Nations Unies

CAT/C/BHR/CO/2-3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

29 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant les deuxièmeet troisième rapports périodiques de Bahreïn *

1.Le Comité contre la torture a examiné les deuxième et troisième rapports périodiques de Bahreïn (CAT/C/BHR/2 et CAT/C/BHR/3) à ses 1511e et 1514e séances, tenues les 21 et 24 avril 2017 (voir CAT/C/SR.1511 et 1514), et a adopté les présentes observations finales à ses 1533e et 1534e séances, tenues les 8 et 9 mai 2017.

A.Introduction

2.Le Comité regrette la présentation en retard des deuxième et troisième rapports périodiques, qui ont été soumis respectivement en 2015 et 2016, douze ans après l’examen du rapport initial. Il se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et lui sait gré des renseignements qu’elle a fournis oralement en réponse aux questions qu’il a soulevées.

B.Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré :

a)Pacte international relatif aux droits civils et politiques (20 septembre 2006) ;

b)Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (27 septembre 2007) ;

c)Convention relative aux droits des personnes handicapées (22 septembre 2011).

4.Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation dans des domaines visés par la Convention, et notamment de l’adoption des textes suivants :

a)Ordonnance royale no 28 portant création de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn chargée de faire la lumière et de soumettre un rapport sur les événements survenus à Bahreïn en février et mars 2011 et leurs conséquences et de faire des recommandations à ce sujet (juillet 2011) ;

b)Ordonnance royale no 45 portant création de la Commission nationale chargée de donner effet à la recommandation no 1715 de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn (26 novembre 2011) ;

c)Loi no 52 portant modification des articles 208 et 232 du Code pénal mettant la définition de la torture en conformité avec les dispositions correspondantes de la Convention et rendant imprescriptible le crime de torture (3 octobre 2012) ;

d)Loi no 18 sur les établissements pénitentiaires, autorisant les avocats représentant des prisonniers ou des personnes en détention provisoire dans le cadre d’affaires pénales à voir leurs clients (2014) ;

5.Le Comité se félicite en outre des initiatives de l’État partie visant à modifier ses politiques, programmes et mesures administratives pour donner effet aux dispositions de la Convention, et notamment, l’adoption des textes suivants :

a)Loi no 1 portant création du Comité national de lutte contre la traite des personnes (2008) ;

b)Décret-loi royal no 30 portant création du Fonds national d’indemnisation des victimes (20 septembre 2011) ;

c)Décision ministérielle no 14 relative au Code de conduite des agents de police (janvier 2012).

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Écart entre les cadres législatif et institutionnel et leur applicationdans la pratique

6.Le Comité salue la création de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn et prend acte des modifications visant à définir la torture apportées à la législation nationale et de la mise en place d’un cadre institutionnel en application des recommandations de la Commission d’enquête indépendante, mais il est préoccupé par l’écart important qui subsiste entre les cadres législatif et institutionnel, tels que modifiés, et leur application concrète dans la pratique en ce qui concerne les obligations découlant de la Convention.

7. L ’ État partie devrait affirmer sans ambiguïté, au plus haut niveau, que la torture ne sera pas tolérée. Il devrait prendre les mesures nécessaires pour combler l ’ écart entre les cadres législatif et institutionnel et leur application dans la pratique, entre autres, en annonçant que des enquêtes seront ouvertes et des poursuites engagées rapidement et systématiquement contre les auteurs d ’ actes de torture et leurs supérieurs hiérarchiques responsables et en faisant savoir que quiconque commet des actes de torture, en est complice ou les autorise tacitement sera tenu personnellement responsable devant la loi, poursuivi au pénal et dûment puni.

Allégations de recours généralisé à la torture et aux mauvais traitementset impunité en la matière

8.Tout en notant que l’État partie a créé une Commission nationale chargée de suivre et d’appliquer les recommandations figurant dans le rapport de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn, le Comité est préoccupé par les allégations nombreuses, persistantes et cohérentes faisant état d’un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements contre les personnes privées de liberté dans tous les lieux de détention comme en dehors, en particulier à la direction des enquêtes pénales, au moment de l’arrestation, pendant la détention provisoire et dans les prisons, pour arracher des aveux ou en guise de punition. Il est également préoccupé par le climat d’impunité qui semble régner, vu le faible nombre de condamnations prononcées pour les actes de torture et que les peines imposées aux personnes responsables de tels actes, y compris lorsqu’ils entraînent le décès des victimes, ne sont pas à la mesure de la gravité du crime de torture (art. 2, 4, 11 et 12, et 14 et 16).

