Nations Unies

CRC/C/82/D/32/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

24 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant uneprocédure de présentation de communications, concernant la communication no 32/2017*,**

Communication présentée par :

Z. H. et A. H. (représentés par l’organisation non gouvernementale Asylret)

Au nom de :

K. H., M. H. et E. H.

État partie :

Danemark

Date de la communication :

22 août 2017 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

18 septembre 2019

Objet :

Expulsion du Danemark vers l’Albanie

Question(s) de procédure :

Affaire déjà examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement ; non-épuisement des recours internes ; griefs non étayés

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; intérêt supérieur de l’enfant ; protection de l’enfant contre toutes les formes de violence ou de mauvais traitements ; droit de jouir du meilleur état de santé possible ; droit au développement physique, mental et social ; droit à l’éducation

Article(s) de la Convention :

3, 6, 19, 24, 27 et 28

Article(s) du Protocole facultatif :

7 d), e) et f)

1.1Les auteurs de la communication sont Z. H. et A. H., de nationalité albanaise, nés respectivement en 1976 et 1987. Ils présentent la communication au nom de leurs filles, K. H., M. H. et E. H., de nationalité albanaise, nées respectivement en 2005, 2010 et 2013. La famille a été déboutée par l’État partie de sa demande d’asile et de sa demande de permis de séjour pour motifs d’ordre humanitaire. Les auteurs affirment que l’expulsion de la famille vers l’Albanie constituerait une violation des droits que leurs enfants tiennent des articles 3, 6, 19, 24, 27 et 28 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 2016. Les auteurs sont représentés par l’organisation non gouvernementale (ONG) Asylret.

1.2Le 24 août 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs et leurs enfants vers l’Albanie tant que leur communication serait à l’examen.

1.3Le 10 mai 2018, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie tendant à ce que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond. Le même jour, la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie a été rejetée.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 28 janvier 2013, Z. H. est arrivé au Danemark, où il a déposé une demande d’asile. Son épouse, A. H., et leurs deux filles, K. H et M. H., sont arrivées au Danemark le 9 mars 2013. E. H. est née au Danemark en 2013. La famille a quitté l’Albanie car elle était visée par une vendetta. Les auteurs font observer que les vendettas se poursuivent souvent jusqu’à ce que tous les membres de sexe masculin de la famille visée soient morts. Ils affirment que la vendetta les empêchait d’avoir une vie de famille normale en Albanie car ils devaient mener une existence recluse et vivre caché et isolé afin de protéger leur intégrité physique. Ils signalent que la plupart des membres de sexe masculin de la famille ont été assassinés et que les autres ont fui l’Albanie ; certains autres membres de la famille ont obtenu l’asile en France et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Les auteurs joignent une déclaration de l’ONG Albanian Human Rights Group, qui affirme que la famille est visée par une vendetta depuis 1992. Selon la déclaration, aucune mesure concrète n’a été prise en Albanie pour mettre fin aux vendettas et l’État n’offre aucune protection lorsque la médiation échoue. Dans bien des cas, les policiers hésitent à s’interposer entre les familles car ils craignent d’être eux-mêmes pris dans la vendetta. La corruption rend encore plus difficile l’élimination du phénomène. Il est également indiqué dans la déclaration que les vendettas naissent dans le nord de l’Albanie et que, si les victimes peuvent tenter de se cacher dans d’autres régions du pays, elles sont souvent retrouvées parce que le pays est petit et que leur dialecte les trahit.

2.2Les auteurs font observer que leur état de santé et celui de leurs enfants ont été évalués par des professionnels de santé au Danemark, qui ont conclu qu’ils étaient vulnérables et souffraient de dépression, d’anxiété et de stress. Ils bénéficient actuellement d’une prise en charge et d’une thérapie intensives et reçoivent un soutien psychiatrique, psychologique et social à raison de vingt heures par semaine. Ils affirment que la brusque suppression de ce soutien nuirait au bien-être psychologique et social de leurs enfants. Ils font observer qu’une dépression grave a été diagnostiquée chez A. H., qui est considérée comme suicidaire. Elle suit un traitement psychiatrique. Les auteurs soutiennent que si la famille était expulsée vers l’Albanie, Z. H. serait assassiné en raison de la vendetta et l’état de santé d’A. H. ne lui permettrait pas d’entretenir ses enfants ni de favoriser leur développement. Selon un rapport psychologique daté du 14 avril 2016, M. H. doit suivre un traitement contre l’anxiété, un trouble de l’alimentation et des problèmes de comportement, pour que ces troubles ne deviennent pas chroniques.

