Observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Turkménistan *

Le Comité a examiné le cinquième rapport périodique du Turkménistan (CEDAW/C/TKM/5) lors de ses 1612e et 1613e sessions (voir CEDAW/C/SR.1612 et CEDAW/C/SR.1613), le 10 juillet 2018. La liste des points et questions soulevés par le Comité figure dans le document CEDAW/C/TKM/Q/5, et les réponses du Turkménistan dans le document CEDAW/C/TKM/Q/5/Add.1.

A.Introduction

Le Comité remercie l’État partie d’avoir présenté son cinquième rapport périodique. Il le remercie également des informations fournies en 2015 comme suite aux précédentes observations finales du Comité (CEDAW/C/TKM/CO/3-4/Add.1) et de ses réponses écrites à la liste de points et questions soulevés par le groupe de travail d’avant-session, ainsi que pour l’exposé de la délégation et les précisions supplémentaires apportées en réponse aux questions posées oralement par le Comité durant l’échange de vues.

Le Comité félicite la délégation de l’État partie, qui était dirigée par Merdan Govshudov, Ministre délégué à l’éducation, et qui comprenait des représentants du Ministère du travail et de la protection sociale, du Mejlis (Parlement), de l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme, du syndicat des femmes turkmènes et de la Mission permanente du Turkménistan auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève.

B.Aspects positifs

Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen en 2012 du rapport unique valant troisième et quatrième rapports périodiques de l’État partie (CEDAW/C/TKM/3-4) dans la mise en place de réformes législatives, en particulier l’adoption des textes suivants :

a)La loi sur l’emploi de 2016, qui garantit l’égalité des droits et des chances pour les femmes et les hommes en matière d’emploi, offre une protection contre la discrimination au travail et instaure une allocation de chômage ;

b)La loi sur la fonction publique de 2016, qui garantit l’égalité de droits des hommes et des femmes en ce qui concerne l’accès à la fonction publique ;

c)La loi sur l’égalité des droits et des chances pour les hommes et les femmes de 2015, qui garantit l’égalité des sexes et interdit la discrimination fondée sur le sexe ;

d)La loi sur les soins de santé de 2015, qui garantit l’égalité des droits en matière de soins de santé pour les femmes et les hommes ;

e)La loi sur l’enseignement de 2013, telle que modifiée en 2014, qui garantit l’égalité d’accès à un enseignement gratuit et obligatoire pour les filles et les garçons ;

f)La loi sur la conscription et le service militaire de 2014, qui autorise les femmes à suivre une formation militaire.

Le Comité accueille avec satisfaction les efforts faits par l’État partie pour renforcer son cadre institutionnel et politique en vue d’accélérer l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité des sexes, notamment l’adoption des mesures suivantes :

a)Le programme national du Président pour la période 2017-2020, qui vise à améliorer les conditions de vie de la population des villages, bourgs, villes et chefs‑lieux de district, et le programme national de développement socioéconomique pour la période 2011-2030, qui a pour objet de favoriser le développement économique et rural dans l’intérêt des femmes et des hommes grâce à des investissements publics dans les infrastructures, le logement et l’emploi ;

b)Le plan d’action national pour les droits de l’homme pour la période 2016‑2020, afin de mettre œuvre les recommandations de divers organes créés en vertu d’instruments internationaux, notamment en ce qui concerne l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ;

c)Le plan d’action national sur l’égalité des sexes pour la période 2015‑2020.

Objectifs de développement durable

Le Comité se félicite de l’appui international aux objectifs de développement durable et invite l’État partie à réaliser l’égalité de droit et de fait des hommes et des femmes telle qu’énoncée dans les dispositions de la Convention, en s’appuyant sur l’application du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Le Comité rappelle l’importance de l’objectif 5 et de l’intégration des principes d’égalité et de non-discrimination dans chacun des 17 objectifs de développement durable. Il exhorte l’État partie à reconnaître le rôle moteur des femmes dans le développement durable du pays et à adopter des politiques et stratégies en conséquence.

C.Parlement

Le Comité souligne le rôle essentiel du pouvoir législatif s’agissant de garantir la pleine mise en œuvre de la Convention (voir la déclaration faite par le Comité sur ses relations avec les parlementaires, adoptée à la quarante ‑ cinquième session, en 2010). Il invite le Mejlis, dans le cadre de son mandat, à prendre les mesures nécessaires pour la mise en œuvre des présentes observations finales avant la soumission du prochain rapport périodique.

D.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Cadre constitutionnel et législatif

Le Comité note que la nouvelle Constitution, adoptée en 2016, consacre l’égalité des droits et des chances pour les femmes et les hommes et que la loi de 2015 sur l’égalité des droits et des chances pour les hommes et les femmes interdit toute discrimination fondée sur le sexe. Il est toutefois préoccupé par le fait que, dans la législation turkmène, la définition de la discrimination à l’égard des femmes n’est pas conforme à l’article premier de la Convention. Il s’inquiète également du fait que les différentes dispositions législatives interdisant la discrimination à l’égard des femmes s’appliquent indifféremment aux deux sexes, ce qui peut entraîner une protection insuffisante des femmes contre la discrimination directe et indirecte, et que la Convention ne soit pas directement appliquée ou invoquée lors des procédures judiciaires, bien que les juges et les avocats du pays aient bénéficié d’activités de renforcement des capacités en ce sens.

Rappelant sa recommandation générale n o 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, le Comité recommande à l’État partie :

a) De modifier la définition de la discrimination à l’égard des femmes afin d’interdire la discrimination directe et indirecte dans les sphères publique et privée, et de supprimer toutes les dispositions discriminatoires, y compris les restrictions qui pèsent sur l’accès des femmes à l’emploi et au service militaire ;

b) De tenir compte des disparités entre les sexes dans la mise en œuvre de ses lois, politiques et programmes, de manière à s’assurer que ceux-ci répondent suffisamment aux inégalités et aux disparités préexistantes ;

c) D’intensifier le renforcement des capacités des magistrats et des professionnels du droit afin qu’ils disposent des outils nécessaires pour invoquer ou appliquer directement la Convention, ou interpréter la législation nationale à la lumière de celle-ci, lors des procès.

Accès à la justice

Le Comité est préoccupé par l’absence d’informations sur les dispositifs disponibles pour faciliter l’accès des femmes, et en particulier des femmes rurales, à la justice, ainsi que de l’accès restreint des femmes à l’aide judiciaire et à l’information s’agissant des recours auxquels elles peuvent prétendre. Il note avec inquiétude que les femmes dont les maris ou les proches ont été victimes de disparition forcée en 2002 ne savent toujours rien de leur sort.

