Nations Unies

CERD/C/GC/32

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

29 septembre 2009

Français

Original: anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Soixante-quinzième session

3-28 août 2009

Recommandation générale XXXII

Signification et portée des mesures spéciales dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

I.Introduction

A.Contexte

1.Vu les problèmes de compréhension que semble susciter la notion de mesures spéciales, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale («le Comité») a décidé, à sa soixante et onzième session, de s’atteler à la rédaction d’une nouvelle recommandation générale sur cette notion. À sa soixante-douzième session, le Comité a décidé de tenir à sa session suivante un débat thématique sur la question des mesures spéciales au sens du paragraphe 4 de l’article premier et du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale («la Convention»). Ce débat thématique a eu lieu les 4 et 5 août 2008, avec la participation d’États parties à la Convention et de représentants du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, de l’Organisation internationale du Travail (OIT), de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et d’organisations non gouvernementales. À l’issue du débat, le Comité s’est de nouveau déclaré déterminé à rédiger une recommandation générale sur les mesures spéciales, l’objectif étant de donner des orientations générales pour l’interprétation des articles susmentionnés à la lumière des dispositions de la Convention dans son ensemble.

B.Sources principales

2.La recommandation générale est fondée sur l’important répertoire de la pratique du Comité concernant les mesures spéciales prévues par la Convention. Cette pratique comprend notamment les observations finales relatives aux rapports des États parties à la Convention, les communications au titre de l’article 14 et les précédentes recommandations générales du Comité, en particulier la recommandation générale VIII (1990) concernant les paragraphes 1 et 4 de l’article premier de la Convention, ainsi que la recommandation générale XXVII (2000) concernant la discrimination à l’égard des Roms et la recommandation générale XXIX (2002) concernant le paragraphe 1 de l’article premier de la Convention (discrimination fondée sur l’ascendance), qui, toutes les deux, mentionnent expressément les mesures spéciales.

3.Lors de l’élaboration de la recommandation, le Comité a également tenu compte des travaux sur les mesures spéciales menés sous l’égide d’autres organes des droits de l’homme de l’ONU, notamment du rapport du Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme et la recommandation générale XXV (2004) du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes relative aux mesures temporaires spéciales.

C.Objet de la recommandation générale

4.La recommandation générale a pour objet de donner, compte tenu de l’expérience du Comité, des orientations pratiques sur le sens à donner à la notion de mesures spéciales au regard de la Convention pour aider les États parties à s’acquitter de leurs obligations au titre de celle-ci, y compris de l’obligation de faire rapport. Ces orientations peuvent être considérées comme une synthèse des nombreuses recommandations adressées par le Comité aux États parties sur la question des mesures spéciales.

D.Méthode

5.Comme le Comité l’a fait observer à de multiples reprises, la Convention est un instrument vivant qui doit être interprété et appliqué en tenant compte des circonstances de la société contemporaine. Ceci signifie que son texte doit être interprété en tenant pleinement compte du contexte. Pour ce qui est de la présente recommandation, le contexte comprend non seulement le texte intégral de la Convention, y compris le titre, le préambule et les articles du dispositif, mais aussi l’ensemble des normes contemporaines des droits de l’homme relatives aux principes de la non-discrimination et aux mesures spéciales. Une interprétation contextuelle suppose aussi que l’on tienne compte des circonstances particulières des États parties sans préjudice du caractère universel des normes figurant dans la Convention. Il résulte de la nature de la Convention et de la portée générale de ses dispositions que, si l’application scrupuleuse des principes qui y sont énoncés donne lieu à des écarts de résultats entre les États parties, ces écarts doivent être pleinement justifiables à la lumière des principes de la Convention.

II.Égalité et non-discrimination en tant que fondement des mesures spéciales

A.Égalité de jure et de facto

6.La Convention est fondée sur les principes de dignité et d’égalité de tous les êtres humains. Le principe de l’égalité consacré par la Convention conjugue égalité devant la loi et égale protection de la loi, l’égalité matérielle ou de fait dans la jouissance et l’exercice des droits de l’homme étant l’objectif à atteindre grâce à l’application scrupuleuse des principes de la Convention.

