Nations Unies

CCPR/C/ERI/CO/1

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant l’Érythrée en l’absence de rapport initial*

1.En l’absence de rapport initial de l’État partie, le Comité a examiné la situation des droits civils et politiques au regard du Pacte en Érythrée à ses 3582e et 3583e séances publiques (CCPR/C/SR.3582 et 3583), les 12 et 13 mars 2019. Conformément au paragraphe 1 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, dans le cas où un État partie n’a pas soumis de rapport en application de l’article 40 du Pacte, le Comité peut examiner en séance publique les mesures prises par cet État pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte et procéder à l’adoption d’observations finales.

2.À sa 3599e séance, le 25 mars 2019, le Comité a adopté les observations finales ci‑après.

A.Introduction

3.Le Pacte est entré en vigueur pour l’Érythrée le 22 avril 2002. L’État partie était tenu de soumettre son rapport initial au plus tard le 22 mai 2003. Le Comité regrette que l’État partie ait manqué aux obligations que lui impose l’article 40 du Pacte et que, malgré de nombreux rappels, il n’ait pas soumis de rapport initial.

4.Le Comité regrette en outre que l’État partie n’ait pas fourni de réponses à la liste des points à traiter (CCPR/C/ERI/Q/1). Il se félicite toutefois de l’occasion qui lui a été donnée, les 12 et 13 mars 2019, d’engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie sur la mise en œuvre du Pacte et prend note des réponses données oralement par la délégation et des renseignements supplémentaires fournis par l’État partie après ce dialogue.

B.Aspects positifs

5.Le Comité note avec satisfaction la signature d’une Déclaration conjointe de paix et d’amitié entre l’Érythrée et l’Éthiopie, le 9 juillet 2018, ainsi que d’un accord de coopération entre l’Érythrée, l’Éthiopie, Djibouti et la Somalie le 6 septembre 2018 en vue du rétablissement en commun de la paix et la stabilité dans la Corne de l’Afrique. Le Comité prend également note de la levée, le 14 novembre 2018, des sanctions imposées à l’Érythrée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il espère que l’État partie tirera parti de cette opportunité pour entrer dans une ère nouvelle et bâtir un avenir plus pacifique, plus inclusif et plus résilient pour son peuple.

6.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 25 septembre 2014 ;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 16 février 2006.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte

7.Le Comité est préoccupé par l’absence de constitution en vigueur dans l’État partie, en raison de l’inapplication de la Constitution de 1997 et du fait qu’aucune autre constitution n’a encore été adoptée. Cette situation rend particulièrement difficile la mise en œuvre du Pacte. Le Comité prend note du projet de l’État partie visant à rédiger une nouvelle constitution, mais il regrette le flou entourant le calendrier et les modalités d’élaboration de ce texte. Le Comité est, en outre, vivement préoccupé par la suspension de l’Assemblée nationale depuis 2002. Compte tenu du système dualiste prévalant dans l’État partie, il s’inquiète aussi du manque de renseignements sur le point de savoir si l’incorporation des droits consacrés par le Pacte dans la législation nationale est adéquate, ainsi que de l’absence totale d’informations sur l’applicabilité de ces droits devant les tribunaux nationaux (art. 2).

8. L ’ État partie devrait veiller d ’ urgence à ce que la Constitution de 1997 puisse entrer en vigueur en attendant son remplacement par un nouveau texte. Il devrait également accélérer le processus de révision constitutionnelle , en suivant un calendrier précis et selon de s modalités propres à favoriser la transparence et la participation . L ’ État partie devrait d ’ urgence convoquer à nouveau l ’ Assemblée nationale afin qu ’ elle puisse prendre , conformément à son mandat, les mesures voulues pour l ’ application du Pacte. Il devrait veiller à ce que les droits consacrés par le Pacte soient pleinement incorporés dans la Constitution et dans les autres lois pertinentes et prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les lois, y compris le droit commun, le droit coutumier et la charia, soient interprétées et appliquées de manière pleinement conforme au Pacte et pour qu’elles soient applicables par les juridictions nationales . L’État partie devrait également déployer d es efforts pour former tous les professionnels de la justice et du droit, y compris les juges, les procureurs et les avocats, les agents de la fonction publique et le grand public aux droits consacrés par le Pacte et à leur application.

