Présentée par:

M. Ali Aqsar Bakhtiyari et Mme Roqaiha Bakhtiyari(représentés par un conseil, M. Nicholas Poynder)

Au nom de:

Les auteurs et leurs cinq enfants, Almadar, Mentazer, Neqeina, Sameina et Amina Bakhtiyari

État partie:

Australie

Date de la communication:

25 mars 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 86 et à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 mars 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 octobre 2003

Le 29 octobre 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1069/2002. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Soixante ‑dix ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1069/2002 *

Présentée par:

M. Ali Aqsar Bakhtiyari et Mme Roqaiha Bakhtiyari(représentés par un conseil, M. Nicholas Poynder)

Au nom de:

Les auteurs et leurs cinq enfants, Almadar, Mentazer, Neqeina, Sameina et Amina Bakhtiyari

État partie:

Australie

Date de la communication:

25 mars 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le29 octobre 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1069/2002, présentée par M. Bakhtiyari et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

CONSTATATIONS AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF

1.1Les auteurs de la communication, dont la première lettre était datée du 25 mars 2002, sont Ali Aqsar Bakhtiyari, qui se dit de nationalité afghane, né le 1er janvier 1957, sa femme Roqaiha Bakhtiyari, qui serait également de nationalité afghane, née en 1968, et leurs cinq enfants, Almadar Hoseen, Mentazer Medi, Neqeina Zahra, Sameina Zahra et Amina Zahra, qui seraient tous eux aussi de nationalité afghane, nés respectivement en 1989, 1991, 1993, 1995 et 1998. Quand il a envoyé sa communication, M. Bakhtiyari vivait à Sydney (Australie), tandis que sa femme et les enfants étaient retenus dans le centre de détention pour immigrants de Woomera, dans l’État d’Australie‑Méridionale. Les auteurs se déclarent victimes de violations par l’Australie de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 27 mars 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 du Règlement intérieur, de ne pas expulser Mme Bakhtiyari et ses enfants tant que le Comité n’aurait pas eu la possibilité d’examiner leurs griefs au regard du Pacte, au cas où le Ministre de l’immigration rejetterait la demande qu’ils ont déposée en octobre 2001 tendant à le prier de les autoriser, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à demeurer en Australie. À la suite du rejet de cette demande et ayant appris que Mme Bakhtiyari et ses enfants s’étaient adressés à la High Court (Cour suprême) d’Australie, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a modifié le 13 mai 2002 sa demande de ne pas procéder à l’expulsion, précisant que c’était au cas où la High Court rendrait une décision négative.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En mars 1998, M. Bakhtiyari, ayant fui l’Afghanistan, est allé au Pakistan où il a été rejoint plus tard par sa femme, leurs cinq enfants et le frère de sa femme. Il avait cru comprendre qu’on le conduirait en Allemagne mais il s’est retrouvé en Indonésie, d’où un passeur non identifié l’a fait entrer en Australie et a perdu ainsi le contact avec sa femme, ses enfants et son beau‑frère. Il est arrivé illégalement en Australie par bateau, le 22 octobre 1999. À l’arrivée, il a été placé en rétention dans un centre de détention pour immigrants à Port Hedland. Le 29 mai 2000, il a déposé une demande de visa de protection. Le 3 août 2000, il a reçu ce visa au motif de sa nationalité afghane et de son appartenance à l’ethnie hazara.

2.2Apparemment sans que M. Bakhtiyari le sache, ses enfants, sa femme et son beau‑frère ont plus tard été conduits par le même passeur en Australie, où ils sont arrivés illégalement par bateau, le 1er janvier 2001; ils ont été conduits dans le centre de détention pour immigrants de Woomera. Le 21 février 2001, ils ont demandé un visa de protection qui a été refusé, le 22 mai 2001, par un représentant du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones («le Ministre»), au motif que l’analyse de la langue qu’elle parlait donnait à penser que Mme Bakhtiyari était Pakistanaise et non pas Afghane comme elle le prétendait, et qu’elle ne pouvait pas répondre correctement aux questions qui lui étaient posées sur l’Afghanistan. Le 26 juillet 2001, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés («le RRT») a rejeté leur demande de réexamen de la décision de refus. Ce tribunal a reconnu que Mme Bakhtiyari était d’origine hazara mais n’était pas convaincu qu’elle était de nationalité afghane, qualifiant sa crédibilité de «remarquablement faible» et son témoignage d’«invraisemblable» et de «contradictoire».

2.3À un certain moment, après le mois de juillet 2001, M. Bakhtiyari a appris par un émigrant hazara remis en liberté après sa rétention dans le centre de Woomera que sa femme et ses enfants étaient arrivés en Australie et se trouvaient dans ce centre. Le 6 août 2001, le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones («le Département»), dans le cadre de la procédure de routine qui suit le rejet d’un recours par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, a procédé à une appréciation du dossier au regard des directives d’intérêt public du Département, qui prévoient la prise en considération des obligations internationales, notamment de celles qui découlent du Pacte. Le Département a conclu que Mme Bakhtiyari et les enfants ne répondaient pas aux critères énoncés dans les directives. En octobre 2001, Mme Bakhtiyari a demandé au Ministre de l’immigration d’exercer le pouvoir discrétionnaire à lui conféré par l’article 417 de la loi sur les migrations et de prendre, dans l’intérêt public, une décision plus favorable que celle du RRT, au motif de ses liens de famille avec M. Bakhtiyari.

2.4Le 26 janvier 2002, il s’est produit un incident dont les journaux se sont largement fait l’écho: dans le centre de détention de Woomera, le frère de Mme Bakhtiyari s’est délibérément infligé des blessures, afin d’appeler l’attention sur la situation de Mme Bakhtiyari et des enfants. Le 25 mars 2002, la communication a été adressée au Comité des droits de l’homme.

2.5Le 2 avril 2002, le Ministre a rendu sa décision, refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Bakhtiyari. Le 8 avril 2002, une demande a été faite auprès de la High Court d’Australie, exerçant en tant que juridiction du premier degré sa compétence constitutionnelle de contrôle des décisions prises par les autorités de l’État. Cette requête contestait i) la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, au motif que celui‑ci aurait dû savoir que M. Bakhtiyari était en Australie, au bénéfice d’un visa de protection, et ii) la décision du Ministre dans l’exercice du pouvoir conféré par l’article 417 de la loi sur les migrations. La demande visait à obtenir que la Cour enjoigne au Ministre d’accorder un visa à Mme Bakhtiyari et aux enfants, puisque M. Bakhtiyari en avait déjà un.

2.6Le 12 avril 2002, ayant appris que M. Bakhtiyari n’était pas un paysan afghan, comme il l’avait affirmé, mais était plombier et électricien à Quetta (Pakistan), le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones («le Département») lui a signifié qu’il avait l’intention d’envisager d’annuler son visa, lui donnant l’occasion de faire ses observations. Le 26 avril 2002, Mme Bakhtiyari a adressé une nouvelle requête au Ministre pour lui demander d’exercer la faculté conférée par l’article 417 de la loi sur les migrations, mais a été informée que généralement ces questions n’étaient pas renvoyées au Ministre tant qu’un litige était en cours.

2.7Le 11 juin 2002, la High Court a rendu une ordonnance provisoire concernant la demande de Mme Bakhtiyari et de ses enfants concluant que leur cause était défendable. Le 27 juin 2002, une trentaine d’immigrants, au nombre desquels les fils aînés de Mme Bakhtiyari, Almadar et Mentazer, se sont échappés du centre de détention de Woomera. Le 16 juillet 2002, Mme Bakhtiyari a de nouveau adressé une requête au Ministre au titre de l’article 417 de la loi sur les migrations mais a de nouveau été informée que généralement ces questions n’étaient pas renvoyées au Ministre tant qu’un litige était en cours. Le 18 juillet 2002, les deux garçons qui avaient pris la fuite se sont rendus au consulat de Grande‑Bretagne à Melbourne (Australie) et ont demandé l’asile. Le consulat a refusé et les a reconduits au centre de Woomera.

