Nations Unies

CCPR/C/GC/36

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 septembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observation générale no 36

Article 6 : droit à la vie * , **

I.Observations d’ordre général

1.La présente observation générale remplace l’observation générale no 6, adoptée par le Comité à sa seizième session (1982), et l’observation générale no 14, adoptée par le Comité à sa vingt-troisième session (1984).

2.L’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît et protège le droit de toutes les personnes humaines à la vie. Le droit à la vie est le droit suprême auquel aucune dérogation n’est autorisée, même dans les situations de conflit armé et autres situations de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation. Le droit à la vie revêt une importance capitale, tant pour les personnes que pour la société dans son ensemble. Il est extrêmement précieux en lui-même en tant que droit inhérent à toute personne humaine, mais il constitue également un droit fondamental, dont la protection effective est la condition indispensable de la jouissance de tous les autres droits de l’homme et dont le contenu peut être éclairé par d’autres droits de l’homme.

3.Le droit à la vie est un droit qui ne devrait pas être interprété de manière étroite. Il recouvre le droit des personnes de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour but de causer, ou dont on peut attendre qu’ils causent, leur décès non naturel ou prématuré, et de vivre dans la dignité. L’article 6 du Pacte garantit ce droit à toutes les personnes humaines, sans distinction d’aucune sorte, y compris à celles qui sont soupçonnées ou reconnues coupables de crimes, même les plus graves.

4.Le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte dispose que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie et que le droit à la vie doit être protégé par la loi. Il pose le fondement de l’obligation qu’ont les États parties de respecter et garantir le droit à la vie, de lui donner effet par des mesures d’ordre législatif ou autre, et d’offrir un recours utile et une réparation à toutes les victimes de violations du droit à la vie.

5.Les paragraphes 2, 4, 5 et 6 de l’article 6 du Pacte énoncent des garanties spécifiques visant à faire en sorte que, dans les États parties qui n’ont pas encore aboli la peine de mort, celle-ci ne soit appliquée que pour les crimes les plus graves, et seulement dans les cas les plus exceptionnels et dans les limites les plus strictes (voir partie IV ci-dessous). L’interdiction de la privation arbitraire de la vie énoncée au paragraphe 1 de l’article 6 impose des limites supplémentaires à la capacité des États parties d’appliquer la peine de mort. Les dispositions du paragraphe 3 régissent spécifiquement la relation entre l’article 6 du Pacte et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

6.La privation de la vie suppose un préjudice (dommage ou lésion) intentionnel ou, à tout le moins, prévisible et évitable, causé par un acte ou une omission, qui a pour résultat de mettre fin à la vie. Elle va au-delà de l’atteinte ou de la menace d’atteinte à l’intégrité physique ou mentale.

7.Les États parties doivent respecter le droit à la vie. Cela implique l’obligation de s’abstenir de tout comportement qui aboutirait à une privation arbitraire de la vie. Les États parties doivent également garantir le droit à la vie et exercer la diligence voulue pour protéger la vie humaine contre toute atteinte de la part de personnes ou d’entités dont le comportement n’est pas imputable à l’État. L’obligation qu’ont les États parties de respecter et de garantir le droit à la vie vaut face aux menaces et situations mettant la vie en danger raisonnablement prévisibles qui peuvent aboutir à la perte de la vie. Il peut y avoir violation de l’article 6 par les États parties même si une telle menace ou situation n’aboutit pas à la perte de la vie.

8.Bien que les États parties puissent adopter des mesures destinées à réglementer l’interruption volontaire de grossesse, ces mesures ne doivent pas aboutir à une violation du droit à la vie de la femme ou de la fille enceinte ni de leurs autres droits consacrés par le Pacte. Ainsi, les restrictions de l’accès des femmes ou des filles à l’avortement ne doivent pas, notamment, mettre leur vie en danger ni les soumettre à une douleur ou une souffrance physique ou mentale qui constituerait une violation de l’article 7 du Pacte ou constituer une discrimination à leur égard ou une immixtion arbitraire dans leur vie privée. Les États parties doivent assurer un accès à l’avortement effectif, légal et sûr lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la fille enceinte est en danger ou lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme ou la fille enceinte une douleur ou une souffrance considérables, tout particulièrement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou n’est pas viable. En outre, les États parties ne doivent pas, dans tous les autres cas, réglementer la grossesse ou l’avortement d’une manière contraire à leur obligation de veiller à ce que les femmes et les filles n’aient pas à recourir à un avortement non sécurisé et devraient revoir en conséquence leur législation relative à l’avortement. Par exemple, ils ne devraient pas prendre de mesures telles que la criminalisation des grossesses hors mariage ou l’imposition de sanctions pénales aux femmes et aux filles qui ont recours à l’avortement ou aux prestataires de soins médicaux qui les aident, car de telles mesures obligent les femmes et les filles à recourir à des avortements non sécurisés. Les États parties devraient supprimer les obstacles actuels à l’accès effectif des femmes et des filles à un avortement légal et sécurisé, y compris les obstacles résultant de l’exercice de l’objection de conscience par des prestataires de soins médicaux, et ne devraient pas introduire de nouveaux obstacles. Les États parties devaient également protéger effectivement la vie des femmes et des filles contre les risques pour la santé mentale et physique liés aux avortements non sécurisés. Ils devraient en particulier garantir l’accès des femmes et des hommes, et tout particulièrement des filles et des garçons, à des informations et une éducation en matière de santé sexuelle et procréative de qualité et fondées sur des données factuelles ainsi qu’à un large éventail de moyens de contraception financièrement accessibles, et prévenir la stigmatisation des femmes et des filles qui souhaitent recourir à l’avortement. Les États parties devraient garantir aux femmes et aux filles la disponibilité de soins de santé prénatals et postavortement de qualité et l’accès effectif à de tels soins dans toutes les circonstances et de manière confidentielle.

9.Tout en reconnaissant l’importance capitale pour la dignité humaine de l’autonomie personnelle, les États devraient prendre des mesures adéquates, sans enfreindre leurs autres obligations au regard du Pacte, pour prévenir le suicide, notamment auprès des personnes qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité particulière, y compris les personnes privées de liberté. Les États parties qui autorisent les professionnels de la médecine à administrer un traitement médical ou à donner d’autres moyens médicaux permettant d’accélérer la fin de vie d’adultes se trouvant dans un état grave, comme les personnes atteintes d’une maladie en phase terminale, qui éprouvent une douleur ou une souffrance physique ou psychologique aiguë et qui veulent mourir dans la dignité, doivent veiller à l’existence de solides garanties légales et institutionnelles permettant de vérifier que ces professionnels de la médecine appliquent une décision explicite, non ambiguë, libre et éclairée de leur patient, afin que tout patient soit protégé contre les pressions et les abus.

II.Interdiction de la privation arbitraire de la vie

10.Bien qu’il soit inhérent à toute personne humaine, le droit à la vie n’est pas absolu. Si le Pacte n’énumère pas les motifs autorisés de privation de la vie, le paragraphe 1 de l’article 6, en exigeant que la privation de la vie ne soit pas arbitraire, reconnaît implicitement que certaines privations de la vie peuvent être non arbitraires. Par exemple, l’utilisation de la force létale au titre de la légitime défense, dans les conditions précisées au paragraphe 12 ci-dessous, ne constituerait pas une privation arbitraire de la vie. Même les mesures exceptionnelles conduisant à des privations de la vie qui ne sont pas arbitraires en elles-mêmes doivent être appliquées d’une manière qui ne soit pas arbitraire dans les faits. De telles mesures exceptionnelles devraient être établies par la loi et assorties de garanties institutionnelles efficaces visant à prévenir toute privation de la vie arbitraire. De surcroît, les États qui n’ont pas aboli la peine de mort et qui ne sont pas parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ou à d’autres traités prévoyant l’abolition de la peine de mort ne peuvent appliquer la peine de mort que de manière non arbitraire, pour les crimes les plus graves et sous réserve d’un certain nombre de conditions strictes détaillées dans la partie IV ci-dessous.

