Nations Unies

CAT/C/50/D/463/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 juillet 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 463/2011

Décision adoptée par le Comité à sa cinquantième session(6-31 mai 2013)

Communication p résentée par:

D. Y. (représenté par un conseil, Eva Rimsten,de la Croix-Rouge suédoise)

Au nom de:

D. Y.

État partie:

Suède

Date de la requête:

30 mai 2011 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

21 mai 2013

Objet:

Expulsion du requérant vers l’Ouzbékistan

Questions de procédure:

-

Questions de fond:

Risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquantième session)

concernant la

Communication no 463/2011

Présentée par:

D. Y. (représenté par Eva Rimsten, de la Croix-Rouge suédoise)

Au nom de:

D. Y.

État partie:

Suède

Date de la requête:

30 mai 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 mai 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 463/2011, présentée par Eva Rimsten au nom de D. Y. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est D. Y., de nationalité ouzbèke, né le 22 février 1981; il réside actuellement en Suède. Il affirme que son renvoi en Ouzbékistan par la Suède violerait l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Eva Rimsten (de la Croix-Rouge suédoise).

1.2En vertu de l’article 114 de son règlement intérieur, le 10 juin 2011, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Ouzbékistan tant que sa requête était à l’examen. Comme suite à cette demande, le 13 juin 2011, l’Office des migrations a décidé de surseoir à l’exécution de la décision d’expulsion du requérant.

Exposé des faits

2.1Au début de l’année 2004, le requérant a commencé son service militaire au sein des Forces aériennes, en tant que garde (le grade le plus bas). En mai 2005, ordre a été donné à son unité d’aller à Andijan (Andizjan ou Andijon) pour réprimer une violente manifestation en cours. Dès son arrivée sur les lieux, le requérant a reçu l’ordre de tirer sur les manifestants. Lui et d’autres soldats ont refusé d’obéir, parce que la plupart des manifestants étaient des femmes et des enfants, et n’ont pas fait usage de leurs armes. Voyant cela, leur supérieur les a menacés de son pistolet. De retour à sa garnison, plus tard dans la journée, il a été arrêté par la police et emmené dans une prison militaire à Gubah. Il a été accusé de désobéissance aux ordres et de perfidie contre l’État. En prison, il a été agressé et insulté.

2.2En août 2005, le requérant a été libéré moyennant l’obligation de se présenter au commissariat de police deux fois par jour, même en cas de maladie. Lorsqu’il se présentait à la police, il était souvent frappé et menacé par les agents. En octobre 2005, des inconnus sont venus chez le requérant, l’un d’entre eux a présenté sa carte de policier et l’a emmené à un poste de police où il a été interrogé sur les événements d’Andijan. Il est resté enfermé dans le sous-sol du poste de police pendant trois jours, durant lesquels il a été frappé et insulté à plusieurs reprises. Le troisième jour, il a été transféré dans une prison à Kashkadarya. Il a été condamné à trois ans de prison par un tribunal militaire, sans véritable procès et sans avoir eu l’assistance d’un défenseur. Il n’a jamais reçu copie du jugement. Durant son incarcération, il a été aussi battu et menacé par le personnel pénitentiaire. Au bout de la première année, il a été forcé de signer divers documents. Libéré en juin 2008, il a reçu l’ordre de se présenter tous les jours à la police et de ne pas voyager. Chaque fois qu’il se présentait à la police, il était insulté et humilié par les agents.

2.3En décembre 2008, le requérant a quitté l’Ouzbékistan pour le Kazakhstan, en empruntant des itinéraires clandestins et en soudoyant une personne pour échapper aux contrôles frontaliers. Quelques jours après son départ, la police est venue à son domicile et a menacé sa femme d’emprisonnement et de torture. Les policiers ont emporté le passeport de sa femme, les certificats de naissance de ses enfants et le certificat de mariage du couple. Le 5 ou le 6 janvier 2009, sa femme a également quitté l’Ouzbékistan avec leurs deux enfants et a rejoint l’auteur au Kazakhstan. Le requérant et sa femme ont laissé leurs enfants sous la garde d’un cousin de celle-ci au Kazakhstan et se sont rendus à Saint‑Pétersbourg, en Fédération de Russie, puis en Suède par bateau, avec de faux passeports russes. À leur arrivée en Suède le 19 janvier 2009, le requérant, sous la fausse identité de J. B. M., et sa femme ont présenté une demande d’asile. Après avoir expliqué aux autorités ce qu’ils avaient subi dans leur pays d’origine, ils ont affirmé qu’ils ne pouvaient pas retourner en Ouzbékistan parce qu’ils risquaient d’être emprisonnés ou tués, l’auteur, parce qu’il avait enfreint son obligation de se présenter à la police et de ne pas voyager, et sa femme, parce qu’elle n’avait pas respecté la promesse faite à la police de révéler le lieu de résidence de son mari. Il a présenté des certificats de naissance comme preuve de son identité sous le nom de J. B. M. Aucun autre document d’identité ou étayant son grief n’a été produit à l’appui de leur demande d’asile.