Compte tenu de sa recommandation générale n o 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, le Comité recommande à l’État partie :

a) De veiller à ce que l’ensemble des femmes et des filles aient accès à un dispositif de dépôt de plainte efficace, confidentiel et qui tiennent compte des disparités entre les sexes dans les affaires impliquant des discriminations ou violences sexistes de quelque forme que ce soit, et puissent déposer plainte pour des formes multiples et croisées de discrimination ;

b) De mettre en place un dispositif d’aide juridictionnelle qui soit accessible, fiable et adapté aux besoins des femmes et prévoie la gratuité de cette aide pour les femmes qui ne disposent pas de moyens financiers suffisants ;

c) De renforcer l’indépendance et l’efficacité de son système judiciaire afin qu’il puisse dûment enquêter sur les actes criminels commis contre des femmes, en poursuivre les auteurs et les punir, de veiller à ce que les tribunaux jugent comme il se doit les formes croisées de discrimination et de mettre en place un système d’audiences foraines visant à faciliter l’accès à la justice pour les femmes rurales ;

d) D’organiser, en collaboration avec les organisations de la société civile, des activités de sensibilisation ciblées afin que les femmes soient mieux informées de leurs droits et des recours juridiques à leur disposition ;

e) De garantir que les allégations de disparition forcée fassent l’objet d’enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales et d’offrir aux femmes concernées des réparations réelles et correspondants au préjudice subi, y compris la restitution, l’indemnisation et la réhabilitation, au titre de la violation des droits que leur reconnaît la Convention.

Mécanisme national de promotion des femmes

Le Comité félicite l’État partie d’avoir adopté un plan d’action national pour les droits de l’homme et un plan d’action national pour l’égalité des sexes, ainsi que divers programmes et politiques visant à mettre en œuvre le Programme 2030, et notamment à réaliser l’objectif 5 du Programme, qui concerne l’égalité des sexes. Il regrette toutefois que l’État partie n’ait pas encore mis en place de mécanisme national centralisé de promotion des femmes. Il constate par ailleurs que le suivi de la mise en œuvre du plan d’action national pour l’égalité des sexes est assuré par la Commission interministérielle chargée de veiller à l’exécution des obligations internationales du Turkménistan dans le domaine des droits de l’homme et du droit international humanitaire, et s’inquiète du peu de renseignements communiqués par l’État partie sur l’autorité, la capacité et les moyens financiers dont dispose cette commission pour contrôler la mise en œuvre de la Convention et coordonner les activités connexes.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en place un mécanisme national centralisé de promotion des femmes, doté d’un mandat et de responsabilités clairement définis, et de fournir à ce mécanisme les ressources humaines, financières et techniques qui lui permettent de coordonner et de promouvoir efficacement l’égalité des sexes et sa prise en compte systématique dans les politiques appliquées par l’ensemble des organismes publics ;

b) D’allouer les moyens humains, techniques et financiers nécessaires à la mise en œuvre du plan d’action national pour l’égalité des sexes ;

c) De procéder à des études d’impact pour suivre et évaluer la mise en œuvre du plan d’action en s’attachant la participation active et concrète de la société civile.

Institution nationale de défense des droits de l’homme

Comité salue l’adoption, en 2016, de la loi relative à la médiation, et la nomination du premier Médiateur de l’État partie. Il est toutefois préoccupé par les pouvoirs limités dont dispose le Médiateur pour examiner et instruire les plaintes déposées par les femmes.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De veiller à ce que le Médiateur dispose d’un mandat précis de promotion et de protection des droits fondamentaux des femmes et de l’égalité des sexes, ainsi que des moyens et des pouvoirs suffisants pour examiner, en toute confidentialité et en tenant compte des disparités entre les sexes, les plaintes déposées par des femmes et des filles ;

b) De garantir la totale indépendance du Médiateur, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), et de doter le Bureau du Médiateur des moyens humains, techniques et financiers nécessaires à l’exécution de son mandat ;

c) D’encourager le Bureau du Médiateur à demander son accréditation auprès de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme.

Mesures temporaires spéciales

Le Comité note que le plan d’action national pour l’égalité des sexes prévoit des mesures visant à promouvoir la participation des femmes dans toutes les sphères de la vie politique, publique et professionnelle, notamment à des postes à responsabilité. Il est toutefois préoccupé par l’insuffisance des mesures temporaires spéciales prises pour accélérer la réalisation d’une égalité réelle entre hommes et femmes dans tous les domaines où les femmes sont sous-représentées ou désavantagées, par l’absence de sensibilisation à la nécessité de ces mesures ainsi que d’études sur leur application et leurs effets par les ministères et les services publics compétents.

Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à la recommandation générale n o 25 (2004) du Comité sur les mesures temporaires spéciales, le Comité rappelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TKM/CO/3-4 , par. 19) et recommande à l’État partie :

a) D’adopter et d’appliquer des mesures temporaires spéciales, telles que des quotas afin de garantir que les femmes soient représentées dans les organes dont les membres sont élus ou nommés, des programmes de sensibilisation et de soutien en faveur des femmes, ainsi que le recrutement, l’embauche et la promotion ciblés, afin d’accélérer la réalisation d’une égalité réelle entre hommes et femmes dans tous les domaines visés par la Convention, en particulier dans la vie publique et politique, ainsi que dans les domaines de l’éducation et de l’emploi ;

b) De sensibiliser tous les fonctionnaires concernés à l’importance et à la nature non discriminatoire des mesures temporaires spéciales ;

c) De mettre en place un dispositif pour le suivi effectif de l’application et de l’efficacité de ces mesures, et de prendre des sanctions adéquates en cas de non-respect.