2.3Les auteurs indiquent que la demande d’asile de Z. H. a été rejetée le 27 février 2013 et que les demandes des autres membres de la famille ont été rejetées en novembre 2013. Ces décisions ont été confirmées par la Commission de recours des réfugiés le 11 juin 2014. Le 25 février 2015, la famille a présenté une demande de permis de séjour au titre de l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers, qui dispose qu’un permis de séjour peut être accordé si des circonstances exceptionnelles le justifient, notamment lorsqu’il s’agit de protéger l’unité familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant. Leur demande a été rejetée le 13 juillet 2017 par le Service de l’immigration, qui a estimé que les auteurs n’avaient présenté en l’espèce aucun élément déterminant concernant leur situation humanitaire ou leur état de santé qui aurait justifié la délivrance d’un permis de séjour. Le 18 juillet 2017, les auteurs ont formé un recours contre cette décision auprès de la Commission de recours en matière d’immigration, demandant que l’ordonnance d’expulsion dont ils faisaient l’objet soit suspendue tant que l’affaire était en instance. La Commission a rejeté le recours le 26 juillet 2017.

Teneur de la plainte

3.1Selon les auteurs, bien que l’Albanie puisse en général être considérée comme un pays de retour sûr, il existe des circonstances particulières dans leur affaire qui pourraient entraîner une violation des droits de leurs enfants si la famille était expulsée vers l’Albanie. Ils affirment qu’en cas de renvoi en Albanie, leurs enfants risqueraient d’être victimes d’une violation des droits qui leur sont garantis par l’article 6 de la Convention car ils pourraient être assassinés par une famille rivale en raison de la vendetta. Ils soutiennent que ces vendettas représentent un danger non seulement pour les garçons, mais aussi pour les filles.

3.2Les auteurs affirment également que les droits que leurs enfants tiennent des articles 19, 24 (par. 1) et 27 de la Convention seraient violés si la famille était renvoyée en Albanie. Les enfants seraient contraints de vivre reclus, comme le sont généralement les familles visées par une vendetta, ce qui les empêcherait d’avoir accès à l’éducation et d’avoir une vie sociale. Ils endureraient de graves souffrances psychologiques dues à l’incertitude et à l’isolement constants, ce qui nuirait à leur développement physique, mental et social.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 16 octobre 2017, l’État partie a affirmé que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 7 d) du Protocole facultatif, puisque la question avait déjà été examinée au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, ou qu’elle devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 7 e) du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

4.2L’État partie fait observer que, le 15 février 2015, Z. H. et A. H. ont soumis une communication en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs au Comité des droits de l’homme, Z. H., A. H. et consorts c. Danemark (CCPR/C/119/D/2602/2015), affirmant que leur expulsion vers l’Albanie constituerait une violation par le Danemark des droits qu’ils tiennent des articles 6, 12 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politique. Le 27 mars 2017, le Comité des droits de l’homme a conclu que le renvoi des auteurs et de leurs enfants en Albanie ne constituerait pas une violation des droits qui leur sont garantis par l’article 6 du Pacte.

4.3L’État partie affirme que l’objet de la présente affaire est le même que celui de l’affaire Z. H., A. H. et consorts c. Danemark , à savoir que la famille ne devrait pas être renvoyée en Albanie car elle est la cible d’une vendetta. Il soutient donc que la communication devrait être déclarée irrecevable car la même question a déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure d’enquête internationale.