2.4Le 5 juin 2009, l’Office suédois des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant, au motif que le récit établi dans la demande d’asile était vague et ne mentionnait aucune forme de persécution pour des motifs fondés sur la race, la nationalité, le groupe social, la religion ou des convictions politiques, par les autorités du pays d’origine, et qu’il n’y avait aucune raison de croire que le requérant et sa femme seraient menacés de sanctions plus lourdes que celles encourues par quiconque ayant commis une infraction. L’Office a en outre noté que le requérant n’avait pas pu fournir de documents d’identité ni produire des éléments de preuve écrits afin d’établir qu’il avait été condamné à trois ans de prison et soumis à des restrictions de voyage ou à l’obligation de se présenter à la police. Sans mettre en doute l’origine ouzbèke du requérant et de sa femme, l’Office a conclu que les raisons avancées pour justifier cette absence de preuves étaient contradictoires et improbables et, partant, n’étaient guère crédibles.

2.5Selon la décision de l’Office des migrations, le requérant avait fait des déclarations contradictoires au sujet de ses documents d’identité. Dans l’exposé présenté par l’intermédiaire de son conseil, il avait déclaré que son passeport, son livret militaire et son permis de conduire avaient été saisis par la police. Or, lors de l’audition devant l’Office des migrations, lui et sa femme ont dit avoir demandé à leurs parents de leur envoyer le permis de conduire du requérant et le diplôme de sa femme afin de prouver leur identité. Le requérant est aussi revenu sur une partie de sa déclaration concernant la manifestation d’Andijan et le lieu où se trouvait son régiment, tandis que sa femme a dit ne pas se souvenir de l’itinéraire qu’elle avait emprunté pour se rendre au Kazakhstan, tout en affirmant qu’elle n’avait pas de passeport et qu’elle avait reçu des instructions de son mari. L’Office des migrations a conclu qu’il n’existait aucune preuve qu’ils seraient soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’ils retournaient en Ouzbékistan et a émis une ordonnance de renvoi du requérant et de sa femme, conformément à l’article 7 du chapitre 8 de la loi sur les étrangers (2005:716).

2.6Le requérant a fait appel de cette décision devant le Tribunal des migrations. À l’appui de son recours, il a affirmé avoir présenté sa demande d’asile sous une fausse identité (J. B. M.) parce qu’il craignait pour sa sécurité, et déclaré s’appeler en réalité D. Y. et être né le 22 février 1981. Il a produit une carte d’étudiant et un livret militaire comme preuves de sa véritable identité et a confirmé que tous les autres renseignements donnés étaient exacts. Il a en outre déclaré avoir eu deux passeports; le premier avait été pris par les autorités militaires lorsqu’il avait été appelé au service militaire. Il avait obtenu le second après son mariage, en versant un pot-de-vin. Bien que la police lui ait pris ses deux passeports, il avait réussi, en versant un pot-de-vin, à faire renouveler le second en 2006, après avoir signalé sa perte.

2.7Le 1er juin 2010, le Tribunal a tenu une audience sur l’affaire. Le requérant a répété ses précédentes allégations et réaffirmé que les autorités avaient saisi ses documents personnels, notamment d’identité. Cependant, il avait réussi à cacher le livret militaire qu’il avait ensuite remis aux autorités suédoises de l’immigration. Il n’avait pas révélé sa véritable identité aux autorités suédoises parce qu’il craignait que les services ouzbeks de la sécurité ne le recherchent aussi en Suède. Les documents d’identité et le diplôme présentés précédemment aux autorités suédoises appartenaient à quelqu’un d’autre. Il a affirmé qu’en cas de renvoi en Ouzbékistan, il serait placé en détention, sanctionné et maltraité plus violemment encore que précédemment, et qu’il serait condamné à la prison à vie pour s’être rendu à l’étranger. Il a ajouté que ses enfants étaient retournés en Ouzbékistan et vivaient avec ses parents. Lorsqu’il les appelait au téléphone, ils ne parlaient pas plus de trois à quatre minutes, car la communication risquait d’être interceptée. La police venait deux fois par semaine chez ses parents pour demander où il se trouvait. Il a aussi affirmé souffrir de troubles rénaux consécutifs aux tortures qu’il avait subies.

