Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/82/BEN1 décembre 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑deuxième session

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

BÉNIN

Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport initial du Bénin (CCPR/C/BEN/2004/1/Add.1) à ses 2232e, 2233e et 2234e séances, les 21 et 22 octobre 2004 (voir CCPR/C/SR.2232 à 2234). Il a adopté les observations finales suivantes à sa 2248e séance, le 2 novembre 2004 (voir CCPR/C/SR.2248).

A. Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Bénin. Il regrette toutefois que celui-ci ait été soumis avec plus de 10 ans de retard, et ne contienne pas suffisamment de renseignements relatifs à l’effectivité des mesures adoptées pour mettre en œuvre le Pacte. Le Comité salue la venue à Genève d’une délégation de haut rang, et les efforts que celle-ci a déployés pour répondre, tant par écrit que par oral, à sa liste de questions. Il se félicite de l’ouverture d’un dialogue avec l’État partie.

B. Aspects positifs

Le Comité prend note avec satisfaction de la possibilité conférée aux individus de saisir la Cour constitutionnelle selon une procédure simple, et du rôle conféré à cette institution en matière de protection des droits fondamentaux.

Le Comité note avec intérêt que le procès des magistrats, greffiers et receveurs percepteurs accusés de détournement de frais de justice s’est soldé par la condamnation de 63 personnes à des peines sévères.

Le Comité se félicite de la promulgation, le 25 août 2004, d’un nouveau Code des personnes et de la famille tendant à l’égalité des sexes, notamment en matière de mariage, de divorce et d’autorité parentale.

Le Comité salue l’adoption de la loi du 3 mars 2003 portant répression de la pratique des mutilations génitales féminines.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Le Comité constate avec préoccupation que la procédure de saisine individuelle de la Cour constitutionnelle, très importante, demeure peu connue des justiciables, et que les décisions de la Cour ne font pas l’objet d’un suivi (article 2 du Pacte).

L ’É tat partie devrait faire davantage conna î tre aux particuliers les possibilit é s de saisine de la Cour constitutionnelle, ex é cuter les d é cisions de la Cour et envisager de cr é er un organe charg é du suivi de ces d é cisions.

Le Comité constate avec inquiétude que la Commission béninoise des droits de l’homme n’est plus effective etque l’État partie n’a à ce jour pas adopté les mesures nécessaires, y compris celles d’ordre budgétaire, pour lui permettre de fonctionner efficacement. Il rappelle qu’une institution nationale des droits de l’homme indépendante, dotée d’une mission spécifique de promotion et de protection des droits, ne peut être remplacée ni par des organisations non gouvernementales ni par le Conseil national consultatif des droits de l’homme, rattaché au Ministère de la justice (article 2 du Pacte).

L ’É tat partie devrait mettre sur pied une institution nationale des droits de l ’ homme, conform é ment aux Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (r é solution 48/134 de l ’ Assembl é e g é n é rale).

Le Comité s’inquiète d’informations selon lesquelles la violence domestique contre les femmes serait couramment pratiquée (articles 3 et 7 du Pacte).

L ’É tat partie devrait adopter des mesures efficaces et concr è tes pour lutter contre ce ph é nom è ne. Il devrait sensibiliser l ’ ensemble de la soci é t é à ce sujet, assurer la poursuite p é nale des auteurs de telles violences, et garantir assistance et protection aux victimes.

Le Comité note que, en vertu du nouveau Code des personnes et de la famille, seul le mariage monogamique est reconnu, et que «les coutumes cessent d’avoir force de loi en toutes matières prévues par le présent code». Le Comité s’inquiète toutefois des conséquences des mariages polygamiques qui seraient malgré tout encore conclus selon le droit coutumier, en particulier en ce qui concerne la protection dès lors garantie aux femmes impliquées dans de telles unions (articles 3 et 23 du Pacte).

L ’É tat partie devrait clairement interdire la conclusion de nouveaux mariages polygamiques, conform é ment à l ’ observation g é n é rale n o 28 du Comit é relative à l ’ article 3 du Pacte. Il devrait accorder la plus grande protection aux femmes qui, apr è s l ’ entr é e en vigueur du nouveau Code et par respect des traditions, entreraient dans une union polygamique alors que celle-ci n ’ entra î ne plus d ’ effets juridiques. Le Comit é invite l ’É tat partie à accro î tre ses efforts en mati è re d ’ information et de sensibilisation des femmes sur ces questions, y compris dans les zones les plus recul é es du pays.