9.Le Comité est préoccupé par l’absence d’accès des victimes de violations des droits consacrés par le Pacte à des recours utiles. Il constate aussi avec préoccupation qu’il n’existe aucun mécanisme chargé d’assurer la mise en œuvre des décisions des organes internationaux compétents en matière de droits de l’homme. Il relève que l’État partie n’a pas encore appliqué la décision prononcée dans l’affaire Dawit Isaak c. République d ’ Érythrée (communication no 428/12) par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples concernant les 18 journalistes qui ont été arrêtés le 19 septembre 2001 (art. 2).

10.L ’ État partie devrait garantir à toutes les victimes de violations des droits protégés par le Pacte la possibilité de disposer de recours utile s et de bénéficier d’ une réparation intégrale. Il devrait prendre immédiatement des mesures pour mettre en œuvre les décisions des organes internationaux compétents en matière de droits de l ’ homme, notamment procéder à la libération ou au jugement des 18 journalistes qui ont fait l ’ objet de la décision rendue par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la communication n o 428/12 dans l ’ affaire Dawit Isaak c. République d ’ Érythrée.

Institution nationale des droits de l’homme

11.Le Comité est préoccupé par l’absence d’institution nationale chargée de suivre la situation des droits de l’homme dans l’État partie et par le caractère vague des projets visant à créer une telle institution (art. 2).

12. L ’ État partie devrait mettre en place une institution nationale des droits de l ’ homme indépendante dotée d ’ un mandat étendu en matière de protection des droits de l ’ homme et de ressources financières et humaines suffisantes, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris).

Lutte contre l’impunité et violations passées des droits de l’homme

13.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’une impunité généralisée, en particulier en ce qui concerne les violations graves des droits de l’homme, notamment les cas présumés d’esclavage, de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires, de torture et de viol, ainsi que par l’absence de poursuites contre les auteurs présumés de ces actes et l’impossibilité pour les victimes d’accéder à des recours adéquats (art. 2, 6, 7 et 14).

14. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulu es pour mettre fin à l ’ impunité des auteurs de violations des droits de l ’ homme, en particulier l es plus graves d’entre elles , en mettant en place un système de justice transitionnel le pour connaître des violations p assé es et en conduisant de manière systématique et approfondie des enquêtes promptes, impartiales et efficaces pour identifier les responsables, les poursuivre et, s ’ ils sont reconnus coupables, les condamner à des sanctions appropriées , tout en veillant à ce que les victimes disposent de recours utiles et puissent obtenir intégralement réparation.

État d’urgence

15.Le Comité constate avec préoccupation que, bien que l’état d’urgence n’ait pas été officiellement proclamé, l’État partie l’applique de facto, comme l’a indiqué sa délégation, au mépris des garanties fondamentales énoncées à l’article 4 du Pacte (art. 4).

16. L ’ État partie devrait , dès que possible , prendre des mesures pour mettre fin à l ’ état d ’ urgence de facto et veiller à ce que tout e proclamation de l’ état d ’ urgence sur son territoire , ainsi que toutes mesures prises en application de celui-ci , soient conformes aux dispositions de l ’ article 4 du Pacte. Conformément à l ’ observation générale n o  29 (2001) du Comité sur les dérogations au x dispositions du Pacte en période d ’ état d ’ urgence, l ’ État partie devrait élaborer une législation comprenant des dispositions claires sur l’ état d ’ urgence, de sorte que les droits protégés par le paragraphe 2 de l ’ article 4 du Pacte ne puissent être suspendus en aucune circonstance, et il devrait veiller à ce que les conditions requises pour y déroger soient conformes au Pacte.