2.8Le 2 août 2002, une requête a été déposée auprès du tribunal aux affaires familiales d’Adélaïde à l’encontre du Ministre, pour demander que, en vertu de l’article 67ZCde la loi de 1975 sur la famille, les garçons Almadar et Mentazer soient libérés et soient examinés par un psychologue.

2.9Le 30 août 2002, M. Bakhtiyari ayant engagé une action pour obliger le Département à lui expliquer en quoi il avait commis une fraude au visa, le Département lui a communiqué les autres renseignements qu’il avait obtenus au sujet de son identité et de sa nationalité, y compris une demande de pièce d’identité pakistanaise déposée par lui‑même en 1975, des documents d’état civil datant de 1973 et 1982 montrant que son lieu de naissance, sa nationalité et son domicile permanent étaient pakistanais. La lettre renvoyait également à des investigations menées par des journalistes, rapportées dans les principaux journaux australiens, d’où il ressortait que les journalistes étaient allés dans la région d’Afghanistan dont l’auteur se déclarait originaire et n’avaient trouvé personne qui le connaisse, ni le moindre autre indice qu’il ait vécu à cet endroit. Le 20 septembre 2002, M. Bakhtiyari a répondu point par point.

2.10Le 9 octobre 2002, le tribunal aux affaires familiales (juge Dawe) a rejeté la requête dont il avait été saisi, estimant qu’il n’était pas compétent pour statuer sur les questions relatives aux enfants retenus dans des centres de détention pour immigrants. Le 5 décembre 2002, son visa de protection a été annulé et M. Bakhtiyari a été placé en rétention au centre pour immigrants de Villawood à Sydney. Le même jour, il déposait une demande de réexamen de cette décision auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (RRT) et une requête auprès du Ministère tendant à se faire délivrer un visa transitoire et à être remis en liberté en attendant la décision du tribunal. Le 9 décembre 2002, un représentant du Ministre a refusé le visa transitoire. Le 18 décembre 2002, le RRT a confirmé le refus de visa.

2.11Le centre de détention de Woomera ayant été endommagé au début du mois de janvier 2003, Mme Bakhtiyari et les enfants ont été transférés dans un nouveau centre de détention pour immigrants, celui de Baxter situé près de Port Augusta. Comme la cour fédérale avait débouté M. Bakhtiyari de ses actions en contestation de son transfert, le 13 janvier 2003, il a été transféré de Villawood au centre de Baxter pour retrouver sa femme et ses enfants.

2.12Le 4 février 2003, la High Court a refusé, à une majorité de cinq juges contre deux, la demande de visa de protection en faveur de Mme Bakhtiyari et de ses enfants, qui avait été déposée du fait du statut de M. Bakhtiyari. La Cour a considéré que, comme le Ministre n’était pas tenu de rendre une nouvelle décision, il ne servirait à rien de rapporter sa décision; en tout état de cause cette décision n’était pas entachée d’illégalité, n’était pas incorrecte ni erronée du point de vue juridictionnel. De même, la décision prise par le RRT saisi en appel n’était entachée d’aucune irrégularité du point de vue juridictionnel.

2.13Le 4 mars 2003, le RRT a confirmé l’annulation du visa de protection dont M. Bakhtiyari bénéficiait. Le 22 mai 2003, la cour fédérale (juge Selway) a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du RRT, estimant que sa conclusion était appropriée au vu des éléments du dossier. Il a fait appel de cette décision auprès de la cour fédérale siégeant en formation plénière.

2.14Le 19 juin 2003, le tribunal aux affaires familiales siégeant en formation plénière a confirmé, à la majorité des juges, qu’il était compétent pour statuer à l’encontre du Ministre, y compris sur une remise en liberté après une rétention, si une telle décision était dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une audience d’urgence a été convoquée en conséquence pour statuer sur la décision à prendre dans la situation particulière où se trouvaient les enfants. Le 8 juillet 2003, le tribunal aux affaires familiales siégeant en formation plénière a autorisé le Ministre à interjeter appel auprès de la High Court, rejetant toutefois la demande de sursis à l’ordonnance de réexamen d’urgence formulée par le Ministre. Le 5 août 2003, le tribunal aux affaires familiales (juge Strickland) a rejeté une demande de mesure provisoire tendant à ce que les enfants soient remis en liberté avant que n’ait lieu la procédure destinée à trancher en prenant en compte l’intérêt supérieur des enfants. Le 25 août 2003, le tribunal aux affaires familiales siégeant en formation plénière a autorisé un appel et ordonné la remise en liberté immédiate de tous les enfants, dans l’attente du règlement de la demande finale. Ils ont été libérés le jour même et confiés depuis lors aux soins de gardes à Adélaïde.

2.15Les 30 septembre et 1er octobre 2003, la High Court a entendu l’appel, interjeté par le Ministre, de la décision du tribunal aux affaires familiales siégeant en formation plénière tendant à reconnaître sa compétence pour statuer sur les questions relatives au bien‑être des enfants retenus dans des centres de détention pour immigrants. La Cour a réservé sa position.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que l’État partie commet ou risque de commettre une violation de l’article 7 du Pacte. En effet, comme il était évident que le RRT était dans l’erreur en établissant que Mme Bakhtiyari et ses enfants n’étaient pas de nationalité afghane, s’ils étaient expulsés vers le Pakistan ils seraient renvoyés en Afghanistan. Ils craignent d’être, en Afghanistan, soumis à des tortures ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Invoquant l’Observation générale no 20 du Comité relative à l’article 7 ainsi que sa jurisprudence, ils affirment que l’État partie serait responsable d’une violation de l’article 7 si l’expulsion de Mme Bakhtiyari et ses enfants vers l’Afghanistan entraînait, comme conséquence nécessaire et prévisible, directement ou indirectement, le risque d’être soumis à la torture ou à un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant.

3.2Les auteurs font valoir également que la détention prolongée de Mme Bakhtiyari et de ses enfants est contraire aux dispositions des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte. Ils font remarquer que l’article 189 (par. 1) de la loi sur les migrations impose l’arrestation des étrangers en situation illégale (comme eux‑mêmes) dès leur arrivée. Ils ne peuvent pas être remis en liberté, sauf s’ils sont expulsés ou s’ils reçoivent un permis, et aucune disposition ne prévoit le contrôle administratif ou judiciaire de la rétention. Aucune justification n’a été donnée pour leur placement en rétention. Ainsi, conformément aux principes énoncés par le Comité dans l’affaire A. c. Australie, les auteurs considèrent que leur détention est contraire au Pacte et ils demandent une réparation adéquate.

3.3Les auteurs font valoir que l’expulsion de Mme Bakhtiyari et de ses enfants constituerait une violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Ils comparent ces dispositions avec les articles correspondants de la Convention européenne des droits de l’homme (art. 12 et 8) et considèrent que, dans le Pacte, les droits sont consacrés en termes plus forts et de façon moins limitée. Par conséquent, le droit au respect de la vie de famille l’emporte sur tout droit d’immixtion que peut avoir l’État, et donc la «recherche de l’équilibre entre les intérêts» et la «marge d’appréciation», qui sont caractéristiques des décisions des organes européens, auront moins d’importance dans une affaire soumise en vertu du Pacte. Dans ce contexte, les auteurs invitent le Comité à suivre la ligne de la Cour européenne des droits de l’homme qui tend à être restrictive à l’égard de ceux qui veulent entrer dans un pays pour fonder une famille, mais plus libérale à l’égard des étrangers qui ont déjà une famille dans l’État dans lequel ils veulent entrer.