9. L ’ État partie devrait :

a) Prendre des mesures supplémentaires pour donner concrètement effet aux recommandations de la Commission d ’ enquête indépendante de Bahreïn, en particulier à la recommandation n o 1719 l ’ appelant à enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitement ;

b) Renforcer les mesures visant à prévenir les actes de torture, les mauvais traitements dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté ;

c) Prendre des mesures énergiques pour mettre fin à l ’ impunité pour les actes de torture en veillant à ce que les auteurs présumés rendent compte de leurs actes ;

d) Élaborer un plan pour l ’ application des recommandations de la Commission d ’ enquête indépendante de Bahreïn.

Tribunaux militaires et Agence de la sécurité nationale

10.Le Comité est préoccupé par :

a)La modification de l’article 105 b) de la Constitution en mars 2017 et les changements apportés en avril 2017 au Code de justice militaire, en vertu desquels les civils peuvent être jugés par des tribunaux militaires lorsqu’ils sont accusés de menace à la sécurité nationale, ce qui semble aller à l’encontre de la recommandation no 1720 de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn ;

b)Les allégations selon lesquelles les procès qui ont eu lieu devant les tribunaux militaires pendant l’état d’urgence instauré pour le maintien de la sécurité nationale étaient inéquitables et les jugements prononcés étaient souvent fondés sur des aveux faits sous la contrainte ;

c)Le rétablissement des fonctions de maintien de l ’ ordre et d ’ arrestation de l ’ Agence de la sécurité nationale(art. 2, 11 à 13 et 15 et 16).

11. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De songer à abolir les dispositions législatives concernant le jugement de civils devant les tribunaux militaires et les modifications apportées récemment au Code de justice militaire ;

b) D ’ appliquer la recommandation n o  1720 de la Commission d ’ enquête indépendante de Bahreïn et de soumettre à un examen complet par les tribunaux ordinaires toutes les déclarations de culpabilité et condamnations prononcées par les tribunaux de la sûreté nationale dans lesquelles les garanties fondamentales d ’ un procès équitable, notamment l ’ accès rapide et sans entrave à l ’ assistance d ’ un avocat et l ’ irrecevabilité des dépositions faites sous la contrainte, n ’ ont pas été respectées ;

c) Mettre en œuvre la recommandation n o  1718 de la Commission d ’ enquête indépendante de Bahreïn et faire en sorte que l ’ Agence de la sécurité nationale soit uniquement un organisme de collecte de renseignements dépourvu de pouvoirs de maintien de l ’ ordre et d ’ arrestation.

Rétablissement de l’application de la peine de mort

12.Le Comité est vivement préoccupé par :

a)L’interruption par l’État partie du moratoire de facto sur l’application de la peine de mort qui était en vigueur depuis 2010, laquelle a abouti à l’exécution par peloton, d’Abbas al-Samea, de Sami Mushaima et d’Ali al-Singace, le 15 janvier 2017 ;

b)Les informations selon lesquelles les condamnations de ces trois hommes pour le meurtre de trois agents de police en 2014 étaient fondées sur des aveux obtenus par la torture, allégation qui n’avait pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme de la part des autorités compétentes ;

c)La situation de Mohammed Ramadhan et de Hussain Ali Moosa, qui risquent d’être exécutés et qui auraient également été condamnés sur la base d’aveux obtenus par la torture (art. 2, 11 à 13 et 15 et 16).

13. L ’ État partie devrait :

a) S onger à rétablir rapidement le moratoire sur l ’ application de la peine de mort ;

b) Songer, dans ce contexte, à accorder la grâce et un sursis à tous les prisonniers actuellement en attente d ’ exécution et à commuer leur peine ;

c) Faire en sorte que les allégations des défendeurs, selon lesquelles leurs aveux leur ont été arrachés par la torture, fassent l ’ objet d ’ enquêtes sérieuses de la part des autorités compétentes. Aucune décision de justice ne doit être fondée sur des aveux obtenus par la torture en violation de l ’ article 15 de la Convention contre la torture et de la Constitution et du Code pénal de l ’ État partie ;

d) Instituer un système obligatoire de réexamen, avec effet suspensif, de toute condamnation à la peine de mort prononcée en première instance ;

e) Porter à l ’ attention des autorités judiciaires qu ’ une enquête et un nouveau procès seront nécessaires dans l es affaires concernant Mohammed Ramadhan et Hussain Ali Moosa, si des aveux obtenus par la contrainte ont été retenus comme éléments de preuve lors du précédent procès, et garantir aux intéressés l ’ assistance effective d ’ un avocat à tous les stades de la procédure et veiller à la stricte confidentialité de tous leurs entretiens avec leurs avocats.