Mesures de lutte contre le terrorisme

17.Tout en reconnaissant la nécessité pour l’État partie d’adopter des mesures pour prévenir les actes terroristes, le Comité s’inquiète des allégations selon lesquelles des membres de la communauté musulmane en tant que groupe auraient été victimes de détentions arbitraires, d’actes de torture et d’exécutions extrajudiciaires en raison de liens supposés avec des groupes terroristes (art. 2 (par. 1), 6, 7 et 26).

18. L ’ État partie devrait veiller à ce que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient pleinement compatibles avec les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et visent uniquement les auteurs présumés d ’ actes terroristes. Il devrait s ’ abstenir de désigner une communauté en particulier comme ayant des liens avec le terrorisme.

Non-discrimination et égalité entre les femmes et les hommes

19.Le Comité prend note des mesures prises par l’État partie pour accroître la représentation des femmes au niveau régional, mais il constate avec préoccupation que les femmes sont sous-représentées dans les postes à responsabilité de l’administration et que les mesures temporaires spéciales visant à garantir leur représentation au sein des organes législatifs et judiciaires n’ont bénéficié qu’aux femmes affiliées au parti politique au pouvoir (art. 2, 3 et 26).

20. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour promouvoir la participation des femmes à tous les aspects de la vie publique dans des conditions d’égalité , en particulier leur représentation aux plus hauts niveaux d e l ’ administration et d es organes législatifs , ainsi que dans le système judiciaire.

Violence fondée sur le genre, y compris la violence familiale

21.Tout en accueillant avec satisfaction les assurances données par l’État partie selon lesquelles celui-ci s’attaque aux pratiques néfastes, comme les mutilations génitales féminines, le Comité constate avec préoccupation que la violence à l’égard des femmes y est un phénomène répandu et persistant, notamment la violence familiale et la violence sexuelle dans le cadre du service national. Le Comité est en outre préoccupé par l’inexistence d’une législation exhaustive érigeant expressément en infraction pénale toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris le viol conjugal. Il constate également avec inquiétude que les relations homosexuelles librement consenties sont criminalisées dans l’État partie, ce qui favorise les attitudes homophobes et stigmatise les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes (art. 3, 6, 7, 14 et 26).

22. L ’ État partie devrait adopter des mesures juridiques complètes érigeant expressément en infraction pénale toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes, y compris la violence sexuelle et le viol conjugal. Il devrait veiller à ce que  :

a) Les cas de violence à l’égard des femmes et de violence familiale fassent l’objet d’enquêtes rapides et approfondies et à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité des infractions en cause ;

b) Les victimes puissent disposer de recours utiles et bénéficier d’une réparation intégrale.

L ’ État partie devrait également dépénaliser les relations homosexuelles entre adultes consentants et prendre des mesures, notamment des initiatives de politique générale et d ’ éducation du public, pour changer le regard porté par la société sur les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes .

Droit à la vie

23.Le Comité est préoccupé par l’absence de normes juridiques et de procédures pertinentes pour régir le recours légitime à la force et aux armes à feu par la police et les forces de sécurité dans l’État partie. Il s’inquiète également d’allégations concernant l’usage disproportionné de la force contre des civils, comme celles portant sur le meurtre d’au moins 11 personnes au cours d’un incident survenu le 3 avril 2016 à Asmara durant lequel de jeunes appelés ont sauté d’un camion, et sur l’utilisation présumée de balles réelles lors de la dispersion, le 31 octobre 2017, d’une manifestation contre l’intervention des pouvoirs publics dans une école musulmane, à Asmara également. Le Comité est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles des membres des forces de sécurité aux frontières auraient tué ou blessé des personnes qui tentaient de quitter illégalement l’État partie. Le Comité prend note de la déclaration de la délégation de l’État partie selon laquelle il existe un moratoire de fait sur la peine de mort, mais il constate avec inquiétude que celle-ci demeure inscrite dans le Code pénal et que le Gouvernement n’a pas officiellement proclamé de moratoire sur l’application de la peine capitale dans la perspective de son abolition (art. 6 et 12).