3.4Au regard du Pacte, l’expulsion de Mme Bakhtiyari et de ses enfants, qui seraient ainsi séparés de M. Bakhtiyari, représente une «immixtion» dans la famille. Selon l’Observation générale no 16 relative à l’article 17, même si cette immixtion est prévue par la loi, elle doit être raisonnable eu égard aux circonstances particulières. De l’avis des auteurs, renvoyer Mme Bakhtiyari et ses enfants en Afghanistan alors qu’il est impossible pour M. Bakhtiyari, appartenant à l’ethnie hazara, d’y retourner en toute sécurité compte tenu de la situation incertaine serait arbitraire.

3.5Enfin, les auteurs font valoir une violation du paragraphe 1 de l’article 24, qui devrait être interprété à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant. Aucune raison n’a été donnée pour justifier la détention prolongée des enfants, ce qui est une violation «manifeste» de l’article 24. Personne ne s’est demandé si l’intérêt supérieur de l’enfant était de passer plus d’une année dans un centre de détention isolé ou d’être laissé en liberté; la détention a été la mesure de premier ressort, et non pas de dernier ressort. Affirmer que l’intérêt supérieur des enfants a été respecté parce qu’ils ont été placés dans le même centre que leur mère n’est pas une réponse, car aucun élément n’a été apporté pour justifier la détention prolongée de leur mère, et on ne voit pas pourquoi elle n’aurait pas pu être remise en liberté avec les enfants pendant que les autorités statuaient sur la demande d’asile. Quoi qu’il en soit, dès que les autorités ont appris que M. Bakhtiyari était au bénéficie d’un permis et habitait à Sydney, les enfants auraient dû être libérés et placés sous sa garde.

3.6Pour ce qui est de la recevabilité, les auteurs relèvent que Mme Bakhtiyari et ses enfants auraient effectivement pu s’adresser à la cour fédérale pour demander la révision de la décision du RRT confirmant le refus du visa de protection, mais qu’ils ne l’ont pas fait parce qu’il n’y avait pas d’erreur de droit manifeste pouvant donner lieu à une demande d’annulation de cette décision; cette démarche aurait donc été inutile. La décision du RRT reposait sur une erreur de fait: d’après le tribunal, Mme Bakhtiyari et ses enfants n’étaient pas de nationalité afghane, conclusion qui, d’après les auteurs, était absolument fausse puisque M. Bakhtiyari avait montré de façon convaincante aux autorités d’immigration, au moment où il avait demandé un visa de protection, qu’il était bien de nationalité afghane et avait donc droit à la protection, élément que le RRT ne connaissait pas. Toutefois, il est constant, en vertu de la loi australienne, que les conclusions de fait erronées ne peuvent pas être réexaminées par les tribunaux. De toute façon, l’erreur de fait n’est apparue qu’après l’expiration du délai impératif de 28 jours fixé pour les recours auprès de la cour fédérale.

3.7D’après les auteurs, il aurait peut‑être été possible de s’adresser à la High Court en tant que juridiction compétente pour se prononcer sur les décisions des autorités de l’État, mais les chances de succès de cette action ont été annihilées par l’entrée en vigueur, le 27 septembre 2001, de la loi de 2001, portant modification de la loi sur les migrations (contrôle judiciaire), qui dispose que les décisions du RRT sont finales et exécutoires et ne peuvent être contestées, attaquées, révisées, annulées, ni mises en cause devant un autre tribunal. (Sur cette question, le conseil des auteurs a indiqué dans une autre lettre, datée du 9 avril 2002, qu’il ne savait pas qu’il était possible de défendre cette cause devant la High Court, ce qui a été fait par la suite après que d’autres conseils eurent été consultés. Étant donné la nouveauté de cette procédure, il était «extrêmement douteux» à l’époque qu’elle puisse aboutir.) En outre le refus du Ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 417 de la loi sur les migrations ne peut pas être attaqué ou révisé par un tribunal quel qu’il soit.

3.8Les auteurs déclarent que la même affaire n’a pas été soumise à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Demande ultérieure de mesures provisoires de protection

4.1Le 8 mai 2002, les auteurs ont adressé au Comité le rapport d’un psychologue, daté du 2 décembre 2001, un rapport du Département des services humains du Gouvernement de l’État d’Australie‑Méridionale, daté du 23 janvier 2002, et un rapport d’un éducateur de l’administration pénitentiaire, daté du 24 janvier 2002. Tous ces rapports concluaient que le maintien en détention était la cause d’une dépression profonde chez les enfants et notamment les deux garçons Almadar et Mentazer. Il était indiqué que les garçons s’étaient plusieurs fois infligé des mutilations, par exemple ils s’étaient cousu les lèvres (Almadar deux fois), s’étaient lacéré les bras (Almadar avait également écrit avec un couteau le mot «Liberté» sur son avant‑bras), ne mangeaient plus, avaient des comportements erratiques et faisaient des dessins qui montraient qu’ils étaient perturbés. De plus, les enfants ont vu que leur mère s’était cousu les lèvres. Le Département des services humains recommandait fermement que Mme Bakhtiyari et ses enfants soient placés hors du centre de détention de Woomera pendant la procédure d’examen de leur situation.

4.2Le 13 mai 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé, en application de l’article 86 du Règlement intérieur, que l’État partie l’informe dans les 30 jours des mesures qu’il avait prises à la suite des rapports de ses propres institutions, qui avaient estimé que l’automutilation d’au moins deux des enfants exigeait que Mme Bakhtiyari et ses enfants soient retirés du centre de détention de Woomera afin d’éviter de nouveaux actes d’automutilation.

4.3Par une lettre datée du 18 juin 2002, l’État partie a répondu à la demande du Comité. Il a indiqué que la famille était étroitement suivie et que des programmes de soins individualisés et de gestion de l’affaire étaient en place et étaient réexaminés périodiquement. L’État partie fait remarquer que les soins médicaux assurés dans le centre de détention de Woomera sont «de très grande qualité»; une permanence est assurée par un médecin généraliste et des infirmières, notamment une infirmière psychiatrique, et le centre dispose des services de psychologues et de conseillers, de dentistes et d’un optométriste. Des activités de loisirs et d’enseignement sont organisées pour contribuer à préserver la santé mentale et favoriser le développement personnel.

4.4Concernant la question de la remise en liberté, l’État partie ne considérait pas qu’une telle mesure serait appropriée. La situation de cette famille faisait l’objet d’un examen approfondi et tous les éléments étaient connus du Ministre et du Département. L’État partie a fait remarquer que, conformément aux procédures internes, il n’avait aucune obligation de protection à l’égard de Mme Bakhtiyari et de ses enfants. De plus, le Ministre avait étudié personnellement le dossier, notamment à la lumière des obligations de l’État partie, dont celles qui découlent du Pacte, et avait conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt public de prendre une décision plus favorable. De surcroît, étant donné qu’il était possible que le visa de M. Bakhtiyari soit annulé pour fraude, il ne serait pas approprié de remettre Mme Bakhtiyari et ses enfants en liberté à ce moment‑là.