2.8Le 14 juin 2010, le Tribunal des migrations a débouté le requérant, ordonné son expulsion de Suède et prononcé une interdiction de deux ans de retour en Suède sans l’autorisation de l’Office des migrations. Le Tribunal a noté que la photographie du livret militaire ne ressemblait pas au requérant et que celui-ci ne pouvait pas expliquer pourquoi le livret comportait une photographie de lui à l’âge de 18ans et non à l’âge qu’il avait au début de son service militaire. Il n’avait donc pas prouvé sa nouvelle identité. Le Tribunal a aussi souligné qu’il n’avait produit aucune preuve écrite et que son exposé était vague et émaillé de contradictions. S’agissant des événements qui s’étaient produits à Andijan le 13 mai 2005, le requérant n’avait pas pu donner de précisions sur l’existence de barrages routiers, ni citer le nom de lieux, comme la place Babur, où se trouvaient les manifestants, et son affirmation selon laquelle des hélicoptères et des avions auraient fait feu sur les manifestants n’était confirmée par aucun rapport sur le pays. De plus, il n’était pas plausible que le requérant ait pu se voir délivrer un nouveau passeport en 2006, alors qu’il était incarcéré. De plus, il avait donné des informations contradictoires sur sa condamnation. Dans sa lettre initiale, il avait déclaré qu’il avait été condamné à trois ans de prison sans avoir été jugé ni défendu, mais ensuite, devant le Tribunal, il avait dit avoir été condamné «behind closed doors» («à huis clos»). Ses allégations manquaient donc de crédibilité; il n’avait pas non plus pu établir la probabilité d’un risque de persécution, de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants s’il retournait enOuzbékistan. Le 16 août 2010, la décision d’expulser le requérant est devenue exécutoire.

2.9Le 8 novembre 2010, un médecin de la Croix-Rouge suédoise a examiné le requérant conformément aux Principes relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits (Protocole d’Istanbul) et a constaté des marques de coups de pied et de poing et de coupures de rasoir à l’intérieur du bras gauche, de brûlures provoquées par la flamme d’un briquet sur la hanche gauche et à l’arrière de la jambe droite, et de coups de matraque àl’arrière des jambes, des cicatrices sur la fesse gauche pouvant avoir été causées par un petit instrument perforant, des brûlures causées par des gouttes de plastique brûlant à l’arrière du pied droit, et une fracture à un doigt due à un coup de pied. Le rapport concluait que l’intéressé avait subi des tortures ou des violences physiques. Selon le rapport psychiatrique délivré le 10 février 2011, l’auteur souffrait de troubles post-traumatiques et de dépression consécutifs aux tortures qu’il avait subies, et présentait un risque élevé desuicide.

2.10Le 14 février 2011, le requérant a soumis une demande à l’Office des migrations, dans laquelle il invoquait l’existence de circonstances nouvelles permettant raisonnablement de croire qu’il risquait d’être torturé en cas de retour en Ouzbékistan. Il a produit les rapports médicaux de la Croix-Rouge suédoise etfait valoir qu’il ne s’était pas rendu compte, durant la procédure de demande d’asile, qu’il était important d’apporter la preuve des tortures subies, et que ni l’Office des migrations ni le Tribunal des migrations n’avaient demandé s’il avait subi des tortures en prison. Il a aussi affirmé avoir craint que l’interprète qui l’assistait durant les auditions ne rapporte ses déclarations aux autorités ouzbèkes. Il a dit que les autorités ouzbèkes infiltraient les administrations chargées des procédures d’asile en Europe occidentale afin d’exercer un contrôle sur les Ouzbeks demandeurs d’asile. Il a fait allusion à un rapport de l’Office suédois des migrations, de juin 2010, sur la situation en Ouzbékistan, d’où il ressortait que le recours à la torture y était généralisé; qu’entre 2008 et 2009, neuf participants aux événements d’Andijan étaient décédés des suites de tortures et que, manifestement, toute personne ayant un lien avec les événements d’Andijan pouvait être exposée à un tel risque.

2.11Le 14 mars 2011, l’Office des migrations a décidé de ne pas réexaminer la demande du requérant. Il a considéré que les motifs invoqués par celui-ci ne constituaient pas, par leur nature ou leur ampleur, un empêchement à l’exécution de la décision d’expulsion prise en application de l’article 18 du chapitre 12 de la loi suédoise sur les étrangers. L’Office a estimé que les circonstances nouvelles invoquées dans la nouvelle demande avaient déjà été examinées par lui-même et par le Tribunal des migrations. Aucune circonstance nouvelle relative aux besoins de protection du requérant n’avait été invoquée et, en conséquence, rien ne justifiait un réexamen de la question. Le requérant a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal des migrations.

2.12Le 7 avril 2011, le Tribunal des migrations a rejeté le recours. Il a constaté que les allégations du requérant selon lesquelles il avait subi de graves sévices en prison avaient déjà été examinées et que ses nouveaux griefs de torture ne faisaient qu’apporter des modifications ou compléter sa demande précédente. Ses allégations, selon lesquelles il était recherché par la police et son père risquait d’être arrêté, étaient certes nouvelles, mais n’étaient étayées par aucun élément de preuve écrit. Le requérant a présenté une demande d’autorisation de faire appel devant la Cour d’appel des migrations, en faisant valoir qu’il avait produit de nouvelles pièces pertinentes attestant qu’il avait subi des tortures. La Cour d’appel des migrations a rejeté sa demande en avril 2011. Le requérant affirme que, tous les recours internes ayant été épuisés, la décision d’expulsion pouvait être exécutée à tout moment.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que l’État partie n’a pas évalué correctement le risque auquel il serait exposé. Il courrait personnellement le risque d’être persécuté et torturé, s’il était renvoyé en Ouzbékistan; il y aurait donc violation de l’article 3 de la Convention.