Le Comité demeure préoccupé par la persistance des mutilations génitales féminines, notammentdans certaines régions du pays, celles-ci constituant des violations graves des articles 3 et 7 du Pacte.

L ’É tat partie devrait accro î tre ses efforts contre ces pratiques, en particulier au sein des communaut é s dans lesquelles elles ont une forte pr é valence. Il devrait garantir l ’ application effective de l ’ interdiction de ces pratiques, au moyen de programmes de sensibilisation plus nombreux et efficaces et de poursuites p é nales contre les auteurs. L ’É tat partie devrait donner des informations plus pr é cises sur le pourcentage de femmes et de filles touch é es, leur r é partition par r é gions et groupes ethniques, de m ê me que sur les poursuites p é nales engag é es contre les auteurs.

Le Comité s’inquiète de ce que certaines dispositions des projets de Code pénal et de Code de procédure pénale relatives à la lutte contre le terrorisme pourraient être de nature à porter atteinte à des droits énoncés dans le Pacte (articles 2, 7, 9 et 14).

L ’É tat partie devrait veiller à ce que ces dispositions ne portent pas atteinte aux droits é nonc é s dans le Pacte, en particulier le droit à la s é curit é et à la libert é de la personne, le droit à un proc è s é quitable, et le droit de ne pas ê tre soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou d é gradants.

Tout en saluant le fait que, depuis environ 18 ans, aucune condamnation à mort prononcée par un tribunal n’a été exécutée au Bénin, le Comité note avec inquiétude que la peine capitale n’est pas restreinte aux crimes les plus graves. Il relève avec préoccupation que des personnes sont dans le couloir de la mort depuis de nombreuses années, et s’inquiète des informations contradictoires sur leurs conditions de détention (articles 6, 7 et 10 du Pacte).

L ’É tat partie devrait restreindre la peine capitale aux crimes les plus graves. Il devrait envisager d ’ abolir la peine capitale et d ’ adh é rer au deuxi è me Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comit é recommande à l ’É tat partie de commuer les peines capitales d é j à prononc é es en peines de prison, de v é rifier imm é diatement les conditions de d é tention des condamn é s à mort, et d ’ assurer en toutes circonstances le respect de l ’ Ensemble de r è gles minima pour le traitement des d é tenus.

Le Comité est préoccupé par la persistance de phénomènes de vindicte populaire. Il constate également avec préoccupation que des infanticides motivés par des croyances populaires sont commis dans le pays(articles 6, 7 et 24 du Pacte).

L ’É tat partie devrait prot é ger les individus contre des actes commis par des personnes priv é es qui entravent leur droit à la vie et à l ’ int é grit é physique, et exercer la diligence n é cessaire pour pr é venir et punir de tels actes, enqu ê ter à leur sujet et r é parer le pr é judice qui en r é sulte. L ’É tat partie devrait en outre accro î tre ses efforts pour sensibiliser la population, et fournir des informations plus d é taill é es sur l ’ ampleur de ces ph é nom è nes .

Le Comité s’inquiète d’informations selon lesquelles l’utilisation abusive du système de garde à vue, la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants demeurent une pratique courante au Bénin. Il est préoccupé par le fait que les responsables de l’application des lois auteurs de ces violations semblent jouir d’une large impunité (articles 2, 7 et 9 du Pacte).

L ’É tat partie devrait faire preuve d ’ une plus grande fermet é en mati è re d ’ interdiction des gardes à vue abusives, de la torture et des mauvais traitements, et intensifier la formation de ses agents à ce sujet. Il devrait engager d ’ office des proc é dures disciplinaires et p é nales contre les auteurs de violations, et faire suite en particulier aux d é cisions de la Cour constitutionnelle sur de telles affaires. Le Comit é recommande à l ’É tat partie de lui fournir des informations d é taill é es sur les plaintes d é pos é es pour de tels actes et les sanctions disciplinaires et p é nales inflig é es au cours des trois derni è res ann é es, et de proc é der à une enqu ê te ind é pendante sur les m é thodes ayant lieu au Petit Palais.