Stéréotypes et pratiques préjudiciables

Le Comité note que l’élimination des stéréotypes sexistes discriminatoires est un élément clef du plan d’action national pour l’égalité des sexes et que l’État partie a mis au point des programmes de sensibilisation et organisé des formations à l’intention des juges et des avocats à ce sujet. Il est néanmoins préoccupé par l’absence de mesures pour suivre et évaluer les effets de ces activités, ainsi que par la persistance des stéréotypes discriminatoires concernant les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la société et dans la famille.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De renforcer les programmes d’éducation du public pour mieux faire comprendre ce qu’est l’égalité réelle des femmes et des hommes et l’impact négatif des stéréotypes sexistes discriminatoires sur l’exercice de leurs droits, en particulier s’agissant des femmes rurales. Ces programmes devraient également cibler les hommes et les garçons, ainsi que les dirigeants politiques et communautaires, les médias, les employeurs, les syndicats, les professionnels de la santé et les fonctionnaires dans tous les secteurs ;

b) De revoir les manuels scolaires pour en supprimer les stéréotypes sexistes discriminatoires, d’intégrer des modules obligatoires sur l’éducation aux questions de genre dans les programmes scolaires et d’assurer aux enseignants une formation aux questions de genre ;

c) De mettre au point un mécanisme de suivi qui permette d’évaluer régulièrement l’impact des mesures prises et de concevoir des mesures correctives.

Le Comité relève que l’État partie affirme systématiquement qu’il n’existe aucune loi ou politique imposant un code vestimentaire aux femmes ou restreignant leur droit de se déplacer. Néanmoins, il est préoccupé par le fait qu’un certain nombre de pratiques préjudiciables fondées sur des attitudes sociales discriminatoires seraient largement répandues dans l’État partie, en particulier :

a)Les mariages d’enfants et/ou les mariages forcés, malgré l’interdiction du mariage avant l’âge de 18 ans, et le maintien de la pratique de la dot ;

b)Les restrictions concernant la tenue vestimentaire des femmes ainsi que leurs cheveux, leurs ongles et leur comportement, dans certaines professions, en particulier pour celles qui travaillent dans le secteur public et dans le secteur de l’éducation ;

c)Le fait que des femmes et des filles soient soumises par des policiers et des agents des services spéciaux à des examens gynécologiques forcés visant à vérifier leur virginité, ce qui perpétue les stéréotypes concernant les droits ou le pouvoir que les hommes détiennent sur les femmes, et l’humiliation publique des familles de femmes et de filles pour lesquelles ce qu’il est convenu d’appeler le « test de virginité » est négatif ;

d)Les restrictions imposées aux déplacements des femmes, interdisant aux étudiantes de prendre un taxi et de se rendre à l’étranger pour étudier ou travailler ;

e)Le harcèlement des femmes qui conduisent par la police et l’impossibilité pour elles de renouveler leur permis de conduire arrivé à expiration.

En vertu de de la recommandation générale/observation générale conjointe n o  31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et n o  18 du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables (2014), le Comité recommande à l’État partie :

a) De prévenir et éliminer la pratique des mariages d’enfants et/ou des mariages forcés et les pratiques préjudiciables qui y sont associées, y compris la pratique de la dot, en sensibilisant la population à leurs effets néfastes sur les droits des femmes et des filles, en menant rapidement des enquêtes efficaces sur tous les cas signalés, en poursuivant et punissant les responsables et en offrant aux victimes des recours appropriés et des services de réadaptation ;

b) De garantir aux femmes le libre choix de leur tenue vestimentaire et la liberté d’utiliser ou de ne pas utiliser de cosmétiques, notamment en prenant des mesures efficaces pour les protéger contre la violence, l’intimidation ou la contrainte exercées par les employeurs et les agents de police ;

c) D’abolir ce qu’il est convenu d’appeler les tests de virginité et la pratique consistant à humilier publiquement les familles des personnes concernées ;

d) De garantir aux femmes le droit de voyager à l’intérieur et à l’extérieur de l’État partie et de les protéger contre le harcèlement et l’intimidation lorsqu’elles voyagent ;

e) De garantir aux femmes le droit de conduire, sur un pied d’égalité avec les hommes, y compris en sanctionnant ceux qui harcèlent les conductrices ou leur refusent le renouvellement du permis de conduire.

Violence à l’égard des femmes fondée sur le genre

Le Comité note que certaines formes de violence fondée sur le genre sont érigées en infraction dans le Code pénal. Il constate toutefois avec préoccupation :

a)Le peu d’informations fournies sur la portée de l’étude concernant la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, dont les conclusions permettront d’orienter les mesures législatives et les mesures de politique générale ;

b)L’absence de progrès en ce qui concerne l’adoption d’une législation complète incriminant toutes les formes de violence fondée sur le genre, y compris la violence familiale et la violence sexuelle ;

c)L’absence d’une stratégie globale de lutte contre toutes les formes de violence fondée sur le genre et le fait que les femmes sont exclues de la participation aux actions connexes ;

d)Le fait que les décideurs, les responsables religieux et les dirigeants locaux en particulier saisissent mal la nature criminelle de la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, les différentes formes qu’elle revêt et ses répercussions négatives sur les femmes et la société ;

e)L’impunité généralisée des auteurs, comme en témoignent le faible nombre de poursuites et de condamnations ainsi que la clémence des peines prononcées et le fait que l’État partie n’offre pas de réparations aux victimes ;

f)L’insuffisance des services de soutien assurés aux femmes victimes de violences fondées sur le genre ;

g)Le manque de données statistiques sur les cas de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, et le fait que les données existantes ne concernent que les cas de violence familiale liée à la consommation d’alcool ou de drogues.

Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le fait qu’il a l’obligation immédiate de poursuivre, par tous les moyens appropriés et sans retard, une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence fondée sur le genre. Se référant à sa recommandation générale n o  35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n o  19, le Comité recommande à l’État partie :

a) De mener sans tarder une étude sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre et de veiller à ce qu’elle couvre les femmes rurales, les femmes handicapées, les femmes âgées, les femmes appartenant à des minorités et les femmes vivant en union polygame ou en union libre ;

b) D’accélérer, à titre prioritaire, l’adoption d’une loi complète qui définisse expressément et érige en infraction toutes les formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, en particulier la violence familiale, le viol conjugal et les agressions sexuelles dans le mariage et en dehors du mariage ;

c) D’élaborer une stratégie globale visant à éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, sur la base des résultats de l’étude susmentionnée et avec la participation des femmes, suivant une approche centrée sur la victime qui reconnaisse les femmes en tant que titulaires de droit et favorise leur pouvoir d’agir (agency ) et leur autonomie et qui tienne compte de la situation particulière des femmes victimes de formes croisées de discrimination ;

