Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/84/TJK18 juillet 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑quatrième session

VERSION PRÉLIMINAIRE NON ÉDITÉE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

TADJIKISTAN

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport initial du Tadjikistan (CCPR/C/TJK/2004/1) à ses 2285e, 2286e et 2287e séances (CCPR/C/SR.2285 à 2287), les 13 et 14 juillet 2005, et a adopté les observations finales ci‑après à sa 2299e séance (CCPR/C/SR.2299), le 22 juillet 2005.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite que le Tadjikistan ait soumis, quoique avec quelque retard, son rapport initial, qui a été établi conformément à ses directives et avec l’assistance technique du HCDH. Il prend note de la qualité des réponses à la liste de questions et des réponses aux questions complémentaires du Comité.

B. Aspects positifs

3.Le Comité constate avec satisfaction que le nombre de crimes passibles de la peine de mort a été réduit, qu’un moratoire a été instauré en avril 2004 sur les condamnations à mort et les exécutions capitales, et que toutes les condamnations à mort prononcées dans l’État partie ont été commuées.

4.Le Comité se félicite que la loi prévoie des sanctions contre les mariages forcés et la polygamie.

5.Le Comité accueille avec satisfaction la création, dans l’État partie, de la Commission chargée de l’application des obligations internationales, qui est chargée, entre autres choses, d’assurer la coordination du suivi des constatations du Comité en vertu du Protocole facultatif.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

6.Le Comité constate avec préoccupation que la violence familiale contre les femmes demeure un problème au Tadjikistan (art. 3 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces, notamment en ce qui concerne la formation des policiers, la sensibilisation du public et, plus concrètement, la formation aux droits de l'homme, afin de protéger les femmes contre la violence familiale.

7.Tout en prenant note des efforts réalisés par l’État partie pour réduire le déséquilibre entre les sexes dans l’accès aux postes publics et pour améliorer la condition et les droits des femmes dans la société, le Comité considère qu’il reste beaucoup à faire (art. 3 et 26).

L’État partie devrait prendre des mesures plus résolues pour assurer une meilleure représentation des femmes dans la vie publique.

8.Le Comité rappelle que, à deux reprises au moins, l’État partie a procédé à l’exécution de prisonniers condamnés à mort, alors même que leur cas était pendant devant le Comité conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte et que des demandes de mesures provisoires de protection avaient été adressées à l’État partie. Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction. L’inobservation des demandes de mesures provisoires du Comité constitue un manquement grave de l’État partie aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et du Protocole facultatif (art. 6).

L’État partie devrait s’acquitter pleinement des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et du Protocole facultatif conformément au principe pacta sunt servanda , et prendre les mesures nécessaires pour éviter que des violations similaires ne se reproduisent à l’avenir.

9.Le Comité est préoccupé par les informations qui lui ont été transmises selon lesquelles, lorsque des condamnés à mort sont exécutés, les autorités s’abstiennent systématiquement d’informer les familles et les proches de la date de l’exécution, ou de leur indiquer le lieu de l’inhumation. Ces pratiques constituent une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des familles et des proches des personnes exécutées (art. 7).

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures pour informer les familles des lieux où ont été enterrées les personnes exécutées avant le moratoire.

10.Le Comité constate avec préoccupation que les enquêteurs et autres agents de l’État utilisent très couramment les mauvais traitements et la torture pour obtenir des informations, des témoignages ou des aveux de la part des suspects, des témoins ou des personnes arrêtées (art. 7 et par. 3 g) de l’article 14).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à cette pratique, pour faire instruire rapidement toute plainte concernant le recours à de telles pratiques par des agents de l’État, et pour poursuivre, condamner et sanctionner rapidement les responsables, et offrir une indemnisation adéquate aux victimes.

11.Le Comité est préoccupé par le grand nombre d’informations selon lesquelles l’accès des détenus à un avocat est entravé, en particulier pendant la période qui suit immédiatement l’arrestation. Il semblerait que, dans l’État partie, le droit de consulter un avocat ne puisse être exercé qu’après que l’arrestation a été enregistrée et non à partir du moment où l’intéressé est effectivement arrêté (art. 7, 9 et par. 3 b) de l’article 14).