4.5Par une lettre datée du 8 juillet 2002, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie demandées par le Comité et ont contesté que la qualité des soins médicaux soit aussi bonne que le prétendait l’État partie. Ils se référaient à des informations apportées dans le cadre d’une enquête nationale sur les enfants dans les centres de détention pour immigrants que réalisait à ce moment‑là la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances et d’où il ressortait que plusieurs départements du Gouvernement avaient de vives critiques à émettre au sujet de la qualité des services de santé et de la formation du personnel, notamment en ce qui concernait les soins de santé mentale et les besoins de développement ainsi que les soins dentaires et la nutrition. De très vives critiques étaient également formulées au sujet de l’enseignement à tous les niveaux à partir du préscolaire, qui était d’une qualité nettement inférieure à l’enseignement dispensé aux enfants australiens, ainsi qu’au sujet des carences des activités de loisirs.

4.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que Mme Bakhtiyari et ses enfants ne doivent pas être remis en liberté car il a été établi qu’aucune obligation de protection n’était due, les auteurs objectent que l’obligation de ne pas placer arbitrairement quelqu’un en détention dépend non pas de l’existence d’une obligation d’assurer une protection mais de l’existence de motifs sérieux justifiant la détention. Quoi qu’il en soit, des procédures étaient encore en cours pour contester la décision de ne pas accorder le visa de protection. De plus, le principe de l’unité du groupe familial exigeait que les personnes à la charge de M. Bakhtiyari qui, lui, avait obtenu un visa de protection soient remises en liberté pour le rejoindre. Pour ce qui est de la démarche engagée en vue d’annuler le visa de M. Bakhtiyari au motif qu’il serait Pakistanais et sur la foi de l’analyse linguistique d’un dialecte, le conseil signale que l’État partie a refusé plusieurs fois de laisser les intéressés prendre connaissance des allégations et de l’analyse linguistique et qu’ils cherchaient à obtenir cette information par la voie judiciaire. En outre, une analyse de la langue, menée par son propre expert, ainsi que les déclarations de personnes qui connaissaient M. Bakhtiyari en Afghanistan, confirmaient sa première déclaration.

4.7Par une lettre datée du 12 septembre 2002, les auteurs ont fait parvenir au Comité un rapport d’évaluation daté du 9 août 2002 établi par le Département des services humains (famille et jeunesse). L’évaluation avait été demandée par le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones afin de déterminer quelle serait la meilleure option pour cette famille. Dans le rapport il était notamment recommandé que Mme Bakhtiyari et ses enfants vivent à l’extérieur du centre afin d’éviter pour les enfants, en particulier les garçons, une aggravation du préjudice social et affectif. L’idéal serait d’accorder un visa transitoire mais le placement de cette famille au complet dans un lieu d’hébergement ordinaire serait également une amélioration. Si la famille devait rester en rétention, elle devait être transférée au centre de Villawood, à Sidney, parce qu’elle serait plus près de M. Bakhtiyari. Il faudrait de plus que les soins de santé, les services d’enseignement et de loisirs soient plus complets et mieux ciblés et qu’un plus grand effort soit fait pour protéger et défendre les enfants exposés à des risques de danger et de traumatisme dans le centre. Ce rapport a été soumis à la Chambre des représentants de l’État d’Australie‑Méridionale et le Premier Ministre a demandé au Gouvernement fédéral de répondre et de donner suite aux recommandations qu’il contenait.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

5.1Par une lettre datée du 7 octobre 2002, l’État partie conteste la communication à la fois du point de vue de la recevabilité et du point de vue du fond. En premier lieu l’État partie fait valoir que la communication tout entière doit être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes parce qu’à ce moment‑là l’action engagée par les auteurs auprès de la High Court, qui aurait pu aboutir à un recours complet, était encore en suspens. De plus, en ce qui concerne l’article 9 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’un recours en habeas corpus, prévu dans la Constitution du Commonwealth d’Australie de 1901, offrirait un moyen de faire vérifier judiciairement la légalité de toute mesure de détention, administrative ou autre.

5.2Pour ce qui est des griefs au titre de l’article 7 du Pacte, l’État partie objecte que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée. Les auteurs se contentent d’affirmer, sans donner d’autre explication, que s’ils étaient expulsés vers le Pakistan ils seraient renvoyés en Afghanistan où ils seraient soumis à des traitements incompatibles avec l’article 7.

5.3En premier lieu, l’État partie fait remarquer que la première personne qui a pris la décision puis le RRT sont arrivés à la conclusion que Mme Bakhtiyari et les enfants n’étaient pas Afghans. Le premier responsable a relevé que Mme Bakhtiyari ne connaissait pas le nom de la monnaie afghane, ne pouvait pas citer les grandes villes ou les principaux villages voisins de son village natal, ni le nom des provinces voisines ou des provinces qu’elle avait traversées pour quitter le pays, ni d’une rivière ou d’une montagne près de son village. Avant de conclure que l’intéressée ne disait pas la vérité, le responsable avait tenu expressément compte de son âge, de son niveau d’instruction, du fait qu’elle était une femme et de son vécu afin de déterminer quel niveau de connaissance on pouvait raisonnablement attendre d’elle, considérant les interdictions qu’elle avait dû subir en tant que femme dans un pays musulman. Le RRT a également noté, entre autres choses, que les résultats de l’analyse linguistique révélaient un net accent pakistanais et qu’elle ne pouvait pas dire comment s’appelait la monnaie afghane ni les années du calendrier afghan qui avaient vu naître ses enfants. Alors qu’elle avait été incapable de donner le moindre renseignement sur son voyage depuis l’Afghanistan à la première personne qui l’avait interrogée, quand elle avait comparu devant le RRT son récit avait, selon les termes du RRT, «considérablement évolué» et le tribunal a conclu que de toute évidence elle avait été conseillée et préparée dans les mois qui s’étaient écoulés depuis le premier interrogatoire.

5.4L’État partie invite le Comité à suivre la même argumentation concernant la tromperie sur la nationalité que celle qu’il avait développée dans l’affaire J. M. c. Jamaïque où l’État partie, en réponse à un grief portant sur un refus de passeport, avait donné des renseignements qui prouvaient qu’à aucun moment l’auteur n’avait eu la nationalité jamaïcaine ou n’avait été titulaire d’un passeport jamaïcain; de surcroît, l’auteur était incapable de donner les renseignements les plus élémentaires au sujet de la Jamaïque alors qu’il prétendait y avoir vécu avant d’avoir perdu son passeport. Le Comité avait donc conclu que l’auteur de la communication n’avait pas établi qu’il était de nationalité jamaïcaine et n’avait donc pas étayé ses allégations de violation du Pacte. Dans l’affaire à l’examen, deux autorités ont établi que Mme Bakhtiyari et ses enfants n’étaient pas de nationalité afghane et aucun élément nouveau permettant de conclure le contraire n’a été apporté par les auteurs; il n’y a donc pas de motif d’affirmer qu’ils seraient renvoyés en Afghanistan s’ils étaient expulsés vers le Pakistan.

5.5En deuxième lieu, même si les auteurs viennent bien d’Afghanistan, ils n’ont pas montré, aux fins de la recevabilité, pourquoi ils risquent d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. C’est aux auteurs qu’il appartient de prouver que ce risque existe. L’État partie fait remarquer que d’après les estimations du HCR, 70 à 80 % du territoire afghan sont aujourd’hui sûrs pour les rapatriés et il n’y a rien qui permette de penser que la famille Bakhtiyari n’irait pas dans les régions sûres. Le HCR confirme également un changement positif important dans la situation des Hazaras, qui subissent beaucoup moins de discrimination aujourd’hui. En conséquence, l’allégation de violation de l’article 7 n’est pas suffisamment étayée.