Garanties juridiques fondamentales

14.Le Comité est préoccupé par :

a)Les allégations selon lesquelles la plupart des personnes privées de liberté ne jouissent pas de toutes les garanties juridiques fondamentales dès leur arrestation ;

b)Le fait que même si du matériel audiovisuel pour l’enregistrement des interrogatoires des suspects et des détenus a été installé dans tous les postes de police, à la Direction générale des enquêtes criminelles et dans les salles d’interrogatoire utilisées par les membres du parquet, des interrogatoires donnant lieu à des mauvais traitements et à des actes de torture sont souvent menés dans d’autres salles des lieux cités pour éviter qu’ils ne soient enregistrés (art. 2, 11 et 16).

15. L ’ État partie devrait prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que tous les détenus jouissent dans la pratique de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, dans le respect des normes internationales et, notamment, du droit :

a) D ’ être informés des charges retenues contre eux, aussi bien oralement que par écrit, dans une langue qu ’ ils comprennent, et de se voir demander de confirmer qu ’ ils ont compris les informations qui leur ont été communiquées en signant un document ;

b) De demander d ’ être examinés par un médecin qualifié et de subir un tel examen dans les vingt-quatre heures qui suivent leur arrivée dans le lieu de détention, et d ’ avoir accès à un médecin indépendant, à leur demande ;

c) D ’ avoir accès à un avocat ou à l ’ aide juridictionnelle dès leur arrestation et de pouvoir consulter leur avocat en privé, tout au long de la procédure engagée contre eux, conformément à l ’ article 20 de la Constitution ;

d) D ’ informer un membre de leur famille, ou toute autre personne de leur choix, de leur détention immédiatement après leur arrestation ;

e) De voir leur détention consignée immédiatement après leur arrestation dans un registre central qui soit accessible à leur avocat, aux membres de leur famille ou aux autres personnes ayant un intérêt dans l ’ affaire ;

f) D ’ être présenté s à un juge dans les quarante-huit heures suivant leur arrestation ;

g) D ’ être interrogé s, dans tous les cas et dans tous les lieux de privation de liberté, exclusivement dans des salles d ’ interrogatoire équipées à cet effet afin que des enregistrements vidéo puissent être effectués et examinés pour vérifier s ’ il y a eu des actes de torture ou d ’ autres atteintes à la législation nationale et, le cas échéant, enquêter à leur sujet, et d’obtenir que les enregistrements soient mis à l eur disposition et à celle de leur conseil, et qu ’ ils puissent être utilisés comme élément s de preuve devant les tribunaux.

Aveux obtenus par la contrainte

16.Malgré la législation nationale en vigueur, le Comité demeure préoccupé par les nombreuses allégations selon lesquelles il est encore très fréquent que des aveux obtenus par la contrainte soient retenus comme éléments de preuve par les tribunaux et par le fait qu’aucune information n’ait été apportée au sujet des cas dans lesquels des agents de l’État ont pu être poursuivis et punis pour avoir extorqué des aveux en violation de l’article 15 de la Convention. Il est également préoccupé par la large acceptation par les juges d’aveux obtenus sous la contrainte, le fait que certaines personnes auraient été condamnées à vingt‑cinq ans d’emprisonnement sur la base d’aveux obtenus sous la torture et le refus des juges de tenir compte en audience de signes visibles de torture montrés par les défendeurs. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que la condamnation des trois personnes exécutées le 15 janvier 2017 aurait été fondée sur des aveux arrachés sous la torture (art. 2 et 12 à 16).