3.2Il soutient qu’il a été incarcéré, humilié et torturé au motif de son refus de tirer sur les manifestants. Il a été libéré, mais sa libération a été assortie d’une obligation de se présenter tous les jours au commissariat de police et de l’interdiction de voyager. Lorsqu’il se présentait à la police, il était humilié et insulté. Il a quitté son pays d’origine par crainte d’être de nouveau emprisonné et torturé. En cas de renvoi, il serait poursuivi pour trahison et risquait d’être condamné à la réclusion à perpétuité pour s’être rendu à l’étranger sans autorisation. Après son départ, sa femme a été harcelée par la police, et menacée d’arrestation et de torture. Actuellement, la police continue de se rendre au domicile de ses parents et tente de contraindre son père à indiquer où il se trouve.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 12 décembre 2011, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond et a prié le Comité de déclarer la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention. L’État partie reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

4.2L’État partie dit que les résumés fournis par le requérant de la décision de l’Office des migrations et du jugement du Tribunal des migrations, initialement rédigés en suédois, étaient d’une qualité insuffisante et ne contenaient pas certains passages importants. C’est pourquoi il joint à ses observations une traduction de la décision et du jugement précités.

4.3Les renseignements fournis au Comité sur le lieu où le requérant et son unité ont reçu l’ordre d’ouvrir le feu n’ont pas été soumis à l’Office des migrations. Ils n’ont été donnés qu’à l’audience du Tribunal des migrations, soit relativement tardivement dans la procédure d’asile. De même, dans sa requête devant le Comité, le requérant affirme avoir été soumis à un traitement dégradant, et avoir été humilié, frappé et menacé par les gardiens durant son incarcération à la prison de Kashkadarya. Or, dans son exposé écrit soumis à l’Office des migrations, ilmentionne seulement les coups qu’il aurait subis durant cette période.

4.4L’État partie fait valoir que, s’il décide que la communication est recevable, le Comité aura, sur le fond, à déterminer si l’expulsion du requérant constituerait un manquement à l’obligation qui incombe à la Suède en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

4.5S’agissant de la situation générale des droits de l’homme en Ouzbékistan, l’État partie soutient que, l’Ouzbékistan étant partie à la Convention depuis 1995, on peut supposer que le Comité est bien informé de ce qui se passe dans cet État partie. Selon des rapports publiés par d’autres États, il est évident que, d’une manière générale, la situation des droits de l’homme y est problématique. L’État partie souligne en outre que, selon le Directeur général des affaires juridiques de l’Office suédois des migrations, pour apprécier les risques courus par des requérants appartenant à certains groupes d’Ouzbékistan qui sont particulièrement menacés de persécution, comme les personnes liées d’une manière ou d’une autre aux événements d’Andijan, il convient de procéder avec une grande prudence. L’examen doit cependant, comme toujours, porter aussi sur la question de savoir si le requérant a présenté une demande d’asile crédible.

4.6L’État partie explique qu’il ne veut pas sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme en Ouzbékistan, mais que les circonstances décrites dans les rapports susmentionnés ne suffisent pas, en soi, pour établir que le retour forcé du requérant en Ouzbékistan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention exige que la personne concernée coure un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays vers lequel elle va être expulsée, et que le risque de torture soit évalué en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, même s’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque encouru est hautement probable.

4.7Les autorités et les tribunaux suédois compétents en matière de migration appliquent le même critère pour apprécier le risque de torture lorsqu’ils examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi, que celui que le Comité applique lorsqu’il examine ultérieurement une communication en vertu de la Convention. Les autorités nationales sont très bien placées pour apprécier les informations fournies par le demandeur d’asile ainsi que ses déclarations et revendications, parce qu’elles ont l’avantage d’être en contact direct avec l’intéressé. Il convient d’accorder un poids considérable à l’appréciation faite par les autorités suédoises compétentes en matière de migration.