5.6L’État partie avance un argument supplémentaire pour réfuter l’allégation de violation de l’article 7; cette allégation devrait être écartée parce qu’elle ne fait pas apparaître de «grief réel». Dans l’affaire A. R. S. c. Canada, par exemple, le Comité a déclaré la communication irrecevable en vertu de l’article 1er et de l’article 2 du Protocole facultatif, au motif qu’elle était simplement hypothétique. Dans la présente affaire, comme Mme Bakhtiyari et ses enfants avaient engagé des actions devant la High Court et devant le tribunal aux affaires familiales, la question de savoir s’ils allaient être expulsés d’Australie − et vers quel pays − n’a pas été examinée. Ces questions seraient réglées quand les actions engagées auraient fait l’objet d’une décision. Ainsi, les griefs concernant le renvoi en Afghanistan et la violation de l’article 7 découlant de ce renvoi sont du domaine de l’hypothèse et sont donc irrecevables.

5.7En ce qui concerne le fond, l’État partie affirme qu’aucune violation du Pacte n’apparaît. Pour ce qui est des griefs au regard de l’article 7, l’État partie renvoie à son argumentation concernant la recevabilité, en faisant remarquer que, puisqu’il a été établi que les intéressés n’étaient pas de nationalité afghane, rien ne prouve que Mme Bakhtiyari et ses enfants seraient renvoyés en Afghanistan depuis le Pakistan et encore moins que la conséquence nécessaire et prévisible serait de les exposer à un risque particulier ou réel de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans ce pays.

5.8En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie estime que la détention est raisonnable dans toutes les circonstances et continue de se justifier compte tenu de la situation particulière de cette famille. Mme Bakhtiyari et ses enfants sont arrivés en Australie illégalement et devaient obligatoirement être placés en détention en application de la loi sur les migrations. Cela étant, il valait mieux que les enfants restent avec leur mère en détention plutôt que d’être hébergés selon d’autres modalités. Dans le cas des immigrants illégaux, le but de la détention est de permettre qu’ils soient immédiatement retrouvés pour traiter les demandes de protection, de permettre les vérifications essentielles en matière d’identité, de sécurité, de personnalité et de santé, et de pouvoir procéder à l’expulsion si le visa de protection est refusé. Ces objectifs reflètent le droit souverain de l’État partie, en vertu du droit international, de réglementer l’admission des étrangers et la détention n’est donc pas une mesure injuste, inappropriée ou indue; au contraire, elle est proportionnée aux buts poursuivis.

5.9L’État partie souligne que, en détention, les immigrants bénéficient de conseils juridiques gratuits pour demander un visa de protection et que des ressources considérables ont été investies afin d’assurer un traitement plus rapide des demandes et donc d’abréger la détention. Dans l’affaire à l’examen, les demandes ont été traitées rapidement: celle de Mme Bakhtiyari, déposée le 21 février 2001, a été rejetée par le premier responsable le 22 mai 2001. Elle a été informée de la décision du RRT sur son recours le 26 juillet 2001. Ensuite, le Ministre a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 417 de la loi sur les migrations, loi qui oblige maintenant à expulser Mme Bakhtiyari dès qu’il «sera raisonnablement possible de le faire». Toutefois, comme les auteurs ont adressé une requête au Ministre et ont ensuite engagé une action en justice, les mesures habituelles préalables à l’expulsion ont été reportées jusqu’à ce que la décision soit rendue.

5.10L’État partie conteste que les enfants auraient dû être remis en liberté et confiés à leur père. Au moment où les communications ont été adressées, le visa du père faisait l’objet d’une procédure d’examen en vue de son annulation pour fraude, concrètement parce que lui aussi était de nationalité pakistanaise, et le Département examinait les réponses qu’il avait données aux renseignements contraires. Si son visa était annulé, le père serait placé dans un centre de détention pour immigrants et il n’a donc pas été jugé approprié de lui confier les enfants.

5.11En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie fait remarquer que le Comité avait établi, dans l’affaire A. c. Australie, qu’une détention arbitraire en violation du paragraphe 1 de l’article 9 devait pouvoir être contestée devant un tribunal. L’État partie réaffirme la position qu’il avait exposée en réponse aux constatations du Comité dans l’affaire A. c. Australie selon laquelle il n’y a rien dans le Pacte qui indique que le mot «légale» doive être interprété comme voulant dire «légale en droit international» ou «non arbitraire». Quand le même terme («légal(e)») est utilisé ailleurs dans le Pacte, il vise clairement la législation interne (art. 9, par. 1, 17, par. 2, 18, par. 3, et 22, par. 2). Les Observations générales du Comité et les travaux préparatoires du Pacte ne permettent pas de penser qu’il en est ainsi. Si les rédacteurs du Pacte avaient voulu que le paragraphe 4 de l’article 9 s’étende au‑delà de la loi nationale, il leur aurait été facile d’ajouter «arbitraire» ou «en violation du Pacte». Une interprétation aussi large devrait en tout cas être reflétée dans les débats précédant l’adoption du texte: or, il ressort des travaux que cette disposition «n’a pas donné lieu à un long débat». Dans l’affaire à l’examen, la possibilité de s’adresser à la High Court pour solliciter l’habeas corpus, éventuellement en bénéficiant de l’aide juridictionnelle, donne aux auteurs le droit de contester la légalité de leur détention, ce qui est conforme au paragraphe 4 de l’article 9. Ils ne se sont pas prévalus de ce droit mais on ne peut pas dire qu’ils aient été empêchés de le faire.

5.12Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, l’État partie fait valoir tout d’abord que le mot «immixtions» vise des actes qui ont pour résultat la séparation inévitable des membres d’une famille. À ce sujet, l’État partie estime que l’opinion individuelle de quatre membres du Comité dans l’affaire Winata c. Australie reflète bien l’opinion prévalant en droit international: «Il n’est en aucune manière évident que les actes d’un État partie qui entraîneraient des perturbations dans la vie d’une famille constituée depuis longtemps supposent une immixtion dans la famille, si aucun obstacle ne s’oppose au maintien de l’unité de la famille.». En l’espèce, M. Bakhtiyari est libre de quitter l’Australie avec sa femme et ses enfants et, si nécessaire, les autorités prendront des dispositions pour organiser son voyage. S’il décide de rester, c’est sa propre décision et non celle de l’État partie. L’État partie conteste donc que, en appliquant sa législation en matière d’immigration, il compromet l’unité de la famille.

5.13Quoi qu’il en soit, toute immixtion n’est pas arbitraire. L’État partie conteste que sa législation dans le domaine de l’expulsion des étrangers en situation irrégulière puisse être qualifiée d’arbitraire; le droit international ne donne pas aux étrangers le droit d’entrer dans un pays, d’y vivre, de s’y déplacer librement et de ne pas être expulsés. La législation est raisonnable, elle est fondée sur de bons principes de politique générale conformes avec la position de l’État partie en tant que nation souveraine qui s’acquitte de ses obligations internationales, y compris celles qui découlent du Pacte. Les lois sont prévisibles puisqu’une information est diffusée largement et qu’elles sont appliquées de façon cohérente et, sans discrimination. Si ces lois sont appliquées à Mme Bakhtiyari et à ses enfants, ce sera le résultat attendu et prévisible, qui leur a été expliqué, de l’épuisement de toutes les procédures de requête et de recours au cours desquelles il est dûment tenu compte des circonstances particulières de chacun et de l’obligation de non‑refoulement qu’a l’État partie.

