NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.

RESTREINTE*

CAT/C/37/D/251/2004

20 novembre 2006

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente-septième session

(6 – 24 novembre 2006)

DÉCISION

Communication No. 251/2004

Présentée par:A. A. (non représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suisse

Date de la requête:19 juillet 2004 (lettre initiale)

Date de la présente décision17 novembre 2006

Objet: expulsiondu requérant vers son pays d’origine, où il risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Question de fond: risque de torture en cas d’expulsion du requérant vers son pays d’origine

Question de procédure: néant

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente‑septième session

Concernant la

Communication No. 251/2004

Présentée par:A. A. (non représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suisse

Date de la requête:19 juillet 2004 (lettre initiale)

Date de la présente décision17 novembre 2006

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen de la requête No. 251/2004, présentée par A. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit projet de décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1. Le requérant, A. A., de nationalité iranienne, né en 1973, est sous le coup d’une décision d’expulsion de la Suisse. Bien qu’il n’invoque aucun article spécifique de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ses allégations semblent soulever des questions sous l’article 3 de la Convention. Il n’est pas représenté par un conseil. La Convention est entrée en vigueur pour la Suisse le 2 mars 1987.

Rappel des faits présentés par le requérant

D’après le requérant, bien qu’il n’ait pas mené d’activités politiques dans la République Islamique d’Iran, il aurait été persécuté par les autorités iraniennes à maintes reprises parce que sa famille aurait été politiquement active contre le régime du Ayatollah Khomeiny, en particulier en soutenant les Moudjahidines du Peuple. En 1990, lui et son cousin, dans leur condition de membres d’une famille de prisonniers politiques, se seraient entretenus avec le représentant de la Commission des droits de l’homme de Nations Unies, lors de sa visite dans la République Islamique d’Iran. En avril/mai 1991, le requérant aurait été détenu pour avoir distribué des tracts. Il aurait passé 2 ans en prison, où il aurait été menotté, ses yeux auraient été bandés et il aurait été « maltraité avec une lame de rasoir ». Son cousin aurait été assassiné par le régime alors en place.

En 1993, le requérant serait sorti de prison et aurait ensuite accompli son service militaire obligatoire, jusqu’en 1995. Cependant, les tribunaux révolutionnaires auraient continué à le harceler et l’auraient convoqué à plusieurs reprises en raison des activités politiques menées par des membres de sa famille. Il ajoute que, pendant son service militaire, il était affecté à la section de l’idéologie politique.

Le 15 février 1996, le requérant aurait obtenu un passeport et quelques jours après, il se serait rendu au poste frontalière de Sero pour se rendre en Turquie. Lors des formalités de douane, les agents lui auraient communiqué que certaines irrégularités apparaissaient sur son passeport et qu’il lui était interdit de sortir.

Sur ce, le requérant aurait regagné Téhéran et en début avril 1996, il aurait été convoqué au Tribunal révolutionnaire où il aurait été interrogé sur son service militaire, les motifs de sa tentative de départ, ses antécédents et les membres de sa famille.

Le 21 mai 1996, il aurait répondu à une deuxième convocation de ce tribunal, puis aurait été condamné à six mois d’emprisonnent avec un sursis de deux ans, à soixante coups de fouet et au dépôt d’une caution immobilière durant trois ans.

Le 17 juillet 1996, il aurait comparu une troisième fois devant les tribunaux, accompagné par son père, qui aurait dû laisser une caution. Après cette troisième audience, une décision aurait été dictée, condamnant l’auteur à trois mois de prison et soixante coups de fouet, ainsi qu’au paiement d’une amende. Son père aurait dû témoigner par écrit qu’il ne menait aucune activité politique afin que sa maison ne soit pas confisquée. Par la suite, le requérant aurait été l’objet d’une étroite surveillance et les autorités auraient constamment cherché à lui imputer de nouveaux délits.

Le 30 septembre 1999, le requérant aurait quitté son pays caché dans un container transporté par un camion. Il serait arrivé en Suisse en juillet 2000, où il se serait joint à d’autres citoyens Iraniens luttant contre le régime actuellement au pouvoir en Iran. Il aurait participé à des manifestations organisées par des réfugiés iraniens. Ces activités en Suisse seraient connues des autorités iraniennes.

Par décision du 10 juillet 2000, la demande d’asile du requérant a été rejetée par l'Office fédéral des réfugiés (ODR) – actuellement l’Office fédéral des migrations (ODM) –, qui a conclu que ses allégations étaient inconsistantes et son profil politique bas, et a ordonné son expulsion du territoire suisse.

Le 10 juin 2004, la Commission fédérale de recours en matière d'asile (CRA) a rejeté l'appel du requérant, en estimant qu’il y avait de nombreuses incohérences factuelles et contradictions dans ses affirmations et que son récit des faits était peu crédible. Elle a donc confirmé la décision de l'ODR ordonnant son renvoi sous menace d’expulsion.