24. L’État partie devrait prendre des mesures pour prévenir et éliminer efficacement toutes les formes de recours excessif à la force par la police et les membres des forces de sécurité, notamment en :

a) A doptant la législation et l es politiques voulu es pour contrôler l ’ usage de la force meurtrière par les forces de l ’ ordre, en tenant dûment compte de l ’ observation générale n o 36 du Comité sur le droit à la vie et des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois ;

b) M ettant en place des procédures visant à garantir que les opérations de maintien de l ’ ordre soient correctement planifiées compte tenu de la nécessité de réduire au minimum le risque qu ’ elles représentent pour la vie humaine, et à imposer le signalement des incidents mortels et la conduite d ’ enquêtes sur ces incidents ;

c) F ormant les membres des forces de l ’ ordre à l ’ usage de la force ;

d) V eillant à ce que tous les cas de recours excessif à la force fassent l ’ objet d ’ enquêtes rapides, impartiales et efficaces et à ce que les responsables des actes en cause soient traduits en justice.

L ’ État partie devrait , en outre, envisager :

e ) De déclarer un moratoire officiel sur la peine de mort en vue de son abolition ;

f ) D’ adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.

Interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

25.Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état d’un recours généralisé et systématique à la torture dans les centres de détention civils et militaires, notamment par les informations concernant l’usage de la torture pour punir les personnes qui critiquent le Gouvernement, se livrent à des pratiques religieuses non reconnues par les pouvoirs publics, tentent de quitter illégalement l’État partie ou manquent à leur devoir dans le cadre du service militaire national. Le Comité est préoccupé par l’absence d’organe indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes et de prévenir la torture et les mauvais traitements par les forces de l’ordre (art. 7 et 10).

26. L ’ État partie devrait faire cesser d ’ urgence la pratique de la torture et des mauvais traitements et , à cette fin  :

a) M odifier sa législation de sorte qu ’ elle interdise tous les actes susceptibles de relever du crime de torture au sens de l ’ article 7 du Pacte et qu ’ elle prévoie pour ce type d’ actes des sanctions qui soient proportionnées à la gravité de l’infraction  ;

b) O rdonner rapidement des enquêtes approfondies et efficaces sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements , poursuivre les auteurs présumés de ces actes et, s ’ ils sont reconnus coupables, leur infliger des peines proportionnées à la gravité des infractions commises , et permettre aux victimes de disposer de recours utiles, notamment sous la forme de mesures de réadaptation ;

c) P rendre toutes les mesures voulu es pour prévenir la torture, notamment en renforçant la formation des juges, des procureurs, de s membres de la police, de l ’ armée et des forces de sécurité  ;

d) C réer un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements commis par des membres des forces de l’ordre.

Disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires, arrestations et détention arbitraires

27.Le Comité est vivement préoccupé par les informations faisant état de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires qui seraient le fait d’acteurs étatiques, en particulier de membres du Bureau de la Sécurité nationale. Il exprime également une vive inquiétude au sujet des arrestations et détentions arbitraires généralisées dont il est fait état, notamment des cas de détention au secret, sans garanties juridiques minimales comme l’accès à un avocat et à un médecin ou le droit d’informer sa famille, le droit d’être promptement déféré devant un juge et le droit de faire examiner la légalité de la détention. Il est tout particulièrement inquiet des allégations faisant état de la détention arbitraire de dissidents politiques supposés, de journalistes, de membres de groupes religieux, dont 40 religieux et érudits musulmans appartenant au groupe ethnique saho, détenus depuis 2008, et d’Abune Antonios, Patriarche de l’Église orthodoxe érythréenne, assigné à résidence depuis 2006. Le Comité est également préoccupé par les informations indiquant que certaines personnes détenues illégalement sont mortes en détention, dont Musa Mohammed Nur, l’ancien directeur de l’école Al Dia d’Asmara, arrêté en octobre 2017. Le Comité est en outre inquiet que la délégation de l’État partie, malgré des demandes répétées en ce sens, n’ait ni confirmé ni démenti que les personnes détenues mentionnées ci-après sont encore en vie (art. 6 et 9).