17. L ’ État partie devrait appliquer les dispositions pertinentes de son Code de procédure pénale, notamment l ’ article 253, et faire en sorte que les éléments de preuve obtenus par toute forme de contrainte ou de torture soient irrecevables dans toutes les procédures, conformément à l ’ article 15 de la Convention. Il devrait adopter une loi prévoyant l ’ ouverture d ’ enquêtes sur les allégations bien étayées de torture portées à l ’ attention du juge par le défendeur ou son conseil. Les juges devraient réexaminer les condamnations reposant uniquement sur des aveux, puisque bon nombre d ’ entre elles pourraient être fondées sur des déclarations obtenues en recourant à la torture et à des mauvais traitements. L ’ État partie devrait sans délai ouvrir des enquêtes impartiales, prendre des mesures correctives appropriées et indiquer si des fonctionnaires ont été poursuivis et punis pour avoir arraché des aveux.

Durée de la détention avant jugement

18.Le Comité note que le Code de procédure pénale dispose que les officiers de police sont tenus de présenter le suspect au parquet dans les vingt-quatre heures qui suivent l’arrestation et que le mandat de dépôt émis par le ministère public n’est valable que pour une durée de sept jours après la remise du suspect, mais il est préoccupé par le fait que le parquet peut présenter une requête à un juge de la juridiction inférieure afin qu’il délivre un mandat pour une nouvelle période allant jusqu’à quinze jours ou pour des périodes successives ne dépassant pas trente jours au total. Il est aussi préoccupé par le fait que l’article 147 du Code de procédure pénale autorise la détention provisoire sur décision du tribunal de première instance pour une période ou des périodes successives pouvant aller jusqu’à trente jours, pourvu que chaque prolongation n’excède pas quinze jours. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que la première partie de la section spéciale du Code pénal concernant les atteintes à la sûreté de l’État autorise le parquet à ordonner la détention d’un suspect pour une période initiale de vingt-huit jours ou pouvant aller jusqu’à six mois en vertu de la loi sur la protection de la société contre les actes terroristes (art. 2, 4, 11 et 16).

19. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce que les personnes qui sont arrêtées pour des infractions pénales, notamment en application de la loi sur la protection de la société contre les actes terroristes, soient présentées à un juge dans les quarante-huit heures ;

b) Modifier sa législation et prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire la durée de la détention provisoire, qui ne devrait être utlisée qu ’ à titre exceptionnel en tant que mesure de dernier recours pour une durée limitée ;

c) Faire le nécessaire pour que la détention provisoire soit clairement réglementée et soumise en tout temps à un contrôle juridictionnel afin d ’ assurer le respect des garanties juridiques fondamentales ;

d) Songer à remplacer la détention provisoire pour des délits mineurs par des mesures non privatives de liberté, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

e) Veiller à ce que les personnes ayant été maintenues en détention provisoire de manière prolongée et injustifiée obtiennent réparation et reçoivent une indemnisation.

Mise à l’isolement

20.Bien que la législation nationale prévoie depuis 2014, au titre de la loi sur les établissements pénitentiaires, que la mise à l’isolement ne doit pas durer plus de sept jours, le Comité note avec préoccupation qu’elle est utilisée en guise de châtiment pour des périodes prolongées dans différents centres de détention. Il est particulièrement préoccupé par la situation de Nabeel Rajab, qui serait à l’isolement depuis plus de neuf mois. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le fait qu’une utilisation abusive de la mise à l’isolement constitue une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, voire un acte de torture dans certains cas (art. 2, 11 à 13 et 16).

21. L ’ État partie devrait :

a) Appliquer de manière effective la législation en vigueur afin de garantir que la détention à l ’ isolement reste une mesure exceptionnelle d ’ une durée limitée et de dernier recours, conformément aux normes internationales ;

b) Veiller à ce que la mise à l ’ isolement soit placée sous stricte surveillance et sous contrôle juridique, qu ’ elle n ’ excède pas la période prévue par la loi et que les détenus bénéficient des garanties d ’ une procédure régulière, notamment du droit de faire appel ;

c) Établir des critères clairs et précis pour les décisions relatives à la mise à l ’ isolement et garantir que la pratique consistant à renouveler et prolonger l ’ isolement cellulaire soit strictement interdite ;

d) Faire en sorte que l ’ état de santé physique et mentale du détenu soit contrôlé quotidiennement par un personnel médical qualifié pendant toute la durée de l ’ isolement, conformément à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) ;

e) Mettre fin à l ’ isolement de Nabeel Rajab et veiller à ce qu ’ il bénéficie de l ’ assistance médicale requise et dispose de moyens de recours.