Teneur de la plainte

Le requérant affirme que les autorités suisses en matière d’asile ont considéré à tort que ses allégations manquaient de crédibilité puisqu’il y a des raisons sérieuses de croire qu'il serait soumis à la torture s'il était renvoyé dans son pays d’origine, ce qui constituerait une violation par la Suisse de l'article 3 de la Convention. Il rappelle qu’il a été détenu et torturé en Iran et que son cousin a été assassiné par le régime du Ayatollah Khomeiny à cause de l’implication de sa famille dans des activités politiques contraires au régime alors en place.

En outre, le requérant affirme que sa participation dans des manifestations et des événements politiques à l’étranger, ainsi que sa fuite illégale de la République Islamique d’Iran constituent des facteurs déterminants pour que son refoulement soit suspendu.

Observations de l’État partie sur le fond de la requête

Par note verbale du 6 septembre 2004, l'État partie a déclaré ne pas contester la recevabilité de la requête et qu’il se prononcerait sur son bien-fondé. Le 19 janvier 2005 l’Etat partie a formulé des observations sur le bien-fondé de la requête. Ayant rappelé la jurisprudence du Comité et son Observation Générale No. 1, relative à l'application de l'article 3, il fait siens les motifs retenus par la CRA à l'appui de sa décision rejetant la demande d'asile du requérant et confirmant son renvoi. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu'un individu risquerait d'être victime de la torture à son retour dans son pays, et que des motifs supplémentaires doivent, par conséquent, exister pour que le risque de torture soit qualifié, aux fins du paragraphe 1 de l'article 3, de « prévisible, réel et personnel ».

L’Etat partie observe que le requérant n’apporte aucun élément pertinent nouveau qui permettrait de remettre en question la décision de la CRA du 10 juin 2004. Il rappelle les incohérences factuelles et contradictions dans les affirmations du requérant, soulignés par les instances internes en matière d’asile. Ainsi, le requérant allègue qu’il aurait été maltraité en prison entre 1991 et 1993 et qu’après sa remise en liberté, il aurait néanmoins accompli son service militaire dans la section de l’idéologie politique au sein de l’armée. La sélection pour ladite section étant notoirement sévère, il n’est pas crédible qu’il aurait pu y accomplir son service militaire, au vu de son emprisonnent précédent et les prétendues activités politiques de sa famille. Son explication de qu’il y aurait eu confusion résultant d’une erreur de transcription de son nom de famille n’est pas convaincante.

Après la première tentative du requérant de quitter le pays, une procédure aurait été engagée à son encontre devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran. Or, contrairement à ce qu’il prétend, il ne ressortirait pas des pièces produites que l’éventuelle sanction prononcée allait au-delà de l’obligation de déposer un titre de propriété foncière. Qui plus est, ces pièces ne contiendraient aucune indication précise concernant les motifs de l’éventuelle condamnation du requérant par le Tribunal révolutionnaire. Les instances internes on donc conclu que d’autres motifs que celui d’avoir caché aux autorités militaires sa détention étaient déterminants pour l’éventuelle condamnation du requérant.

Lors de chacune des trois auditions pendant la procédure d’asile, le requérant aurait présenté une version différente des raisons principales qui l’auraient conduit à quitter la République Islamique d’Iran. Confronté à ces divergences, il n’aurait pas été capable de les expliquer de manière plausible. Dans une première phase de la procédure, le requérant aurait prétendu que sa fuite était due essentiellement, d’une part, au harcèlement dont il aurait été l’objet par les Basidjis et, d’autre part, aux activités politiques de certains membres de sa famille. Dans une phase ultérieure de la procédure, il aurait au contraire prétendu que sa fuite résulterait de l’assassinat d’un membre des Basidjis, ceux-là même qui l’auraient harcelé.

Les allégations du requérant concernant les mauvais traitements dont il aurait été l’objet et son affectation à la section de l’idéologie politique de l’armée ne seraient, elles non plus, pas crédibles. L’explication fournie (confusion résultant d’une erreur dan la transcription de son nom de famille) n’est guère convaincante. Cela d’autant moins au vu de l’allégation selon laquelle le nom du requérant, qui aurait reçu son passeport après l’accomplissement de son service militaire, se trouverait sur une liste de personnes ne pouvant quitter le pays, interdiction qui lui aurait été opposée au poste de frontière. Dans ces circonstances, les erreurs d’orthographes ou la mention du nom de l’auteur sur une telle liste auraient déjà dû constituer un obstacle à l’émission du passeport en premier lieu.

L’Etat partie déclare ignorer si le fait que le requérant aurait quitté son pays d’origine illégalement l’exposerait au risque d’être arrêté à son retour. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle la Convention n’offre aucune protection aux requérants qui allèguent simplement craindre d’être arrêtés à leur retour.

Quant aux problèmes physiques et psychiques du requérant, l’Etat partie estime qu’ils sont liés aux abus sexuels qu’il allègue avoir subi pendant son enfance.