B.Discrimination directe ou indirecte

7.Le principe de la jouissance des droits de l’homme dans des conditions d’égalité va de pair avec l’interdiction de la discrimination fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique établie dans la Convention. La notion d’«intersectionnalité» permet au Comité, dans la pratique, d’élargir les motifs de discrimination interdite et de traiter des situations de discrimination double ou multiple − comme dans le cas de la discrimination fondée sur le sexe ou la religion lorsqu’elle se conjugue à une discrimination fondée sur un ou plusieurs motifs énumérés à l’article premier de la Convention. La discrimination au sens de la Convention comprend la discrimination délibérée ou intentionnelle et la discrimination de fait. La discrimination s’entend non seulement de toute «distinction, exclusion ou restriction» injustifiable mais aussi de toute «préférence» injustifiable, ce qui signifie qu’il est particulièrement important que les États parties fassent la distinction entre «mesures spéciales» et préférences injustifiables.

8.Sur la notion même de discrimination, le Comité a fait observer dans sa recommandation générale XXX (2004) concernant la discrimination contre les non‑ressortissants que l’application d’un traitement différencié «constitue une discrimination si les critères de différenciation, jugés à la lumière des objectifs et des buts de la Convention, ne visent pas un but légitime et ne sont pas proportionnés à l’atteinte de ce but». Comme corollaire logique de ce principe, le Comité note, dans sa recommandation générale XIV (1993) portant sur le paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, qu’un traitement différencié ne constitue pas un acte de discrimination si, comparés aux objectifs et aux buts de la Convention, les critères de différenciation sont légitimes». L’expression «non‑discrimination» n’implique pas l’application obligatoire d’un traitement uniforme lorsqu’il existe des différences importantes de situation entre un individu ou un groupe et un autre ou, en d’autres termes, si la différence de traitement est motivée par des éléments objectifs et raisonnables. Le fait de traiter de manière égale des personnes ou des groupes dont la situation est objectivement différente constitue une discrimination de fait, comme le serait l’application d’un traitement inégal à des personnes dont la situation est objectivement la même. Le Comité a également observé que l’application du principe de non‑discrimination exige la prise en compte des caractéristiques des groupes.

C.Portée du principe de non-discrimination

9.Conformément au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, le principe de non‑discrimination protège la jouissance, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales «dans les domaines politique, économique, social et culturel, ou dans tout autre domaine de la vie publique». La liste des droits de l’homme auxquels ce principe s’applique en vertu de la Convention n’est pas circonscrite et s’étend à tous les domaines réglementés par l’autorité publique dans les États parties. La référence faite à la vie publique ne limite pas la portée du principe de non-discrimination aux actes de l’administration publique mais doit être interprétée à la lumière des dispositions de la Convention aux termes desquelles chaque État partie s’engage à mettre fin à la discrimination raciale «pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations».

10.Les notions d’égalité et de non-discrimination, ainsi que l’obligation pour les États parties d’atteindre les objectifs de la Convention, sont précisées et développées au paragraphe 4 de l’article premier et au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention concernant les mesures spéciales.

III.Le concept de mesures spéciales

A.Objectifs des mesures spéciales: faire progresser l’égalité de fait

11.La notion de mesures spéciales est fondée sur le principe selon lequel les lois, politiques et pratiques adoptées et mises en œuvre par les États pour s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention doivent s’accompagner, si les circonstances le justifient, de l’adoption de mesures spéciales temporaires visant à garantir aux groupes défavorisés, dans des conditions d’égalité, la pleine jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les mesures spéciales sont un des éléments de l’ensemble de dispositions de la Convention visant l’objectif de l’élimination de la discrimination raciale, dont la réalisation suppose la stricte application de toutes les dispositions de la Convention.