Conditions de détention

22.Tout en prenant note des renseignements au sujet de la construction de nouveaux bâtiments destinés à accueillir les détenus, le Comité constate avec préoccupation que le surpeuplement demeure un problème dans les centres de détention. Il est également préoccupé par les informations faisant état de mauvaises conditions matérielles et d’hygiène dans les lieux de détention, notamment de l’insuffisance des installations sanitaires (douches et toilettes), d’un manque d’accès à une nourriture suffisante et de qualité satisfaisante, de l’absence de soins de santé adéquats, du manque d’activités de plein air et de restrictions injustifiées aux visites familiales (art. 2, 11 à 14 et 16).

23. L ’ État partie devrait :

a) Redoubler d ’ efforts pour rendre les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté conformes aux Règles Nelson Mandela et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenus et l ’ imposition de mesures non privatives aux délinquants (Règles de Bangkok) ;

b) Réduire encore la surpopulation carcérale dans tous les lieux de détention, notamment en construisant de nouveaux établissements, en rénovant ceux qui existent déjà et en diminuant le taux d’incarcération ;

c) Faire en sorte que les détenus vivent dans des conditions matérielles et des conditions d ’ hygiène correctes, y compris pour ce qui est des douches et des toilettes, reçoivent en quantité suffisante une nourriture de qualité satisfaisante, aient suffisamment d ’ espace, aient accès à des soins de santé et à des activités de plein air et puissent recevoir des visites de leur famille ;

d) Autoriser des organes de surveillance indépendants, notamment internationaux, à effectuer régulièrement des visites inopinées dans tous les lieux de détention et à s ’ entretenir en privé avec les détenus.

Émeutes dans les prisons

24.Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de flambées de violence dans les prisons, qui ont conduit à des émeutes et des évasions, comme dans la prison de Jaw en mars 2015 et en janvier 2017 et dans la prison de Dry Dock en 2016. Selon ces informations, dans la prison de Jaw, les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force et utilisé des balles en caoutchouc, du gaz lacrymogène et des fusils de chasse et l’administration pénitentiaire a infligé des sévices aux détenus consistant notamment à les forcer à rester dix jours dans la cour et à transférer 100 d’entre eux dans un autre quartier de la prison où ils auraient été soumis à des châtiments collectifs constitutifs de mauvais traitements et d’actes de torture. Il a été signalé que plusieurs prisonniers avaient vu leur peine aggravée à la suite de ces événements (art. 2, 11 à 14 et 16).

25. L ’ État partie devrait :

a) Faire en sorte que l ’ usage de la force par les forces de sécurité dans les lieux de détention pendant les opérations de maintien de l ’ ordre ne soit pas excessif et que le gaz lacrymogène ne soit pas employé dans les espaces clos pour réprimer les émeutes de façon à ne pas mettre en danger la vie des prisonniers ;

b) Veiller à ce que les droits fondamentaux des détenus soient respectés en toutes circonstances et que les détenus ne soient pas soumis à des châtiments collectifs par l ’ administration pénitentiaire ;

c) Veiller à enquêter sérieusement sur tous les cas de violence et faire en sorte que les conditions de détention ne conduisent pas à des émeutes de détenus ;

d) Faire en sorte que des enquêtes approfondies soient menées sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitement commis dans les lieux de détention, que toute personne reconnue coupable de tels actes soient punie et qu’une réparation soit accordée aux victimes, notamment sous la forme de soins médicaux et de services de réadaptation psychologique.

Traitement des mineurs

26.Le Comité est vivement préoccupé par le fait que l’âge de la responsabilité pénale pour les mineurs est de 7 ans et que les mineurs de plus de 16 ans sont en réalité assimilés à des délinquants majeurs ce qui les expose à un risque accru de torture et de mauvais traitements. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles 76 mineurs ont été arrêtés pendant des opérations de sécurité en 2010 et que sur l’ensemble des cas de torture soumis à une organisation non gouvernementale entre le 1er janvier et le 26 juin 2016, 10 concernaient des personnes qui étaient mineures au moment de leur arrestation. Il note également avec préoccupation que des mineurs faisaient partie des prisonniers contre lesquels du gaz lacrymogène a été utilisé pendant l’émeute qui s’est produite en 2015 dans la prison de Jaw. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que sur les quelque 200 mineurs qui ont été incarcérés en 2015, la moitié a été placée dans des centres de détention pour adultes en raison parfois d’un manque de place (art. 2, 11 à 13 et 16).