Pour ce qui concerne les activités politiques menées dans la République Islamique d’Iran par le requérant, l’Etat partie estime qu’elles seraient très limitées : elles concerneraient sa participation à une réunion avec un représentant des Nations Unies en 1990 et la distribution de tracts avec son cousin à Semnan en 1991. Quant aux activités politiques menées par le requérant en Suisse, l’Etat partie rappelle que la CRA avait examiné de manière circonstanciée si un tel risque existait et avait conclu que les moyens de preuves produits par le requérant ne permettaient pas de conclure que les autorités iraniennes auraient pris connaissance de ces activités en Suisse. Les autorités iraniennes porteraient avant tout leur attention sur des personnes présentant un profil particulier en raison d’activités qui outrepassent le comportement usuel, ou qui représentent un danger pour le gouvernement iranien. Il ne ressort pas des documents produits par le requérant qu’il aurait développé, par ses activités en Suisse, un tel profil. L’Etat partie n’a pas connaissance de cas dans lesquels les autorités iraniennes auraient engagé des poursuites contre des personnes qui auraient déployé des activités comparables à celles du requérant.

L’Etat partie conclut que rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que le requérant serait exposé concrètement et personnellement à la torture à son retour dans la République Islamique d’Iran.

Informations supplémentaires du requérant

5.Par lettre du 25 avril 2005, le requérant informe le Comité que, après avoir soumis une demande en reconsidération sur la base des documents supplémentaires, l’Office fédéral des migrations (ODM) était en train de reconsidérer son cas.

Observations supplémentaires de l’Etat partie

Le 9 mai 2005, l’Etat partie à son tour informe le Comité que le requérant avait introduit, en date du 15 septembre 2004, une demande en reconsidération auprès de l’ODM et a invité le Comité à suspendre l’examen de la communication jusqu’à droit connu dans le cadre de la procédure.

Le 9 mai 2006, l’Etat partie a informé le Comité que l’ODM avait rejeté la demande en reconsidération par décision du 28 décembre 2005. Cette décision a été confirmée le 24 avril 2006 par la CRA. L’Etat partie constate que sa demande de suspension est devenue sans objet et déclare maintenir ses conclusions du 19 janvier 2005.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans le cas d’espèce, le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête. Il estime donc que la requête est recevable et procède à son examen sur le fond.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant dans la République Islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans des circonstances particulières.

Le Comité rappelle son Observation générale sur l’application de l’article 3, selon laquelle l’existence d’un risque de torture «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.» (A/53/44, annexe IX, par. 6).

Dans le cas d’espèce, le Comité note que les allégations du requérant, qui affirme courir un risque de torture s’il retourne dans la République Islamique d’Iran, reposent sur le fait qu’il aurait été détenu et torturé entre mai 1991 et août ou septembre 1993; qu’il aurait été, par la suite, harcelé par les autorités iraniennes, principalement à cause d’activités politiques des membres de sa famille; et le fait qu’il aurait participé à des activités menées en Suisse contre l’actuel gouvernement iranien.

En évaluant le risque de torture dans le cas présent, le Comité prend note de l'allégation du requérant selon laquelle il a été torturé pendant sa détention dans la République Islamique d’Iran et que l’Etat partie estime que cette allégation n’est pas crédible. Le Comité prend également note des allégations du requérant qu’il aurait été constamment harcelé par les autorités iraniennes à cause des activités politiques de sa famille et qu’il risquerait d’être soumis à la torture également en raison de ses activités politiques menées en Suisse contre le gouvernement iranien. Cependant, de l'avis du Comité, le requérant n'a pas su justifier que les activités politiques menées par sa famille contre le régime étaient d'une importance telle qu'elles présenteraient encore aujourd'hui un intérêt pour les autorités iraniennes, et n’a pas apporté d'éléments de preuve suffisants pour confirmer que sa participation à des manifestations organisées par des réfugiés iraniens en Suisse ou sa fuite illégale de la République Islamique d’Iran constitueraient des facteurs déterminants pour conclure qu’il courrait personnellement un risque d'être torturé s'il retournait dans ce pays.

Le Comité estime donc que, eu égard au temps (plus de 13 ans) que s’est écoulé depuis les événements décrits par le requérant, s'ajoutant à la nature des incohérences dans son récit, incohérences non suffisamment expliquées par lui, les éléments d'information présentés par le requérant, notamment le fait qu’il n’ait pas menée d’activité politique soutenue ni dans la République Islamique d’Iran ni en Suisse, sont insuffisants pour étayer l'allégation selon laquelle il courrait un risque sérieux d'être soumis à la torture s'il était actuellement renvoyé dans la République Islamique d’Iran aujourd'hui.

Le Comité conclu que, sur la base de toutes les informations soumises, le requérant ne lui a pas fourni les éléments de preuve suffisants qui lui permettraient de considérer qu'il est confronté à un risque prévisible, réel et personnel d'être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d'origine.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l'État partie de renvoyer le requérant dans la République Islamique d’Iran ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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