5.14Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 23, l’État partie cite Nowak qui interprète l’obligation faite dans cette disposition comme consistant à demander que le mariage et la famille soient considérés comme des institutions spéciales en droit privé et que leur protection contre les immixtions de l’État ainsi que de particuliers soit assurée. Il existe un code fédéral de la famille détaillé, complété par des lois rigoureuses de protection de l’enfance adoptées par les États et les Territoires, dont l’application est soutenue par les ministères des États et des Territoires et par des unités spécialisées et les services de police. Ces lois s’appliquent aux immigrants placés dans les centres de détention (sauf si elles sont incompatibles avec la législation fédérale). L’État a mis en place des programmes et des politiques d’aide aux familles d’immigrants en rétention, imposant des normes appropriées aux prestataires de services. Un personnel médical, y compris des infirmières, des conseillers et des travailleurs sociaux, apporte une assistance aux parents et les aide à s’occuper de leurs enfants et à s’acquitter de leurs responsabilités parentales. Les organismes publics de protection de l’enfance assurent également une formation dans le domaine de l’éducation des enfants. L’État partie conteste donc qu’il manque à son devoir de protéger la famille en tant qu’institution; il applique des lois, des pratiques et des politiques visant à protéger et à aider les familles, y compris celles qui se trouvent dans les centres de détention pour immigrants.

5.15Pour ce qui est des griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, l’État partie rejette d’emblée l’idée que cette disposition devrait être interprétée de la même manière que la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Comité a déjà relevé qu’il n’était pas compétent pour examiner des allégations de violation d’autres instruments, et il ne devrait donc examiner que les obligations découlant du Pacte. De toute façon il est évident que le paragraphe 1 de l’article 24 est différent des droits et obligations consacrés dans la Convention relative aux droits de l’enfant puisqu’il s’agit, comme le dit Nowak, d’une obligation générale de garantir que tous les enfants se trouvant sous la juridiction d’un État partie soient protégés, au moyen d’une aide apportée aux familles, ou d’une aide apportée aux services et établissements privés de protection de l’enfance ou par d’autres mesures encore. L’obligation n’est pas complète et ne vise que les mesures de protection requises du fait de la condition de mineur de l’enfant.

5.16L’État partie fait valoir qu’il a rempli cette obligation à l’égard des enfants Bakhtiyari. Il renvoie à ce qu’il a indiqué sur la qualité des services médicaux, des services d’enseignement et de loisirs dans sa réponse à la demande d’information du Comité en application de l’article 86 du Règlement intérieur. De plus, le personnel des centres de détention est tenu d’aviser les autorités locales de protection de l’enfance s’il pense qu’un enfant est en danger; à cette fin, en ce qui concerne le centre de Woomera, un accord a été conclu le 6 décembre 2001 entre le Département et le Département des services humains de l’État d’Australie‑Méridionale.

5.17Dans les centres de détention pour immigrants, comme dans l’État partie en général, l’éducation des enfants est la responsabilité des parents et si des déclarations générales peuvent être faites au sujet des services et des installations disponibles, en général les écoles ne tiennent pas de registres de présence. Toutefois, le personnel s’étant inquiété du bien‑être des enfants Bakhtiyari, des mesures spéciales de protection ont été prises. Un fonctionnaire a été spécialement chargé de surveiller la participation de ces enfants aux cours et aux activités de loisirs et a travaillé avec Mme Bakhtiyari pour les encourager à y participer. Les registres montrent que les deux fils aînés vont à l’école régulièrement, utilisent la salle d’informatique, jouent régulièrement au football et suivent les cours d’éducation physique. Ils participent aux sorties à la piscine organisées régulièrement et aiment regarder la télévision, et Mentazer a entrepris activement d’apprendre à d’autres enfants à monter à bicyclette. Pour les autres enfants, les filles d’âge scolaire vont à l’école et participent aux activités de loisirs, faisant aussi de la couture avec leur mère.

5.18Des inquiétudes ayant été exprimées au sujet de cette famille, le Département a demandé aux autorités locales de protection de l’enfance (qui relèvent du Département des services humains de l’État d’Australie‑Méridionale) de faire le point de la situation de cette famille dans le centre. La famille n’a pas coopéré à l’évaluation menée en août 2002 et Mme Bakhtiyari n’a pas laissé les autorités parler à ses deux fils aînés, ce qui fait que l’évaluation n’a pas été probante. Un psychologue indépendant a vu les enfants les 2 et 3 septembre 2002 et a fait des recommandations que le Département étudie.

5.19L’État partie affirme que les autorités ont réfléchi à la question de savoir s’il fallait laisser les enfants en détention. En octobre 2001, quand Mme Bakhtiyari a demandé au Ministre de faire usage de son pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 417 de la loi sur les migrations, on savait que M. Bakhtiyari vivait à Sydney. Toutefois on savait également qu’il se pouvait qu’il ait commis une fraude au visa. Le Ministre a pris tous ces facteurs en considération avant de décider de ne pas remplacer la décision du RRT par une autre plus favorable. Étant donné qu’au moment où l’État partie a répondu, les autorités procédaient à l’examen du cas de M. Bakhtiyari pour statuer sur l’éventuelle annulation de son visa, il valait mieux ne pas confier les enfants à sa garde.

5.20L’État partie note, en terminant, que des mesures ont été prises pour garantir que Mme Bakhtiyari et les enfants soient hébergés dans les conditions les plus confortables. En août 2002, on leur a proposé de les transférer au nouveau centre de Baxter parce que celui de Woomera était isolé et les conditions étaient trop dures pour les enfants. Le centre de Baxter dispose d’un complexe pour les familles ainsi que d’un établissement scolaire construit expressément pour le centre et qui dispense un enseignement de qualité. À la date de l’envoi des réponses, la famille Bakhtiyari avait refusé de quitter Woomera malgré de longues discussions avec le personnel et avait préféré rester là où elle était. La possibilité de transfert reste toutefois ouverte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

6.1Par une lettre datée du 31 mars 2003, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie, signalant que, à ce stade, maintenant que la High Court avait rejeté leur demande, Mme Bakhtiyari et les trois plus jeunes enfants n’avaient plus d’autre possibilité légale leur permettant de rester en Australie et qu’ils seraient maintenus en détention jusqu’à l’expulsion. Si le tribunal aux affaires familiales rendait une décision favorable dans le cas des deux fils, Almadar et Mentazer, ils pourraient être remis en liberté. Pour M. Bakhtiyari, la seule possibilité pour qu’il reste dans l’État partie est que sa requête auprès de la cour fédérale aboutisse et que la décision du RRT de confirmer l’annulation de son visa soit donc cassée.

6.2Répondant aux objections de l’État partie, les auteurs font valoir que la détention de M. Bakhtiyari pendant neuf mois avant la délivrance du visa représentait une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9. M. Bakhtiyari renonce à présenter un grief concernant sa détention actuelle aux fins d’expulsion. Mme Bakhtiyari et les enfants étaient détenus (au moment où les commentaires ont été rédigés) depuis deux ans et quatre mois, en violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 24. Un recours en habeas corpus ne servirait à rien car les détentions étaient et sont toujours légales au regard de la législation de l’État partie et ce recours serait donc voué à l’échec. Quant aux enfants, la décision attendue du tribunal aux affaires familiales n’empêche pas de relever grief des violations commises jusqu’ici.

6.3Les auteurs soulignent que les tentatives de justification de la détention obligatoire de tous les immigrants non autorisés font l’objet d’une «condamnation universelle». Aucun motif n’a été avancé pour justifier la détention prolongée de Mme Bakhtiyari et des enfants et la nationalité réelle ou supposée de la famille est sans rapport avec cette affaire. Du point de vue des faits, l’affaire ne se différencie pas des affaires A. c. Australie et C. c. Australie qui ont fait l’objet de constatations du Comité; si différence il y a, elle tient à la gravité des violations, qui est plus grande parce que des enfants sont détenus.

6.4Dans la mesure où la famille est maintenant réunie en détention (illégale selon les auteurs) et que s’il est procédé à une expulsion, il est probable que la mesure touchera toute la famille, l’allégation de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 constituée par l’expulsion de Mme Bakhtiyari et des enfants n’est pas maintenue à ce stade.

