NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/NIC/CO/312 décembre 2008

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quatorzième sessionGenève, 13‑31 octobre 2008

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L ’ ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l ’ homme

NICARAGUA

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le troisième rapport périodique du Nicaragua (CCPR/C/NIC/3) à ses 2577e et 2578e séances (CCPR/C/SR.2577 et 2578), le 17 octobre 2008 et a adopté les observations finales ci‑après à sa 2594e séance (CCPR/C/SR.2594), le 29 octobre 2008.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique du Nicaragua, encore qu’il ait été soumis avec plus de quinze ans de retard. Le rapport contient des renseignements détaillés sur la législation adoptée récemment ainsi que sur de nouveaux projets de textes de loi. Le Comité exprime ses remerciements pour les réponses écrites données à la liste des points à traiter et pour les réponses données oralement par la délégation. Il félicite également l’État partie d’avoir soumis son document de base commun, conformément aux directives harmonisées pour l’établissement des rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/CORE/NIC/2008).

B. Aspects positifs

3.Le Comité accueille avec satisfaction la ratification, par le décret no 122 du 11 septembre 2008, du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

4.Le Comité prend note de l’adoption en 2004 de la loi portant organisation du pouvoir judiciaire et de son règlement d’application ainsi que de la loi sur la profession judiciaire et de son règlement d’application, en juin 2008.

5.Le Comité accueille avec satisfaction la ratification, en août 2008, du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

6.Le Comité accueille avec satisfaction la mise en place du système des facilitateurs judiciaires, à l’initiative de la Cour suprême de justice et en coopération avec l’Organisation des États américains (OEA). Il s’agit d’un programme qui permet aux citoyens, et en particulier aux femmes, d’accéder plus facilement à la justice.

7.Le Comité accueille également avec satisfaction l’adoption du Code de procédure pénale visant à améliorer l’administration de la justice.

8.Le Comité prend note avec intérêt de la création, par la loi no 212 de 1996, du bureau du Procureur pour la défense des droits de l’homme, qui fonctionne comme une commission de l’Assemblée nationale et œuvre à la promotion, la défense et la protection des garanties constitutionnelles. Il accueille en outre avec satisfaction l’établissement de bureaux du Procureur spéciaux − pour l’enfance et l’adolescence, pour la femme, pour les peuples autochtones et les communautés ethniques, pour les handicapés et pour les personnes privées de liberté − ainsi que la création du bureau du Procureur spécial pour la participation citoyenne.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

9.Le Comité est préoccupé par le fait que la loi ne qualifie pas d’infractions particulières, assorties de peines, la traite et l’exploitation sexuelle des enfants et des femmes et par l’existence dans l’État partie d’un trafic de femmes et d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle (art. 3, 8 et 24).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures visant à lutter contre la traite des femmes et des enfants et en particulier:

a) Qualifier pénalement le trafic et l ’ exploitation sexuelle des enfants et des femmes;

b) Faire en sorte que d es peines en rapport avec la gravité des faits soient prononcées contre quiconque exploite d es femmes et d es enfants à de telles fins;

c) Poursuivre les actions visant à faire prendre conscience à la population que l ’ exploitation sexuelle des femmes et des enfants est un délit pénal ;

d) Mettre en place des cours de formation à l ’ intention des autorités compétentes;

e) Assurer une protection et une assistance aux victimes d ’ exploitation sexuelle.

10.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption, le 14 février 2008, de la loi no 648 relative à l’égalité des droits et des chances, dont l’objectif est de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes dans l’exercice des droits civils et politiques notamment, mais il regrette que les taux de participation des femmes à la fonction publique soient toujours faibles (art. 3, 25 et 26).

L ’ État partie devrait atte indre les objectifs fixés dans la loi relative à l ’ égalité des droits et des chances , et en particulier prendre des mesures pour obtenir que les femmes soient davantage représentées aux postes les plus élevés de la fonction publique.

11.Le Comité est préoccupé par la discrimination dont les femmes sont l’objet dans le milieu du travail, y compris pour ce qui est de l’accès à l’emploi et des salaires (art. 3 et 26).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour lutter contre la discrimination à l ’ égard des femmes dans le milieu du travail afin de garantir notamment l ’ égalité de chances dans l ’ accès à l ’ emploi et l ’ égalité de salaire pour un travail égal.

12.Le Comité prend note de l’adoption d’un protocole d’action pour les délits de mauvais traitement dans la famille et d’agressions sexuelles, mais relève avec préoccupation l’augmentation du phénomène des assassinats de femmes ces dernières années dans le contexte de la violence à l’égard des femmes et en particulier de la violence familiale et sexuelle. Il est également préoccupé par l’impunité dont sembleraient jouir les agresseurs (art. 3 et 7).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour faire cesser le s assassinats de femmes et en particulier:

a) À procéder à des enquêtes et à punir les agresseurs;

b) À permettre aux femmes victimes de violence sexiste d ’ accéder effectivement à la justice;

c) À assurer une protection policière aux victimes ainsi qu ’ à ouvrir des foyers d ’ accueil où elles p ourraient vivre dignement;

d) À maintenir et à accroître les espaces de participation directe des femmes, aux plans national et local, à la prise de décisions relatives en particulier à la violence à l ’ égard des femmes, et garantir la participation et la représentation des femmes par la société civile;

e) À prendre des mesures de prévention et de sensibilisation concernant la violence à l ’ égard des femmes, consistant par exemple à organiser des formations à l ’ intention des fonctionnaires de police, en particulier de ceux qui travaillent dans les commissariats pour l es femme s , afin de les informer sur les droits des femmes et sur la violence sexiste.