4.8Concernant l’appréciation de la crédibilité des déclarations du requérant, l’État partie s’appuie principalement sur le raisonnement exposé dans la décision de l’Office des migrations, en date du 5 juin 2009, et dans le jugement du Tribunal des migrations, en date du 14 juin 2010. Il souligne en outre que le requérant a d’abord soumis sa demande d’asile sous l’identité de J. B. M. avec, à l’appui, des documents qui se sont révélés faux. Ensuite, devant le Tribunal des migrations, il a affirmé s’appeler en réalité D. Y. et a produit une copie de son passeport, une copie de son certificat de naissance, l’original de son permis de conduire et un livret militaire. Il n’a cependant pas pu expliquer de manière sensée comment il avait pu obtenir un passeport en 2006, alors qu’il était en prison, étant donné, de plus, qu’il était sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire. Il n’a pas pu non plus expliquer comment il avait obtenu son second passeport en 2003 lorsqu’il s’était marié, la délivrance des passeports n’ayant aucun lien avec le mariage en Ouzbékistan. Tous ces éléments constituent des motifs suffisants pour mettre en doute sa crédibilité, d’une manière générale, ainsi que l’exactitude de son identité et la véracité de ses allégations à d’autres égards.

4.9Selon le certificat médical délivré par un médecin de la Croix-Rouge suédoise le 8 novembre 2010, les lésions et cicatrices présentées par le requérant peuvent avoir été causées par les actes qu’il prétend avoir subis. Il n’est pas possible de tirer des conclusions certaines quant à la cause des lésions que présente le requérant, et leur valeur probante doit être considérée comme faible. De même, le certificat médical indiquant qu’il souffre de troubles post-traumatiques ne saurait être déterminant quant à ses allégations.

4.10Le requérant n’a produit aucun document pour étayer son allégation selon laquelle il aurait été condamné pour avoir enfreint la loi militaire. Il n’a pas non plus fourni de documents concernant l’interdiction de voyager et l’obligation de contrôle qui lui auraient été imposées. Selon ses dires, il aurait été en possession d’un document attestant qu’il était placé sous contrôle, mais aurait remis ledit document aux autorités locales en se présentant à la police. L’État partie trouve étonnant qu’il n’ait pas pu préciser la teneur de ce document lors des auditions.

4.11Pendant la procédure d’asile, le requérant a donné des renseignements vagues ou contradictoires à propos des événements d’Andijan. Au cours de la première audition par l’Office des migrations, il n’a pas mentionné sa participation à ces événements. Ensuite, il a dit aux autorités que son régiment était caserné à 500 ou 600 mètres d’Andijan, que les manifestants s’étaient rassemblés près de son régiment, et qu’il y avait une prison dans les environs. Plus tard, il est revenu sur sa déclaration et a dit qu’il fallait de quarante minutes à une heure environ pour se rendre du lieu où se trouvait son régiment à celui où avait lieu la manifestation. Il n’a mentionné clairement le fait que la manifestation se déroulait au centre d’Andijan qu’à l’audience devant le Tribunal des migrations. De plus, il a été incapable de citer le nom des principaux lieux où s’était déroulée la manifestation, et aucun rapport n’a confirmé l’attaque qui, selon lui, aurait été menée contre les manifestants à partir d’hélicoptères et d’avions militaires. Son exposé des faits étant vague et inexact, il n’est pas parvenu à établir de façon crédible qu’il était présent lors des événements d’Andijan.

4.12Le requérant a aussi modifié ses déclarations concernant son procès. Lors de la seconde audition devant l’Office des migrations, il a dit avoir été incarcéré alors qu’il n’y avait pas eu de procès et qu’il n’avait pas eu d’avocat pour le défendre. À l’audience du Tribunal des migrations, il a dit qu’il y avait bien eu un procès mais à huis clos.

4.13Devant l’Office des migrations, le requérant a soutenu qu’il avait été physiquement maltraité par les gardiens de la prison de Kashkadarya, alors qu’à l’audience devant le Tribunal des migrations, il a affirmé que les gardiens l’avaient torturé en utilisant des chaises et des bouteilles. De même, dans son exposé écrit présenté à l’Office des migrations, il a indiqué avoir à quelques occasions été maltraité physiquement, menacé et humilié par la police lorsqu’il s’acquittait de son obligation de se présenter au commissariat; or, à l’audience du Tribunal, il a déclaré avoir été harcelé et humilié chaque fois qu’il se présentait aux autorités de police. Ainsi, au fil de la procédure, le requérant a décrit dans des termes de plus en plus forts le traitement auquel il aurait été soumis. Ce fait entame la crédibilité de ses allégations à cet égard.