4.4L’État partie affirme en outre que la communication est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. Il fait observer que la demande de permis de séjour présentée par les auteurs au titre de l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers a été rejetée par le Service de l’immigration le 13 juillet 2017 et qu’à la date où les auteurs ont soumis leur plainte au Comité, leur recours était toujours en instance devant la Commission de recours en matière d’immigration.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 31 janvier 2018, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication. Ils maintiennent que la communication est recevable. En ce qui concerne la position de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle a déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, les auteurs soutiennent que la plainte déposée devant le Comité des droits de l’homme diffère de la présente espèce. Cette plainte concernait un grief de violation des droits garantis aux auteurs par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle ne portait toutefois pas sur la violation des droits de leurs enfants. Les auteurs notent que la présente affaire a été soumise en raison du refus de l’État partie de s’acquitter de son obligation de protéger l’intérêt supérieur de leurs enfants, qui n’implique pas uniquement une protection contre les dangers de la vendetta en Albanie, mais concerne également le fait qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants de rester au Danemark, afin que puissent être garantis leur bien-être physique, psychologique et mental et leur développement sain. Les auteurs soutiennent que l’affaire portée devant le Comité concerne donc un ensemble de droits différents de ceux visés dans la plainte soumise au Comité des droits de l’homme, et des victimes différentes.

5.2Les auteurs maintiennent qu’ils ont épuisé tous les recours internes. Ils font observer que, dans le recours qu’ils ont formé auprès de la Commission de recours en matière d’immigration le 18 juillet 2017, ils ont demandé que l’ordonnance d’expulsion dont ils faisaient l’objet soit suspendue tant que leur recours serait en instance. La Commission les a déboutés de leur demande le 26 juillet 2017 et la famille a reçu l’ordre de quitter immédiatement le Danemark. Les auteurs affirment donc qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles. Ils font de plus valoir que, dans leur demande de sursis à l’expulsion, ils ont indiqué qu’A. H. bénéficiait d’un suivi psychiatrique au Danemark visant à traiter ses symptômes psychotiques, son anxiété et sa dépression et que, sans accès à ce traitement, elle ne serait pas en mesure de fournir les soins nécessaires à ses trois enfants. Dans leur demande, les auteurs ont également souligné que des professionnels de santé avaient jugé que le manque de compétences parentales d’A. H. devait être compensé par des mesures d’aide sociale, notamment un soutien psychologique et pédagogique. Les auteurs ont affirmé que l’interruption de ces services sociaux en cas de renvoi en Albanie risquerait de nuire au bien-être des trois enfants et de leur causer un traumatisme supplémentaire.

5.3Dans leurs commentaires sur les observations de l’État partie, les auteurs font en outre observer que leurs enfants ont tissé des liens étroits avec le Danemark tout au long de leur séjour dans le pays. S’ils étaient renvoyés en Albanie, les enfants subiraient un préjudice car ils seraient privés des services d’aide sociale dont ils bénéficient actuellement au Danemark, et de leur réseau familial et amical au Danemark. Les enfants ont passé la majeure partie de leur vie au Danemark, ils ne savent ni lire ni écrire l’albanais, ne s’identifient pas à l’Albanie et considèrent le Danemark comme leur seul pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 10 septembre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication et des observations complémentaires sur la recevabilité. Il réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable car la question a déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement et les recours internes n’ont pas été épuisés. Il affirme en outre que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement des griefs aux fins de la recevabilité au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif. Il estime que si le Comité devait déclarer la communication recevable, il devait conclure qu’elle est dénuée de fondement.

6.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie fait observer que le 18 juillet 2018, la Commission de recours en matière d’immigration a rejeté le recours formé par les auteurs contre la décision rendue par le Service de l’immigration. Il signale que le recours n’est donc plus en instance devant la Commission. Il ajoute que l’article 52 a) 8) de la loi sur les étrangers dispose que les décisions prises par la Commission de recours en matière d’immigration ne sont pas susceptibles de recours devant un autre organe administratif de recours. Il indique toutefois qu’il est possible, en vertu de l’article 63 de la Constitution, de solliciter un contrôle juridictionnel des décisions rendues par la Commission de recours en matière d’immigration. L’État partie affirme que, n’ayant pas sollicité de contrôle juridictionnel, les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles.

6.3L’État note que, selon les auteurs, l’expulsion de la famille vers l’Albanie constituerait une violation des droits que leurs enfants tiennent des articles 6, 19, 24 et 27 de la Convention. Il note en outre qu’il ressort du fond de la communication que les auteurs affirment également que leurs enfants sont victimes d’une violation des droits qu’ils tiennent des articles 3 et 28 de la Convention.