L’État partie devrait prendre des mesures pour garantir que le droit à un conseil peut être exercé dès le moment de l’arrestation, que toutes les affaires au sujet desquelles il est allégué que des agents de la force publique ont entravé l’accès à un avocat donnent lieu à une enquête approfondie, et que les responsables sont dûment sanctionnés. Ce droit devrait également être garanti aux personnes nécessitant une assistance juridique gratuite.

12.Le Comité est préoccupé par le fait que la mise en détention est approuvée par un procureur et non par un juge. Cette situation crée un déséquilibre dans l’égalité des armes entre l’accusé et le ministère public, dans la mesure où le procureur peut avoir intérêt à placer en détention les personnes qui vont être poursuivies. En outre, les détenus ne sont pas présentés au procureur après leur arrestation. Un recours peut être formé devant un tribunal pour qu’il se prononce sur la légalité et les motifs de l’arrestation, mais la participation du détenu n’est pas garantie (art. 9).

L’État partie devrait revoir son Code de procédure pénale et adopter un système garantissant que tous les détenus sont automatiquement et promptement présentés à un juge qui statue sans délai sur la légalité de leur détention.

13.Le Comité est préoccupé par le fait qu’une personne peut être placée en détention administrative pendant une période pouvant aller jusqu’à 15 jours, sans que la détention soit soumise à un contrôle judiciaire (art. 9).

L’État partie devrait veiller à ce que les personnes placées en détention administrative puissent exercer le droit de contester la légalité de leur détention, comme cela devrait être le cas pour d’autres formes de détention, conformément aux recommandations faites par le Comité au paragraphe 12 ci ‑dessus.

14.Le Comité est préoccupé par les informations persistantes faisant état du délabrement et de la surpopulation qui caractérisent les prisons et les autres lieux de détention dans l’État partie, et il prend note du taux d’incarcération relativement élevé. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les représentants de la société civile et des organisations internationales ont un accès limité aux établissements pénitentiaires (art. 10).

L’État partie devrait envisager d’autres types de peines, telles que le travail communautaire et la détention à domicile, en particulier pour les infractions mineures. Il est invité à prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre aux représentants d’organisations nationales et internationales d’effectuer des visites indépendantes dans les prisons et les centres de détention.

15.Le Comité a noté que la Cour constitutionnelle, puis la Cour suprême, avaient rendu des décisions interdisant l’utilisation de moyens de preuve obtenus de façon illicite. Toutefois, le Comité demeure préoccupé par l’absence de toute disposition interdisant cette pratique dans le Code de procédure pénale de l’État partie (par. 1 et 3 g) de l’article 14).

L’État partie devrait apporter les modifications nécessaires au Code de procédure pénale et interdire l’utilisation de moyens de preuve obtenus de façon illicite, notamment sous la contrainte. Toute allégation d’utilisation illicite de moyens de preuve dans un procès doit être dûment examinée, une enquête doit être ouverte, et les tribunaux doivent tenir compte du résultat de l’enquête.

16.Le Comité est préoccupé par le fait qu’il existe dans la pratique une inégalité des armes entre les droits du procureur et ceux du suspect/accusé ou de son défenseur, tant au cours de l’enquête pénale que pendant le procès, par exemple en ce qui concerne la possibilité d’obtenir ou de contester des éléments de preuve (par. 1 de l’article 14). Cette inégalité semble également reflétée dans le très faible nombre d’acquittements prononcés par les tribunaux de l’État partie, comme il ressort du rapport (environ 0,004 % en 2002, par exemple).

L’État partie devrait modifier sa législation et sa pratique afin de garantir le respect total des principes fondamentaux du procès équitable, en particulier le principe de l’égalité des armes.

17.Le Comité est préoccupé par le manque d’indépendance apparent de la justice, qui ressort de la procédure de nomination et de révocation des juges et de leur situation économique (par. 1 de l’article 14).