d) De mener des campagnes d’éducation et de sensibilisation ciblant les décideurs, les responsables religieux et les dirigeants locaux, les hommes et les garçons, et d’organiser régulièrement à l’intention des membres de l’appareil judiciaire, des avocats et des agents de la force publique des activités de renforcement des capacités, d’éducation et de formation obligatoires et efficaces visant à leur faire mieux comprendre le caractère inacceptable et préjudiciable des diverses formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre et le fait que les femmes ne sont pas responsables des violences qu’elles subissent ;

e) De mener systématiquement des enquêtes en bonne et due forme sur tous les signalements de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, y compris les cas de violence familiale qui ne sont pas liés à la consommation d’alcool ou de drogues, de poursuivre et de punir comme il convient les auteurs des faits et de veiller à ce que les victimes aient accès à une réparation effective, notamment sous la forme d’une indemnisation ;

f) De renforcer les services de soutien pour les femmes et les filles qui sont victimes de la violence fondée sur le genre et de la traite, en mettant en place des permanences téléphoniques et en ouvrant des foyers dotés de ressources suffisantes qui assurent gratuitement des soins médicaux, un soutien psychosocial et des programmes de réadaptation et de réinsertion, et en diffusant des informations sur les services offerts aux victimes ;

g) De mettre en place un système qui permette de recueillir, d’analyser et de publier régulièrement des données statistiques sur les cas de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre sous toutes ses formes, ventilées par sexe, âge, appartenance ethnique, zone géographique et nature de la relation entre la victime et l’auteur des faits, ainsi que sur le nombre de plaintes reçues, d’enquêtes menées, de poursuites engagées et de condamnations prononcées et sur les peines imposées aux auteurs.

Traite et exploitation de la prostitution

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la législation visant à lutter contre la traite des personnes et d’un plan d’action national relatif à la lutte contre la traite pour la période 2016-2018, ainsi que les procédures opérationnelles normalisées pour le repérage et l’orientation des victimes. Il prend toutefois note avec préoccupation :

a)Du manque de données statistiques sur les cas de traite et d’exploitation de la prostitution, et du manque de reconnaissance par l’État partie de l’importance du phénomène ;

b)Du caractère limité des actions visant à mettre en œuvre les diverses mesures législatives et politiques relatives à la traite et à l’exploitation de la prostitution ;

c)Du manque de protection et de services assurés aux victimes de la traite et de l’exploitation de la prostitution ;

d)De la pratique consistant à imposer aux citoyens des activités non rémunérées pendant la saison de la récolte du coton.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’entreprendre une étude sur l’ampleur et les causes de la traite et de l’exploitation de la prostitution dans l’État partie, en vue de s’attaquer à leurs causes profondes et de mettre fin à la vulnérabilité des femmes et des filles ;

b) D’organiser des programmes obligatoires de renforcement des capacités à l’intention des juges, des avocats, des inspecteurs du travail, de la police des frontières et des personnels des autres institutions de la force publique concernant l’application soucieuse des dispositions relatives aux questions de genre de la législation pertinente et les enquêtes sur les affaires de traite et les infractions connexes commises contre des femmes et des filles ;

c) D’enquêter sur tous les cas de traite des personnes, en particulier de femmes et de filles, de poursuivre et de punir les auteurs des faits et de veiller à ce que les peines infligées à ceux-ci soient proportionnelles à la gravité des infractions commises ;

d) D’allouer les ressources nécessaires à la mise en œuvre effective et durable du système de protection existant en faveur des victimes de la traite, de veiller à ce que celles-ci aient un accès adéquat aux soins de santé et à un accompagnement psychologique, et de renforcer ces services en dotant les centres d’action sociale de ressources humaines, techniques et financières accrues ;

e) D’abroger la pratique du travail non rémunéré pendant la saison de la récolte du coton ;

f) De poursuivre les efforts de coopération internationale, régionale et bilatérale avec les pays d’origine, de transit et de destination, notamment à travers l’échange de renseignements et l’harmonisation des procédures, en vue de prévenir la traite et de traduire les auteurs en justice.

Participation à la vie politique et publique

Le Comité regrette que la participation des femmes à la vie politique et publique de l’État partie soit faible, notamment pour ce qui est de leur représentation à des postes décisionnels, y compris au sein du Parlement, de l’université, dans le secteur public, la diplomatie et les conseils populaires des provinces, des districts et des communes. Il s’inquiète en outre d’informations selon lesquelles il serait interdit aux femmes d’accéder à des postes de haut niveau et de se présenter aux élections présidentielles.

Le Comité, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à sa recommandation générale n o 23 (1997) sur les femmes dans la vie politique et publique, recommande à l’État partie :

a) D’adopter des mesures, y compris des mesures temporaires spéciales comme la mise en place de quotas pour la désignation aux postes politiques et un recrutement accéléré des femmes, afin de parvenir à l’égalité réelle des femmes et des hommes dans tous les domaines de la vie politique et publique, en particulier aux postes décisionnels et dans l’administration locale ;

b) De lever tous les obstacles structurels, sociaux et culturels qui empêchent les femmes d’entrer dans la vie politique ou d’occuper des emplois publics, y compris en prévoyant des incitations en faveur des partis politiques qui placent sur leurs listes électorales le même nombre de femmes et d’hommes à des positions de niveau équivalent, et en formant les femmes aux techniques de campagnes électorales, à l’encadrement et à la négociation ;

c) De mener des campagnes de sensibilisation visant le personnel politique, les journalistes, les enseignants et le grand public pour mieux faire comprendre qu’une participation véritable, égale, libre et démocratique des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes à la vie politique et publique est indispensable à la réalisation pleine et entière des droits humains des femmes.

Société civile et organisations non gouvernementales

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de diverses lois, parmi lesquelles la loi sur les associations publiques de 2014, qui garantit le droit des individus de créer des organisations sans le consentement préalable des pouvoirs publics. Toutefois, il est préoccupé par :

a)Des informations constatant l’existence dans l’État partie de lourdeurs juridiques et administratives liées à l’enregistrement et au fonctionnement des organisations de la société civile, dont les organisations de femmes, et de restrictions imposées aux activités de ces organisations ;

b)L’inexistence d’organisations indépendantes de défense des droits humains des femmes, dont témoigne le fait que le Comité n’a pas reçu de rapports officieux émanant d’organisations nationales de la société civile sur l’application de la Convention dans l’État partie ;

c)De la coopération réduite de l’État partie avec les organisations de la société civile.