28. L ’ État partie devrait :

a) V eiller à ce que des enquêtes impartiales et approfondies soient promptement menées sur toutes les allégations et plaintes concernant des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires ;

b) V eiller à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées  ;

c) Veiller à ce que les victimes de disparitions forcées bénéficient d ’ une réparation intégrale et obtiennent notamment satisfaction et des garanties de non ‑ répétition ;

d ) Faire la lumière sur le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvent et veiller à ce que les membres de leur famille soient informés de la progression et du résultat des enquêtes.

En particulier, l’ État partie devrait sans tarder donner publiquement des informations concernant le sort  :

e) D es 18 journalistes détenus depuis le 19 septembre 2001 dont il est question au paragraphe 9 ci-dessus ;

f) D es 11 anciens hauts responsables du Front populaire pour la démocratie et la justice, connu sous le nom de « G15 », détenus depuis le 18 septembre 2001  ;

g) D e l ’ ex-Ministre des finances, Berhane Abrehe , et de sa femme, Almaz Habtemariam , détenus respectivement depuis le 17 septembre 2018 et janvier 2018.

L ’ État partie devrait faire en sorte que :

h) T outes les personnes privées de liberté soient placées uniquement dans des lieux de détention officiels et bénéficient de toutes les garanties juridiques, notamment qu ’ elles puissent voir un avocat, un médecin et un membre de leur famille et soient déférées promptement devant un juge ;

i ) L es allégations de détention illégale fassent promptement l ’ objet d ’ enquêtes et que les auteurs des actes en cause soient traduits en justice ;

j ) L es victimes de détention arbitraire et illégale soient rapidement remises en liberté et puissent dispose r d ’ un recours utile et bénéficie r d ’ une réparation intégrale  ;

k) L es membres de la famille des personnes en détention soient informés d’urgence du sort de ces dernières.

Conditions de détention

29.Le Comité déplore l’absence de données sur la population carcérale et sur le nombre de centres de détention, officiels et non officiels, dans l’État partie. Il est préoccupé par les informations faisant état d’un taux excessif d’incarcération et d’un surpeuplement des prisons, de mauvaises conditions d’hygiène, de l’insuffisance de l’alimentation et de l’approvisionnement en eau, ainsi que de l’absence de soins de santé, dans ces établissements. Il est également préoccupé par les informations indiquant que des prisonniers seraient placés dans des cellules souterraines et des conteneurs de transport, notamment dans les prisons de Adi Abeito, Alla, Dhalak Kebir, Mai Edaga, Mai Serwa, Sawa et Wi’a. Le Comité s’inquiète des allégations faisant état d’un grand nombre de décès en détention, à propos desquels les familles n’ont reçu aucune information ni explication et sur les circonstances desquels aucune enquête n’a été menée. Il s’inquiète aussi de ce que des groupes de surveillance indépendants ne puissent pas accéder aux établissements pénitentiaires (art. 6, 7 et 10).

30. L’État partie devrait prendre des dispositions pour améliorer les conditions de détention et, en particulier :

a) A dopter des mesures concrètes pour réduire la surpopulation carcérale, notamment en favorisant d es mesures de substitution à la détention ;

b) G arantir que les détenus soient traités avec humanité et dignité, conformément à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ( Règles Nelson Mandela)  ;

c) A utoriser que l es établissements de détention fassent l’objet d’une s urveillance indépendante ;

d) E nvisager d ’ adhérer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

L ’ État partie devrait mener promptement des enquêtes approfondies sur tous les décès en détention, poursuivre , et sanctionner s’il y a lieu les responsables de ces décès et accorder pleine réparation aux familles des victimes.