6.4L’État partie note que Z. H. est entré au Danemark le 28 janvier 2013 et a demandé l’asile. Le 27 février 2013, le Service de l’immigration a rejeté sa demande. Le 9 mars 2013, A. H. est entrée au Danemark avec K. H. et M. H. Leur demande d’asile a été rejetée le 1er novembre 2013. Le 11 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé le rejet des demandes d’asile de la famille. Dans les constatations qu’il a adoptées le 27 mars 2017, le Comité des droits de l’homme a estimé que le renvoi de la famille en Albanie ne constituerait pas une violation des droits que celle-ci tient de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le 25 février 2015, les auteurs ont présenté une demande de permis de séjour au titre de l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers. Le 13 juillet 2017, le Service de l’immigration a rejeté leur demande. Le 18 juillet 2018, la Commission de recours en matière d’immigration a confirmé cette décision.

6.5L’État partie note qu’en vertu de l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers, un permis de séjour peut être accordé à un étranger si des raisons exceptionnelles le justifient, notamment lorsqu’il s’agit de préserver l’unité familiale et, si la personne a moins de 18 ans, de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. Il fait observer que la Commission de recours en matière d’immigration est un organe administratif indépendant, collégial et quasi judiciaire qui examine les recours formés contre les décisions relatives à l’immigration, notamment les décisions concernant la réunification familiale, l’immigration, les visas et les permis de séjour permanent, ainsi que les décisions administratives d’expulsion ou de refus d’entrée prises en première instance par le Service de l’immigration.

6.6L’État partie fait observer que, dans sa décision du 18 juillet 2018, la Commission de recours en matière d’immigration a noté que l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers ne conférait pas un droit général de résidence aux personnes ayant longtemps séjourné au Danemark sans permis de séjour. Elle a estimé que le fait que les enfants des auteurs avaient été scolarisés dans une école primaire ou une école maternelle au Danemark, parlaient danois et avaient des amis au Danemark ne pouvait pas conduire à la délivrance d’un permis de séjour. La Commission a noté qu’elle avait tenu compte du fait que les enfants pouvaient avoir tissé certains liens avec le Danemark, mais a estimé que cette considération à elle seule ne pouvait pas justifier la délivrance d’un permis de séjour en vertu de l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers, vu que, depuis son arrivée au Danemark, la famille avait uniquement obtenu des permis de séjour temporaires pour la durée des différentes procédures internes. Elle a conclu qu’il ne serait donc pas contraire aux obligations internationales du Danemark, compte tenu du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, de rejeter la demande de permis de séjour des auteurs. Elle a souligné que, d’après la jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) ne conférait pas aux familles le droit de choisir le pays dans lequel elles veulent mener leur vie familiale. Elle a estimé que le droit à la réunification familiale consacré par la Convention relative aux droits de l’enfant n’allait pas au-delà du droit garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que la Convention relative aux droits de l’enfant ne garantissait pas un droit indépendant à l’immigration. La Commission a noté que ce sont les auteurs qui avaient choisi de se rendre au Danemark avec leurs enfants et par conséquent d’éloigner ceux-ci de la vie qu’ils menaient auparavant en Albanie. Elle a en outre pris note de l’affirmation des auteurs selon laquelle les membres de la famille ne pouvaient pas vivre ensemble dans leur pays d’origine par crainte de la vendetta. Elle a conclu que cette demande concernait des questions relevant de la loi sur l’asile qui avaient déjà été rejetées par la Commission de recours des réfugiés le 11 juin 2014 et par le Comité des droits de l’homme. La Commission a en outre conclu qu’aucune autre information concernant la situation personnelle des membres de la famille, notamment leur état de santé, et justifiant la délivrance d’un permis de résidence n’avait été fournie.

6.7En ce qui concerne le fond de l’affaire, l’État partie relève que, dans sa décision du 18 juillet 2018, la Commission de recours en matière d’immigration a explicitement pris en considération le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le prévoit l’article 3 de la Convention. Il affirme que la Commission a soigneusement examiné la demande de permis de séjour présentée par les auteurs au titre de l’article 9 c) 1) de la loi sur les étrangers. Il ajoute que les auteurs n’ont relevé aucune irrégularité dans la prise de décisions et n’ont mentionné aucun facteur de risque dont les autorités nationales n’auraient pas dûment tenu compte dans le cadre de l’examen de leur demande.