Le Comité appelle l’attention sur le rôle important que jouent les organisations indépendantes de la société civile en matière de promotion, de surveillance et de réalisation progressive des droits des femmes dans l’État partie, et recommande à celui-ci :

a) De simplifier les formalités imposées pour l’enregistrement des organisations de la société civile et de veiller à ce que leurs activités ne fassent pas l’objet de restrictions disproportionnées ;

b) D’accorder un appui financier et d’autres formes d’appui à la création et au fonctionnement d’organisations indépendantes de défense des droits humains des femmes, en particulier celles qui viennent en aide aux femmes et aux filles victimes de discriminations et de violences fondées sur le genre ;

c) De rechercher et d’intensifier la coopération avec les organisations de la société civile pour la mise en œuvre de la Convention dans tous ses aspects, y compris en vue de l’élaboration de politiques et de programmes et de la préparation du sixième rapport périodique de l’État partie.

Défenseuses des droits de l’homme/défenseurs des droits des femmes

Le Comité est profondément préoccupé par les mesures restrictives frappant les défenseuses des droits de l’homme/défenseurs des droits des femmes et par les informations selon lesquelles les intéressés et leur famille ont été victimes de harcèlement, d’intimidation, d’actes de violence, détenus illégalement et frappés d’interdiction de voyager en représailles à leur travail de promotion et de réalisation des droits des femmes.

Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association des défenseuses des droits de l’homme/défenseurs des droits des femmes soient pleinement respectés, et de s’abstenir de tout acte de représailles à leur encontre et à l’encontre de leur famille. Il recommande aussi à l’État partie de leur garantir un accès approprié à la justice et une protection contre le harcèlement, l’intimidation, les représailles et la violence.

Éducation

Le Comité salue les efforts déployés pour accroître le taux d’achèvement des études secondaires chez les filles, éliminer les stéréotypes et les obstacles structurels qui dissuadent les filles de s’inscrire dans des filières et de s’engager dans les carrières non traditionnelles, et renforcer la participation des femmes et des filles dans le domaine du sport. Toutefois, il s’inquiète :

a)De l’absence de données sur les taux d’abandon scolaire aux niveaux primaire et secondaire chez les filles, en raison notamment de grossesses ou du harcèlement dont elles sont victimes dans les établissements scolaires, et de l’absence de politiques de reprise de la scolarité permettant aux femmes et aux filles enceintes, ainsi qu’aux jeunes mères, de retourner à l’école ;

b)Du faible taux d’inscription des femmes et des filles dans l’enseignement supérieur et l’enseignement technique et professionnel, ainsi que de leur sous‑représentation persistante dans les filières et les carrières non traditionnelles, comme les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques ;

c)De l’inaccessibilité de l’enseignement supérieur, en particulier pour les femmes et les filles, en raison des pratiques de corruption de certains fonctionnaires de ce secteur qui imposeraient aux étudiants de payer des droits d’entrée illégaux pour s’inscrire alors que l’enseignement supérieur est gratuit dans l’État partie ;

d)Des obstacles auxquels se heurtent les femmes et les filles qui entendent poursuivre leurs études à l’étranger, notamment des informations selon lesquelles les femmes et les filles célibataires seraient frappées arbitrairement d’interdiction de voyager et les diplômes obtenus dans des universités étrangères ne seraient pas pleinement reconnus ;

e)Du fait que les programmes scolaires ne prévoient pas d’éducation globale à la santé et aux droits en matière de sexualité et de procréation qui aborde, en particulier, la violence fondée sur le genre, y compris la violence sexuelle ;

f)De l’absence d’information sur le harcèlement sexuel et les sévices sexuels dont sont victimes les femmes et les filles dans les établissements éducatifs, en particulier dans les disciplines où les hommes prédominent.

À la lumière de sa recommandation générale n o  36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à l’éducation, le Comité recommande à l’État partie :

a) De collecter des données ventilées par sexe sur les taux d’abandon scolaire, de favoriser le maintien des filles à l’école et d’adopter des politiques de reprise de la scolarité pour les filles qui ont abandonné l’école, notamment en faveur des femmes et des filles enceintes et des jeunes mères après la naissance, ainsi que des victimes de harcèlement sexuel ;

b) D’assurer l’accès des femmes et des filles sur un pied d’égalité à l’enseignement professionnel et supérieur, y compris dans les filières non traditionnelles, en leur offrant des bourses d’étude et des conseils d’orientation, en mettant en place des mesures incitatives et des dispositifs visant à les attirer et à favoriser leur maintien dans l’enseignement, en sensibilisant le personnel enseignant à l’importance pour les filles de mener des études supérieures et en adoptant de nouvelles mesures temporaires spéciales en faveur des femmes et des filles défavorisées ou marginalisées ;

c) De lutter contre la corruption dans l’enseignement supérieur, notamment en interdisant expressément la pratique qui consiste à imposer des frais de scolarité illégaux, en diligentant des enquêtes sur tous les cas de corruption signalés et en punissant de manière appropriée les auteurs de ce type d’actes ;

d) D’éliminer tous les obstacles auxquels se heurtent les femmes pour poursuivre des études supérieures à l’étranger, y compris les restrictions imposées à leur droit à la liberté de circulation, et de faire en sorte que les femmes obtiennent la reconnaissance officielle des diplômes et certificats d’études supérieures obtenus à l’étranger et aient accès à l’emploi à leur retour ;

e) De faire figurer dans les programmes scolaires à tous les niveaux d’enseignement une éducation obligatoire, adaptée à l’âge des enfants, à la santé et aux droits en matière de sexualité et de procréation, aux comportements sexuels responsables et à la prévention des grossesses précoces, des maladies sexuellement transmissibles et de la violence fondée sur le genre, y compris la violence sexuelle ;

f) De veiller à ce que toutes les femmes et les filles, en particulier dans les filières à prédominance masculine, soient protégées du harcèlement et de la violence.

