approfondie sur le décès par balle de trois manifestants sur lesquels la police aurait tiré lors de manifestations antigouvernementales à Tirana en janvier 2011, et de donner des renseignements à ce sujet;

c) De réunir des données précises concernant les enquêtes sur des affaires de torture, de mauvais traitements et d ’ utilisation illicite de la force par la police et de les transmettre au Comité;

d) De veiller à ce qu’une enquête efficace soit menée sur les cas signalés de maltraitance d’enfants dans des structures de protection sociale.

Détention secrète

22.Le Comité note avec préoccupation qu’aucune véritable enquête n’a été diligentée par le Gouvernement au sujet des allégations relatives à l’existence de lieux de détention secrets sur le territoire de l’État partie, utilisés dans le cadre de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme. Le Comité est également préoccupé par le fait que l’État partie n’a donné aucun renseignement concernant les mesures spécifiques qu’il a prises pour mettre en œuvre les recommandations figurant dans l’étude conjointe des Nations Unies sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (A/HRC/13/42) (art. 2, 3 et 12).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Donner des informations sur les mesures prises par le Gouvernement pour mener une enquête sur les allégations relatives à la participation de membres des forces de l ’ ordre de l’État partie à des opérations de transfert et de détention secrète;

b) Rendre les résultats de l ’ enquête publics;

c) Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher ces pratiques à l ’ avenir;

d) Prendre des mesures spécifiques en vue de mettre en œuvre les recommandations figurant dans l ’ étude conjointe des Nations Unies sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (A/HRC/13/42).

Formation des forces de l’ordre

23.Le Comité prend note de l’adoption, en décembre 2009, d’un Manuel pour le traitement des personnes en garde à vue mais il demeure préoccupé par des informations indiquant que le personnel des postes de police ignorerait tout du Manuel et des prescriptions qui y sont énoncées. Le Comité se dit également préoccupé par le fait qu’il n’est pas dispensé de formation spécifique concernant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) à l’ensemble des professionnels qui interviennent directement dans la recherche de preuves physiques et psychologiques de la torture ni au personnel médical et aux autres catégories de personnel qui côtoient des détenus et des demandeurs d’asile. Le Comité est préoccupé de surcroît par l’absence d’informations sur les programmes de formation concernant la Convention et l’Observation générale no 2 (2007) du Comité destinés aux juges (art. 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ assurer à l ’ ensemble du personnel de police une formation adéquate aux prescriptions énoncées dans le M anuel pour le traitement des personnes en garde à vue;

b) De veiller à ce que l ’ ensemble des forces de l ’ ordre, du personnel médical et des autres catégories de personnel qui interviennent dans la garde, l ’ interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit et dans la recherche de preuves de la torture reçoivent régulièrement une formation concernant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul), en vertu duquel les conséquences tant physiques que psychologiques de la torture doivent être identifiées;

c) De veiller à ce que cette formation soit également dispensée au personnel chargé des procédures d ’ examen des demandes d ’asile;

d) De faire en sorte que les juges bénéficient de programmes de formation efficaces concernant l’application de la Convention et l’Observation générale n o  2 (2007) du Comité.

Enfants roms portés disparus

24.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que 502 des 661 enfants des rues roms de nationalité albanaise qui avaient été placés entre 1998 et 2002 dans le foyer pour enfants d’Aghia Varvara, en Grèce, seraient portés disparus. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’absence de démarches concrètes de la part des autorités de l’État partie pour obtenir que les autorités grecques pertinentes ouvrent sans délai des enquêtes effectives sur les disparitions présumées d’enfants roms (art. 2, 11, 12 et 14).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à se mettre immédiatement en relation avec les autori tés grecques afin que soit créé au plus vite un mécanisme effectif pour mener des enquêtes sur ces affaires, de façon à localiser les enfants portés disparus , en coopération avec le Médiateur de chaque pays et les organisations de la société civile pertinentes, et à déterminer les responsabilités disciplinaires et pénales des personnes impliquées, avant que les faits ne soient prescrits.