Réponses supplémentaires des parties

7.1Le 7 mai 2003, les auteurs ont fait parvenir au Comité une lettre datée du 28 avril 2003 adressée par le Solicitor du Gouvernement australien au Président du tribunal aux affaires familiales, pour l’informer du cours de l’affaire. En particulier, comme il n’y avait aucune procédure en cours dans le cas de Mme Bakhtiyari et des enfants, le Ministre se voyait dans l’obligation, conformément au paragraphe 6 de l’article 198 de la loi sur les migrations, de faire procéder à leur expulsion dès qu’il serait «raisonnablement possible de le faire» et on avait entrepris de rassembler les documents nécessaires pour leur expulsion. Pour M. Bakhtiyari, une demande de révision de la décision d’annulation du visa était en cours (elle a été rejetée par la suite) et une demande de visa de protection permanent avait également été déposée (dans laquelle Mme Bakhtiyari et les enfants ne figuraient pas), et par conséquent l’expulsion n’était pas encore obligatoire ni donc imminente.

7.2De l’avis des auteurs, expulser Mme Bakhtiyari et les enfants dans ces circonstances représenterait une violation des articles 7 et 17, du paragraphe 1 de l’article 23 ainsi que de l’article 24 du Pacte. En conséquence, le 8 mai 2003, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial en application de l’article 86 du Règlement intérieur, a rappelé à l’État partie et lui a renouvelé sa demande de surseoir à l’expulsion de Mme Bakhtiyari et de ses enfants tant qu’il ne se serait pas prononcé sur l’affaire.

7.3Le 22 juillet 2003, lors de la soixante‑dix‑huitième session du Comité, l’État partie a envoyé de nouvelles réponses, signalant au Comité que Mme Bakhtiyari et les trois filles étaient hébergées dans le complexe résidentiel de Woomera, destiné aux femmes et aux enfants ayant des besoins particuliers. Elles résidaient dans un des huit bâtiments standard de Woomera, qui sont considérés comme un lieu de détention de substitution par le Département. Mme Bakhtiyari et ses trois filles pouvaient le quitter, en compagnie d’un surveillant. M. Bakhtiyari et les deux fils demeuraient au centre d’accueil et d’orientation des immigrés de Baxter. Les fils avaient dépassé l’âge requis pour leur libération et placement au complexe résidentiel pour des raisons liées «à des sensibilités culturelles et à la sécurité». M. Bakhtiyari avait le droit de rendre visite à son épouse et à ses filles, deux fois par semaine, au complexe résidentiel.

7.4Par lettre datée du 8 octobre 2003, les auteurs ont répondu aux communications de l’État partie, en mettant le Comité au fait des derniers événements survenus dans le cadre des procédures engagées auprès du tribunal aux affaires familiales et de la High Court pour ce qui est des enfants, et auprès de la cour fédérale pour ce qui est de M. Bakhtiyari. Ils ont fait valoir que si le règlement de l’appel auprès de la High Court leur était défavorable, les enfants retourneraient en rétention. Ils ont constaté que Mme Bakhtiyari demeurait au centre de détention pour immigrants, quoique pour l’heure elle fût hospitalisée à Adélaïde pour donner naissance à un enfant. M. Bakhtiyari demeurait quant à lui au centre de Baxter. Si Mme Bakhtiyari et ses enfants devaient faire l’objet d’une expulsion imminente, ils se retrouveraient séparés de lui.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés, le Comité renvoie à sa pratique et rappelle que dans les cas litigieux il cherche à déterminer si les recours ont été épuisés au moment où il examine la communication, au moins parce qu’une communication pour laquelle les recours internes avaient été épuisés après que la communication a été soumise pourrait être immédiatement resoumise au Comité si elle était déclarée irrecevable pour ce motif. Sur cette base, le Comité note que la procédure engagée par Mme Bakhtiyari et ses enfants auprès de la High Court s’était achevée, par une décision négative, depuis lors. Pour ce qui est du recours en habeas corpus que l’État partie propose, le Comité note, comme il l’a fait précédemment, que comme la législation de l’État partie prévoit la détention obligatoire pour les immigrants illégaux, un recours en habeas corpus ne servirait qu’à vérifier que les intéressés ont effectivement ce statut (non contesté) et non à vérifier si la détention de chacun est justifiée. Par conséquent, le recours évoqué par l’État partie n’apparaît pas comme un recours utile aux fins du Protocole facultatif. Le Comité n’est donc pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

8.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’expulsion de Mme Bakhtiyari et de ses enfants est du domaine de l’hypothèse et qu’il n’y a donc pas de «grief réel» aux fins du Protocole facultatif, le Comité relève que, quelle qu’ait pu être la situation au moment où l’État partie a envoyé sa réponse, d’après des renseignements récents, l’État partie se considère dans l’obligation d’expulser Mme Bakhtiyari et ses enfants dès qu’il sera «raisonnablement possible de le faire» et a commencé à prendre les mesures à cette fin. En conséquence, les griefs tirés de la menace d’expulsion de Mme Bakhtiyari et de ses enfants ne sont pas irrecevables, parce qu’ils ne sont pas hypothétiques.

8.4Pour ce qui est de la crainte d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte si Mme Bakhtiyari et ses enfants étaient renvoyés en Afghanistan, le Comité note que comme les auteurs n’ont pas été expulsés d’Australie, la question qui se pose à lui est de savoir si, au cas où ils seraient expulsés aujourd’hui, ils courraient de ce fait un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7. Le Comité note aussi que les autorités de l’État partie, en l’état actuel de la procédure, ont établi avec certitude que les auteurs ne sont pas d’Afghanistan et qu’ils n’ont donc pas à redouter d’être renvoyés dans ce pays par l’État partie. Les auteurs de leur côté n’ont pas montré que s’ils étaient renvoyés dans un pays quel qu’il soit, comme le Pakistan, ils seraient susceptibles d’être envoyés en Afghanistan où ils risqueraient d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7. Les auteurs ont encore moins montré que, même s’ils étaient renvoyés en Afghanistan, directement ou indirectement, la conséquence nécessaire et prévisible serait de les exposer à un traitement contraire à l’article 7. Par conséquent, le Comité est d’avis que le grief tiré d’un risque de traitement contraire à l’article 7 si l’État partie expulse aujourd’hui Mme Bakhtiyari et ses enfants n’a pas été étayé devant le Comité aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Pour ce qui est des allégations de violation des articles 17 et 23 du fait d’une séparation des membres de la famille, le Comité relève que si elles ont été retirées parce que les auteurs supposaient que, une fois que M. Bakhtiyari serait détenu dans le même centre que sa famille, le sort de tous les membres de la famille serait réglé en même temps, il ressort des renseignements les plus récents que l’État partie a entrepris de procéder à l’expulsion de Mme Bakhtiyari et des enfants pendant que les actions engagées par M. Bakhtiyari suivent leur cours. Par conséquent, le Comité estime que ces griefs sont toujours valables et considère qu’ils sont suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité, de même que tous les autres griefs.