Emploi

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption d’une législation garantissant l’égalité des salaires pour un travail de valeur égale, ainsi que l’accès à la sécurité sociale et à d’autres mesures de protection sociale pour les femmes travaillant dans le secteur informel. Il est néanmoins préoccupé par :

a)Le fait que les réformes intervenues récemment dans le domaine de l’éducation, qui ont permis de relever les taux d’alphabétisation et d’achèvement des études secondaires, ne se soient pas traduites par l’accès à des débouchés professionnels et économiques égaux pour les femmes et les hommes ;

b)La persistance de la ségrégation horizontale et verticale entre hommes et femmes dans les emplois, la faible présence des femmes sur le marché du travail formel et la forte concentration de femmes dans les emplois peu rémunérés et non qualifiés, en particulier dans le secteur agricole ;

c)La liste des professions considérées comme dangereuses et inadaptées aux femmes, et le fait que l’État partie continue à soutenir le caractère non discriminatoire de telles distinctions au regard de la législation en vigueur ;

d)La persistance de l’écart salarial entre les hommes et les femmes, dont l’État partie refuse de reconnaître la gravité ;

e)L’insuffisance des mesures prises pour promouvoir la notion de partage des responsabilités familiales et résoudre les difficultés rencontrées par les femmes pour concilier travail et responsabilités familiales ;

f)Les informations selon lesquelles les autorités interdiraient aux femmes de se rendre à l’étranger pour y chercher un emploi et obligeraient les travailleuses migrantes de nationalité turkmène vivant à l’étranger à revenir dans le pays, y compris en exerçant des pressions sur les membres de leur famille et en menaçant les intéressées de mesures de rétorsion si elles ne rentraient pas.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’entreprendre une étude pour évaluer l’impact des réformes introduites dans l’éducation sur l’élimination de la ségrégation dans l’emploi et la réalisation de l’égalité réelle des femmes et des hommes sur le marché du travail, en vue d’identifier les facteurs spécifiques et fondamentaux qui empêchent les femmes de tirer pleinement partie de la gratuité du système éducatif pour acquérir les compétences nécessaires et de s’orienter vers des carrières non traditionnelles et d’accéder à l’emploi formel, y compris dans les secteurs mieux rémunérés où les hommes prédominent ;

b) D’adopter et mettre en œuvre des mesures ciblées et assorties de délais, y compris des mesures temporaires spéciales, afin de créer davantage de possibilités pour les femmes d’accéder au marché du travail formel, comme des programmes « passerelle » entre l’enseignement secondaire et l’enseignement technique et professionnel, des mesures visant à renforcer la formation technique et professionnelle destinée aux femmes et des mesures visant à inciter les employeurs des secteurs public et privé dans des domaines traditionnellement masculins à recruter des femmes ;

c) De modifier sa législation et ses politiques discriminatoires à l’égard des femmes dans certaines professions, notamment en modifiant le Code du travail de sorte que certaines restrictions soient limitées à la période de la maternité et ne s’appliquent pas aux femmes en général ;

d) De mettre effectivement en œuvre le principe de l’égalité des salaires pour un travail de valeur égale en révisant régulièrement les salaires dans les secteurs où les femmes sont concentrées et en adoptant des mesures pour combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes , notamment au moyen d’une classification et de méthodes d’analyse et d’évaluation des emplois qui soient neutres du point de vue du sexe, ainsi que de la réalisation d’enquêtes régulières sur les salaires ;

e) D’instaurer un congé de paternité rémunéré et obligatoire ou un congé parental partagé après la naissance et des modalités de travail souples pour les femmes comme pour les hommes, de créer davantage de structures de garde pour les enfants et d’améliorer celles qui existent, ainsi que de sensibiliser la population au partage égal des responsabilités familiales et domestiques entre les femmes et les hommes ;

f) De garantir aux femmes le droit de se rendre à l’étranger pour y chercher un emploi et de faire cesser le harcèlement, l’intimidation ou les pratiques de détention dont sont victimes les femmes qui travaillent à l’étranger et leur famille.

Harcèlement sexuel sur le lieu de travail

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie indiquant qu’aucune plainte n’a été déposée par des femmes pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail et il s’inquiète de l’absence de dispositions législatives incriminant spécifiquement le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et du manque général de compréhension de la nature criminelle et des effets néfastes de ce phénomène.

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des dispositions législatives définissant et incriminant spécifiquement le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, assorties de sanctions adéquates à l’encontre des auteurs de tels actes et de mesures de réparation pour les victimes. Il recommande également à l’État partie de mettre en place un dispositif confidentiel, indépendant et sûr de dépôt de plaintes pour harcèlement sexuel et discrimination sur le lieu de travail fondés sur le genre et de veiller à ce que les victimes de ces actes puissent bénéficier d’une protection et accéder à des recours .

Santé

Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour améliorer l’accès des femmes à des soins de santé et à des services de planification familiale gratuits. Il reste néanmoins préoccupé par ce qui suit :

a)Les difficultés que continuent de rencontrer les femmes, en particulier dans les zones rurales, pour accéder aux soins de santé, notamment le fait que les établissements de santé soient concentrés dans les zones urbaines et que les prestataires de soins de santé exigeraient des honoraires pour des services gratuits, en toute illégalité ;

b)La criminalisation de tous les avortements réalisés en-dehors des hôpitaux et/ou sans l’autorisation d’un médecin et le fait que les filles de moins de 18 ans doivent obtenir le consentement de leurs parents pour avorter ;

c)L’interdiction des accouchements à domicile sous la surveillance d’un obstétricien ou d’un maïeuticien ;

d)L’accès limité aux services de santé sexuelle et procréative, notamment à la contraception, en particulier pour les femmes et les filles vivant dans les zones rurales, l’interdiction de ces services en-dehors des hôpitaux et le fait que les adolescentes doivent obtenir le consentement de leurs parents pour en bénéficier.

Rappelant sa recommandation générale n o 24 (1999) sur les femmes et la santé, le Comité recommande à l’État partie :

a) D’améliorer la couverture des services de santé gratuits et l’accès à ceux-ci sur tout son territoire, en particulier pour les femmes vivant dans les zones rurales, notamment en déployant des unités sanitaires mobiles dans les campagnes et en sanctionnant systématiquement les prestataires de soins de santé qui se font illégalement payer pour des services gratuits ;

b) De légaliser l’avortement, non seulement en cas de danger pour la vie ou la santé des femmes enceintes ou de malformation fœtale grave, mais aussi en cas de viol ou d’inceste, de dépénaliser l’avortement dans tous les autres cas et d’accroître l’accès des femmes à des services d’avortement sans risques et à des soins postavortement ;

c) De légaliser les accouchements à domicile et de mettre en place des programmes de formation des sages-femmes et un plan national concernant ces dernières afin que tous les accouchements se déroulent sous la surveillance de personnel médical qualifié, notamment dans les zones rurales ;

d) De garantir l’accès des femmes et des filles à des informations et des services en matière de santé sexuelle et procréative exempts de jugements de valeur, à des contraceptifs modernes et abordables et à une contraception d’urgence, en particulier pour les femmes des zones rurales et les adolescentes, notamment en autorisant la fourniture de services de santé sexuelle et procréative en dehors des hôpitaux, particulièrement lorsqu’aucune procédure médicale n’est nécessaire, en abrogeant l’obligation faite aux adolescentes d’obtenir le consentement de leurs parents pour se procurer des contraceptifs ou bénéficier de services en matière de santé sexuelle et procréative.