B.Sens propre des mesures spéciales

12.Les expressions «mesures spéciales» et «mesures spéciales et concrètes» employées dans la Convention peuvent être considérées, d’un point de vue pratique, comme synonymes et ont un sens propre qui doit être interprété à la lumière de la Convention dans son ensemble et qui peut être différent de l’usage dans certains États parties. L’expression «mesures spéciales» désigne aussi des mesures, qui, dans certains pays peuvent être qualifiées de «mesures correctives», d’«actions palliatives» et d’«actions positives», dans les cas où elles correspondent aux mesures visées au paragraphe 4 de l’article premier et au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, comme cela est expliqué dans les paragraphes qui suivent. Conformément à la Convention, la présente recommandation emploie les expressions «mesures spéciales» ou «mesures spéciales et concrètes» et encourage les États parties à utiliser une terminologie qui montre clairement les liens existant entre leurs lois et pratiques et ces notions telles qu’elles figurent dans la Convention. L’expression «discrimination positive» est, dans le contexte des normes internationales relatives aux droits de l’homme, une contradictio in terminis et devrait être évitée.

13.Le terme «mesures» renvoie à l’ensemble des instruments législatifs, exécutifs, administratifs, budgétaires et réglementaires, à tous les niveaux de l’appareil de l’État, ainsi qu’aux plans, politiques, programmes et régimes préférentiels en faveur des groupes défavorisés conçus et mis en place sur la base de ces instruments dans des domaines comme l’emploi, le logement, l’éducation, la culture et la participation à la vie publique. Les États parties doivent, conformément aux obligations qui leur incombent au titre de la Convention, inclure des dispositions relatives aux mesures spéciales dans leurs systèmes juridiques, au moyen d’une législation générale ou de lois axées sur des secteurs spécifiques compte tenu de l’ensemble des droits de l’homme visés à l’article 5 de la Convention, et par le biais de plans, de programmes et d’autres initiatives tels que ceux mentionnés plus haut, aux niveaux national, régional et local.

C.Mesures spéciales et autres notions apparentées

14.L’obligation d’adopter des mesures spéciales est distincte de l’obligation positive générale faite aux États parties à la Convention de garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales des personnes et groupes relevant de leur juridiction, sans discrimination aucune; c’est là une obligation générale qui découle des dispositions de la Convention dans son ensemble et fait partie intégrante de tous les éléments de la Convention.

15.Les mesures spéciales ne doivent pas être confondues avec les droits spécifiques qui appartiennent à certaines catégories de personnes ou de communautés comme, par exemple, les droits des personnes appartenant à des minorités de vivre selon leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d’utiliser leur propre langue, les droits des peuples autochtones, notamment sur les terres qu’ils occupent traditionnellement, et les droits des femmes de ne pas être traitées de la même façon que les hommes, par exemple de bénéficier d’un congé de maternité, en raison de leurs différences biologiques. Il s’agit là de droits permanents, reconnus comme tels dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, y compris ceux adoptés dans le cadre de l’ONU et des organismes spécialisés des Nations Unies. Les États parties doivent soigneusement respecter la distinction entre mesures spéciales et droits permanents dans leur législation et leur pratique. Cette distinction signifie que les personnes qui peuvent se prévaloir de droits permanents peuvent également bénéficier de mesures spéciales.

D.Conditions pour l’adoption et l’application de mesures spéciales

16.Les mesures spéciales doivent être adaptées à la situation à laquelle il convient de remédier, être légitimes et nécessaires dans une société démocratique, respecter les principes d’équité et de proportionnalité, et être temporaires. Elles doivent être conçues et mises en œuvre en fonction des besoins et fondées sur une évaluation réaliste de la situation actuelle des personnes et communautés concernées.

17.Les besoins en mesures spéciales doivent être évalués sur la base de données − exactes ventilées par race, couleur, ascendance et origine nationale ou ethnique et tenant compte des spécificités hommes‑femmes −, sur la situation socioéconomique et culturelle des différents groupes de la population et sur la participation de ces derniers au développement économique et social du pays.

18.Les États parties doivent s’assurer que les mesures spéciales sont conçues et mises en œuvre après consultation de ces communautés et avec leur participation active.

IV.Dispositions de la Convention concernant les mesures spéciales

A.Article premier, paragraphe 4

19.Aux termes du paragraphe 4 de l’article premier de la Convention «Les mesures spéciales prises à seule fin d’assurer comme il convient le progrès de certains groupes raciaux ou ethniques ou d’individus ayant besoin de la protection qui peut être nécessaire pour leur garantir la jouissance et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité ne sont pas considérées comme des mesures de discrimination raciale, à condition toutefois qu’elles n’aient pas pour effet le maintien de droits distincts pour des groupes raciaux différents et qu’elles ne soient pas maintenues en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient.».

