Observations finales concernant le septième rapport périodique de la Turquie *

Le Comité a examiné le septième rapport périodique de la Turquie (CEDAW/C/TUR/7) à ses 1415e et 1416e séances, le 13 juillet 2016 (voir CEDAW/C/SR.1415 et 1416). La liste des points et questions soulevés par le Comité figure dans le document CEDAW/C/TUR/Q/7 et les réponses de l’État partie sont contenues dans le document CEDAW/C/TUR/Q/7/Add.1.

A. Introduction

Le Comité se félicite que l’État partie ait soumis son septième rapport périodique. Néanmoins, il est préoccupé par la participation relativement faible des organisations de la société civile à l’élaboration de ce rapport. Le Comité remercie l’État partie d’avoir fourni des réponses écrites à la liste des points et questions soulevés par le groupe de travail d’avant-session et se félicite de la présentation orale de la délégation et des précisions apportées en réponse aux questions posées oralement par le Comité durant l’échange.

Le Comité félicite l’État partie pour la taille importante de sa délégation, qui était dirigée par la Directrice générale de la Direction générale de la condition de la femme du Ministère turc de la famille et des politiques sociales, MmeGülser Ustaoglu, et comprenait également des représentants du Ministère de la famille et des politiques sociales, du Ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de l’élevage, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la santé, du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la Justice, du Ministère du travail et de la sécurité sociale, du Ministère de l’éducation nationale et de la Mission permanente de la Turquie auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève.

* Adoptées par le Comité à sa soixante-quatrième session (4-22 juillet 2016).

B. Aspects positifs

Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen, en 2010, du sixième rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/TUR/CO/6) dans la réalisation des réformes législatives, en particulier l’adoption, en 2012, de la loi n° 6284 relative à la prévention de la violence à l’égard des femmes et à la protection de la famille.

Le Comité se félicite des efforts déployés par l’État partie pour améliorer son cadre institutionnel et politique en vue de hâter l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité des sexes, notamment par l’adoption des mesures suivantes :

a)La Stratégie nationale pour l’emploi (2014-2023);

b)Le dixième Plan de développement (2014–2018);

c)Le Plan d’action national sur l’autonomisation des femmes rurales (2012-2016).

Le Comité note avec satisfaction que, durant la période écoulée depuis l’examen du précédent rapport, l’État partie a ratifié ou adhéré aux instruments internationaux et régionaux ci-après :

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en 2011;

b)La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), en 2012.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Contexte actuel

Compte tenu des événements qui ont immédiatement fait suite au dialogue mené avec l’État partie, et du fait qu’ils sont susceptibles d’avoir une incidence sur les droits fondamentaux des femmes, le Comité tient exceptionnellement à exprimer ses préoccupations concernant le contexte actuel d’insécurité, y compris la toute récente tentative de coup d’état contre le Gouvernement. Ces préoccupations concernent les nombreuses mesures prises par le Gouvernement, y compris le retrait d’un grand nombre de membres de l’appareil judiciaire et des milieux universitaires et de fonctionnaires, notamment des enseignants. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que ces mesures pourraient avoir des incidences négatives sur le cadre global de la jouissance de leurs droits fondamentaux par les femmes.

Le Comité demande instamment à l’État partie de respecter son engagement en faveur des droits de l’homme, de l’état de droit, de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la préservation de la liberté d’expression. Il demande en outre à l’État partie de respecter, de protéger et de remplir les droits fondamentaux des femmes et de préserver l’ordre constitutionnel, y compris les garanties relatives aux droits de l’homme. Le Comité appelle également l’État partie à respecter la Convention, car celle-ci constitue un important facteur de paix, de sécurité et de développement durable, tel que réaffirmé dans les résolutions 1325 et 1820 du Conseil de sécurité, ainsi que dans la Recommandation générale n° 30 (2013) du Comité, et étant donné que l’égalité entre les sexes est l’une des conditions d’un ordre démocratique et pacifique.

Parlement

Le Comité souligne le rôle déterminant que joue le pouvoir législatif s’agissant d’assurer la pleine application de la Convention (voir la déclaration du Comité sur ses relations avec les parlementaires, adoptée à sa quarante-cinquième session, en 2010). Il invite la Grande Assemblée nationale, conformément à son mandat, à prendre les mesures nécessaires concernant la mise en œuvre des présentes observations finales d’ici à la présentation du prochain rapport périodique au titre de la Convention.

Organisations de la société civile

Le Comité s’inquiète des mesures de plus en plus restrictives et oppressives prises au fil des ans – telles que des emprisonnements – à l’encontre de représentants d’organisations de la société civile, d’organisations de femmes, de défenseurs des droits fondamentaux des femmes, de journalistes et d’autres militants, y compris au sein de la communauté kurde.

