Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/82/MAR1 décembre 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑deuxième session

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

MAROC

Le Comité a examiné le cinquième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/MAR/2004/5) à ses 2234e, 2235e et 2236e séances (CCPR/C/SR.2234 à 2236), les 25 et 26 octobre 2004, et a adopté les observations finales ci-après à sa 2249e séance (CCPR/C/SR.2249), tenue le 3 novembre 2004.

A. Introduction

Le Comité se félicite de la présentation dans les délais du cinquième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/MAR/2004/5). Il note avec intérêt les informations communiquées ainsi que les éclaircissements apportés par la délégation.

B. Aspects positifs

Le Comité prend acte avec satisfaction que, depuis la présentation du quatrième rapport périodique (CCPR/C/115/Add.1), le Maroc a poursuivi ses réformes démocratiques, adopté de nouveaux textes législatifs en ce sens (notamment le nouveau Code de la famille), et a mis en place l’institution de l’ombudsman (Diwan Al Madhalim).

Le Comité se félicite de l’engagement de l’État partie à poursuivre les réformes en vue de la pleine mise en œuvre des droits énoncés dans le Pacte, ainsi que de son intention d’adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité se félicite de la pratique constante de l’État partie, depuis 1994, de commutation des peines de mort.

Le Comité se félicite de l’arrêt du 26 septembre 2000 de la Cour suprême du Maroc quant à la primauté de l’article 11 du Pacte interdisant la contrainte par corps pour non-respect d’une obligation contractuelle sur la loi et la pratique nationales. Il note avec intérêt le contenu de la lettre du 7 avril 2003 par laquelle le Ministre de la justice, se référant à l’arrêt de la Cour suprême sus-cité, demande aux procureurs généraux auprès des cours d’appel et aux tribunaux de première instance d’appliquer l’article 11 du Pacte et de renvoyer aux tribunaux les cas de toutes les personnes qui purgeaient de telles peines.

Le Comité note avec satisfaction l’existence d’un réseau développé d’organisations non gouvernementales de défense et de promotion des droits de l’homme dans le pays.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Le Comité demeure préoccupé par l’absence d’avancées de la question de l’application du droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental (article premier du Pacte).

L’État partie devrait déployer tous ses efforts pour permettre aux populations concernées de jouir pleinement des droits reconnus par le Pacte.

Le Comité regrette l’absence de données concrètes sur les interventions auprès de l’administration de l’ombudsman (Diwan Al Madhalim).

L’État partie est prié de fournir des données statistiques sur le travail de l’ombudsman.

Le Comité est préoccupé du fait que la législation marocaine sur l’état d’exception reste vague, ne précise ni ne limite les dérogations qui peuvent être apportées aux dispositions du Pacte en cas de danger exceptionnel, et ne garantit pas l’application de l’article 4 du Pacte.

L’État partie est invité à revoir les dispositions pertinentes de sa législation afin de les mettre en pleine conformité avec l’article 4 du Pacte.

Le Comité manifeste sa préoccupation qu’alors même qu’aucune peine de mort n’a été appliquée depuis 1994 et qu’un grand nombre de condamnés à mort ont vu leurs peines commuées, le nombre d’infractions passibles de la peine de mort a augmenté depuis l’examen du dernier rapport périodique (article 6 du Pacte).

En conformité avec l’article 6 du Pacte, l’État partie devrait, en vue d’abolir la peine capitale, réduire au minimum le nombre d’infractions passibles de la peine capitale. L’État partie devrait également commuer les peines de toutes les personnes condamnées à mort.

Tout en reconnaissant le travail accompli par le Comité consultatif des droits de l’homme (CDDH) dans la collecte d’informations et le dédommagement relatifs à la question des disparus, le Comité se déclare préoccupé du fait que les responsables de telles disparitions n’ont toujours pas été identifiés, jugés et punis (articles 6 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait procéder aux enquêtes nécessaires afin d’identifier, juger et punir les responsables de tels crimes (articles 6 et 7 du Pacte).

Le Comité est préoccupé du fait que l’article 26 de la nouvelle loi sur le séjour des étrangers permet le renvoi sans délai d’un étranger qui est considéré comme représentant une menace pour la sûreté de l’État, alors même qu’il pourrait être victime de torture ou de mauvais traitements ou risquerait la peine capitale dans le pays de réception.