11.La deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 6 exige que le droit à la vie soit protégé par la loi et la troisième que nul ne soit arbitrairement privé de la vie. Ces deux exigences se recouvrent partiellement en ce qu’une privation de la vie dénuée de fondement juridique ou incompatible d’une quelconque autre manière avec les lois et procédures qui protègent la vie est, en règle générale, de nature arbitraire. Par exemple, une condamnation à mort prononcée à l’issue d’une procédure judiciaire conduite en violation des règles nationales de procédure ou de preuve en matière pénale sera généralement à la fois illégale et arbitraire.

12.En règle générale, la privation de la vie est arbitraire si elle est incompatible avec le droit international ou avec le droit interne. Toutefois, une privation de la vie peut être autorisée par le droit interne et être néanmoins arbitraire. La notion d’« arbitraire » ne doit pas être considérée comme équivalant exactement à celle de « contraire à la loi », mais doit être interprétée de manière plus large, comme englobant des éléments relatifs au caractère inapproprié, injuste et imprévisible de l’acte visé et au principe de légalité tout comme des considérations de raisonnabilité, de nécessité et de proportionnalité. Pour ne pas être qualifiée d’arbitraire au regard de l’article 6, l’utilisation d’une force potentiellement létale par un particulier agissant en état de légitime défense, ou par une autre personne venant à sa défense, doit être strictement nécessaire au vu de la menace que représente l’agresseur ; elle doit constituer un moyen de dernier recours après que d’autres solutions ont été épuisées ou jugées inadéquates ; le degré de force employé ne peut excéder celui qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace ; la force utilisée doit être soigneusement dirigée, uniquement contre l’agresseur ; et la menace à laquelle il est répondu doit supposer une mort ou une blessure grave imminente. L’emploi d’une force potentiellement létale dans le cadre du maintien de l’ordre est une mesure extrême à laquelle il ne devrait être recouru que lorsque cela s’avère strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice grave découlant d’une menace imminente. Elle ne peut être utilisée, par exemple, pour empêcher l’évasion d’un suspect ou d’un détenu ne constituant pas une menace sérieuse et imminente pour la vie ou l’intégrité physique d’autrui. La privation intentionnelle de la vie par quelque moyen que ce soit n’est autorisée que si elle est strictement nécessaire pour protéger la vie contre une menace imminente.

13.Les États parties sont censés prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute privation arbitraire de la vie par leurs agents de maintien de l’ordre, y compris les soldats chargés de missions de maintien de l’ordre. Ces mesures comprennent l’établissement d’une législation appropriée relative au contrôle de l’utilisation de la force létale par les agents du maintien de l’ordre, la mise en place de procédures visant à garantir que les opérations de maintien de l’ordre soient correctement planifiées compte tenu de la nécessité de réduire au minimum le risque qu’elles représentent pour la vie humaine, le signalement obligatoire et l’analyse des incidents mortels et autres incidents mettant la vie en danger et la conduite obligatoire d’enquêtes sur ces incidents ainsi que la mise à disposition des forces responsables de la lutte antiémeute de moyens moins meurtriers efficaces, complétés par des équipements de protection appropriés qui évitent le recours à la force létale (voir aussi par. 14 ci-dessous). En particulier, toutes les opérations menées par des agents du maintien de l’ordre devraient être conformes aux normes internationales pertinentes, notamment au Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, et les agents du maintien de l’ordre devraient recevoir une formation appropriée relative à ces normes afin de garantir, dans toutes les circonstances, le plus grand respect du droit à la vie.

14.Même si elles sont préférables à des armes plus meurtrières, les États parties devraient veiller à ce que les armes à létalité réduite soient soumises à des contrôles indépendants stricts et évaluer et surveiller les incidences sur le droit à la vie d’armes comme les dispositifs agissant par rupture électromusculaire (Tasers), les balles en caoutchouc ou en mousse et autres projectiles à impact atténué, qui sont conçues pour être utilisées ou sont effectivement utilisées par des agents du maintien de l’ordre, y compris des soldats chargés de missions de maintien de l’ordre. L’utilisation de telles armes doit être réservée aux membres des forces de l’ordre ayant suivi une formation appropriée, et doit être strictement réglementée conformément aux protocoles internationaux pertinents, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. En outre, les armes à létalité réduite ne doivent être employées que dans le strict respect des exigences de nécessité et de proportionnalité, dans les situations dans lesquelles d’autres mesures moins agressives se sont révélées être, ou sont clairement, inefficaces face à la menace. Les États parties ne devraient pas avoir recours aux armes à létalité réduite dans les situations de lutte antiémeute auxquelles il est possible de faire face en ayant recours à des moyens moins agressifs, en particulier dans le contexte de l’exercice du droit de réunion pacifique.

15.Lorsque des particuliers ou des entités privées sont habilités ou autorisés par un État partie à utiliser une force pouvant avoir des conséquences létales, l’État partie a l’obligation de veiller à ce qu’une telle utilisation de la force soit effectivement conforme aux dispositions de l’article 6 et il demeure responsable de tout manquement dans l’application de cet article. Entre autres choses, un État partie doit limiter rigoureusement les pouvoirs conférés aux acteurs privés et prévoir des mesures strictes et efficaces de supervision et de contrôle, ainsi que des formations appropriées, afin de veiller, notamment, à ce que les pouvoirs en question ne soient pas mal employés et ne conduisent pas à des privations arbitraires de la vie. Par exemple, les États parties doivent prendre des mesures adéquates pour s’assurer que les personnes qui ont été impliquées ou sont actuellement impliquées dans de graves violations des droits de l’homme soient exclues des corps de sécurité privés qui sont habilités ou autorisés à employer la force. Ils doivent aussi faire en sorte que les victimes de privation arbitraire de la vie par des individus ou des entités privées habilités ou autorisés par l’État partie disposent d’un recours utile.

16.Les paragraphes 2, 4 et 5 de l’article 6 reconnaissent implicitement que les pays qui n’ont pas aboli la peine de mort et n’ont pas ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ne sont pas légalement empêchés par le Pacte d’appliquer la peine de mort pour les crimes les plus graves, sous réserve d’un certain nombre de conditions strictes. Les autres procédures régissant des activités pouvant conduire à la privation de la vie, comme les protocoles relatifs à l’administration de nouveaux médicaments, doivent être établies par la loi, assorties de garanties institutionnelles efficaces visant à prévenir toute privation de la vie arbitraire et compatibles avec les autres dispositions du Pacte.

17.La privation de la vie par des actes ou omissions constituant une violation d’autres dispositions du Pacte que l’article 6 est, en règle générale, de nature arbitraire. Sont compris notamment l’utilisation de la force ayant pour conséquence le décès de manifestants qui exerçaient leur droit à la liberté de réunion et l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès qui n’était pas conforme aux exigences d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 du Pacte.

III.Obligation de protéger la vie

18.La deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 6 dispose que le droit à la vie « doit être protégé par la loi ». Cela signifie que les États parties doivent établir un cadre juridique qui garantisse à toutes les personnes la pleine jouissance du droit à la vie, propre à donner effet à ce droit. L’obligation de protéger le droit à la vie par la loi recouvre également l’obligation pour les États parties d’adopter toutes lois et autres mesures appropriées pour protéger le droit à la vie contre toutes les menaces raisonnablement prévisibles, y compris celles émanant de particuliers ou d’entités privées.

19.L’obligation de protéger le droit à la vie par la loi exige que tout motif substantiel de privation de la vie soit établi par la loi et défini avec suffisamment de précision pour éviter toute interprétation ou application trop étendue ou arbitraire. Puisque la privation de la vie par les autorités de l’État est une question extrêmement grave, la loi doit strictement contrôler et limiter les cas dans lesquels une personne peut être privée de la vie par ces autorités, et les États parties doivent assurer le plein respect de toutes les dispositions légales pertinentes. L’obligation de protéger le droit à la vie par la loi exige également des États parties qu’ils organisent tous les organes et structures de gouvernance de l’État par lesquels est exercée l’autorité publique d’une manière compatible avec la nécessité de respecter et garantir le droit à la vie, y compris en établissant par la loi des institutions et procédures adéquates en vue de prévenir toute privation de la vie, en faisant procéder à des enquêtes et des poursuites sur les cas présumés de privation illégale de la vie, en sanctionnant les responsables et en assurant une réparation intégrale.