6.8En ce qui concerne le grief des auteurs selon lequel le renvoi de leurs enfants en Albanie constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 6 de la Convention, l’État partie fait observer que cette question a été examinée dans le cadre de la procédure d’asile engagée par les auteurs devant la Commission de recours des réfugiés et qu’elle a ensuite été soumise au Comité des droits de l’homme, qui a conclu le 27 mars 2017, qu’un renvoi en Albanie ne constituerait pas une violation des droits qui sont garantis aux auteurs ou à leurs enfants par l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.9En ce qui concerne le grief indirect des auteurs selon lequel le renvoi de la famille en Albanie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie renvoie au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention et affirme qu’il incombe au premier chef aux parents de protéger l’intérêt supérieur de leurs enfants. Il fait valoir en outre qu’en l’absence d’informations dans le dossier permettant d’établir que les auteurs et leurs enfants ne peuvent pas vivre ensemble dans leur pays d’origine, le renvoi de la famille en Albanie ne serait pas contraire à l’article 3 de la Convention.

6.10En ce qui concerne les autres griefs soulevés par les auteurs, l’État partie soutient qu’on ne saurait déduire des articles 3, 19, 24, 27 ou 28 de la Convention qu’il existe une obligation positive de garantir le droit de résidence d’un enfant et d’assurer une protection constante de ses conditions de vie dans un pays autre que celui dont il a la nationalité, pas plus que l’on ne peut en déduire qu’un enfant jouit d’un droit distinct d’immigrer dans un autre pays pour y bénéficier de meilleures conditions de vie, indépendamment de l’existence de liens avec cet autre pays de résidence temporaire. Selon l’État partie, les faits suivants, à savoir : a) le fait que les enfants des auteurs étaient scolarisés dans une école élémentaire ou une école maternelle pendant leur période de résidence temporaire au Danemark ; b) le fait que la famille a bénéficié d’une thérapie et d’une prise en charge ainsi que de diverses interventions thérapeutiques pendant cette période ; et c) le fait que M. H. a bénéficié d’un suivi psychologique en raison d’un trouble anxieux, ne permettent pas de déduire que l’État partie a une obligation positive, qui supprime l’obligation du pays dont les enfants ont la nationalité, d’assurer la protection constante des conditions de vie des enfants, y compris des mesures de soutien. L’État partie fait observer que les auteurs n’ont pas étayé leur affirmation selon laquelle on pouvait raisonnablement supposer que leurs enfants risquaient d’être victimes d’une violation de leurs droits de l’homme fondamentaux énoncés dans la Convention en cas de renvoi en Albanie.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

7.1Le 14 janvier 2019, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Ils réaffirment que leur communication est recevable. En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être considérée comme irrecevable car la même affaire a déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, ils avancent de nouveau leur argument selon lequel la plainte soumise au Comité des droits de l’homme concernait principalement le risque auquel la famille serait exposée en raison de la vendetta à son retour en Albanie, alors que la présente communication concerne les liens que les enfants ont tissés avec le Danemark, le préjudice qu’ils subiraient s’ils étaient privés des services d’aide sociale et de l’éducation dont ils bénéficient actuellement, et la privation de leur réseau familial et amical au Danemark. Les auteurs soutiennent qu’il est dans l’intérêt supérieur de leurs enfants de rester au Danemark pour que puissent être garantis leur bien-être physique, psychologique et mental et leur développement sain.