Le Comité constate avec inquiétude que les droits essentiels des personnes gardées à vue ne sont pas garantis en droit béninois (articles 7, 9 et 14 du Pacte).

L ’É tat partie devrait garantir le droit des personnes gard é es à vue d ’ acc é der à un avocat dans les premi è res heures de la d é tention, d ’ informer leurs proches de leur d é tention, et d ’ê tre inform é es de leurs droits. Une visite m é dicale devrait ê tre pr é vue en d é but et en fin de garde à vue. Des possibilit é s de recours rapides et efficaces permettant aux personnes concern é es de contester la l é galit é de la garde à vue et de faire valoir leurs droits devraient ê tre ouvertes.

Le Comité, prenant note des efforts déployés par le Bénin pour améliorer les conditions de détention, demeure préoccupé par la situation dans les prisons, en particulier en matière d’hygiène, d’accès aux soins de santé et d’alimentation. Il s’inquiète de la forte surpopulation carcérale, et du fait que la séparation des mineurs et des majeurs n’est pas garantie dans tous les cas (articles 7, 10 et 24 du Pacte).

L ’É tat partie doit garantir le droit des d é tenus d ’ê tre trait é s avec humanit é et dans le respect de leur dignit é , en particulier leur droit de vivre dans des lieux salubres et d ’ avoir acc è s aux soins de sant é et à une nourriture suffisante. La d é tention devrait n ’ê tre envisag é e qu ’ en dernier recours, et d es mesures alternatives à la d é tention devraient ê tre pr é vues. L ’É tat partie, puisqu ’ il n ’ est pas en mesure de r é pondre aux besoins des d é tenus, doit r é duire dans les plus brefs d é lais la population carc é rale. Enfin, une protection particuli è re devrait ê tre assur é e aux mineurs, et ceux-ci, y compris les filles, devraient ê tre syst é matiquement s é par é s des adultes.

Le Comité note les efforts déployés par l’État partie pour rapprocher la justice des justiciables, mais demeure préoccupé par des informations faisant état de dysfonctionnements importants dans l’administration de la justice, tenant principalement au manque de moyens humains et matériels, à l’engorgement des juridictions, à la lenteur des procès, à la corruption, et aux immixtions de l’exécutif dans le judiciaire. À ce propos, le Comité note avec inquiétude les protestations de magistrats contre la remise pure et simple aux autorités nigérianes de personnes et de véhicules sous main de justice, et d’autres actes liés à l’affaire dite «Hamani» (articles 2, 13 et 14 du Pacte).

L ’É tat partie devrait accorder une grande priorit é aux actions devant ê tre adopt é es pour r é pondre à ces probl è mes. Il devrait au plus vite assurer la mise en œ uvre effective de la loi du 27 ao û t 2002 portant organisation judiciaire sur l ’ augmentation des cours et tribunaux, renforcer l ’ ind é pendance de la justice en garantissant l ’ interdiction de toute immixtion de l ’ ex é cutif dans le judiciaire, et garantir que les recours seront trait é s dans un d é lai raisonnable. Il devrait é galement offrir une r é paration effective en cas de violation constat é e par la Cour constitutionnelle. L ’É tat partie devrait en outre garantir que l ’ expulsion d ’ individus ne pourra ê tre d é cid é e qu ’ en ex é cution d ’ une d é cision prise conform é ment à la loi, et que les personnes concern é es pourront faire valoir les raisons qui militent contre leur expulsion.

Le Comité note que les tribunaux de conciliation sont utiles, mais craint que les missions respectives de ces tribunaux et des tribunaux de droit commun soient délimitées de manière imprécise, peu transparente pour les justiciables, et que le système d’homologation devant les tribunaux d’instance n’offre pas toutes les garanties prévues par l’article 14 du Pacte.

L ’É tat partie devrait s ’ attacher à clarifier les missions respectives des diff é rents tribunaux et à s ’ assurer que le syst è me d ’ homologation devant les tribunaux r é pond aux exigences de l ’ article 14 du Pacte.