20.Les États parties doivent adopter un cadre juridique de protection incluant l’interdiction effective en vertu du droit pénal de toutes les manifestations de violence ou incitations à la violence susceptibles d’aboutir à une privation de la vie, telles que l’homicide intentionnel et l’homicide par négligence, l’usage injustifié ou disproportionné des armes à feu, l’infanticide, les crimes d’« honneur », le lynchage, les crimes de haine violents, les dettes de sang, les meurtres rituels, les menaces de mort et les attaques terroristes. Les sanctions pénales prévues pour ces crimes doivent être proportionnées à leur gravité, tout en demeurant compatibles avec toutes les dispositions du Pacte.

21.L’obligation de prendre des mesures positives pour protéger le droit à la vie découle de l’obligation générale de garantir les droits reconnus dans le Pacte, établie au paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6, ainsi que de l’obligation spécifique de protéger le droit à la vie par la loi, énoncée dans la deuxième phrase de l’article 6. Les États parties ont donc l’obligation d’exercer la diligence voulue en prenant des mesures positives raisonnables, qui ne leur imposent pas une charge disproportionnée, pour répondre aux menaces raisonnablement prévisibles pour la vie émanant de particuliers ou d’entités privées dont le comportement n’est pas imputable à l’État. Les États parties sont ainsi tenus de prendre des mesures de prévention adéquates, face à des menaces raisonnablement prévisibles, pour protéger les personnes contre les meurtres ou homicides que pourraient commettre des délinquants, des membres du crime organisé ou des milices, y compris des groupes armés ou terroristes (voir aussi par. 23 ci-dessous). Les États parties devraient également démanteler les groupes armés illégaux tels que les armées ou milices privées qui sont responsables de privations de la vie et freiner la prolifération d’armes potentiellement létales aux mains d’individus qui ne sont pas autorisés à en détenir. Les États parties doivent en outre prendre des mesures adéquates de protection, y compris de supervision constante, afin de prévenir la privation arbitraire de la vie par des entités privées telles que les compagnies de transport privées, les hôpitaux privés et les sociétés de sécurité privées et d’enquêter sur les cas présumés, de sanctionner les responsables et d’accorder réparation aux victimes.

22.Les États parties doivent prendre des mesures appropriées pour protéger les personnes contre la privation de la vie par d’autres États, des organisations internationales et des entreprises étrangères agissant sur leur territoire ou dans d’autres zones sous leur juridiction. Ils doivent aussi prendre des mesures législatives et d’autres mesures pour veiller à ce que toute activité ayant lieu sur tout ou partie de leur territoire ou dans d’autres lieux sous leur juridiction mais ayant une incidence directe et raisonnablement prévisible sur le droit à la vie de personnes se trouvant en dehors de leur territoire, y compris si elle est menée par une entreprise basée sur leur territoire ou sous leur juridiction, soit compatible avec l’article 6, compte dûment tenu des normes internationales connexes relatives à la responsabilité des entreprises et au droit des victimes à un recours utile.

23.L’obligation de protéger le droit à la vie exige des États parties qu’ils prennent des mesures de protection spéciales en faveur des personnes en situation de vulnérabilité dont la vie est exposée à un risque particulier en raison de menaces spécifiques ou de schémas de violence préexistants. Sont concernés notamment les défenseurs des droits de l’homme (voir aussi par. 53 ci-dessous), les responsables de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, les travailleurs humanitaires, les journalistes, les personnalités publiques, les témoins d’infractions et les victimes de la violence familiale, de la violence fondée sur le genre et de la traite des êtres humains. Il peut s’agir également d’enfants, en particulier les enfants en situation de rue, les enfants migrants non accompagnés et les enfants dans des situations de conflit armé, de membres de minorités ethniques et religieuses, de peuples autochtones, de lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, de personnes atteintes d’albinisme, de personnes accusées de sorcellerie, de personnes déplacées, de requérants d’asile, de réfugiés et d’apatrides. Les États parties doivent réagir promptement et efficacement pour protéger les personnes qui sont exposées à une menace spécifique, en adoptant des mesures spéciales telles que la mise en place d’une protection policière permanente, la délivrance d’ordres de protection et d’éloignement contre des agresseurs potentiels et, dans les cas exceptionnels et uniquement avec le consentement libre et éclairé de la personne menacée, la détention à des fins de protection .

24.Les personnes présentant un handicap, y compris psychosocial ou intellectuel, ont droit elles aussi à des mesures spécifiques de protection propres à garantir leur jouissance effective du droit à la vie sur un pied d’égalité avec les autres. Ces mesures spéciales de protection doivent comprendre la réalisation d’aménagements raisonnables lorsque de tels aménagements sont nécessaires pour garantir le droit à la vie, comme le fait d’assurer l’accès des personnes handicapées aux installations et services essentiels, ainsi que des mesures spécifiques visant à prévenir l’usage injustifié de la force contre des personnes handicapées par les agents du maintien de l’ordre.

25.Les États parties ont également un devoir accru de prendre toutes les mesures qui s’imposent raisonnablement pour protéger la vie des personnes privées de liberté par l’État, étant donné que lorsqu’ils arrêtent, détiennent ou emprisonnent une personne ou la privent de liberté d’une autre manière, les États parties ont la responsabilité de prendre soin de sa vie et de veiller à son intégrité physique, et qu’ils ne sauraient invoquer le manque de ressources financières ou d’autres problèmes logistiques pour atténuer cette responsabilité. Le même devoir de diligence accru vaut à l’égard des personnes placées dans des lieux de détention privés fonctionnant avec l’autorisation de l’État. L’obligation de protéger la vie de toutes les personnes détenues comprend celle de leur assurer les soins médicaux nécessaires et de surveiller leur santé régulièrement et de façon appropriée, en les protégeant contre la violence d’autres détenus, en prévenant les suicides et en apportant les aménagements nécessaires aux personnes handicapées. Un devoir accru de protéger le droit à la vie s’applique aussi à l’égard des personnes placées dans des établissements gérés par l’État dans lesquelles la liberté est restreinte, tels que les établissements de santé mentale, les camps militaires, les camps de réfugiés et de déplacés, les institutions pour mineurs et les orphelinats.

26.L’obligation de protéger la vie signifie également que les États parties devraient prendre des mesures appropriées destinées à améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité. Il peut s’agir notamment d’un degré élevé de violence liée à la délinquance ou à l’utilisation d’armes à feu, de trafic généralisé, d’accidents industriels, de la dégradation de l’environnement (voir aussi par. 62 ci‑dessous), de la privation des peuples autochtones de leurs terres, territoires et ressources, de la prévalence de maladies potentiellement mortelles comme le sida, la tuberculose ou le paludisme, d’une toxicomanie largement répandue, de la faim et de la malnutrition à grande échelle, de l’extrême pauvreté ou du sans-abrisme. Les mesures requises pour créer des conditions adéquates permettant de protéger le droit à la vie peuvent notamment comprendre, si besoin, des mesures propres à garantir l’accès immédiat aux biens et services essentiels tels que l’alimentation, l’eau, un abri, les soins de santé, l’électricité et l’assainissement et d’autres mesures destinées à promouvoir et favoriser des conditions générales adéquates telles que le renforcement de l’efficacité des services de soins d’urgence et d’intervention en cas d’urgence (notamment pompiers, ambulances et forces de police) et des programmes de logement social. Les États parties devraient en outre élaborer des plans stratégiques visant à favoriser la jouissance du droit à la vie − pouvant comprendre des mesures de lutte contre la stigmatisation associée à certains handicaps et à certaines maladies, notamment les maladies sexuellement transmissibles, qui entrave l’accès aux soins médicaux ; des plans détaillés visant à promouvoir l’éducation à la non‑violence ; et des campagnes de sensibilisation à la violence fondée sur le genre et aux pratiques préjudiciables et des mesures destinées à améliorer l’accès aux examens et traitements médicaux conçus pour réduire la mortalité maternelle et infantile. Enfin, les États parties devraient aussi mettre au point, si nécessaire, des plans d’urgence et des plans de gestion des catastrophes conçus pour améliorer la préparation aux catastrophes naturelles ou causées par l’homme qui peuvent compromettre la jouissance du droit à la vie comme les ouragans, les tsunamis, les tremblements de terre, les accidents radioactifs et les cyberattaques massives qui entraînent l’interruption des services essentiels.