4.14Compte tenu de ce qui précède et des incohérences et contradictions figurant dans les déclarations du requérant aux autorités de l’État partie, ainsi que du flou entourant des éléments essentiels de sa demande d’asile et du fait qu’il a produit de faux documents concernant son identité, on ne saurait conclure que l’auteur courrait le risque de subir un traitement contraire à la Convention en cas de renvoi en Ouzbékistan.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 15 février 2012, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Il souligne qu’il existe un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme en Ouzbékistan. Le risque de subir des tortures en cas d’arrestation ou de détention y est considérable. Il est courant que les agents de la sécurité ou la police frappent ou maltraitent des détenus pour obtenir des aveux ou des éléments à charge. Selon Human Rights Watch, le Gouvernement continue de refuser d’ouvrir une enquête sur les événements de 2005 à Andijan et de poursuivre les responsables. Les autorités persécutent toute personne qu’elles soupçonnent d’avoir participé aux événements ou d’avoir été témoin des atrocités commises. Le 30 avril 2011, Mme D. A., une réfugiée d’Andijan revenue en Ouzbékistan en janvier 2010, a été condamnée à dix ans et deux mois de prison pour franchissement illégal de la frontière et activités anticonstitutionnelles malgré les assurances données à sa famille qu’il ne lui serait fait aucun mal si elle rentrait au pays. Les personnes qui sont renvoyées en Ouzbékistan et traduites en justice sont placées au secret, ce qui augmente le risque de torture ou d’autres mauvais traitements, et leur procès est inéquitable. De plus, les autorités ouzbèkes appliquent le «système des mahallas» dans lequel les communautés locales sont chargées de contrôler et d’identifier pour la police les personnes qui paraissent suspectes, en particulier s’il s’agit de détenus amnistiés ou de parents d’individus incarcérés pour leur prétendu extrémisme.

5.3Le requérant conteste l’argument de l’État partie selon lequel, au moment de l’examen de sa demande d’asile, il a appliqué le critère prévu par la Convention. L’Office et le Tribunal des migrations ont essentiellement axé leur examen sur le seul fait qu’il avait présenté de faux documents d’identité à son arrivée en Suède. Il soutient qu’une fausse déclaration de sa part ne justifie pas le refus du statut de réfugié et qu’il incombe aux autorités d’évaluer cette déclaration à la lumière de toutes les circonstances.

5.4Les autorités de l’État partie auraient dû tenir compte de la brièveté de la première audition devant les autorités compétentes en matière de migration et du fait que le requérant n’avait pas de conseil. Par contre, lors de la seconde audition, le 17 avril 2009, le requérant, qui avait alors un conseil, a répondu de façon précise à toutes les questions et a clairement exposé ce qui s’était passé à Andijan. Il a dit à l’agent chargé de l’interroger qu’il avait été torturé en prison. Il a aussi affirmé avoir été frappé et maltraité. C’est pourquoi l’agent aurait dû lui demander de préciser ses allégations, d’autant plus qu’il venait d’un pays où se produisent de graves violations des droits de l’homme.

5.5Le requérant a aussi indiqué qu’il craignait que l’interprète soit un espion du Service ouzbek de la sécurité, vu que plusieurs rapports confirment que ce service est très actif dans les pays où se trouvent des demandeurs d’asile ouzbeks. Cette crainte explique aussi pourquoi le requérant a demandé l’asile sous un faux nom. L’appréciation de sa crédibilité par l’État partie s’appuie néanmoins sur le seul fait qu’il a présenté de faux documents à son arrivée en Suède.

5.6En ce qui concerne son récit des événements d’Andijan, il conteste la position de l’État partie selon laquelle il aurait donné des renseignements vagues et contradictoires. Il ressort clairement du procès-verbal de la seconde audience, en date du 17 avril 2009, que le malentendu de départ a ensuite été dissipé pendant l’audience, lorsqu’il a dit aux autorités que le régiment se trouvait à une distance estimée à quarante à soixante minutes de route d’Andijan. La même information a été donnée lors des audiences du Tribunal des migrations. Il a aussi répondu avec précision aux questions posées au sujet des événements d’Andijan à partir de ce qu’il avait vu et de ce qui se passait autour de lui. Il n’est pas d’Andijan, ce qui explique pourquoi il ne connaît pas le nom des rues.

5.7L’argument de l’État partie selon lequel, lors des événements d’Andijan, il n’y avait pas eu de tirs à partir d’hélicoptères et d’avions militaires, est contredit par un article publié sur BBC News le 17 mai 2005, rapportant les déclarations de certaines personnes qui auraient été visées par des tirs provenant d’hélicoptères.

5.8S’agissant des informations contradictoires données par le requérant sur la façon dont il a été incarcéré et le fait de savoir s’il y avait eu un procès, il soutient que les divergences entre les déclarations qu’il a faites à la seconde audition à l’Office des migrations, le 17 avril 2009, et les informations qu’il a données à l’audience du Tribunal s’expliquent par son faible niveau d’éducation et son manque de connaissances juridiques.

5.9Les renseignements donnés sur les événements d’Andijan et la situation du requérant auraient dû suffire aux agents de l’Office des migrations pour lui poser d’autres questions en cas de doute sur ses déclarations.