27. L ’ État partie devrait :

a) Modifier sa législation afin de porter à 12 ans l ’ âge minimum de la responsabilité pénale, comme recommandé par le Comité des droits de l ’ enfant dans son observation générale n o  10 sur les droits des enfants dans le cadre de la justice pour mineurs ;

b) Faire en sorte que les normes relatives à la justice pour mineurs soient pleinement mises en œuvre, en particulier l ’ ensemble de Règles minima des Nations Unies concernant l ’ administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés d e liberté ;

c) Veiller à ce que les mineurs ne soient détenus qu ’ en dernier recours et pour une durée aussi brève que possible, à ce qu ’ ils soient séparés des adultes et bénéficient de toutes les garanties juridiques, et à utiliser des mesures non privatives de liberté pour les mineurs en conflit avec la loi.

Indépendance des mécanismes de plainte des lieux de détention

28.Tout en notant que les personnes privées de liberté peuvent adresser des plaintes pour torture ou mauvais traitement à plusieurs organes créés en application des recommandations de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn, notamment au Bureau du Médiateur (Secrétariat général des plaintes) du Ministère de l’intérieur, à la Direction des enquêtes internes du Ministère de l’intérieur, à la Direction générale des établissements pénitentiaires du Ministère de l’intérieur, au Bureau du Médiateur de l’Agence nationale de la sécurité, au Service spécial d’enquête du Bureau du Procureur général, à l’Institution nationale des droits de l’homme et à la Commission des droits des prisonniers et des détenus, le Comité note avec préoccupation que ces organes ne sont pas indépendants, que leurs mandats ne sont pas clairs et se chevauchent et qu’ils ne sont pas efficaces étant donné que les plaintes doivent passer par le Ministère de l’intérieur. Il est également préoccupé par le fait que leurs activités n’aient guère produit d’effet et que les autorités n’aient fourni que très peu d’informations sur leurs résultats. Le Comité est en outre préoccupé par les lacunes dans les mécanismes de plainte, vu que les prisonniers doivent soumettre leurs plaintes pour torture ou mauvais traitements par l’intermédiaire des gardiens, du directeur ou du directeur adjoint de la prison, ce qui ne garantit pas leur transmission aux autorités compétentes (art. 2, 4, 11 à 14 et 16).

29. L ’ État partie devrait :

a) Assurer l ’ indépendance de tous les mécanismes habilités à examiner les plaintes émanant de détenus ou de condamnés dans tous les lieux de détention ;

b) Faire en sorte que toutes les informations relatives à la torture fassent l ’ objet d ’ enquêtes rapides, sérieuses et impartiales conduites par un mécanisme indépendant dans le cadre duquel il n ’ y a aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés ;

c) Faire en sorte que toutes les personnes faisant l ’ objet d ’ une enquête pour torture ou mauvais traitements soient immédiatement suspendues de leurs fonctions pour toute la durée de l ’ enquête, tout en assurant le respect du principe de la présomption d ’ innocence ;

d) Faciliter le dépôt de plaintes par les victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements, notamment en leur permettant d ’ obtenir des rapports médicaux pour étayer leurs allégations auprès de médecins compétents et indépendants, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) ;

e) Veiller dans la pratique à ce que, dans tous les lieux de détention, les auteurs de plainte soient protégés contre tout acte de représailles auquel ils pourraient être exposés en raison de leur plainte.

Surveillance des lieux de détention

30.Tout en notant que des visites des lieux de détention peuvent être effectuées par le Président de la Cour suprême, le Président de la Haute Cour pénale, le juge ayant prononcé la peine, le Président du Tribunal pour mineurs, le parquet et les mécanismes de responsabilisation créés en application de la recommandation de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn, le Comité constate avec préoccupation que les agents de la force publique et le personnel des prisons continuent d’avoir un comportement contraire à la Convention (art. 2, 11 et 16).

31. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce qu ’ un système efficace et indépendant de surveillance assure une inspection régulière sans préavis de tous les lieux de détention et soit en mesure de s ’ entretenir en privé avec les détenus, de recevoir des plaintes et de mener des enquêtes sur les comportements des forces de l ’ ordre et du personnel des prisons qui seraient contraires à la Convention ;

b) Renforcer la coopération avec les mécanismes des droits de l ’ homme de l ’ Organisation des Nations Unies en autorisant dans les meilleur s délais les visites des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales qui en ont fait la demande, conformément aux nouvelles règles applicables aux visites dans les pays des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l ’ homme (fondées sur le document E/CN.4/1998/45, appendice V) ;

c) Songer à ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, qui prévoit l ’ établissement de mécanismes internationaux et nationaux de prévention de la torture dans les lieux où des personnes sont privées de liberté.

Mesures de représailles et actes de torture et mauvais traitements présumés subispar des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes

32.Le Comité demeure préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes faisant état d’actes graves d’intimidation, de représailles et de menaces, de mesures de déchéance de la nationalité, d’arrestations et de mesures d’emprisonnement arbitraire dont seraient victimes des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et leurs proches en raison de leur travail. Il note aussi avec préoccupation que nombreux sont ceux qui parmi les personnes susmentionnées feraient l’objet d’arrestations sur la base d’accusations pénales et seraient traduits en justice sans bénéficier d’une procédure régulière et des garanties juridiques fondamentales. Le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles de nombreuses personnes privées de liberté ont été soumises à la torture ou à des mauvais traitements. Il est particulièrement préoccupé par la situation d’Abdulhadi al‑Khawaja, de Naji Fateel, de Nabeel Rajab, d’Abduljalil al-Singace, d’Hussain Jawad et d’Abdulwahab Hussain, en particulier en ce qui concerne leur accès aux soins médicaux (art. 2 et 3, 11 à 14 et 16).

33. L ’ État partie devrait :

a) Appliquer la recommandation n o  1722 de la Commission d ’ enquête indépendante de Bahreïn concernant l ’ usage de la force, les arrestations, le traitement des personnes en garde à vue, la détention et les poursuites en lien avec l ’ exercice de la liberté d ’ expression, de réunion et d ’ association ;

b) Libérer les défenseurs des droits de l ’ homme et les journalistes qui seraient détenus et emprisonnés en représailles contre leurs ac tivités, notamment Abdulhadi al ‑ Khawaja, Naji Fateel, Nabeel Rajab, Abduljalil al-Singace, Hussain Jawad et Abdulwahab Hussain ;

c) Enquêter rapidement et de manière approfondie et impartiale sur toutes les allégations de harcèlement, d ’ arrestation arbitraire, de torture ou de mauvais traitement de défenseurs des droits de l ’ homme et de journalistes, poursuivre et punir dûment les personnes reconnues coupables de tels actes, tout en veillant à leur assurer l ’ accès à la justice et à les faire bénéficier des garanties juridiques fondamentales, et offrir des recours aux victimes ;

d) S ’ abstenir de recourir à la déchéance de nationalité en tant que moyen de représailles contre des défenseurs des droits de l ’ homme, des journalistes et des militants politiques et opposants critiques à l ’ égard des autorités.

Violence contre les femmes notamment au foyer et sexuelle

34.Le Comité note avec préoccupation le fait que la violence à l’égard des femmes, notamment le viol conjugal et la violence au foyer, ne sont pas des infractions distinctes dans le Code pénal et le retard dans l’adoption de textes législatifs en la matière. Il est particulièrement préoccupé par le fait que l’article 353 du Code pénal exempte de toute poursuite ou sanction les auteurs de viol s’ils épousent leur victime et que l’article 334 réduit les peines qu’encourent les auteurs de crimes dits d’honneur (art. 2, 12 à 14 et 16).