27.Un élément important de la protection du droit à la vie assurée par le Pacte est l’obligation qu’ont les États parties, lorsqu’ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance de privations de la vie résultant potentiellement d’actes illégaux, de faire procéder à une enquête et, le cas échéant, d’engager des poursuites contre les auteurs présumés de tels actes, ce qui vaut également pour les allégations d’usage excessif de la force ayant eu des conséquences mortelles (voir aussi par. 64 ci-dessous). Il y a également obligation d’enquêter dans les cas où l’usage d’une force potentiellement meurtrière a entraîné un risque grave de privation de la vie, même si le risque ne s’est pas matérialisé (voir aussi par. 7 ci-dessus). Cette obligation, qui fait implicitement partie de l’obligation de protéger, est renforcée par l’obligation générale de garantir les droits reconnus dans le Pacte, établie au paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, et l’obligation d’offrir un recours utile aux victimes de violations des droits de l’homme et à leurs proches, énoncée au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6. Les enquêtes et poursuites auxquelles donnent lieu les privations présumées illégales de la vie devraient être menées conformément aux protocoles internationaux pertinents, notamment le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d’actes illégaux, et doivent permettre de garantir que les responsables soient traduits en justice, de promouvoir l’établissement des responsabilités et de prévenir l’impunité, d’éviter le déni de justice et de tirer les enseignements voulus pour revoir les pratiques et méthodes employées afin d’empêcher de nouvelles violations. Les enquêtes devraient notamment consister à évaluer la responsabilité juridique des supérieurs hiérarchiques à raison des violations du droit à la vie commises par leurs subordonnés. Compte tenu de l’importance du droit à la vie, les États parties, face à des violations de l’article 6, ne doivent pas, d’une manière générale, se contenter de mesures administratives ou disciplinaires, mais doivent normalement faire procéder à une enquête pénale aboutissant, si suffisamment de preuves à charge sont réunies, à des poursuites pénales. Les immunités et amnisties accordées aux auteurs d’homicides intentionnels et à leurs supérieurs, et les mesures comparables qui engendrent une impunité de fait ou de droit, sont, en règle générale, incompatibles avec l’obligation de respecter et de garantir le droit à la vie et d’offrir aux victimes un recours utile.

28.Les enquêtes sur les allégations de violation de l’article 6 doivent toujours être indépendantes, impartiales, promptes, approfondies, efficaces crédibles et transparentes (voir aussi par. 64 ci-dessous).Lorsqu’une violation est constatée, il convient d’offrir une réparation intégrale comprenant, en fonction des circonstances particulières de l’espèce, des mesures adéquates d’indemnisation, de réadaptation et de satisfaction. Les États parties sont également tenus de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. S’il y a lieu, l’enquête devrait comprendre une autopsie du corps de la victime, chaque fois que cela est possible, en présence d’un représentant des proches de la victime. Les États parties doivent, entre autres, prendre des mesures appropriées pour établir la vérité sur les faits ayant abouti à la privation de la vie, notamment les raisons pour lesquelles certains individus ont été visés, et sur quelle base juridique, et les procédures appliquées par les forces de l’État avant, pendant et après le moment où la privation de la vie a eu lieu et pour identifier le corps des personnes qui ont perdu la vie. Les États parties devraient également divulguer les détails pertinents de l’enquête au plus proche parent de la victime, permettre à celui-ci de produire de nouveaux éléments de preuve, lui donner qualité pour agir dans l’enquête, et rendre publiques l’information sur les mesures d’enquête qui ont été prises et les constatations, conclusions et recommandations issues de l’enquête, sous réserve d’expurgations rendues absolument indispensables par la nécessité impérative de protéger l’intérêt public ou la vie privée et d’autres droits des personnes directement concernées. Les États parties doivent aussi prendre les mesures nécessaires pour protéger les témoins, les victimes et leurs proches ainsi que les personnes qui conduisent l’enquête contre les menaces, les attaques et tout acte de représailles. En cas de violation du droit à la vie, une enquête devrait si nécessaire être engagée d’office. Les États devraient apporter leur soutien aux mécanismes internationaux d’enquête et de poursuite qui examinent de possibles violations de l’article 6 et coopérer de bonne foi avec eux.

29.La perte de la vie en détention, lorsqu’elle survient dans des circonstances non naturelles, crée une présomption de privation arbitraire de la vie par les autorités de l’État, qui ne peut être réfutée que sur la base d’une enquête en bonne et due forme montrant que l’État s’est acquitté de ses obligations en vertu de l’article 6. Les États parties ont également une obligation particulière d’enquêter sur les allégations de violation de l’article 6 chaque fois que les autorités de l’État ont ou semblent avoir fait usage d’armes à feu ou d’un autre type de force potentiellement meurtrière en dehors du contexte immédiat d’un conflit armé, par exemple lorsque des tirs à balles réelles ont été dirigés sur des manifestants ou lorsque des civils ont été retrouvés morts dans des circonstances correspondant à un ensemble de violations présumées du droit à la vie par les autorités de l’État.

30.L’obligation de respecter et de garantir le droit à la vie exige des États parties qu’ils s’abstiennent d’expulser, d’extrader ou de transférer par d’autres moyens des personnes vers des pays où il existe des motifs sérieux de penser qu’elles seront exposées à un risque réel de violation de leur droit à la vie protégé par l’article 6 du Pacte. Un tel risque doit être couru personnellement et ne saurait simplement être déduit de la situation générale qui prévaut dans l’État de destination, sauf dans les cas les plus extrêmes. Par exemple, comme cela est expliqué au paragraphe 34 ci‑dessous, il serait contraire à l’article 6 d’extrader une personne depuis un pays qui a aboli la peine de mort vers un pays où cette peine pourrait lui être infligée. De même, il serait incompatible avec l’article 6 d’expulser une personne vers un pays dans lequel une fatwa a été prononcée contre elle par les autorités religieuses locales sans avoir vérifié que la fatwa n’est guère susceptible d’être appliquée, ou d’expulser une personne vers un pays extrêmement violent dans lequel elle n’a jamais vécu, où elle n’a pas de liens sociaux ou familiaux et dont elle ne parle pas la langue. En cas de risque présumé pour la vie de la personne renvoyée émanant des autorités de l’État de destination, la situation de la personne renvoyée et les conditions dans l’État de destination doivent être évaluées, entre autres, sur la base de l’intention exprimée par les autorités de ce pays, de leur comportement habituel dans des cas similaires et de la possibilité d’obtenir des assurances crédibles et effectives quant au but qu’elles poursuivent. Lorsque le risque présumé pour la vie émane d’acteurs non étatiques ou d’États étrangers agissant sur le territoire de l’État de destination, il est possible de solliciter des assurances crédibles et effectives de protection auprès des autorités de l’État de destination et d’étudier les possibilités de refuge à l’intérieur du pays. S’il s’appuie sur des assurances données par l’État de destination concernant le traitement qui sera réservé à l’intéressé après son renvoi, l’État expulsant devrait mettre en place des mécanismes adéquats permettant de s’assurer que les garanties données seront respectées dès le moment de ce renvoi.

31.L’obligation de ne pas extrader, expulser ou transférer par d’autres moyens énoncée à l’article 6 du Pacte peut avoir une portée plus vaste que le principe de non-refoulement dans le droit international relatif aux réfugiés, car elle peut exiger également la protection d’étrangers n’ayant pas droit au statut de réfugié. Les États parties doivent toutefois permettre à tous les requérants d’asile qui font valoir un risque réel de violation de leur droit à la vie dans leur État d’origine d’avoir accès à des procédures de détermination du statut de réfugié ou d’un autre statut individuel ou collectif pouvant leur offrir une protection contre le refoulement.

IV.Imposition de la peine de mort

32.Les paragraphes 2, 4, 5 et 6 de l’article 6 régissent l’imposition de la peine de mort dans les pays qui ne l’ont pas encore abolie.