À ce propos, le Comité souhaiterait voir figurer dans le prochain rapport périodique du Nicaragua des renseignements détaillés sur les progrès réalisés dans la lutte contre la violence à l ’ égard des femmes.

13.Le Comité note avec préoccupation que l’avortement fait l’objet d’une interdiction générale, même dans les cas où la grossesse est le résultat de violences sexuelles ou d’un inceste ou dans les cas où elle met en danger la vie de la femme. Il est préoccupé également par le fait que la loi qui autorisait l’avortement thérapeutique dans de telles situations a été abrogée par le Parlement en 2006 et que depuis la mise en place de cette interdiction générale on a enregistré plusieurs décès de femmes enceintes dus à l’absence d’une intervention médicale appropriée visant à sauver la vie de la femme, intervention qui aurait pu être pratiquée quand l’ancienne loi était en vigueur. En outre, le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas précisé dans un texte que le médecin pouvait appliquer les normes et protocoles pour la prise en charge des complications obstétriques sans avoir à craindre de faire l’objet d’une enquête ou de poursuites (art. 3, 6, 7 et 26).

L ’ État partie devrait revoir sa législation relative à l ’ avortement de façon à la rendre conforme aux dispositions du Pacte. Il devrait aussi adopter des mesures pour aider les femmes à éviter les grossesses non désirées, de façon qu ’ elles n ’ aient pas à recourir à l ’ avortement illégal ou dans des conditions peu sûres qui peuvent mettre leur vie en danger, ou qu ’ elles n ’ aient pas à aller à l ’ étranger pour interrompre leur grossesse. En  outre, l ’ État partie devrait faire en sorte que les professionnels de la médecine ne risquent pas d ’ être sanctionnés pénalement dans l ’ exercice de leurs responsabilités professionnelles.

14.Le Comité relève avec préoccupation que des cas de mauvais traitement sur la personne de détenus par les forces de l’ordre continuent de se produire, en particulier dans les établissements pénitentiaires mais également au moment de l’arrestation, et que dans la majorité des cas de tels comportements ne sont pas réprimés (art. 7 et 10).

a) L ’ État partie devrait prendre immédiatement des mesures efficaces pour faire cesser ces violences , surveiller, enquête r et quand il y a lieu, poursuivre et punir les membres des forces de l ’ ordre qui commettent des actes de mauvais traitement, ainsi que pour assurer réparation aux victimes.

b) L ’ État partie devrait intensifier l es mesures de formation dans le domaine d es droits de l ’ homme à l ’ intention des membres des forces de l ’ ordre afin que ceux-ci ne se rendent pas coupables de tels comportements .

15.Le Comité est préoccupé par le fait que les châtiments corporels ne sont pas interdits à l’école et regrette de ne pas avoir reçu de renseignements concrets à ce sujet (art. 7 et 24).

L ’ État partie devrait interdire par la loi tout châtiment corporel sur les enfants, dans les établissements scolaires et dans toute institution de prise en charge et de protection de l ’ enfance .

16.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’arrestations abusives effectuées en particulier dans le contexte de manifestations de protestation sociale (art. 6, 7 et 9).

L ’ État partie devrait assurer la protection de la vie et de l ’ intégrité de chacun contre l ’ usage excessif de la force par la police. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager de réviser le Code de procédure pénale qui permet à la police de procéder à des arrestations sans mandat judiciaire, contrairement aux dispositions de la Constitution.

17.Si le Comité donne acte des mesures que l’État partie a entrepris d’adopter pour améliorer les conditions de détention, il est préoccupé par les taux élevés de surpopulation et les mauvaises conditions qui règnent dans les établissements pénitentiaires, en particulier l’insalubrité, l’insuffisance d’eau potable, l’insuffisance du budget consacré à la nourriture, l’absence de soins médicaux, le manque de personnel, ainsi que le fait que les prévenus et les condamnés ne sont pas séparés (art. 10).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour améliorer les conditions de vie de toutes les personnes privées de liberté, en appliquant toutes les dispositions de l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Il devrait en particulier s ’ occuper à titre prioritaire du problème de la surpopulation. L ’ État partie devra apporter au Comité des chiffres qui montrent les progrès accomplis depuis l ’ adoption de la présente recommandation, en particulier en ce qui concerne la mise en œuvre de mesures concrètes pour améliorer les conditions carcérales.