Droit à un procès équitable et indépendance du pouvoir judiciaire

31.Le Comité est préoccupé par le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment par l’absence d’une procédure transparente de nomination des juges, par la destitution de certains juges et par le fait que nombre d’entre eux sont des militaires qui ne possèdent pas de formation juridique adéquate. Le Comité note aussi avec préoccupation que les tribunaux militaires sont compétents pour connaître d’affaires impliquant des civils et que leurs décisions sont insusceptibles de recours. Il est en outre préoccupé par l’existence de la Cour spéciale, qui ne fait pas partie du système judiciaire ordinaire et dont les pouvoirs émanent du Ministère de la défense et la compétence s’étend aux affaires pénales générales. Le Comité note avec préoccupation que la procédure devant la Cour spéciale ne respecte pas les garanties essentielles d’un procès équitable, notamment le droit à un représentant légal, à la défense, à un recours, à une audience publique et à des décisions publiques. Le Comité regrette que la Cour suprême prévue par la Constitution n’ait pas été établie (art. 14).

32. L ’ État partie devrait s ’ efforcer de garantir et protéger l ’ indépendance et l ’ impartialité totales du pouvoir judiciaire et de faire en sorte qu ’ il s ’ acquitte de ses fonctions judiciaires sans aucune forme de pression ou d ’ ingérence. Il devrait :

a) É tablir des procédures transparentes et objectives pour la nomination et la destitution des juges ;

b) A ffecter des ressources humaines et financières supplémentaires au système judiciaire, notamment en dispensant aux juges et aux procureurs une éducation et une formation juridiques appropriées ;

c) Faire en sorte que l a compétence d es tribunaux militaires se limite aux affaires impliquant des militaires ;

d) G arantir le droit à un procès équitable à toutes les étapes de la procédure judiciaire, notamment le droit de se défendre et de faire appel ;

e) A bolir la Cour spéciale ;

f) Mettre en place la Cour suprême prévue par la Constitution.

Liberté de circulation et traite des personnes

33.Le Comité est préoccupé par les restrictions imposées dans l’État partie au droit à la liberté de circulation, notamment au droit de quitter le pays, par la proclamation no 82/1995 sur le service national. Il s’inquiète des allégations selon lesquelles des personnes se déplaçant sans autorisation dans l’État partie ou cherchant à quitter le pays sont arrêtées et placées arbitrairement en détention. Il est en outre préoccupé par les allégations concernant la consigne de « tirer pour tuer » ou « tirer pour blesser » appliquée à l’égard des personnes cherchant à franchir illégalement la frontière. Il note également avec inquiétude qu’à cause des lourdes restrictions pesant sur les déplacements, notamment l’obligation d’obtenir une autorisation de sortie du territoire, les personnes désireuses de quitter l’État partie sont obligées de recourir à des moyens clandestins, ce qui les expose au trafic et à la traite des personnes. Tout en prenant note des efforts de lutte contre la traite évoqués au cours du dialogue, le Comité regrette l’absence de renseignements précis sur les enquêtes et poursuites menées et sur les mesures d’identification et de protection éventuellement prises à l’égard des victimes de la traite (art. 8 et 12).

34.  L ’ État partie devrait garantir la liberté de circulation, notamment le droit de quitter le pays, en abrogeant toutes les restrictions incompatibles avec l ’ article 12 du Pacte. Il devrait veiller à ce que les personnes cherchant à quitter son territoire ne fassent pas l ’ objet d ’ arrestations et de détention arbitraires pour avoir exercé leur droit à la liberté de circulation et ne soient en aucun cas visées par des tirs pour franchissement illégal de la frontière. L ’ État partie devrait intensifier ses efforts visant à prévenir, combattre et réprimer la traite des personnes, ainsi qu ’ à identifier les victimes et à leur accorder une réparation intégrale , ainsi qu’ une protection et une assistance appropriées.