35. L ’ État partie devrait :

a) Définir la violence au foyer, notamment la violence sexuelle et le viol conjugal, et les ériger en infractions distinctes, assorties de peines appropriées, dans son Code pénal ;

b) Abroger les articles 334 et 353 du Code pénal ;

c) Accélérer le processus d ’ adoption de la loi sur la violence au foyer, dont la rédaction a commencé en 2007 ;

d) Faire en sorte que toutes les allégations de violence à l ’ égard des femmes, notamment de violence au foyer et de violence sexuelle, soient enregistrées par la police, que toutes les allégations de violence fassent l ’ objet d ’ une enquête rapide et impartiale et que les auteurs soient poursuivis et punis ;

e) Veiller à ce que les victimes de la violence au foyer bénéficient d ’ une protection, notamment d ’ ordonnances d ’ éloignement, et aient accès aux services médicaux et juridiques, y compris aux services d ’ accompagnement, à des recours et des moyens de réadaptation, ainsi qu ’ à des centres d ’ accueil sûrs et adaptés financés par l ’ État, dans tout le pays ;

f) Fournir une formation obligatoire à la police et à d ’ autres membres de la force publique, aux travailleurs sociaux, aux procureurs et aux juges sur les points vulnérables des victimes de violence sexuelle et de violence au foyer.

Châtiments corporels infligés aux enfants

36.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les enfants peuvent encore subir des châtiments corporels dans la famille, dans les foyers d’accueil et dans les garderies (art. 2, 4 et 16).

37. L ’ État partie devrait adopter un texte de loi pour interdire explicitement et sans ambiguïté les châtiments corporels dans tous les contextes.

Indemnisation des victimes de la torture et des mauvais traitements

38.Tout en se félicitant de la création du Fonds national d’indemnisation des victimes et de la mise en place de tribunaux spéciaux pour examiner les demandes d’indemnisation, annoncée le 27 février 2012 par le Conseil suprême de la magistrature, le Comité note avec préoccupation que seules quelques victimes et familles de victimes identifiées par la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn ont reçu une indemnisation (art. 14).

39. L ’ État partie veiller à ce que le Fonds national d ’ indemnisation des victimes dédommage toutes les victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements remplissant les conditions requises, y compris toutes celles qui ont été identifiées par la Commission d ’ enquête indépendante de Bahreïn.

Visites de mécanismes des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies

40.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas répondu favorablement aux demandes répétées de visites qui lui ont été adressées par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, affirmant que le moment n’était pas opportun étant donné qu’il s’employait à appliquer les recommandations de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn et à mettre en œuvre un vaste processus de réforme et de développement. Le Comité note également avec préoccupation que les représentants de l’État partie n’ont pas été en mesure de dire quand le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme serait autorisé à se rendre dans le pays pour répondre à l’invitation que lui avait adressée le Parlement bahreïni par le biais des médias afin qu’il visite des lieux de détention et des villages chiites à Bahreïn. L’invitation avait été acceptée par le Haut-Commissaire mais, au moment du dialogue de l’État partie avec le Comité, le Gouvernement n’avait pris aucune mesure à ce propos.

41. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accéder rapidement à la demande de visite du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L ’ État partie est en outre encoura gé à faire en sorte que le Haut ‑ Commissaire des Nations Unies aux droits de l ’ homme puisse se rendre à Bahreïn et, notamment , visiter les lieux de détention qui sont importants dans l ’ optique du respect par Bahreïn des dispositions de la Convention.

Procédure de suivi

42. Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir d ’ ici le 12 mai 2018 des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations concernant le moratoire sur l ’ application de la peine de mort, les visites régulières des lieux de détention par des organes de surveillance indépendants, y compris des organes internationaux, et les visites des mécanismes des droits de l ’ homme de l ’ Organisation des Nations Unies (voir par. 13 a), 23 d) et 41 ci-dessus). À cet égard, l ’ État partie est invité à informer le Comité de ses intentions quant à l ’ application, pendant la période qui sera couverte par son prochain rapport périodique, de tout ou partie des autres recommandations figurant dans les observations finales.

Questions diverses

43. Le Comité réitère sa recommandation tendant à ce que l ’ État partie examine la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention et de ratifier le Protocole facultatif à la Convention (voir CAT/C/CR/34/BHR, par. 9).

44. Le Comité invite l ’ État partie à ratifier les principaux instruments des droits de l ’ homme de l ’ ONU auxquels il n ’ est pas encore partie.

45. L ’ État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité et les présentes observations finales dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

46. L ’ État partie est invité à présenter son prochain rapport périodique, au plus tard le 12 mai 2021. À cet effet, et compte tenu du fait que l ’ État partie a accepté d ’ établir son rapport conformément à la procédure simplifiée, le Comité lui fera parvenir en temps utile une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l ’ État partie à cette liste constitueront son quatrième rapport au titre de l ’ article 19 de la Convention.