33.Le paragraphe 2 de l’article 6 limite strictement l’application de la peine de mort, premièrement aux États parties qui ne l’ont pas abolie et deuxièmement aux crimes les plus graves. Vu qu’il serait incongru de réglementer l’application de la peine de mort dans un instrument qui consacre le droit à la vie, le contenu du paragraphe 2 doit faire l’objet d’une interprétation étroite.

34.Les États parties au Pacte qui ont aboli la peine de mort, en modifiant leurs lois nationales, en devenant parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ou en adoptant un autre instrument international qui les oblige à abolir la peine capitale, n’ont pas le droit de la réintroduire. Comme le Pacte, le deuxième Protocole facultatif ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et les États parties ne peuvent pas le dénoncer. L’abolition de la peine de mort est donc juridiquement irrévocable. De plus, les États parties ne peuvent pas transformer en une infraction passible de la peine de mort une infraction qui, au moment de la ratification du Pacte ou à quelque moment que ce soit après cette ratification, n’emportait pas cette peine. Ils ne peuvent pas non plus supprimer les critères juridiques associés à une infraction existante si cela a pour effet de rendre possible l’imposition de la peine de mort dans des cas où elle ne l’était pas auparavant. Les États parties qui ont aboli la peine de mort ne peuvent pas expulser, extrader ou transférer par d’autres moyens une personne vers un pays où elle est accusée d’infractions pénales passibles de la peine de mort, à moins qu’ils n’aient obtenu des assurances crédibles et effectives quant au fait que la peine de mort ne sera pas imposée. Dans le même ordre d’idées, en vertu de leur obligation de ne pas réintroduire la peine de mort pour une infraction donnée, les États parties ne peuvent pas expulser, extrader ni transférer par d’autres moyens une personne vers un pays où il est prévu qu’elle soit jugée pour une infraction passible de la peine de mort si la même infraction n’emporte pas cette peine dans l’État expulsant, à moins qu’ils n’aient obtenu des assurances crédibles et effectives quant au fait que l’intéressé ne risquera pas la peine de mort.

35.L’expression « les crimes les plus graves » doit être comprise de manière restrictive et s’entendre uniquement des crimes d’une extrême gravité, impliquant un homicide intentionnel. Les crimes qui n’ont pas la mort pour résultat direct et intentionnel tels que la tentative de meurtre, la corruption et autres infractions économiques et politiques, le vol à main armée, les actes de piraterie, les enlèvements, les infractions liées à la drogue et les infractions sexuelles, bien qu’ils soient de nature grave, ne peuvent jamais servir de fondement, au regard de l’article 6, pour imposer la peine de mort. Dans le même ordre d’idées, un degré limité de participation ou de complicité, même dans la perpétration de crimes parmi les plus graves, par exemple le fait de fournir le moyen physique de commettre un meurtre, ne saurait justifier l’imposition de la peine de mort. Les États parties ont l’obligation de revoir leurs lois pénales pour veiller à ce que la peine de mort ne soit pas imposée pour les crimes qui ne font pas partie des crimes les plus graves. Ils devraient aussi annuler les condamnations à mort prononcées pour des crimes ne faisant pas partie des crimes les plus graves et engager les procédures judiciaires nécessaires pour prononcer de nouvelles peines à l’égard des personnes reconnues coupables de tels crimes.

36.La peine de mort ne peut en aucune circonstance être appliquée à titre de sanction d’un comportement dont la criminalisation elle-même constitue une violation du Pacte, notamment l’adultère, l’homosexualité, l’apostasie, la création de groupes d’opposition politique ou le fait d’offenser un chef d’État. Les États parties qui maintiennent la peine de mort pour de telles infractions manquent à leurs obligations au regard de l’article 6 du Pacte, pris isolément et lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2, ainsi que d’autres dispositions du Pacte.

37.Dans toutes les affaires où la peine de mort risque d’être appliquée, la situation personnelle de l’auteur de l’infraction et les circonstances particulières ayant entouré la commission de l’infraction, y compris les circonstances atténuantes spécifiques, doivent être examinées par la juridiction de jugement. Ainsi, les peines de mort obligatoires qui ne laissent aux juridictions nationales aucune latitude s’agissant de qualifier l’infraction de crime justifiant la peine de mort et de prononcer la peine capitale dans la situation particulière de l’auteur de l’infraction, sont arbitraires par nature. Le droit de solliciter une grâce ou une commutation en faisant valoir des circonstances particulières propres à l’affaire ou à l’accusé n’est pas un substitut adéquat à la discrétion judiciaire nécessaire dans l’application de la peine de mort.

38.Le paragraphe 2 de l’article 6 exige également des États parties qu’ils veillent à ce que toute condamnation à mort soit prononcée « conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis ». Cette application du principe de légalité complète et réaffirme l’application du principe nulla poena sine lege énoncé au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il s’ensuit que la peine de mort ne peut jamais être imposée si l’infraction n’en était pas passible en vertu de la loi au moment où elle a été commise. L’imposition de la peine de mort ne peut non plus être fondée sur des dispositions pénales dont la définition est vague et dont l’application à la personne reconnue coupable est fonction de considérations subjectives ou discrétionnaires dont la prise en compte n’est pas raisonnablement prévisible. En revanche, l’abolition de la peine de mort devrait s’appliquer de manière rétroactive aux personnes accusées ou reconnues coupables d’une infraction passible de cette peine, conformément au principe de la loi la plus favorable (lex mitior), partiellement énoncé dans la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 15, où il est demandé aux États parties de faire bénéficier les délinquants des peines plus légères éventuellement prévues par la loi après la commission de l’infraction. L’application rétroactive de l’abolition de la peine de mort à toutes les personnes accusées ou reconnues coupables d’une infraction passible de cette peine découle également de l’impossibilité de justifier l’imposition de la peine de mort une fois que cette peine a été abolie.

39.Le paragraphe 3 de l’article 6 rappelle à tous les États parties qui sont également parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide leurs obligations de prévention et de répression du crime de génocide, qui comprennent l’obligation de prévenir et de punir toute privation de la vie faisant partie d’un crime de génocide. La peine de mort ne peut en aucune circonstance être imposée dans le cadre d’une politique de génocide visant les membres d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

40.Les États parties qui n’ont pas aboli la peine de mort doivent respecter l’article 7 du Pacte, qui interdit certaines méthodes d’exécution. Le non-respect de l’article 7 ne peut que rendre l’exécution arbitraire et, partant, constituer en outre une violation de l’article 6. Le Comité a déjà considéré que la lapidation, l’injection de drogues létales n’ayant pas fait l’objet de tests, les chambres à gaz, le fait de brûler ou d’enterrer le condamné vivant et les exécutions publiques étaient contraires à l’article 7. Pour des raisons similaires, les autres méthodes d’exécution douloureuses et humiliantes sont également illicites au regard du Pacte. Le fait de ne pas informer dès que possible un condamné à mort de la date de son exécution constitue, en règle générale, une forme de mauvais traitement qui rend ensuite l’exécution contraire à l’article 7 du Pacte. Un retard extrême dans l’application d’une condamnation à mort, qui dépasse le délai raisonnablement nécessaire pour épuiser toutes les voies de recours, peut également constituer une violation de l’article 7 du Pacte, surtout si la longue période passée dans le couloir de la mort expose le condamné à une situation éprouvante ou stressante, notamment à l’isolement cellulaire, et lorsque le condamné est particulièrement vulnérable en raison de facteurs tels que son âge, sa santé ou son état mental.