Querelles meurtrières entre familles

25.Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie concernant la baisse du nombre de crimes commis pour venger l’honneur en dehors de toute justice mais il est préoccupé par le fait que cette pratique reste profondément ancrée dans certains groupes de la population, en particulier en raison de la persistance de règles ancestrales qui commandent de défendre et de rétablir l’honneur de la famille perdu par suite du meurtre initial.

Rappelant les recommandations formulées par le Comité des droits de l ’ homme et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures supplémentaires, sous la forme notamment de campagnes de sensibilisation, pour mettre fin à la pratique consistant à venger l ’ honneur en dehors de toute justice,et d’ enquêter sur ces crimes et de poursuivre et punir leurs auteurs.

Identification des membres des groupes d’intervention dans les prisons

26.Le Comité est préoccupé par des informations indiquant que les membres des groupes spéciaux d’intervention dans les établissements pénitentiaires ne seraient pas tenus de porter un badge permettant de les identifier dans l’exercice de leurs fonctions (art. 12, 13 et 14).

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que les membres des groupes spéciaux d ’ intervention puissent être identifiés visuellement en permanence lorsqu ’ ils sont en contact avec des détenus, afin de prévenir les mauvais traitements et de faciliter la détermination des responsab ilités en cas de violation.

Indemnisation adéquate

27.Le Comité note que l’article 44 de la Constitution garantit l’indemnisation des personnes ayant subi des préjudices en raison d’actes ou d’omissions de la part des autorités ou des agents de l’État, mais il est préoccupé par des informations indiquant que, dans la pratique, de nombreuses victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements de la part de policiers ou d’autres agents de l’État doivent engager une action civile pour obtenir une indemnisation (art. 14).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre sans délai des mesures d ’ ordre législatif et autre pour garantir aux victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements, en particulier aux anciens prisonniers politiques et aux personnes persécutées, le droit d ’ obtenir réparation et d ’ être indemnisées équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, à recueillir des données sur les cas dans lesquels une indemnisation et des mesures de réadaptation ont été accordées aux victimes, en précisant la nature de l ’ indemnisation et des mesures de réadaptation accordées, et à faire figurer ces informations dans le prochain rapport périodique.

Collecte de données

28.Le Comité accueille avec satisfaction les statistiques relatives aux infractions fournies par l’État partie, notamment en ce qui concerne les mauvais traitements infligés par la police et la traite des êtres humains. Il prend note des données sur les plaintes dénonçant des mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre, ventilées par type d’infraction. Le Comité regrette toutefois l’absence de données détaillées et désagrégées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires d’actes de torture et de mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre, des forces de sécurité, des forces armées et du personnel pénitentiaire, ainsi que sur les crimes d’honneur, la violence dans la famille et la violence sexuelle, les disparitions forcées, et sur les mesures de réparation, notamment les indemnisations et les moyens de réadaptation accordés aux victimes (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de rassembler des données statistiques pertinentes pour la surveillance de la mise en œuvre de la Convention au niveau national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitements imputé e s à des membres des forces de l ’ ordre, des forces de sécurité, des forces armées et du personnel pénitentiaire, ainsi que sur les crimes d ’ honneur, la violence dans la famille et la violence sexuelle, les disparitions forcées, et sur les mesures de réparation, notamment les indemnisations et les moyens de réadaptation accordés aux victimes.

29.Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant d’États et de particuliers, comme l’a indiqué la délégation de l’État partie.

30.Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant ainsi que le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

31.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

32.L’État partie est invité à soumettre un document de base commun, conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

33.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 13 et 21 du présent document l’engageant à: a) assurer l’application des garanties juridiques des détenus ou renforcer celles-ci; et b) mener sans délai des enquêtes impartiales et effectives sur les actes de torture ou les mauvais traitements, engager des poursuites et punir les auteurs. Le Comité demande également à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 27 et 28 du présent document, relatives à l’octroi d’une indemnisation équitable et adéquate aux victimes et à la collecte de données.

34.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter d’établir son rapport conformément à la procédure facultative, qui consiste à transmettre à l’État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu, et à le faire savoir avant le 1er juin 2013. Les réponses à cette liste constitueront le rapport de l’État partie au titre de l’article 19 de la Convention.