L’État partie devrait mettre en place un système permettant à tout étranger qui prétend que son renvoi l’exposerait à la torture, à de mauvais traitements ou à la peine capitale d’interjeter appel qui aurait un effet suspensif sur son renvoi (articles 6, 7 et 10 du Pacte).

Le Comité reste préoccupé par les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements à l’égard de personnes en détention et du fait que des fonctionnaires coupables de telles actions ne voient, en général, que leur responsabilité disciplinaire engagée pour autant qu’il y ait une sanction. Dans ce contexte, le Comité note avec préoccupation l’absence d’enquêtes conduites de manière indépendante dans les commissariats de police et autres lieux de détention, afin de s’assurer de l’absence de torture et mauvais traitements.

L’État partie devrait veiller à ce que les plaintes de torture et/ou de mauvais traitements soient examinées promptement et d’une manière indépendante. Les conclusions d’une telle enquête devraient faire l’objet d’un examen approfondi par les autorités compétentes afin de permettre de sanctionner disciplinairement, mais aussi pénalement, les personnes responsables. Tous les lieux de détention devraient faire l’objet d’une inspection indépendante (articles 7 et 10 du Pacte).

Le Comité considère comme excessive la période de garde à vue – 48 heures (renouvelables une fois) pour les crimes ordinaires et 96 heures (renouvelables deux fois) pour les crimes liés au terrorisme –, période pendant laquelle un suspect peut être détenu sans être présenté devant un juge.

L’État partie devrait revoir sa législation sur la garde à vue et la mettre en conformité avec les dispositions de l’article 9 ainsi que de toutes les autres dispositions du Pacte.

Le Comité est préoccupé du fait que les prévenus ne peuvent bénéficier des services d’un avocat qu’à partir du moment où leur garde à vue a été prolongée (c’est-à-dire au bout de 48 heures ou de 96 heures). Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en particulier dans des affaires où une personne risque la peine capitale, elle doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure.

L’État partie devrait modifier sa législation et sa pratique pour permettre à la personne arrêtée d’avoir un accès à un avocat dès le début de sa garde à vue (articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte ).

Le Comité demeure préoccupé par les rapports sur les mauvaises conditions d’incarcération dans les prisons, et notamment l’insuffisance des soins médicaux, l’absence de programmes éducatifs de réinsertion et l’absence de lieux de visite (articles 7 et 10 du Pacte).

L’État partie devrait rendre ses conditions d’incarcération conformes à l’article 10 du Pacte et instituer des peines de substitution.

Le Comité est préoccupé par le fait que quelques représentants d’organisations non gouvernementales se sont vu saisir leurs passeports, les empêchant ainsi de prendre part à une réunion d’organisations non gouvernementales sur la question du Sahara occidental à l’occasion de la cinquante-neuvième session de la Commission des droits de l’homme à Genève (articles 12 et 19 du Pacte).

L’État partie devrait appliquer l’article 12 du Pacte à tous ses ressortissants .

Le Comité reste préoccupé du fait que l’indépendance de la magistrature n’est pas pleinement garantie.

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance et l’impartialité de la magistrature (article 14, paragraphe 1, du Pacte).

Le Comité est préoccupé du fait que le Code pénal permet de qualifier toute «atteinte grave par la violence» comme constitutive d’un acte terroriste. Il est également préoccupé par de nombreuses informations faisant état de l’application rétroactive de la loi sur la lutte contre le terrorisme adoptée le 28 mai 2003.

Pour remédier à cette situation d’insécurité juridique, le Comité recommande à l’État partie de modifier la législation en cause en définissant clairement sa portée, et est prié de veiller au respect des dispositions de l’article 15 ainsi que de toutes les autres dispositions du Pacte.

Le Comité est préoccupé par les limites de fait apportées à la liberté de religion ou de conviction, notamment par l’impossibilité, en pratique, pour un musulman de changer de religion. Il rappelle que l’article 18 du Pacte protège toutes les religions et toutes les convictions, anciennes et moins anciennes, grandes ou petites, et comporte le droit d’adopter la religion ou la conviction de son choix.

L’État partie devrait prendre des mesures pour assurer le respect de la liberté de religion ou de conviction, et faire en sorte que sa législation et ses pratiques soient pleinement conformes à l’article 18 du Pacte.

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles, d’une part, le service militaire obligatoire est de caractère subsidiaire, n’intervenant que dans le cas où le recrutement de professionnels est insuffisant, et, d’autre part, l’État partie ne reconnaît pas le droit à l’objection de conscience.