20.L’expression «ne sont pas considérées comme des mesures de discrimination raciale» qui figure au paragraphe 4 de l’article premier de la Convention indique clairement que les mesures spéciales prises par les États parties dans les conditions prévues par la Convention ne constituent pas une discrimination, ce qui est confirmé par les travaux préparatoires de la Convention qui font ressortir que la formulation initiale «ne devraient pas être considérées comme des mesures de discrimination raciale» a été remplacée par «ne sont pas considérées comme des mesures de discrimination raciale». En conséquence, les mesures spéciales ne dérogent pas au principe de non-discrimination; ils en font partie intégrante et constituent un élément essentiel du projet de la Convention consistant à éliminer la discrimination raciale et à promouvoir la dignité humaine et l’égalité effective.

21.Conformément à la Convention, les mesures spéciales ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont prises «à seule fin» de garantir l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité. Cet objectif doit ressortir clairement de la nature même des mesures prises, des arguments invoqués par les autorités pour justifier les mesures et des instruments conçus pour mettre en œuvre les mesures. L’expression «à seule fin» limite la portée des motifs recevables pour l’adoption de mesures spéciales au sens de la Convention.

22.L’expression «assurer comme il convient le progrès» employée au paragraphe 4 de l’article premier suppose la mise en œuvre de programmes concrets ayant pour objectif d’atténuer et d’éliminer les inégalités dont sont victimes certains groupes et individus dans l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de protéger ainsi ces groupes et individus contre la discrimination. Ces inégalités peuvent, sans s’y limiter, revêtir la forme d’inégalités persistantes ou structurelles et d’inégalités de fait, résultant de circonstances historiques, font en sorte que des groupes et personnes vulnérables continuent d’être privés d’avantages indispensables au plein épanouissement de la personnalité humaine. Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’une discrimination «historique» pour établir le bien‑fondé d’un programme de mesures spéciales, l’objectif étant surtout de corriger les inégalités actuelles et de prévenir tout nouveau déséquilibre.

23.Le terme «protection» employé au même paragraphe s’entend de la protection contre des violations des droits de l’homme quelle qu’en soit la source, y compris les actes de discrimination qui sont le fait de particuliers, afin de garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité. Le terme «protection» signifie également que les mesures spéciales peuvent avoir des fonctions de prévention (des violations des droits de l’homme) et de réparation.

24.Même si, en vertu de la Convention, les bénéficiaires de mesures spéciales doivent être certains «groupes raciaux ou ethniques ou individus ayant besoin de la protection» (art. 1, par. 4) et certains «groupes raciaux ou … individus appartenant à ces groupes» (art. 2, par. 2), doit en principe pouvoir en bénéficier aussi tout groupe ou individu visé par l’article premier de la Convention, comme il ressort clairement des travaux préparatoires de la Convention, ainsi que la pratique des États parties et des observations finales pertinentes du Comité.

25.Le paragraphe 4 de l’article premier est libellé en des termes plus généraux que le paragraphe 2 de l’article 2 en ce qu’il vise des individus «ayant besoin de la protection» sans évoquer l’appartenance à un groupe ethnique. Toutefois, il faut considérer que les bénéficiaires ou destinataires potentiels des mesures spéciales sont ceux qui sont visés par l’objectif global de la Convention, qui est d’éliminer toutes les formes de discrimination raciale, les mesures spéciales étant un instrument essentiel, le cas échéant, pour atteindre cet objectif.

26.Le paragraphe 4 de l’article premier prévoit des restrictions à l’emploi de mesures spéciales par les États parties. La première est que les mesures «n’aient pas pour effet le maintien de droits distincts pour des groupes raciaux différents». Cette disposition, qui est libellée pour faire spécifiquement référence aux «groupes raciaux», évoque la pratique de l’apartheid visée à l’article 3 de la Convention qui fut imposée par les autorités de l’État et les pratiques de ségrégation mentionnées dans ledit article et dans le préambule de la Convention. Il convient de faire la différence entre la notion inacceptable de «droits distincts» et les droits acceptés et reconnus par la communauté internationale pour garantir l’existence et l’identité de groupes tels que les minorités, les peuples autochtones et d’autres catégories de personnes dont les droits sont également acceptés et reconnus dans le cadre des droits de l’homme universels.