Le Comité s’inquiète du fait que peu de personnes, y compris les mineurs, sont assistées d’un avocat au cours des procès pénaux, une telle assistance n’étant obligatoire que devant la cour d’assises. Il constate en outre avec inquiétude que la commission d’office devant la cour d’assises n’a lieu qu’au cours du dernier interrogatoire qui précède l’audience proprement dite, ce qui ne permet pas de garantir le respect des droits de la défense (article 14 du Pacte).

L ’É tat partie devrait veiller à la formation d ’ un nombre suffisant d ’ avocats, faciliter l ’ acc è s des personnes à un avocat et à l ’ aide juridictionnelle en mati è re p é nale, et garantir l ’ intervention de l ’ avocat d è s l ’ arrestation.

Le Comité estime que l’obligation faite aux prévenus et aux condamnés de porter un gilet indiquant le lieu de leur détention constitue un traitement dégradant, et que l’obligation faite aux prévenus d’apparaître ainsi vêtus à leur procès est de nature à porter atteinte au principe de la présomption d’innocence (articles 7 et 14 du Pacte).

L ’É tat partie devrait abolir cette mesure.

Le Comité constate avec préoccupation que, en vertu des lois du 30 juin 1960 et du 20 août 1997, les délits de presse peuvent être sanctionnés de peines allant jusqu’à cinq ans de prison, ce qui constitue une restriction disproportionnée au regard des exigences de l’article 19 du Pacte.

L ’É tat partie devrait abolir les peines de prison pour d é lits de presse.

Le Comité constate avec préoccupation que des interdictions de manifester sur la voie publique ont été prononcées pour des raisons ne semblant pas se rattacher à la liste des motifs prévus à l’article 21 du Pacte.

L ’É tat partie devrait garantir le droit de r é union pacifique, et n ’ imposer que les seules restrictions n é cessaires dans une soci é t é d é mocratique, impos é es dans l ’ int é r ê t de la s é curit é nationale, de la s û ret é publique, de l ’ ordre public ou pour prot é ger la sant é ou la moralit é publiques, ou les droits et les libert é s d ’ autrui. Des possibilit é s de recours rapides devraient ê tre garanties contre toute d é cision d ’ interdiction.

Prenant note des efforts déployés par l’État partie, le Comité s’inquiète des dérives choquantes du placement d’enfants chez une tierce personne dans le cadre d’une entraide familiale ou communautaire (vidomégons), source de trafic et d’exploitation économique des enfants à l’intérieur même du Bénin. Il constate avec préoccupation que le Bénin est devenu un pays de transit, d’origine et de destination du trafic international d’enfants (articles 7, 16 et 24 du Pacte).

L ’É tat partie devrait accro î tre ses efforts pour lutter contre le trafic d ’ enfants, et fournir au Comit é des informations plus pr é cises sur ce ph é nom è ne, en particulier une estimation du nombre d ’ enfants concern é s. Il devrait cr é er des m é canismes de contr ô le du placement des enfants, sensibiliser davantage l ’ opinion publique, et poursuivre p é nalement les auteurs de trafic et d ’ exploitation é conomique des enfants.

Le Comité a noté les efforts déployés par l’État partie dans le domaine de la sensibilisation de la population en matière de droits de l’homme mais s’inquiète que ces efforts soient limités.

Comme le prescrit express é ment l ’ article 40 de la Constitution, l ’É tat partie devrait int é grer l ’é ducation et l ’ enseignement aux droits de l ’ homme dans les programmes des diff é rents cycles scolaires, primaire, secondaire, sup é rieur et professionnel, et en particulier les programmes de formation des forces de s û ret é .

Le Comité fixe au 1er novembre 2008 la date de soumission du deuxième rapport périodique du Bénin. Il demande que le texte du rapport initial de l’État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et diffusés largement au Bénin, et que le deuxième rapport périodique soit porté à la connaissance des organisations non gouvernementales qui opèrent au Bénin.

Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait adresser dans un délai d’un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 11, 15 et 17. Le Comité demande à l’État partie de communiquer dans son prochain rapport des renseignements sur les autres recommandations qu’il a faites et sur l’applicabilité du Pacte dans son ensemble.

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