41.Une violation des garanties d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 du Pacte qui aboutirait à l’imposition de la peine de mort rendrait la condamnation arbitraire, et contraire à l’article 6 du Pacte. De telles violations peuvent consister en l’utilisation d’aveux forcés, l’impossibilité pour l’accusé d’interroger des témoins importants, l’absence de représentation effective, ce qui englobe les entretiens confidentiels entre l’avocat et son client à tous les stades de la procédure pénale, y compris l’interrogatoire, l’audience préliminaire, le procès et l’appel, le non-respect de la présomption d’innocence, qui peut conduire à placer l’accusé dans une cage ou à le menotter pendant le procès, l’absence d’un droit effectif d’appel, l’absence du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense, y compris l’impossibilité d’avoir accès à des documents juridiques essentiels pour assurer la défense ou faire appel, par exemple les requêtes adressées au tribunal par le procureur, le jugement prononcé par le tribunal ou les minutes du procès, l’absence de services d’interprétation adéquats, le fait de ne pas mettre à la disposition des personnes handicapées des documents accessibles et de ne pas prévoir pour elles des aménagements procéduraux, les retards excessifs et injustifiés pendant le procès ou la procédure d’appel et le manque général d’équité de la procédure pénale ou le manque d’indépendance ou d’impartialité de la juridiction de jugement ou d’appel.

42.D’autres vices de procédure graves qui ne sont pas expressément visés à l’article 14 du Pacte peuvent néanmoins rendre l’imposition de la peine de mort contraire à l’article 6. Par exemple, le fait de ne pas informer rapidement un détenu étranger de son droit à notification consulaire en vertu de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, aboutissant à l’imposition de la peine de mort, et le fait de ne pas donner à une personne sur le point d’être expulsée vers un pays où l’existence d’un risque réel pour sa vie est alléguée la possibilité de se prévaloir des procédures de recours disponibles constitueraient une violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

43.L’exécution de condamnés dont la culpabilité n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable constitue également une privation arbitraire de la vie. Les États parties doivent donc prendre toutes les mesures possibles pour éviter les condamnations injustifiées dans les affaires où l’accusé est passible de la peine de mort, reconsidérer les obstacles procéduraux au réexamen des déclarations de culpabilité et réexaminer les déclarations de culpabilité sur la base de nouveaux éléments de preuve, y compris de nouveaux échantillons d’ADN. Les États parties devraient également, pour ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve dans les affaires où l’accusé est passible de la peine de mort, tenir compte de nouvelles études crédibles, y compris des études suggérant qu’il existe un certain nombre de faux aveux et que les témoignages oculaires ne sont pas toujours fiables.

44.La peine de mort ne doit pas être imposée de manière discriminatoire, ce qui serait contraire aux exigences du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte. Les données suggérant que les membres de minorités religieuses, raciales ou ethniques, les personnes démunies ou les ressortissants étrangers courent un risque disproportionné d’être condamnés à mort peuvent indiquer une inégalité en matière d’application de la peine de mort, ce qui soulève des préoccupations au regard du paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6, ainsi qu’au regard de l’article 26.

45.Selon la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article 6, la peine de mort ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement rendu par un tribunal compétent. Ce tribunal doit être établi par la loi au sein du système judiciaire, être indépendant des pouvoirs exécutif et législatif et être impartial. Il doit avoir été établi avant la commission de l’infraction. En règle générale, les civils ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires pour des infractions passibles de la peine de mort, et les personnels militaires ne peuvent être jugés pour de telles infractions que par des tribunaux offrant toutes les garanties d’une procédure équitable. Par ailleurs, le Comité ne considère pas que les juridictions coutumières constituent des institutions judiciaires offrant suffisamment de garanties d’une procédure régulière pour être en mesure de juger les crimes emportant la peine capitale. L’imposition d’une peine de mort sans aucun procès, par exemple sous la forme d’un édit religieux ou d’un ordre militaire que l’État compte appliquer ou dont il autorise l’application, constitue une violation de l’article 6 et de l’article 14 du Pacte.

46.Une peine de mort ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif, après que la possibilité de recourir à toutes les procédures judiciaires d’appel a été offerte à la personne condamnée, et après que tous les recours non judiciaires disponibles ont été examinés, notamment le recours au titre de la procédure de contrôle présenté au ministère public ou aux tribunaux, et la demande de grâce officielle ou privée. En outre, une condamnation à mort ne doit pas être appliquée tant que des mesures internationales provisoires ayant un effet suspensif sont en vigueur. De telles mesures ont pour but de permettre un réexamen de la condamnation par des juridictions internationales, des cours et commissions des droits de l’homme et des organes internationaux de surveillance tels que les organes conventionnels de l’ONU. La non-application de ces mesures provisoires est incompatible avec l’obligation de respecter de bonne foi les procédures établies en vertu des instruments spécifiques régissant les travaux des organes internationaux compétents.

47.Le paragraphe 4 de l’article 6 exige des États parties qu’ils autorisent tout condamné à mort à solliciter la grâce ou la commutation de la peine, qu’ils veillent à ce que l’amnistie, la grâce ou la commutation lui soit accordée dans les circonstances appropriées et qu’ils s’assurent que la peine ne soit pas exécutée avant que les demandes de grâce ou de commutation n’aient été véritablement examinées et dûment tranchées conformément aux procédures applicables. Aucune catégorie de condamnés ne peut être a priori privée de ces mesures de clémence et les conditions à remplir pour en bénéficier ne devraient pas les rendre inopérantes ni être inutilement contraignantes, de nature discriminatoire ou imposées de manière arbitraire. Le paragraphe 4 de l’article 6 ne prévoit pas de procédure particulière pour l’exercice du droit de solliciter la grâce ou la commutation de peine, et les États parties conservent donc une certaine latitude en la matière. Cependant, ces procédures devraient être définies dans la législation nationale et ne devraient pas conférer aux familles des victimes d’infractions criminelles un rôle prépondérant pour ce qui est de déterminer si la peine de mort doit être appliquée. De surcroît, les procédures relatives à la grâce ou la commutation de peine doivent offrir certaines garanties essentielles, notamment la transparence au sujet des modalités suivies et des critères de fond retenus et le droit des personnes condamnées à mort d’engager une procédure de demande de grâce ou de commutation et d’exposer leur situation personnelle ou d’autres circonstances pertinentes, d’être informé à l’avance de la date à laquelle la demande sera examinée et d’être informé sans délai de l’issue de la procédure.

48.Le paragraphe 5 de l’article 6 interdit d’imposer la peine de mort à une personne qui avait moins de 18 ans au moment de la commission de l’infraction. Cela signifie nécessairement que cette personne ne sera jamais condamnée à mort pour cette infraction, quel que soit son âge au moment de la condamnation ou à la date prévue pour l’exécution de sa peine. En l’absence d’élément prouvant de manière fiable et concluante que l’intéressé n’était pas âgé de moins de 18 ans au moment où l’infraction a été commise, il ou elle a droit au bénéfice du doute et la peine de mort ne peut être imposée. Le paragraphe 5 de l’article 6 interdit également aux États parties d’appliquer la peine de mort à une femme enceinte.

49.Les États parties doivent s’abstenir d’imposer la peine de mort à des personnes qui, par rapport aux autres, ont des difficultés particulières pour se défendre elles-mêmes, comme les personnes qui présentent un grave handicap psychosocial ou intellectuel qui les empêche de se défendre effectivement et les personnes dont la responsabilité morale est limitée. Ils devraient également s’abstenir d’exécuter des personnes qui ont une moindre aptitude à comprendre les raisons de leur condamnation, et celles dont l’exécution serait exceptionnellement cruelle ou aurait des conséquences exceptionnellement sévères pour elles-mêmes et leur famille, comme les personnes d’un âge avancé, les parents d’enfants très jeunes ou dépendants et les personnes qui ont subi de graves violations des droits de l’homme dans le passé.

50.Le paragraphe 6 de l’article 6 réaffirme la position selon laquelle les États parties qui ne sont pas encore totalement abolitionnistes devraient être engagés de manière irréversible vers l’élimination complète de la peine de mort, de facto et de jure, dans un futur prévisible. La peine de mort n’est pas conciliable avec le plein respect du droit à la vie, et son abolition est à la fois souhaitable et nécessaire pour la promotion de la dignité humaine et la réalisation progressive des droits de l’homme. Il est contraire à l’objet et au but de l’article 6 que les États parties prennent des dispositions pour augmenter de facto le taux d’utilisation de la peine de mort ainsi que la mesure dans laquelle ils ont recours à cette peine ou qu’ils réduisent le nombre de grâces et de commutations de peine qu’ils accordent.