Le Comité recommande à l’État partie de fournir un environnement favorable et propice à l’établissement et à la participation active d’organisations de défense des droits des femmes et des droits fondamentaux en favorisant la mise en œuvre de la Convention et de tous les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme dans l’État partie.

Femmes kurdes

Le Comité est préoccupé par le fait que les femmes kurdes sont toujours défavorisées, situation exacerbée par les préjugés qui existent à l’encontre de leur identité ethnique et linguistique et renforce leur marginalisation pour ce qui concerne leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Le Comité invite l’État partie à remédier aux inégalités dont sont victimes les femmes kurdes, inégalités aggravées par les multiples formes de discrimination qu’elles subissent. Il recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour combler l’écart existant entre les femmes kurdes et les autres femmes dans l’État partie, et d’assurer le respect de son obligation au titre de la Convention à l’égard de toutes les femmes relevant de sa juridiction, y compris les femmes kurdes.

Femmes réfugiées et demandeuses d’asile

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a accueilli plus de deux millions et demi de réfugiés, essentiellement des Syriens, et a alloué des ressources importantes pour répondre à leurs besoins. Néanmoins, le Comité est préoccupé par la précarité et l’insécurité des conditions de vie des femmes réfugiées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des camps, car ces femmes sont souvent privées des services de base et des biens essentiels, de possibilités d’éducation, de perspectives économiques, de soins de santé, de vêtements, de nourriture, de chauffage et d’articles d’hygiène, et sont exposées à des risques accrus de violence sexuelle et d’autres formes de violence. En outre, le Comité est préoccupé par :

a)La forte augmentation de la prostitution dans les zones à forte concentration de réfugiés syriens, en particulier s’agissant des filles et des jeunes femmes de 15 à 20 ans, qui ont souvent recours à la prostitution pour pouvoir accéder à la nourriture et à d’autres biens essentiels pour elles-mêmes et pour leurs enfants;

b)La sous-déclaration, de plus en plus répandue, des violences sexistes faites aux femmes réfugiées, y compris la violence sexuelle, et la disponibilité limitée de services spécialisés;

c)Les mariages forcés de femmes et de filles réfugiées à des hommes syriens et turcs, souvent dans le cadre d’unions polygames, pour des raisons socio-économiques ou à des fins de protection.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre sans délai des mesures pour améliorer la sécurité des femmes et des filles réfugiées et des demandeuses d’asile et accroître leur accès aux services de base et aux biens essentiels, y compris à la nourriture, à des vêtements, à des articles d’hygiène pour les femmes réfugiées et leurs enfants, et de s’assurer qu’elles ne soient pas contraintes à travailler ou soumises à l’exploitation sexuelle. Il recommande à l’État partie :

a)D’assurer l’accès des femmes et des filles réfugiées et demandeuses d’asile à l’éducation, à des possibilités de formation et de subsistance, et à des soins de santé;

b)De fournir des programmes de renforcement des capacités aux autorités de maintien de l’ordre concernant la stricte application des lois de l’État partie, y compris des conventions internationales auxquelles l’État partie a souscrit, pour les cas de violence sexiste, y compris la violence sexuelle, à l’encontre des femmes et des filles réfugiées et demandeuses d’asile;

c)De veiller à ce que les réfugiés et les demandeurs d’asile, en particulier les femmes, soient informés des mécanismes nationaux d’orientation des victimes de violences sexuelles ou sexistes et des moyens d’accès aux mécanismes judiciaires officiels.

Statut juridique et visibilité de la Convention

Le Comité note avec satisfaction que, conformément à l’article 90 de la Constitution, les traités internationaux ratifiés par l’État partie, y compris la Convention, font partie intégrante du droit interne et que, par conséquent, toute violation des droits énoncés dans la Convention peut être contestée par les citoyens devant la Cour constitutionnelle. Toutefois, il prend note de l’absence d’informations concernant les procédures judiciaires, y compris les demandes directes auprès de la Cour constitutionnelle depuis septembre 2012, quand les dispositions de la Convention ont été directement invoquées ou appliquées, ce qui peut indiquer une méconnaissance persistante parmi la société en général et les femmes en particulier, et une méconnaissance de la Convention par les membres du système judiciaire, et ce en dépit des programmes de formation dispensés par l’École de la magistrature.

Le Comité recommande à l’État partie d’améliorer les programmes de renforcement des capacités à l’intention des juges, des procureurs, des avocats et des fonctionnaires chargés de l’application des lois concernant l’application des règles et normes juridiques internationales relatives aux droits fondamentaux des femmes, notamment la Convention et la jurisprudence du Comité, et de diffuser les informations concernant ces instruments auprès de toutes les femmes et les filles, y compris en publiant, traduit dans les langues nationales et locales, le contenu de la Convention, de son Protocole facultatif, et de toutes les recommandations générales formulées par le Comité sur les sites web gouvernementaux pertinents.