Femmes vivant avec le VIH/SIDA

Le Comité trouve préoccupante l’absence persistante de données détaillées en ce qui concerne la prévalence du VIH/SIDA dans l’État partie, et la non‑reconnaissance par celui-ci de la nécessité d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes et des filles vivant avec le VIH/SIDA. Il s’inquiète également de la réticence des médecins à diagnostiquer et à traiter les patientes vivant avec le VIH/SIDA, voire de leur refus de les prendre en charge, de la non-gratuité des traitements antirétroviraux pour ces malades ainsi que de la discrimination et de la stigmatisation dont elles font l’objet.

Le Comité demande à l’État partie de recueillir des données ventilées par sexe et autres facteurs pertinents sur la prévalence du VIH/SIDA à l’échelle nationale ; de former les professionnels de santé de manière à assurer une prise en charge non discriminatoire et appropriée du point de vue scientifique des femmes et des filles vivant avec le VIH/SIDA ; de mettre en œuvre des stratégies visant à endiguer la propagation du VIH, notamment par la prévention. Il recommande en outre à l’État partie de fournir gratuitement des traitements antirétroviraux aux femmes et aux filles vivant avec le VIH/SIDA, notamment les travailleuses du sexe et les femmes enceinte, et de prendre des mesures pour lutter contre la discrimination et la stigmatisation dont elles font l’objet.

Aides financières et prestations sociales

Le Comité félicite l’État partie pour son programme national qui vise à élargir et moderniser les infrastructures sociales et économiques du pays, ainsi que pour ses mesures de soutien aux femmes en situation de vulnérabilité, telles que l’augmentation du montant des prestations sociales pour les mères célibataires et l’adoption d’un plan d’action pour assurer la pleine réalisation des droits des personnes handicapées dans le domaine du travail et de l’emploi pour la période 2017‑2020. Néanmoins, il est préoccupé par le manque de suivi de la mise en œuvre de ces prestations. Les régimes de retraite ne semblent pas tenir suffisamment compte du travail domestique non rémunéré effectué par les femmes, et les mesures consacrées à leur autonomisation sur le plan économique sont limitées, notamment en ce qui concerne les femmes vivant dans les zones rurales. Il est en outre préoccupé par la discrimination à l’égard des femmes en ce qui concerne l’accès à la propriété foncière et l’enregistrement foncier, par les cas de corruption de fonctionnaires nationaux signalés dans ce domaine et par le fait que des femmes soient expulsées de leur logement avec un préavis très court et des indemnités insuffisantes, voire inexistantes, en raison des programmes de renouvellement et de rénovation du parc immobilier urbain à Achgabat et dans d’autres zones urbaines, ainsi que de l’impossibilité pour ces femmes d’obtenir le titre de propriété nécessaire pour pouvoir prétendre à des indemnisations.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en place un mécanisme pour assurer le suivi effectif et systématique des aides financières et prestations sociales allouées et identifier toutes celles qui peuvent y prétendre ;

b) D’évaluer l’impact des prestations sociales et des régimes de retraite selon le genre, en tenant compte des travaux domestiques non rémunérés effectués par les femmes, dans le but de corriger d’éventuels déséquilibres ;

c) De donner aux femmes les moyens d’exercer des activités rémunératrices et de créer leur propre entreprise, en particulier dans les zones rurales, en leur permettant de bénéficier de services financiers, de microcrédits à des taux d’intérêt peu élevés et de prestations sociales ;

d) D’indemniser équitablement et sans discrimination les femmes qui ont été expulsées de leur logement dans le cadre des programmes de renouvellement et de rénovation du parc immobilier urbain, de mettre fin aux pratiques discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’enregistrement foncier et de lutter contre la corruption dans les procédures y afférentes ;

e) De mettre en place un régime d’allocation logement destiné aux femmes sans-abri, assorti de critères précis pour identifier les bénéficiaires.

Femmes rurales

Le Comité salue les efforts faits par l’État partie pour améliorer l’accès des femmes rurales aux services de base et aux prestations sociales mais se dit préoccupé par le fait que les établissements d’enseignement, les offres d’emploi et les services de soins de santé demeurent concentrés dans les zones urbaines, ce qui désavantage les femmes rurales. Il est également préoccupé par l’absence de données statistiques sur la situation de ces dernières, s’agissant notamment de l’accès aux services de base et aux activités génératrices de revenus, et de leur participation à la prise de décisions à tous les niveaux.

Rappelant sa recommandation générale n o 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, le Comité recommande à l’État partie :

a) De continuer d’élargir l’accès des femmes rurales à l’eau, aux infrastructures, au logement, à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé, aux aides financières et aux prestations sociales ;

b) De garantir la pleine participation des femmes rurales à la prise de décisions, y compris en ce qui concerne les programmes et politiques de développement rural ;

c) De recueillir des données sur la situation des femmes rurales, ventilées par sexe, âge, lieu, handicap, condition socioéconomique ou autre, et sur leur appartenance à un groupe minoritaire, afin d’élaborer des mesures, notamment des mesures temporaires spéciales, visant à réaliser l’égalité réelle des femmes rurales dans toutes les sphères de la vie.

Femmes appartenant à des groupes ethniques minoritaires

Le Comité s’inquiète des discriminations et des discours haineux à l’égard des femmes non turkmènes, qui se voient en outre refuser l’accès à l’emploi dans le secteur public, ainsi que des discriminations à l’égard des femmes appartenant à des groupes ethniques minoritaires, y compris celles de nationalité turkmène et celles ayant un nom qui n’est pas d’origine turkmène.

Le Comité recommande à l’État partie de lutter contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles appartenant à des groupes ethniques et nationaux minoritaires, et de garantir à celles-ci l’égalité d’accès à la justice, à l’éducation, à l’emploi, à la santé et aux services sociaux.