27.La seconde restriction à l’emploi de mesures spéciales est «qu’elles ne soient pas maintenues en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient». Cette restriction, essentiellement d’ordre pratique, est liée au but recherché: les mesures doivent cesser d’être appliquées lorsque les objectifs visés, à savoir l’égalité, ont été atteints de manière durable. La durée pendant laquelle les mesures sont autorisées variera en fonction de leurs objectifs, des moyens utilisés pour les atteindre et des résultats obtenus. Les mesures spéciales doivent donc être soigneusement élaborées de façon à répondre aux besoins particuliers des personnes ou des groupes concernés.

B.Article 2, paragraphe 2

28.Aux termes du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, «Les États parties prendront, si les circonstances l’exigent, dans les domaines social, économique, culturel et autres, des mesures spéciales et concrètes pour assurer comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d’individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions d’égalité, le plein exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces mesures ne pourront en aucun cas avoir pour effet le maintien de droits inégaux ou distincts pour les divers groupes raciaux, une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient».

29.Le paragraphe 4 de l’article premier de la Convention vise essentiellement à préciser le sens à donner à la notion de discrimination par rapport aux mesures spéciales. Le paragraphe 2 de l’article 2 transpose ensuite la notion de mesures spéciales dans le contexte des obligations des États parties, dont traite d’ailleurs l’ensemble de l’article 2. Les nuances qui existent entre les expressions utilisées dans les deux paragraphes ne remettent pas en cause la cohésion et la cohérence de la notion dans le cadre de la Convention.

30.L’emploi du modal «shall» dans la version anglaise («les États parties prendront») montre clairement le caractère impératif de l’obligation de prendre des mesures spéciales. Ce caractère n’est nullement affaibli par l’ajout de l’expression «si les circonstances l’exigent», qui doit être interprétée comme définissant le contexte pour l’application des mesures. Cette expression a en principe un sens objectif et renvoie aux inégalités dans l’exercice des droits de l’homme par les personnes et les groupes dans un État partie et au besoin de corriger ces inégalités qui en découle.

31.La structure interne des États parties, qu’elle soit unitaire, fédérale ou décentralisée, ne modifie en rien leur responsabilité au titre de la Convention, lorsqu’ils prennent des mesures spéciales, de veiller à ce que celles-ci soient appliquées sur toute l’étendue de leur territoire. Dans les États fédéraux ou décentralisés, les autorités fédérales sont responsables, sur le plan international, de l’élaboration d’un cadre propice à l’application homogène des mesures spéciales dans tous les territoires de l’État où de telles mesures sont nécessaires.

32.Alors que le paragraphe 4 de l’article premier de la Convention emploie l’expression «mesures spéciales», le paragraphe 2 de l’article 2 mentionne des «mesures spéciales et concrètes». Les travaux préparatoires de la Convention ne font ressortir aucune distinction entre les deux expressions, que le Comité a généralement employées comme synonymes. Si l’on tient compte de la nature même de l’article 2, qui énonce de manière générale les obligations incombant aux États parties au titre de la Convention, la terminologie employée au paragraphe 2 de l’article 2 prend tout son sens en mettant l’accent sur l’obligation des États parties de prendre des mesures adaptées aux situations concrètes auxquelles il faut remédier et propres à atteindre les objectifs fixés.

33.Au paragraphe 2 de l’article 2, la définition de l’objectif des mesures spéciales comme étant d’assurer «comme il convient le développement ou la protection» de certains groupes et individus peut être comparée à l’emploi du terme «progrès» au paragraphe 4 de l’article premier. Les termes employés dans la Convention signifient que les mesures spéciales devraient clairement bénéficier aux groupes et aux particuliers pour leur permettre de jouir de leurs droits de l’homme. L’énumération des domaines d’action dans le paragraphe − «les domaines social, économique, culturel et autres» − ne se veut toutefois pas exhaustive. En principe, des mesures spéciales peuvent être prises dans tous les domaines où il y a privation des droits de l’homme, y compris des droits expressément ou implicitement protégés par l’article 5 de la Convention. En tout état de cause, il est clair que la référence faite au «développement» ne concerne que la situation ou les conditions dans lesquelles des groupes ou individus se trouvent et non une caractéristique intrinsèque de tel groupe ou individu.