L’État partie devrait garantir l’indépendance et l’impartialité totales de la justice en créant un organe indépendant chargé de nommer les juges à tous les niveaux, de les promouvoir et de les sanctionner le cas échéant, ainsi qu’en accordant à ces derniers une rémunération conforme à leurs responsabilités et à la nature de leurs fonctions.

18.Le Comité note que les juridictions militaires sont compétentes pour connaître d’affaires pénales concernant tant des militaires que des civils (par. 1 de l’article 14).

L’État partie devrait apporter les modifications nécessaires au Code de procédure pénale afin d’interdire cette pratique, en limitant strictement la compétence des juridictions militaires au seul personnel militaire.

19.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de plusieurs condamnations par contumace bien que les procès par contumace soient interdits par la loi (par. 3 de l’article 14).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour que les règles garantissant le droit de l’accusé d’être défendu soient respectées dans tout procès par contumace.

20.Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie ne reconnaît pas le droit à l’objection de conscience au service militaire obligatoire (art. 18).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour reconnaître le droit des objecteurs de conscience d’être exemptés du service militaire.

21.Le Comité est préoccupé par les informations persistantes selon lesquelles des journalistes ont été harcelés par des agents de l’État dans l’exercice de leur profession, et des journaux ont été saisis (art. 19).

L’État partie devrait s’abstenir de tout acte de harcèlement ou d’intimidation envers des journalistes, et veiller à ce que sa législation, tout comme sa pratique, soient pleinement conformes aux exigences de l’article 19 du Pacte.

22.Le Comité est préoccupé par l’existence dans le Code pénal de l’État partie d’infractions définies en termes généraux, telles que «injures à l’honneur et à la dignité du Président» et «atteinte à l’ordre constitutionnel», qui sont susceptibles d’être invoquées abusivement comme prétexte à une limitation de la liberté d’expression (art. 19).

L’État partie devrait mettre sa législation et sa pratique en matière de liberté d’expression en harmonie avec les dispositions de l’article 19 du Pacte.

23.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état du recours persistant aux châtiments corporels comme mesure disciplinaire à l’école (art. 24).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour interdire cette pratique.

24.Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré des progrès notables réalisés par l’État partie, des informations persistent selon lesquelles le Tadjikistan est l’un des principaux pays d’origine pour la traite des femmes et des enfants (art. 3, 8 et 24).

L’État partie devrait redoubler d’efforts pour lutter contre ces graves problèmes, en collaboration avec les pays voisins, notamment en vue de protéger les droits de l’homme des victimes. Il devrait également examiner de façon rigoureuse les activités des organes gouvernementaux responsables afin de garantir qu’aucun agent de l’État n’est impliqué dans de telles activités.

25.Le Comité est préoccupé par le fait que la législation de l’État partie prévoit la possibilité de rendre inéligibles des personnes contre lesquelles une procédure pénale a été engagée, bien que leur culpabilité n’ait pas été établie (par. 2 de l’article 14 et art. 25).

L’État partie devrait modifier sa législation et sa pratique afin de les rendre conformes aux exigences de l’article 25 et du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, de façon que les personnes simplement accusées d’une infraction soient présumées innocentes et que leur droit de se présenter aux élections soit maintenu.

D. Diffusion d’informations sur le Pacte (art. 2)

26.Le Comité fixe au 1er août 2008 la date à laquelle le deuxième rapport périodique du Tadjikistan devra lui être soumis. Il demande que le rapport initial de l’État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et largement diffusés au Tadjikistan, auprès du grand public ainsi qu’auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, et que le deuxième rapport périodique soit porté à l’attention des organisations non gouvernementales présentes dans le pays.

27.Le Comité propose que l’État partie continue de recevoir l’assistance technique du HCDH et des autres organismes de l’Organisation des Nations Unies qui s’occupent des droits de l’homme au Tadjikistan.

28.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait présenter dans un délai d’un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 10, 12, 14 et 21 ci‑dessus. Le Comité prie l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les autres recommandations et sur l’application du Pacte en général.

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