Femmes et filles réfugiées, demandeuses d’asile et apatrides

Le Comité se félicite de l’adoption de lois sur le statut de réfugié et sur le droit des enfants nés de parents apatrides ou dont la nationalité est inconnue d’acquérir la nationalité turkmène. Néanmoins, il est préoccupé par le manque d’informations sur le nombre d’apatrides vivant dans le pays, l’absence de procédure de détermination de l’apatridie et la longueur apparemment excessive des procédures visant à établir la nationalité et le statut de réfugié, qui empêchent les femmes et les filles concernées d’accéder à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et à d’autres services de base, et fait courir à leurs enfants le risque de devenir apatrides.

Conformément à sa recommandation générale n o 32 (2014) relative aux aspects liés au genre des questions touchant les réfugiées, les demandeuses d’asile et la nationalité et l’apatridie des femmes, le Comité recommande à l’État partie :

a) De publier des statistiques actualisées sur le nombre d’apatrides présents sur son territoire ;

b) De se doter de procédures de détermination de l’apatridie conformes aux normes internationales et de simplifier ses procédures de détermination de la nationalité et du statut de réfugié ;

c) De garantir aux femmes et aux filles réfugiées l’accès aux services de base et de redoubler d’efforts pour faire en sorte que tous les enfants nés sur son territoire soient enregistrés à la naissance et aient accès aux services de base.

Mariage et rapports familiaux

Le Comité note que l’égalité des droits entre hommes et femmes au sein du mariage est inscrite dans la législation nationale, notamment dans le code de la famille et dans la loi sur les garanties de l’État en matière d’égalité des droits et des chances entre hommes et femmes. Néanmoins, il est préoccupé par ce qui suit :

a)La portée limitée des mesures visant à faire appliquer l’interdiction de la polygamie et l’absence de données sur la prévalence de ce phénomène dans le pays ;

b)L’absence de lois visant à protéger les droits économiques des femmes vivant en union polygame ou en union de fait, notamment en ce qui concerne la propriété, ainsi que lors de la dissolution de cette union ou du décès de leur époux ou partenaire ;

c)Les obstacles administratifs, la discrimination et l’intimidation, notamment l’interdiction de voyager, dont feraient l’objet les femmes qui souhaitent épouser un étranger, en particulier celles résidant à l’étranger, dans des pays où l’État partie n’a pas d’ambassade ou de représentation consulaire ;

d)Les lourdes conséquences de la stigmatisation des femmes divorcées, qui sont souvent considérées comme responsables de la dissolution de leur mariage.

Rappelant ses recommandations générales n o °21 (1994) sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux, et n o °29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution, le Comité recommande à l’État partie :

a) D’étudier la prévalence de la polygamie sur son territoire en vue de s’attaquer aux causes profondes de ce phénomène et de mettre en œuvre des mesures visant à faire respecter l’interdiction de cette pratique, et d’offrir une aide et une protection juridiques aux femmes qui sont déjà en situation de mariage polygame et à celles que leur mari a abandonnées pour éviter des poursuites pour polygamie ;

b) De protéger les droits économiques des femmes en union polygame ou en union de fait et de reconnaître leurs droits à la terre et leurs droits de propriété nés de telles unions, notamment en révisant le code de la famille de manière à étendre les dispositions existantes à toutes les femmes en union de fait ;

c) De garantir à toutes les femmes le droit de choisir librement un époux, y compris de nationalité étrangère, en levant toutes les barrières administratives à l’enregistrement de leur mariage et en veillant à ce qu’elles soient protégées contre la discrimination et l’intimidation ;

d) De mener des campagnes de sensibilisation aux droits des femmes dans les rapports familiaux et dans le mariage, et à l’importance de mettre fin à la stigmatisation des femmes divorcées.

Collecte et analyse de données

Le Comité prend acte de l’élaboration d’un système d’indicateurs visant à améliorer la collecte et la coordination des données entre les bureaux de statistique du pays, en particulier dans le cadre des mesures prises pour mettre en œuvre le Programme 2030. Il regrette cependant que les données ventilées par sexe soient insuffisantes pour permettre un suivi correct dans tous les domaines couverts par la Convention. Il est enfin préoccupé par le fait que les résultats du recensement de 2012 n’aient pas encore été publiés.

Le Comité recommande à l’État partie d’améliorer la collecte, l’analyse et la diffusion de données complètes, ventilées par sexe, âge, handicap, ethnie, lieu et situation socioéconomique, et d’utiliser des indicateurs mesurables pour évaluer l’évolution de la situation des femmes et les progrès accomplis vers la réalisation par celles-ci d’une égalité réelle dans tous les domaines couverts par la Convention, notamment en ce qui concerne la violence sexiste à leur égard, le mariage d’enfant et/ou le mariage forcé, la polygamie, l’éducation, l’emploi et la traite. Il recommande en outre à l’État partie de publier sans délai les résultats du recensement de 2012.

Modification du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention

Le Comité invite l’État partie à accepter la modification apportée au paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention concernant le temps de réunion du Comité.

Déclaration et Programme d’action de Beijing

Le Comité invite l’État partie à s’appuyer sur la Déclaration et le Programme d’action de Beijing dans l’action qu’il mène pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention.

Diffusion

Le Comité demande à l’État partie d’assurer la diffusion en temps opportun des présentes observations finales, dans sa langue officielle, auprès des institutions publiques compétentes à tous les niveaux (national, régional et local), en particulier au sein du Gouvernement, des ministères, du Mejlis et du système judiciaire, en vue d’en assurer la pleine application.

Assistance technique

Le Comité recommande à l’État partie d’établir un lien entre l’application de la Convention et l’action qu’il mène en faveur du développement, et de faire appel à cette fin à l’assistance technique régionale ou internationale.

Ratification d’autres instruments

Le Comité souligne que l’adhésion de l’État partie aux neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme contribuerait à promouvoir l’exercice effectif des droits individuels et libertés fondamentales par les femmes dans tous les aspects de la vie. Il l’invite donc à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, auxquelles il n’est pas encore partie.

Suivi des observations finales

Le Comité prie l’État partie de lui communiquer par écrit, dans un délai de deux ans, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour appliquer les recommandations énoncées aux paragraphes 23 a) et c), 29 a) et 35 a) ci-dessus.

Établissement du prochain rapport

Le Comité demande à l’État partie de soumettre son sixième rapport périodique, attendu en juillet 2022. Le rapport doit être soumis dans les délais et couvrir toute la période allant jusqu’à la date de soumission.

Le Comité invite l’État partie à se conformer aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont le document de base commun et les rapports correspondant à chaque instrument (voir HRI/GEN/2/Rev.6 , chap. I).