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Pour ce qui est du grief de détention arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité rappelle sa jurisprudence et souligne que, pour ne pas être qualifiée d’arbitraire, la détention ne doit pas se prolonger au‑delà de la période pour laquelle l’État peut fournir une justification appropriée. Dans l’affaire à l’examen, M. Bakhtiyari est arrivé en bateau, sans famille, son identité n’était pas claire et il déclarait provenir d’un État qui connaissait des troubles intérieurs graves. Compte tenu de ces facteurs et étant donné qu’il a obtenu un visa de protection et a été remis en liberté deux mois après avoir déposé sa demande (environ sept mois après son arrivée), le Comité ne peut pas conclure que, si sa première détention a peut‑être effectivement duré plus qu’il n’était souhaitable, elle était arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire pour le Comité d’examiner le grief de violation du paragraphe 4 de l’article 9 dans le cas de M. Bakhtiyari. Le Comité relève que la durée de la deuxième détention de M. Bakhtiyari, qui s’étend de la date de son arrestation aux fins d’expulsion le 5 décembre 2002 jusqu’à ce jour, peut susciter des questions analogues au titre de l’article 9 mais, en l’absence d’arguments de l’une ou l’autre partie, s’abstient de formuler une autre constatation en l’espèce.

9.3Dans le cas de Mme Bakhtiyari et de ses enfants, le Comité relève que Mme Bakhtiyari se trouvait dans un centre de détention pour immigrants depuis 2 ans et 10 mois, et y était encore retenue, tandis que ses enfants ont été maintenus dans un centre de détention pour immigrants pendant 2 ans et 8 mois jusqu’à leur remise en liberté sur ordre provisoire du tribunal aux affaires familiales. Quel que soit le motif qui a pu justifier le placement en détention − vérification de l’identité et autres − l’État partie n’a pas montré, de l’avis du Comité, que la détention se justifiait pour une aussi longue période. Compte tenu en particulier de la composition de la famille Bakhtiyari, l’État partie n’a pas montré qu’il n’existait pas d’autres moyens moins contraignants d’obtenir le même résultat, c’est‑à‑dire le respect de sa politique d’immigration, en lui imposant par exemple l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une caution ou d’autres conditions, qui auraient tenu compte des circonstances particulières de la famille. En conséquence, le maintien en rétention aux fins d’immigration de Mme Bakhtiyari et de ses enfants dans un centre de détention pour immigrants pendant les durées susmentionnées, sans véritable justification, était arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.4Pour ce qui est du grief relatif au paragraphe 4 de l’article 9 à propos de ces périodes de détention, le Comité renvoie à l’examen de la question de la recevabilité et relève que le recours juridictionnel ouvert à Mme Bakhtiyari serait limité à une simple évaluation de pure forme de la question de savoir si l’intéressée était un «non‑citoyen» sans visa d’entrée. Le Comité observe qu’aucun tribunal interne n’a la faculté de réexaminer la justification de la rétention de l’intéressée sur le fond. Il estime que l’impossibilité d’attaquer par la voie judiciaire une détention qui était contraire au paragraphe 1 de l’article 9 ou l’était devenue constituait une violation du paragraphe 4 de l’article 9.

9.5Pour ce qui est des enfants, le Comité constate qu’avant la décision prise le 19 juin 2003 par le tribunal aux affaires familiales siégeant en formation plénière, qui a confirmé qu’il était compétent au titre de la législation relative au bien‑être des enfants pour ordonner la remise en liberté des enfants retenus au centre de détention pour immigrants, les enfants se trouvaient dans la même situation que leur mère, et étaient victimes d’une violation de leurs droits reconnus au paragraphe 4 de l’article 9, et ce au même titre jusqu’à ce moment‑là. Le Comité estime que, pour que le tribunal soit habilité à ordonner la mise en liberté d’un enfant si elle est considérée comme étant dans l’intérêt supérieur de celui‑ci − ce qui a été ultérieurement le cas, quoique à titre provisoire − il lui suffit d’examiner les éléments de preuve justifiant au fond la rétention pour satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte. En conséquence, la violation du paragraphe 4 de l’article 9 dont étaient victimes les enfants a pris fin lorsque le tribunal aux affaires familiales a conclu qu’il était compétent pour statuer en l’espèce.

9.6Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, le Comité relève que le fait de séparer du conjoint valablement résidant dans un État une épouse et ses enfants qui arrivent dans cet État peut soulever des questions au regard des articles 17 et 23 du Pacte. Dans la présente affaire toutefois l’État partie fait valoir que, au moment où Mme Bakhtiyari a déposé sa requête au Ministre en vertu de l’article 417 de la loi sur les migrations, la possibilité que M. Bakhtiyari ait commis une fraude pour obtenir son visa était déjà connue. Comme il ne ressort pas clairement du dossier si les autorités de l’État partie avaient été informées de l’existence de membres de la famille avant ce moment, le Comité ne peut pas conclure que l’État partie a agi de façon arbitraire quand il a considéré qu’il n’y avait pas lieu de réunir la famille à ce stade. Le Comité relève toutefois que l’État partie compte à présent expulser Mme Bakhtiyari et ses enfants dès qu’il sera «raisonnablement possible de le faire» alors que pour le moment il n’a pas prévu d’expulser M. Bakhtiyari, qui a engagé des actions devant les tribunaux nationaux. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, à savoir le nombre et l’âge des enfants, notamment un nouveau‑né, les expériences traumatisantes vécues par Mme Bakhtiyari et ses enfants détenus pendant une longue période dans un centre de détention pour immigrants en violation de l’article 9 du Pacte, les difficultés auxquelles Mme Bakhtiyari et ses enfants devraient faire face s’ils étaient renvoyés au Pakistan sans M. Bakhtiyari et le fait que l’État partie n’invoque aucun argument pour justifier une expulsion dans ces circonstances, le Comité estime qu’expulser Mme Bakhtiyari et ses enfants sans attendre que les actions engagées par M. Bakhtiyari aient fait l’objet d’une décision définitive constituerait une immixtion arbitraire dans la famille des auteurs, en violation du paragraphe 1 de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

9.7Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 24, le Comité estime que le principe selon lequel, dans toute décision touchant un enfant, l’intérêt supérieur de celui‑ci doit être une considération primordiale doit faire partie intégrante du droit de tout enfant aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur, de la part de sa famille, de la société et de l’État, comme le prescrit le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Le Comité constate que, dans la présente affaire, les enfants, en particulier les deux fils aînés, ont subi les conséquences négatives persistantes, démontrables et attestées de la détention jusqu’à leur libération, le 25 août 2003, alors que cette détention était arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que les mesures prises par l’État partie, jusqu’à ce que le tribunal aux affaires familiales siégeant en formation plénière juge qu’il était compétent pour prendre des décisions sur les questions relatives au bien‑être des enfants, n’avaient en fait pas été guidées par l’intérêt supérieur des enfants, ce qui a fait apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, c’est‑à‑dire du droit des enfants de bénéficier des mesures de protection requises par leur condition de mineur, jusqu’à ce moment‑là.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits qu’il a constatés font apparaître des violations par l’Australie des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 24, et, potentiellement, du paragraphe 1 de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Pour ce qui est des violations des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 qui continuent d’être commises à ce jour à l’égard de Mme Bakhtiyari, l’État partie devrait remettre l’intéressée en liberté et lui verser une indemnisation appropriée. Pour ce qui des violations des articles 9 et 24 subies dans le passé par les enfants, qui ont pris fin avec leur remise en liberté le 25 août 2003, l’État partie a l’obligation de verser une indemnisation appropriée aux enfants. L’État partie devrait aussi s’abstenir d’expulser Mme Bakhtiyari et ses enfants alors que l’action en justice engagée par M. Bakhtiyari est toujours en cours, car toute mesure prise dans ce sens par l’État partie aboutirait à des violations du paragraphe 1 de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley, membre du Comité (en partie dissidente)

Pour les raisons que j’ai mentionnées dans l’opinion séparée que j’ai exprimée dans l’affaire C. c. Australie (communication no 900/1999, constatations adoptées le 28 octobre 2002), je souscris à la conclusion du Comité à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 mais pas du paragraphe 4 de l’article 9.

(Signé) Sir Nigel Rodley

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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