18.Le Comité est préoccupé par l’existence de dispositions législatives qui pourraient permettre de fait l’incarcération d’une personne qui ne s’est pas acquittée d’une obligation contractuelle (art. 11).

L ’ État partie devrait faire en sorte que sa législation ne puisse pas servir à incarcérer une personne qui ne s ’ est pas acquittée d ’ une obligation contractuelle.

19.Le Comité constate avec préoccupation un nombre croissant de plaintes dénonçant des cas de harcèlement systématique et de menaces de mort contre des défenseurs des droits de l’homme de la part d’individus, de groupes politiques ou d’organismes liés à l’appareil de l’État. Il relève également avec préoccupation que des défenseurs des droits de la procréation ont fait l’objet d’enquêtes pénales, et notamment que des actions pénales sont en cours contre les neuf femmes qui défendent les droits des femmes impliquées dans l’affaire de l’interruption de grossesse d’une jeune fille mineure, enceinte à la suite d’un viol, à l’époque où pourtant l’avortement à des fins thérapeutiques était encore légal. Le Comité se déclare également préoccupé par les restrictions de fait qui entravent l’exercice du droit à la liberté d’association pour les organisations de défenseurs des droits de l’homme (art. 19 et 22).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues pour faire cesser les actes présumés de harcèlement systématique et les menaces de mort, en particulier ceux qui visent les femmes qui militent en faveur des droits des femmes, et pour que les coupables soient dûment punis. L ’ État partie devrait également veiller à ce que le droit à la liberté d ’ expression et d ’ association soit garanti aux organisations de défenseurs des droits de l ’ homme dans l ’ exercice de leurs fonctions.

20.Le Comité note que l’État partie a donné suite à une partie de la décision rendue par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire YATAMA, mais il regrette qu’il n’ait pas mené à bonne fin les réformes législatives nécessaires pour établir un recours judiciaire simple permettant de garantir que les communautés autochtones et ethniques des Régions autonomes puissent effectivement participer aux élections, compte tenu de leurs traditions et de leurs us et coutumes (art. 25 et 27).

L ’ État partie devrait faire en sorte que les objectifs fixés dans l ’ arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l ’ homme soient réalisés et en particulier prendre des mesures pour mener à bien les nécessaires réformes à la loi électorale recommandées par la Cour, et mettre en place un recours judiciaire simple pour cont ester les décisions du Conseil électoral suprême.

21.Le Comité se déclare préoccupé par l’existence dans la population en général de préjugés raciaux à l’égard des autochtones, en particulier dans les Régions autonomes de l’Atlantique, ainsi que par les nombreux problèmes qui touchent les peuples autochtones, notamment les graves carences des services de santé et d’enseignement, l’absence de représentants des institutions publiques sur leurs territoires et l’absence d’un processus de consultation visant à obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des communautés avant d’engager l’exploitation des ressources naturelles que recèlent leurs territoires. Le Comité constate en outre que plus de six ans après l’arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Awas Tingni, cette communauté autochtone n’a toujours pas de titre de propriété. De plus, le territoire de la communauté Awas Tingni continue d’être exposé aux actions illégales de tiers, exploitants agricoles et forestiers (art. 26 et 27).

L ’ État partie devrait:

a) Garantir effectivement aux autochtones le droit à l ’ éducation en veillant à ce que l ’ enseignement dispensé soit adapté à leurs besoins spécifiques ;

b) Garantir l ’ accès de tous les autochtones à des services de santé adéquats, en particulier pour les communautés de la R égion autonome de l ’ Atlantique;

c) Mener à bien d es consultations avec les peuples autochtones avant d ’ octroyer des licences d ’ exploitation économique pour les terres sur lesquelles ils vivent et veiller à ce qu ’ en aucun cas cette exploitation ne porte atteinte aux droits reconnus dans le Pacte;

d) Poursuivre et achever le processus de délimitation et de bornage des terres de la communauté Awas Tingni et le processus d ’ octroi de titres de propriété , et empêcher et faire cesser les activités illégales menées par des tiers dans ce territoire, ouvrir des enquêtes et p unir les responsables de tels actes.

22.Le Comité demande à l’État partie de rendre publics et de faire largement connaître son troisième rapport périodique et les présentes observations finales auprès de la population en général et auprès des organes judiciaires, législatifs et administratifs. Des exemplaires de ces documents devraient être distribués aux universités, aux bibliothèques publiques, à la bibliothèque du Parlement et à d’autres institutions. Le Comité demande également que le texte du troisième rapport périodique et des présentes observations finales soit mis à la disposition de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Il serait utile de distribuer aux communautés autochtones un résumé du rapport et des observations finales, rédigé dans leurs différentes langues.

23.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur l’évaluation de la situation en général et la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 12, 13, 17 et 19 ainsi que sur l’application du Pacte dans son ensemble.

24.Le Comité demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique, qui devra lui parvenir avant le 29 octobre 2012, des renseignements sur les autres recommandations et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

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