7.2Les auteurs réaffirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Ils prennent note de l’argument de l’État partie selon lequel ils n’ont pas épuisé les recours internes car ils n’ont pas sollicité de contrôle juridictionnel de la décision rendue par la Commission de recours en matière d’immigration au titre de l’article 63 de la Constitution. Ils font observer qu’à la suite du rejet définitif de leur demande de permis de séjour le 18 juillet 2018, ils ont demandé à la Commission de recours en matière d’immigration des renseignements sur les voies de recours disponibles. La Commission leur a répondu que tous les recours avaient été épuisés et qu’ils n’avaient d’autre choix que de quitter le pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes car ils n’ont pas déposé auprès des tribunaux de demande de contrôle juridictionnel de la décision rendue le 18 juillet 2018 par la Commission de recours en matière d’immigration. Il relève toutefois que, selon les auteurs, une demande de contrôle juridictionnel n’aurait pas constitué un recours utile dans leur affaire puisque leur demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion avait été rejetée par la Commission de recours en matière d’immigration le 26 juillet 2017 et que, par conséquent, au moment où ils ont présenté la communication au Comité, ils risquaient un renvoi immédiat en Albanie. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté les affirmations des auteurs à cet égard. En conséquence, il conclut que les dispositions de l’article 7 e) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.3Le Comité prend note de la position de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable au regard de l’article 7 d) du Protocole facultatif au motif que la même question a été examinée par le Comité des droits de l’homme. Il note aussi que la question soulevée devant le Comité des droits de l’homme concernait le risque auquel les auteurs et leurs enfants seraient exposés en raison de l’existence d’une vendetta en Albanie. Le Comité note en outre que les griefs que les auteurs tirent de l’article 6 de la Convention en l’espèce correspond dans une large mesure aux griefs déjà examinés par le Comité des droits de l’homme au titre de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En conséquence, le Comité estime que les dispositions de l’article 7 d) du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner le grief des auteurs selon lequel la vendetta en Albanie exposerait leurs enfants à un risque de préjudice irréparable en cas de renvoi de la famille dans ce pays. Il note que le grief des auteurs concernant le risque allégué de devoir mener une vie isolée est lié à leur grief concernant le risque qu’ils disent courir en raison de la vendetta. Par conséquent, le Comité estime également que les dispositions de l’article 7 d) du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner ce grief. Le Comité note toutefois que l’autre grief des auteurs, à savoir le fait qu’il serait dans l’intérêt supérieur de leurs enfants de rester au Danemark afin que puissent être garantis leur bien-être physique, psychologique et mental et leur développement sain, n’a pas été soulevé dans leur communication adressée au Comité des droits de l’homme. Il considère donc que les dispositions de l’article 7 d) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner ce grief.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle il serait dans l’intérêt supérieur de leurs enfants de rester au Danemark afin que puissent être garantis leur bien-être physique, psychologique et mental et leur développement sain, compte tenu des liens que les enfants ont avec le Danemark et du préjudice qu’ils subiraient s’ils étaient privés des services d’aide sociale et de l’éducation dont ils bénéficient actuellement et s’ils étaient privés de leur réseau familial et amical dans le pays. Il prend note de la position de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif parce que les griefs n’ont pas été étayés aux fins de la recevabilité.

8.5Le Comité rappelle que l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable dans l’État d’accueil devrait être appréciée eu égard à l’âge et au sexe de l’enfant, que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale dans les décisions concernant le renvoi d’un enfant, et que ces décisions devraient être prises conformément à une procédure qui devrait garantir que l’enfant, à son retour, sera en sécurité, sera correctement pris en charge et jouira de ses droits. La prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être expressément assurée au moyen de procédures individuelles faisant partie intégrante de toute décision administrative ou judiciaire concernant le renvoi d’un enfant.

8.6Le Comité rappelle aussi que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il incombe d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve pour déterminer s’il existe un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi, à moins qu’il ne soit établi que cette évaluation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

8.7En l’espèce, le Comité note que, dans sa décision du 18 juillet 2018, la Commission de recours en matière d’immigration a soigneusement examiné la demande de permis de séjour présentée par les auteurs en tenant compte des liens que les enfants ont avec le Danemark et de la situation personnelle des membres de la famille, s’agissant notamment de leur état de santé et de la scolarisation, et en prenant expressément en considération l’intérêt supérieur des enfants. Il fait observer que, s’ils contestent les conclusions de la Commission, les auteurs n’ont pas établi que l’appréciation par la Commission des faits et des éléments de preuve qu’ils avaient présentés était manifestement arbitraire ou avait constitué un déni de justice, pas plus qu’ils n’ont présenté d’arguments permettant d’établir l’existence d’un risque réel, spécifique et personnel d’atteinte irréparable aux droits garantis à leurs enfants par la Convention en cas de renvoi en Albanie. À cet égard, le Comité note également que les auteurs n’ont fourni aucune information sur les raisons pour lesquelles les enfants, à leur retour en Albanie, seraient en proie à des difficultés particulières ou se retrouveraient dans une situation particulièrement vulnérable qui entraînerait un préjudice irréparable.

8.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les auteurs n’ont pas établi l’existence d’un risque réel, spécifique et personnel d’atteinte irréparable aux droits de leurs enfants en cas de renvoi en Albanie. Il considère donc que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

9.Le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 d) et f) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera transmise aux auteurs de la communication et, pour information, à l’État partie.