L’État partie doit pleinement reconnaître le droit à l’objection de conscience dans l’hypothèse où le service militaire est obligatoire et mettre en place un service alternatif dont les modalités ne soient pas discriminatoires (articles 18 et 26 du Pacte).

Le Comité est préoccupé par des rapports persistants selon lesquels des journalistes ont été assujettis à des amendes ou ont été harcelés dans le cadre de l’exercice de leur profession.

L’État partie devrait prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir tous les cas de harcèlement de journalistes et faire en sorte que sa législation et sa pratique donnent pleinement effet aux exigences de l’article 19 du Pacte.

Le Comité reste préoccupé du fait que, souvent, la délivrance du récépissé de déclaration préalable de réunion donne lieu à des abus, ce qui revient de fait à limiter le droit de réunion, garanti par l’article 21 du Pacte.

L’État partie devrait supprimer les obstacles à l’exercice du droit de réunion (article 21 du Pacte ).

Le Comité a pris note de divers rapports faisant état de limitations au droit à la liberté d’association.

L’État partie est prié de mettre sa pratique en conformité avec les dispositions de l’article 22 du Pacte.

Tout en se félicitant des progrès réalisés dans le domaine de l’éducation, le Comité reste préoccupé par le nombre encore élevé d’analphabètes, particulièrement chez les femmes.

L’État partie devrait poursuivre les actions entreprises pour remédier à cette situation (article 26 du Pacte).

Le Comité est préoccupé par l’interdiction en droit des mariages entre des femmes de confession musulmane et des hommes d’autres religions ou convictions (articles 3, 23 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait se conformer aux dispositions des articles 3, 23 et 26 du Pacte en révisant la législation concernée.

Le Comité est également préoccupé par le niveau élevé de cas de violence domestique contre des femmes.

L’État partie devrait prendre des mesures pratiques adéquates pour lutter contre ce phénomène (articles 3 et 7 du Pacte).

Le Comité note avec inquiétude que l’avortement demeure une infraction pénale en droit marocain sauf s’il est pratiqué pour sauver la vie de la mère.

L’État partie devrait faire en sorte que les femmes ne soient pas obligées de mener des grossesses à terme lorsque cela est incompatible avec les obligations découlant du Pacte (articles 6 et 7) et de libéraliser les dispositions relatives à l’interruption de grossesse.

Le Comité regrette que le nouveau Code de la famille, tout en limitant le recours à la polygamie, ne l’a pas abolie pour autant, alors même qu’elle est attentatoire à la dignité de la femme (articles 3, 23 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait abolir la polygamie de manière claire et définitive (articles 3, 23 et 26 du Pacte).

Le Comité note que le travail des enfants reste répandu au Maroc, malgré l’interdiction de travail des personnes âgées de moins de 15 ans par le nouveau Code du travail.

L’État partie est prié de prendre les mesures envisagées pour mettre en œuvre les dispositions du Code du travail en ce qui concerne les mineurs (article 24 du Pacte).

Le Comité note qu’un enfant né de mère marocaine et de père étranger (ou dont la nationalité n’est pas connue) est traité différemment, quant à l’obtention de la nationalité marocaine, par rapport aux enfants de père marocain.

L’État partie devrait se conformer aux dispositions de l’article 24 du Pacte et assurer un traitement égal entre enfants de mère marocaine et de père marocain ou étranger (articles 24 et 26 du Pacte).

Tout en se félicitant de l’adoption du Code de la famille, le Comité note avec préoccupation que les inégalités entre femmes et hommes subsistent dans le domaine de l’héritage et du divorce.

L’État partie devrait reconsidérer sa législation et veiller à éliminer toute discrimination fondée sur le sexe dans le domaine de l’héritage et du divorce (article 26 du Pacte).

D. Diffusion d’informations sur le Pacte (article 2)

Le Comité prie instamment l’État partie de diffuser dans plusieurs langues le texte des présentes observations finales, auprès tant du public que des autorités législatives et administratives. Il demande que le prochain rapport périodique soit largement diffusé dans l’opinion publique, notamment auprès de la société civile et des organisations non gouvernementales qui opèrent au Maroc.

Le Comité fixe au 1er novembre 2008 la date de présentation du sixième rapport périodique du Maroc. Le rapport devrait traiter tout particulièrement des préoccupations formulées aux paragraphes 12, 14, 15 et 16 et des autres problèmes soulevés par le Comité dans les présentes observations finales.

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