51.Si l’allusion aux conditions de l’application de la peine de mort, au paragraphe 2 de l’article 6, donne à penser qu’au moment de la rédaction du Pacte, les États parties ne considéraient pas tous la peine de mort comme une peine cruelle, inhumaine ou dégradante en soi, les accords ultérieurs conclus par les États parties ou la pratique ultérieure établissant de tels accords peuvent conduire à la conclusion que la peine de mort est contraire à l’article 7 du Pacte en toutes circonstances. Le nombre croissant d’États parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ou à d’autres instruments internationaux interdisant l’imposition ou l’application de la peine de mort, et le nombre croissant d’États non abolitionnistes qui ont néanmoins adopté un moratoire de facto sur les exécutions suggèrent que des progrès considérables peuvent avoir été faits vers l’émergence, entre les États parties, d’un accord sur l’idée que la peine de mort constitue une forme de peine cruelle, inhumaine ou dégradante. Une telle évolution juridique est conforme à l’esprit abolitionniste du Pacte, qui se dégage, notamment, du texte du paragraphe 6 de l’article 6 et du deuxième Protocole facultatif.

V.Relation entre l’article 6 et d’autres articles du Pacte ainsi que d’autres régimes juridiques

52.Les critères et garanties énoncés à l’article 6 se recouvrent et sont en outre en relation avec d’autres dispositions du Pacte. Certains types de comportement constituent une violation à la fois de l’article 6 et d’un autre article. Par exemple, l’application de la peine de mort pour une infraction qui ne fait pas partie des crimes les plus graves (voir aussi par. 35 ci-dessous) enfreindrait à la fois le paragraphe 2 de l’article 6 et, compte tenu de la nature extrême de la peine, l’article 7. Dans d’autres cas, la teneur du paragraphe 1 de l’article 6 est éclairée par celle d’autres articles. Par exemple, l’application de la peine de mort peut constituer une privation arbitraire de la vie au regard de l’article 6 du fait qu’elle représente une sanction de l’exercice du droit à la liberté d’expression, ce qui est contraire à l’article 19.

53.L’article 6 renforce également l’obligation qu’ont les États parties en vertu du Pacte et du Protocole facultatif de protéger contre toutes représailles les personnes qui œuvrent à la promotion, à la protection et à la réalisation des droits de l’homme, notamment en coopérant ou en communiquant avec le Comité. Les États parties doivent prendre les mesures nécessaires pour réagir aux menaces de mort et fournir une protection adéquate aux défenseurs des droits de l’homme, et notamment créer et maintenir un environnement sûr et propice à la défense des droits de l’homme.

54.Les actes de torture et autres mauvais traitements, qui peuvent gravement affecter la santé physique et mentale des personnes qui en sont victimes, peuvent aussi créer un risque de privation de la vie. En outre, toute déclaration de culpabilité pénale entraînant la peine de mort qui repose sur des informations obtenues par la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à une personne lors de son interrogatoire constitue une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ainsi que de l’article 6 (voir aussi par. 41 ci-dessus).

55.Le renvoi d’une personne vers un pays où il existe des motifs sérieux de penser qu’elle serait exposée à un risque réel pour sa vie constitue une violation des articles 6 et 7 du Pacte (voir aussi par. 31 ci-dessus). De plus, le fait de laisser une personne qui a été condamnée à mort croire que la peine a été commuée pour l’informer ensuite qu’il n’en est rien, ou de placer une personne dans le couloir de la mort en application d’une condamnation qui est nulle ab initio, est contraire à la fois à l’article 6 et à l’article 7.

56.La privation arbitraire de la vie d’une personne peut causer à ses proches des souffrances psychologiques, ce qui peut constituer une violation de leurs droits au titre de l’article 7 du Pacte. De plus, même lorsque la privation de la vie n’est pas arbitraire, le fait de ne pas donner aux proches d’une personne des informations sur les circonstances de sa mort peut constituer une violation de leurs droits au titre de l’article 7, de même que le fait de ne pas les informer du lieu où se trouve le corps et, lorsque la peine de mort est appliquée, de la date à laquelle l’État partie prévoit de l’exécuter. Les proches d’une personne privée de sa vie par l’État doivent se voir restituer sa dépouille si telle est leur volonté.

57.Le droit à la vie garanti à l’article 6 du Pacte, y compris le droit à la protection de la vie au titre du paragraphe 1 de l’article 6, peut recouper le droit à la sécurité de la personne garanti au paragraphe 1 de l’article 9. Les formes extrêmes de détention arbitraire qui constituent en elles-mêmes une menace pour la vie, en particulier les disparitions forcées, constituent une violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et sont incompatibles avec le droit à la vie (voir aussi par. 58 ci-dessous). Le non-respect des garanties de procédure énoncées aux paragraphes 3 et 4 de l’article 9 et destinées notamment à prévenir les disparitions peut également constituer une violation de l’article6.

58.La disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes et d’omissions représentant une grave menace pour la vie. Le fait de priver une personne de liberté puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable. Il constitue donc une violation du droit à la vie ainsi qu’une violation d’autres droits reconnus par le Pacte, en particulier par l’article 7 (interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), l’article 9 (liberté et sécurité de la personne) et l’article 16 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique). Les États parties doivent prendre des mesures adéquates pour prévenir la disparition forcée et faire procéder promptement à une enquête efficace en vue de déterminer le sort réservé à toute personne pouvant avoir été victime de disparition forcée ainsi que le lieu où elle se trouve. Les États parties doivent également veiller à ce que toute disparition forcée donne lieu à des sanctions pénales appropriées et mettre en place des procédures rapides et efficaces pour que les cas de disparition fassent l’objet d’enquêtes approfondies menées par des organes indépendants et impartiaux généralement intégrés au système de justice pénale ordinaire. Ils devraient traduire en justice les auteurs de tels actes et omissions et veiller à ce que les victimes de disparition forcée et leurs proches soient informés des résultats de l’enquête et reçoivent une réparation intégrale. Les familles des victimes de disparition forcée ne devraient en aucune circonstance être contraintes de déclarer le décès de leur proche pour pouvoir prétendre à une réparation. Les États parties devraient également donner aux familles des victimes de disparition forcée les moyens de clarifier leur situation juridique vis-à-vis de la personne disparue après l’écoulement d’un délai approprié.

59.Il existe un lien particulier entre l’article 6 et l’article 20, lequel interdit toute propagande en faveur de la guerre et certaines formes d’apologie constituant une incitation à la discrimination, l’hostilité ou la violence. Un manquement à ces obligations énoncées à l’article 20 peut également être considéré comme un manquement à l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger le droit à la vie énoncé à l’article 6.

60.Le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte dispose que tout enfant a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. Cet article exige l’adoption de mesures spéciales visant à protéger la vie de chaque enfant, en sus des mesures générales requises par l’article 6 pour protéger la vie de toutes les personnes. Lorsqu’ils prennent des mesures spéciales de protection, les États parties devraient être guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant et la nécessité d’assurer la survie, le développement et le bien-être de tous les enfants.

61.Le droit à la vie doit être respecté et garanti sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation, y compris la caste,l’appartenance ethnique, l’appartenance à un groupe autochtone, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, le handicap, la situation socioéconomique, l’albinisme et l’âge. Les protections légales du droit à la vie doivent s’appliquer de manière égale à toutes les personnes et leur assurer des garanties effectives contre toutes les formes de discrimination, y compris les formes de discrimination multiples et croisées. Toute privation de la vie fondée sur une discrimination dans la loi ou dans la pratique est ipso facto de nature arbitraire. Le féminicide, qui constitue une forme extrême de violence fondée sur le sexe visant les filles et les femmes, est une forme particulièrement grave d’atteinte au droit à la vie.