5.10Le certificat médical délivré par un médecin de la Croix-Rouge suédoise renforce la probabilité que l’origine des lésions et des cicatrices constatées sur le corps du requérant corresponde bien aux causes décrites dans ses allégations. Le requérant a établi la probabilité de sa présence lors des événements d’Andijan, de sa condamnation à une peine de prison, et du fait qu’il a été torturé pendant sa détention en Ouzbékistan. Compte tenu des rapports indiquant que quiconque ayant un lien avec les événements d’Andijan est fondé à craindre d’être victime de persécution ou de subir un mauvais sort s’il retourne en Ouzbékistan, le requérant affirme que l’État partie n’a pas évalué correctement les graves risques qu’il courrait personnellement en cas de renvoi, en violation de l’article 3 de la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie et commentaires de l’auteur

6.1Le 5 décembre 2012, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête.

6.2L’État partie rappelle ses observations précédentes et fait valoir qu’il a aussi pris en compte les rapports des organisations non gouvernementales et des États sur la détérioration de la situation relative aux droits de l’homme en Ouzbékistan, dont fait mention le requérant. Malgré le bilan de l’Ouzbékistan en matière de droits de l’homme, ces rapports ne suffisent pas en soi à établir que son renvoi dans son pays d’origine exposerait le requérant à un risque d’être soumis à la torture, et qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention.

6.3Lorsqu’il a reçu la demande d’asile du requérant en 2009, l’Office des migrations a indiqué à celui-ci qu’il était important qu’il donne des preuves de son identité. Néanmoins, en août 2009, soit plusieurs mois après son arrivée sur le territoire de l’État partie, l’intéressé a présenté des faux documents d’identité et ce n’est qu’en avril 2010 qu’il a présenté des documents attestant d’une autre identité. L’État partie souligne également que le requérant n’a pas fait de commentaires sur l’authenticité de ces documents, et qu’il n’a pas expliqué comment il avait pu obtenir un nouveau passeport délivré en 2006 alors que, selon ses dires, il se trouvait alors en prison. Il n’a pas expliqué non plus comment il était parvenu à fournir aux autorités de l’immigration une copie de son passeport en avril 2010. Le requérant n’a toujours pas apporté de preuves de son identité.

6.4La description faite par le requérant des événements qui se sont produits à Andijan et du temps qu’il a passé en prison n’est pas assez détaillée et est fondée sur des renseignements auxquels le public a accès par la presse internationale. Ses commentaires au Comité n’étayent pas les raisons pour lesquelles les autorités ouzbèkes s’intéresseraient à lui du fait de son éventuelle participation aux événements d’Andijan. L’Office et le Tribunal des migrations ont rencontré le requérant et l’ont longuement entendu. Mais le caractère vague de son récit les a amenés à la conclusion que ses allégations n’étaient pas suffisamment étayées. Rien n’indique que les décisions des autorités de l’immigration ont été infondées ou arbitraires.

6.5L’État partie ne conteste pas le fait que le requérant a subi des mauvais traitements, comme l’indiquent les rapports médicaux. Néanmoins, le requérant n’a pas étayé son allégation selon laquelle il a pris part aux événements d’Andijan et il n’a présenté aucun motif pour lequel les autorités ouzbèkes s’intéresseraient à lui s’il était renvoyé en Ouzbékistan.

7.1Le 9 janvier 2013, le requérant a présenté d’autres commentaires au Comité; il affirme qu’à l’audience du Tribunal des migrations, il a dit aux autorités qu’il avait deux passeports. Le premier avait été pris par les autorités lorsqu’il avait été appelé au service militaire. Il avait obtenu le second juste après son mariage, en versant un pot‑de‑vin. Il avait réussi à faire renouveler le second en 2006, moyennant un pot-de-vin, en signalant sa perte. Avec l’aide d’amis, il avait ensuite réussi à cacher le livret militaire au moment de son arrestation. Il avait fini par informer les autorités suédoises que les autorités ouzbèkes étaient en possession des originaux de ses deux passeports.

7.2Il fait valoir qu’il a été établi qu’il souffrait de troubles post-traumatiques, que les victimes de la torture, qui souffrent de tels troubles, se souviennent rarement de tous les détails et de toutes les circonstances de leur affaire, et que ceci peut expliquer pourquoi il avait une telle peur des autorités de l’immigration et qu’il ne faisait pas confiance aux interprètes qui l’assistaient durant les auditions.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que les recours internes avaient été épuisés.

8.3L’État partie affirme que la requête est irrecevable car manifestement dénuée de fondement. Le Comité considère toutefois que les arguments présentés par le requérant soulèvent des questions importantes qui devraient être examinées au fond. Comme il n’y a pas d’obstacle à la recevabilité de la communication, il la déclare recevable.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Ouzbékistan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.3Concernant l’affirmation du requérant selon laquelle il risque l’emprisonnement en Ouzbékistan et la détention entraînerait inévitablement des mauvais traitements et de la torture, ainsi qu’il en a fait l’expérience lors de son incarcération entre 2005 et 2008, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour dans son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable», le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Si, comme il l’indique dans son Observation générale, il est libre d’apprécier les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, le Comité rappelle qu’il n’est pas un organe juridictionnel de premier ou de second degré et qu’il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les organes de l’État partie concerné.