Liberté de pensée, de conscience et de religion

35.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que la liberté de pensée, de conscience et de religion fait l’objet de lourdes restrictions dans l’État partie. Il note avec préoccupation qu’à l’exception des chrétiens orthodoxes, catholiques et protestants et des musulmans, tous les autres groupes religieux sont privés du droit d’exercer leur liberté de religion car l’État partie refuse de les enregistrer, notamment du fait qu’ils reçoivent des financements de l’extérieur. Le Comité est préoccupé par les allégations d’arrestations et de détention visant des personnes pratiquant des religions non reconnues par l’État partie. Il s’inquiète des persécutions dont feraient l’objet les Témoins de Jéhovah, qui ont été déchus de leurs droits afférents à la citoyenneté après avoir refusé de participer au référendum de 1993 et dont beaucoup auraient été arrêtés et placés en détention pour leur objection de conscience au service militaire (art. 9 et 18).

36. L ’ État partie devrait garantir l ’ exercice effectif de la liberté de religion et de conviction et s ’ abstenir de toute action susceptible de limiter cette liberté au-delà des restrictions strictement interprétées autorisées par l ’ article 18 du Pacte. Il devrait mettre sa législation et sa pratique en conformité avec l ’ article 18 du Pacte et enquêter sur tous les cas d ’ atteinte injustifiée à la liberté de religion des communautés religieuses. Il devrait libérer toutes les personnes arrêtées ou placées en détention pour avoir exercé leur liberté de religion, notamment les Témoins de Jéhovah.

Programme de service militaire et national

37.Le Comité note avec préoccupation que la durée du service national, fixée initialement à dix-huit mois par la proclamation no 82/1995 sur le service national, a été prolongée pour une période indéterminée par un programme de service national obligatoire (Warsai ‑ Yikealo). Il note en outre avec inquiétude que la durée indéterminée du service militaire ou civil resterait l’une des causes principales du départ des Érythréens de leur pays. Il est d’autre part préoccupé par les allégations indiquant que les appelés au service national sont affectés à différents travaux, notamment dans des entreprises privées dans les secteurs miniers et du bâtiment, contre une rémunération très faible ou sans aucune rémunération. Le Comité note aussi avec préoccupation que l’État partie ne reconnaît pas le droit à l’objection de conscience au service militaire et n’offre aucune alternative à celui-ci (art. 6, 8 et 18).

38. L ’ État partie devrait limiter la durée du service militaire et national obligatoire à dix-huit mois au maximum, conformément aux normes internationales. Il devrait veiller à ce que l ’ objection de conscience au service militaire soit reconnue par la loi et donner aux objecteurs de conscience la possibilité d ’ effectuer un service civil de remplacemen t . Il devrait aussi s ’ abstenir de soumettre les personnes qui font leur service militaire à des activités assimilables au travail forcé.

Liberté d’expression

39.Le Comité s’inquiète des restrictions particulièrement lourdes imposées à la liberté d’expression dans l’État partie. Il est préoccupé par les informations faisant état de la persistance du harcèlement, des arrestations et du placement en détention de personnes qui ne font qu’exprimer leur opinion, notamment des personnalités politiques, des journalistes, des responsables religieux et communautaires. Le Comité note en outre avec préoccupation que l’accès à l’information est restreint depuis que tous les journaux indépendants se sont vus retirer leur licence en 2001, et que les médias continuent d’être censurés et contrôlés par l’État (art. 19).

40. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’exercice de la liberté d ’ opinion et de la liberté d ’ expression sous toutes leurs formes, conformément à l ’ article 19 du Pacte. Toute restriction devrait être conforme aux prescriptions stipulées au paragraphe 3 de l ’ article 19 et précisées dans l ’ observation générale n o  34 (2011) du Comité sur la liberté d ’ opinion et la liberté d ’ expression, notamment aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. L ’ État partie devrait :

a) M ettre un terme au harcèlement, à l ’ arrestation et à la détention de personnes au seul motif qu ’ elles expriment leur opinion, y compris si elles critiquent le G ouvernement ;

b) L ibérer immédiatement toutes les personnes détenues pour avoir exercé leur droit à la liberté d’ opinion ;

c) P ermettre aux journalistes et aux professionnels des médias de mener leurs activités en toute liberté et indépendance ;

d) A utoriser la création d ’ institutions et de services privés de médias et leurs activités .