62.La dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pour la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie. Les obligations des États parties au regard du droit international de l’environnement devraient donc éclairer la teneur de l’article 6 du Pacte, et l’obligation qu’ont les États parties de respecter et garantir le droit à la vie devrait également éclairer leurs obligations pertinentes au regard du droit international de l’environnement. La mise en œuvre de l’obligation de respecter et garantir le droit à la vie, et en particulier à la vie dans la dignité, dépend, entre autres, des mesures prises par les États parties pour préserver l’environnement et le protéger contre les dommages, la pollution et les changements climatiques résultant de l’activité des acteurs publics et privés. Les États parties devraient par conséquent veiller à ce qu’il soit fait un usage durable des ressources naturelles, élaborer des normes environnementales de fond et les faire appliquer, réaliser des études d’impact sur l’environnement et consulter les États concernés au sujet des activités susceptibles d’avoir des incidences écologiques notables, notifier aux autres États concernés les catastrophes naturelles et situations d’urgence et coopérer avec eux, assurer un accès approprié à l’information sur les risques environnementaux et prendre dûment en considération le principe de précaution.

63.Eu égard au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, un État partie a l’obligation de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire, et à toutes les personnes relevant de sa compétence, c’est-à-dire à toutes les personnes dont la jouissance du droit à la vie dépend de son pouvoir ou de son contrôle effectif, les droits reconnus à l’article 6. Cela inclut les personnes se trouvant à l’extérieur de tout territoire effectivement contrôlé par l’État mais dont le droit à la vie est néanmoins affecté par ses activités militaires ou autres de manière directe et raisonnablement prévisible (voir par. 22 ci-dessus). Les États ont également l’obligation, au regard du droit international, de ne pas apporter leur aide ou leur assistance à des activités menées par d’autres États ou par des acteurs non étatiques qui constituent une violation du droit à la vie. Les États parties doivent en outre respecter et protéger la vie des personnes se trouvant dans des lieux dans lesquels ils exercent un contrôle effectif, comme des territoires occupés, ou dans des territoires où ils ont contracté une obligation internationale d’application du Pacte. Les États parties sont aussi tenus de respecter et de protéger la vie de toutes les personnes se trouvant à bord de navires ou d’aéronefs enregistrés par eux ou battant leur pavillon, et celle des personnes qui se trouvent dans une situation de détresse en mer, conformément à leurs obligations internationales relatives aux secours en mer. Étant donné que la privation de liberté place l’intéressé sous le contrôle effectif de l’État, les États parties doivent respecter et protéger le droit à la vie de toutes les personnes qu’ils arrêtent ou mettent en détention, même en dehors de leur territoire.

64.Comme le reste du Pacte, l’article 6 demeure également applicable dans les situations de conflit armé régies par les règles du droit international humanitaire, y compris à la conduite des hostilités. Si les règles du droit international humanitaire peuvent être pertinentes pour l’interprétation et l’application de l’article 6 lorsque la situation rend leur application nécessaire, ces deux sphères du droit ne s’excluent pas mutuellement mais sont complémentaires. Une utilisation de la force létale conforme au droit international humanitaire et aux autres normes de droit international applicables est, en règle générale, non arbitraire. Par contre, les pratiques contraires au droit international humanitaire, qui représentent un risque pour la vie de civils ou d’autres personnes protégées par le droit international humanitaire, notamment le fait de prendre pour cible des civils, des biens civils ou des biens indispensables à la survie de la population civile, les attaques aveugles, le fait de ne pas appliquer les principes de précaution et de proportionnalité, et l’utilisation de boucliers humains constitueraient également une violation de l’article 6 du Pacte. Les États parties devraient, en général, faire connaître les critères retenus pour l’utilisation de la force létale contre des personnes ou des objets dont la prise pour cible aura pour résultat prévisible la privation de la vie, y compris le fondement juridique de certaines attaques, la procédure d’identification d’objectifs militaires et de combattants ou de personnes participant activement aux hostilités, les circonstances dans lesquelles les moyens et méthodes de guerre concernés ont été employés et le point de savoir si d’autres solutions moins agressives ont été envisagées. Ils doivent également enquêter sur les allégations ou soupçons de violations de l’article 6 dans les situations de conflit armé conformément aux normes internationales pertinentes (voir par. 27 et 28 ci-dessus).

65.Les États parties qui participent au déploiement, à l’utilisation, à la vente ou à l’achat d’armes existantes et à l’étude, l’élaboration, l’acquisition ou l’adoption de nouvelles armes et de nouveaux moyens ou méthodes de combat doivent toujours prendre en considération les incidences de ces dispositifs sur le droit à la vie. Par exemple, la fabrication de systèmes d’armes autonomes dépourvus de la compassion et du discernement propres aux humains soulève de difficiles questions juridiques et éthiques en lien avec le droit à la vie, ayant trait notamment à la responsabilité juridique engagée par l’utilisation de ces systèmes. C’est pourquoi le Comité est d’avis que de tels systèmes d’armement ne devraient pas être fabriqués et mis en service, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, à moins qu’il ait été établi que leur utilisation est conforme à l’article 6 et aux autres normes du droit international pertinentes.

66. Le recours ou la menace de recours à des armes de destruction massive, en particulier des armes nucléaires, qui frappent aveuglément et peuvent détruire la vie humaine à une échelle catastrophique, est incompatible avec le respect du droit à la vie et peut constituer un crime au regard du droit international. Les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la prolifération d’armes de destruction massive, y compris pour en empêcher l’acquisition par des acteurs non étatiques, s’abstenir d’élaborer, de fabriquer, de tester, d’acquérir, de stocker, de vendre, de transférer et d’utiliser de telles armes, détruire les stocks existants, et prendre des mesures adéquates de protection contre leur usage accidentel, tout cela conformément à leurs obligations internationales. Ils doivent également s’acquitter de leurs obligations internationales de poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire sous un contrôle international strict et efficace et d’accorder une réparation adéquate aux victimes dont le droit à la vie a subi ou subit les incidences négatives de l’essai ou de l’utilisation d’armes de destruction massive, conformément aux principes de la responsabilité internationale.

67.L’article 6 figure dans la liste des droits non susceptibles de dérogation au paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte. Ainsi, les garanties contre la privation arbitraire de la vie énoncées à l’article 6 continuent de s’appliquer dans toutes les circonstances, y compris les situations de conflit armé et autres situations de danger public exceptionnel. L’existence et la nature d’un danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation peuvent toutefois constituer un facteur pertinent pour déterminer si un acte ou une omission donné conduisant à la privation de la vie est arbitraire et pour déterminer la portée des mesures positives que les États parties doivent prendre. Bien que certains droits consacrés par le Pacte autres que le droit à la vie puissent faire l’objet d’une dérogation, les droits susceptibles de dérogation qui favorisent l’application de l’article 6 ne doivent pas être affaiblis par des mesures de dérogation. Il s’agit notamment de garanties procédurales, telles que le droit à un procès équitable dans les affaires où la peine de mort risque d’être prononcée, et de mesures accessibles et efficaces pour faire valoir des droits, comme l’obligation de prendre toutes les mesures appropriées pour enquêter sur les violations du droit à la vie, poursuivre et sanctionner les responsables et assurer réparation aux victimes.

68.Les réserves ayant trait aux obligations impératives et non dérogeables énoncées à l’article 6 sont incompatibles avec l’objet et le but du Pacte. En particulier, aucune réserve n’est autorisée à l’égard de l’interdiction de la privation arbitraire de la vie ni aux limites strictes fixées à l’article 6 en ce qui concerne l’application de la peine de mort.

69.Les guerres et autres actes de violence massive demeurent pour l’humanité un fléau qui ôte chaque année la vie à de nombreux milliers de personnes. Les efforts accomplis pour prévenir les risques de guerre et de toute autre forme de conflit armé et pour renforcer la paix et la sécurité internationales font partie des garanties les plus importantes du droit à la vie.

70.Les États parties qui participent à des actes d’agression tels que définis en droit international, ayant pour conséquence la privation de la vie, commettent ipso facto une violation de l’article 6 du Pacte. Il est par ailleurs rappelé à tous les États qu’ils ont la responsabilité, en tant que membres de la communauté internationale, de protéger les vies et de s’opposer aux atteintes généralisées ou systématiques au droit à la vie, y compris aux actes d’agression, au terrorisme international, au génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre, en respectant toutes les obligations qui leur incombent en vertu du droit international. Les États parties qui omettent de prendre toutes les mesures raisonnables pour régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques pourraient ne pas s’acquitter pleinement de leur obligation positive de garantir le droit à lavie.

Note