9.5En l’espèce, le Comité note les observations de l’État partie relatives à la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan ainsi que la conclusion du Tribunal et des autorités des migrations, qui affirment que les circonstances prévalant dans ce pays ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé du requérant en Ouzbékistan entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité a aussi exprimé sa préoccupation au sujet des événements survenus en mai 2005 à Andijan et du comportement des autorités après ces événements. Il rappelle qu’il a exprimé sa préoccupation au sujet des allégations nombreuses et cohérentes faisant état du recours systématique à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de la force publique et des enquêteurs, ou bien à leur instigation ou avec leur consentement, souvent dans le but d’extorquer des aveux ou des informations aux fins de l’action pénale.

9.6Le Comité relève que l’État partie a attiré l’attention sur des incohérences et contradictions, dans les récits du requérant et dans ses allégations, qui mettent en doute sa crédibilité, d’une manière générale, ainsi que l’exactitude de ses allégations. En particulier, le requérant a fourni une fausse identité et de faux documents à l’appui de sa demande d’asile initiale à l’Office des migrations et les pièces soumises au Tribunal des migrations en vue de prouver sa prétendue identité réelle étaient, elles aussi, peu fiables. Des doutes subsistent donc quant à sa véritable identité. D’après l’État partie, il n’a pas pu produire d’éléments de preuve écrits à l’appui de ses allégations selon lesquelles il avait été condamné à trois ans de prison, et soumis à l’interdiction de voyager et à l’obligation de se présenter à la police quotidiennement. Concernant les mauvais traitements qu’il aurait subis, ses déclarations ont varié au fil de la procédure, ne visant au début que des actes autres que des tortures. Il n’a pas pu fournir de détails suffisants sur les événements qui ont eu lieu en mai 2005 à Andijan et est revenu sur ses déclarations initiales concernant le lieu où se trouvait son régiment.

9.7Le Comité note aussi que le requérant conteste l’appréciation faite par l’État partie et prétend que s’il n’a donné sa véritable identité que devant le Tribunal des migrations, c’est par crainte que les services ouzbeks de la sécurité ne le retrouvent et exercent des représailles, et qu’il a fourni suffisamment de détails concernant les événements d’Andijan de mai 2005, sa participation, son incarcération et les tortures et mauvais traitements auxquels il a été soumis. Sa méconnaissance du droit, ses craintes à son arrivée en Suède, et le fait que les autorités compétentes ne lui ont pas posé de questions plus précises expliquent pourquoi il a dû préciser ou modifier ses déclarations initiales. Il affirme que le certificat médical délivré par la Croix-Rouge suédoise, ainsi que tous les renseignements qu’il a fournis, prouvent au-delà de tout doute raisonnable qu’il a été soumis à la torture enprison.

9.8Le Comité prend note des observations de l’État partie faisant valoir que le requérant a donné une fausse identité à l’Office des migrations et qu’ensuite, le Tribunal n’a pas pu avoir confirmation de sa prétendue véritable identité; que le requérant a modifié ses déclarations initiales à plusieurs reprises; qu’il a été incapable de fournir des renseignements élémentaires sur les événements d’Andijan, comme le nom de la place principale où s’était déroulée la manifestation; qu’il n’a produit aucun document concernant sa condamnation par un tribunal militaire et l’interdiction de voyager à laquelle il était soumis, et n’a pu donner une description de ces documents, et que ses allégations concernant des actes de torture étaient vagues et ne précisaient pas dans quelles circonstances ces tortures lui auraient été infligées. Même si, selon les rapports médicaux de la Croix-Rouge suédoise, le requérant présente des marques sur son corps qui pouvaient avoir été causées par la torture, et que les autorités procèdent avec une grande prudence pour évaluer les risques que courent les demandeurs d’asile appartenant à certains groupes en Ouzbékistan, notamment ceux ayant un lien quelconque avec les événements d’Andijan, le requérant n’a pas étayé ses allégations relatives à sa participation à ces événements, ni sa mise en détention, son procès ou encore sa condamnation. Le Comité observe que, malgré les allégations du requérant, ses enfants, après avoir fui avec sa femme au Kazakhstan, sont revenus en Ouzbékistan où ils vivent avec les parents du requérant, et que ce dernier n’a signalé aucun acte commis contre des membres de sa famille, à l’exception des questions posées par la police au sujet de son lieu de résidence. En conséquence, le Comité considère que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour établir qu’il courrait un risque réel de torture s’il était renvoyé en Ouzbékistan.

9.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que le requérant n’a pas établi que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention, qui pourrait amener le Comité à une conclusion différente de celle à laquelle sont parvenues les autorités de l’État partie compétentes en matière de migration, y compris les juridictions.

10.Dès lors, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant en Ouzbékistan par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]