34.Les bénéficiaires de mesures spéciales au titre du paragraphe 2 de l’article 2 peuvent être des groupes ou des individus appartenant à ces groupes. Assurer le progrès et la protection des communautés au moyen de mesures spéciales est un objectif légitime à poursuivre parallèlement au respect des droits et des intérêts des individus. L’identification d’un individu comme appartenant à un groupe doit, sauf justification du contraire, être fondée sur la manière dont s’identifie lui-même l’intéressé.

35.Les dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 posant des restrictions à l’emploi de mesures spéciales sont essentiellement les mêmes, mutatis mutandis, que celles énoncées au paragraphe 4 de l’article premier. L’obligation de circonscrire dans le temps l’application des mesures prises suppose, comme au stade de la conception et de l’élaboration des mesures, un système permanent de suivi de leur application et d’évaluation des résultats à l’aide, selon qu’il conviendra, de méthodes d’évaluation qualitatives et quantitatives. Les États parties doivent également déterminer avec soin si la suppression soudaine de mesures spéciales est susceptible d’avoir des conséquences néfastes pour la jouissance des droits de l’homme des communautés bénéficiaires, en particulier si ces mesures sont en vigueur depuis longtemps.

V.Recommandations concernant l’élaboration de rapports par les États parties

36.Les présentes orientations sur le contenu des rapports confirment et enrichissent les conseils fournis aux États parties dans les directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, englobant le document de base commun et les rapports pour chaque instrument (HRI/MC/2006/3) et les directives sur l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale que doivent présenter les États parties conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention (CERD/C/2007/1).

37.Les États parties sont invités à décrire dans leurs rapports les mesures spéciales prises en relation avec chaque article de la Convention auquel elles se rapportent. Ils sont également invités à fournir, le cas échéant, des renseignements sur:

La terminologie employée pour décrire les mesures spéciales prises, au sens de la Convention;

Les raisons pour lesquelles des mesures spéciales ont été adoptées, y compris des statistiques et d’autres données pertinentes sur la situation générale des bénéficiaires, une brève explication de la façon dont les inégalités auxquelles il est prévu de remédier sont survenues, et les résultats attendus de l’application de mesures;

Les bénéficiaires visés par les mesures;

L’ampleur des consultations tenues en vue de l’adoption des mesures, y compris les consultations avec les bénéficiaires visés et avec la société civile en général;

La nature des mesures et la façon dont elles contribuent au progrès, au développement et à la protection des groupes et individus concernés;

Les domaines d’action ou les secteurs dans lesquels des mesures spéciales ont été adoptées;

Lorsque cela est possible, la durée prévue des mesures;

Les institutions de l’État responsables de la mise en œuvre des mesures;

Les mécanismes en place pour assurer le suivi et l’évaluation des mesures;

La participation des groupes et individus visés aux institutions chargées de la mise en œuvre des mesures et aux mécanismes de suivi et d’évaluation;

Les résultats, provisoires ou autres, de l’application des mesures;

Les plans envisagés pour l’adoption de nouvelles mesures et les raisons pour lesquelles ces nouvelles mesures s’imposent;

Les raisons pour lesquelles des mesures ne sont pas prises alors que certaines situations semblent justifier leur adoption.

38.Lorsqu’ils maintiennent une réserve aux dispositions de la Convention relatives aux mesures spéciales, les États parties sont invités à expliquer pourquoi ils jugent la réserve nécessaire, à fournir des renseignements sur la nature et la portée de la réserve et ses effets précis sur la législation et la politique nationales, et à indiquer s’il est prévu de limiter les effets de la réserve ou de la retirer selon un calendrier précis. Au cas où ils auraient adopté des mesures spéciales en dépit de leur réserve, les États parties sont invités à fournir des renseignements sur ces mesures conformément aux recommandations figurant au paragraphe 37 ci-dessus.