Liberté de réunion et d’association

41.Le Comité est préoccupé par les restrictions sévères à la liberté de réunion et d’association qui sont appliquées aux défenseurs des droits de l’homme indépendants et aux organisations de la société civile. Il s’inquiète du fait que la proclamation no 145/2005 restreigne aux domaines de l’assistance et de la réadaptation les activités des organisations de la société civile et que celles-ci ne puissent mettre en œuvre des projets que dans le cadre de partenariats avec les pouvoirs publics centraux (art. 21 et 22).

42. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulue s , notamment des mesures législatives, pour veiller à ce que tous les particuliers et tous les partis politiques puissent pleinement exercer dans la pratique leurs droits à la liberté de réunion et d’association et que toute restriction imposée à l ’ exercice de ces droits soit conforme aux conditions strictes énoncées dans le Pacte .

Protection des mineurs

43.Le Comité est préoccupé par le fait que les lycéens, filles comme garçons, doivent s’inscrire pour leur dernière année d’enseignement secondaire au centre d’entraînement militaire de Sawa, où ils reçoivent une formation militaire intensive. Le Comité s’inquiète également de ce que nombre d’entre eux abandonnent le lycée et certains fuient le pays pour éviter cet enrôlement. Il exprime en outre sa préoccupation au sujet des informations faisant état de recrutement forcé de mineurs présumés, notamment lors de rafles (giffa), et des allégations de violences exercées contre des enfants, y compris des violences sexuelles, notamment au centre d’entraînement militaire de Sawa (art. 7 et 24).

44. L’État partie devrait :

a) Mettre fin à l’enrôlement forcé des élèves du secondaire au centre d’entraînement militaire de Sawa et veiller à ce que ceux qui sont en dernière année aient la possibilité de recevoir une éducation dans des lycées civils ;

b) V eiller à ce que tous les auteurs présumés de violence s à l ’ égard d ’ enfants, y compris de violence s sexuelle s , en particulier au centre de formation militaire de Sawa , soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et à ce que les victimes puissent disposer d’un recours utile et obtenir intégralement réparation  ;

c) Veiller à ce que l ’ âge minimum d u recrutement dans les forces armées , qui est de 18 ans , soit strictement respecté.

Participation aux affaires publiques et droit de voter et d’être élu

45.Le Comité prend note de la tenue d’élections régionales, mais il est préoccupé par le fait que des élections nationales n’aient pas été organisées dans l’État partie depuis 1997 et que l’Assemblée nationale ait été suspendue. Il est également préoccupé par le fait que le système politique actuel n’autorise pas le pluralisme ni la participation des citoyens aux affaires publiques (art. 25).

46. L’État partie devrait mettre le cadre juridique régissant sa procédure électorale en conformité avec le Pacte, notamment l’article 25 de celui-ci, en :

a) Organisant des élections nationales dans le respect du pluralisme politique ;

b) S ’ abstenant d ’ empêcher arbitrairement les partis politiques d ’ opposition de se faire enregistrer et de participer aux élections  ;

c) Garantissant un véritable pluralisme dans le débat politique ;

d) Revoyant les limites fixées au droit de se porter candidat à une élection et au droit de voter dans la loi et en pratique, afin de veiller à leur compatibilité avec le Pacte .

D.Diffusion et suivi

47. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte.

48. Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son rapport initial le 29 mars 2021 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble, en particulier aux paragraphes 8 (Cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte), 28 (Disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires, arrestations et détention arbitraires) et 38 (Programme de service militaire et national) de ses observations, conformément au paragraphe 1 de l’article 75 du Règlement intérieur du Comité. Le Comité demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, ce rapport ne devra pas dépasser 31 800 mots.