Législation discriminatoire

Le Comité note que l’État partie s’emploie à abroger les lois discriminatoires à l’égard des femmes. Il est toutefois préoccupé par le fait que certaines lois discriminatoires sont toujours en place, y compris :

a)L’Article 287 du Code pénal relatif à l’examen génital, en vertu duquel le test de virginité autorisé par un juge ou un procureur demeure légal, même si la femme ou la fille refuse de consentir à cette pratique intrusive, qui constitue une atteinte à sa vie privée ainsi qu’à son intégrité physique et mentale;

b) L’Article 13 du Règlement d’application des services d’évacuation utérine et de stérilisation et leur supervision, fondé sur la loi de planification démographique n° 2827, en vertu de laquelle l’interruption de grossesse d’une femme mariée doit faire l’objet d’une « autorisation maritale ».

Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que toutes les lois discriminatoires à l’égard des femmes soient abrogées, et :

a)De modifier le Code pénal et d’abolir la disposition autorisant l’examen génital, y compris les tests de virginité, sur une femme ou une fille sans son consentement. Il recommande également à l’État partie de veiller à ce qu’aucune femme ou fille ne soit contrainte à donner un tel consentement; et

b)De procéder à toutes les modifications législatives nécessaires pour faire en sorte que l’avortement jusqu’ à la dixième semaine de grossesse – ou jusqu’à la vingtième en cas de viol – soit soumis à la seule décision de la femme ou de la fille enceinte concernée.

Institution nationale de défense des droits de l’homme

Le Comité note que l’Institution turque des droits de l’homme a été remplacée par l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité, qui doit devenir opérationnelle prochainement et vise notamment à promouvoir l’égalité et à aider les victimes de discrimination, y compris la discrimination fondée sur le sexe. Toutefois, le Comité est préoccupé par le fait que :

a)Les membres du Conseil de l’Institution sont nommés par le Président de la République ou le Gouvernement et ne disposent donc pas de l’indépendance nécessaire requise par les principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

b)Les questions liées à l’égalité des sexes pourraient ne pas bénéficier de l’attention et de la prise de conscience nécessaires, par exemple pour ce qui concerne les multiples formes de discrimination, et ne pas se voir allouer des ressources suffisantes, car celles-ci semblent limitées au vu de l’ampleur du mandat de l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité;

Le Comité recommande à l’État partie, selon un échéancier clair :

a)D’assurer la pleine conformité de l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité avec les Principes de Paris, en garantissant l’indépendance du processus de nomination de ses membres, et de la doter de ressources suffisantes pour s’acquitter correctement de son mandat;

b) D’assurer le renforcement des capacités en matière d’égalité des sexes pour les membres de l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité et de la doter de ressources suffisantes pour s’acquitter correctement de son mandat en ce qui concerne l’égalité des sexes et la non-discrimination à l’égard des femmes.

Accès à la justice et à une aide juridique

Le Comité est préoccupé par la persistance des obstacles qui entravent l’accès à la justice pour les femmes, notamment :

a)L’ignorance par les femmes de leurs droits;

b)Les barrières linguistiques auxquelles se heurtent les femmes qui veulent faire valoir leurs droits, en particulier les femmes kurdes, les femmes appartenant à d’autres minorités et les femmes réfugiées;

c)Le manque de connaissances concernant l’égalité des sexes chez les fonctionnaires chargés de l’application des lois et les juristes;

d)La portée limitée de l’aide juridique, tant du point de vue économique que sur le fond, qui se traduit par la non-admissibilité des femmes qui gagnent le salaire minimum et demandent une aide juridique, ainsi que la non-disponibilité d’une aide juridique pour les procédures pénales, et la lourde procédure appliquée pour prouver l’admissibilité lorsque celle-ci existe;

e)Le manque de ressources économiques indépendantes, les pouvoirs limités, et l’absence d’une unité distincte pour les femmes et les enfants au sein de l’institution du Médiateur.

Le Comité recommande à l’État partie de renforcer les capacités et les programmes de sensibilisation de tout le personnel juridique afin d’éliminer les stéréotypes sexistes et d’intégrer une perspective sexospécifique dans tous les aspects du système judiciaire. Il recommande également à l’État partie :

a)De mieux faire connaître aux femmes leurs droits et les moyens dont elles disposent pour les faire respecter, en mettant plus particulièrement l’accent sur l’intégration dans les programmes scolaires à tous les niveaux d’une éducation sur les droits des femmes et l’égalité des sexes, y compris des programmes de vulgarisation juridique, et en soulignant l’importance fondamentale de l’accès des femmes à la justice et le rôle que doivent jouer les hommes et les garçons en tant que défenseurs et parties prenantes de la promotion des droits des femmes;

b)De veiller à ce qu’une aide juridique gratuite, y compris en kurde et en arabe, soit mise à la disposition des femmes qui ne disposent pas de moyens suffisants, en particulier celles qui perçoivent un salaire minimum, notamment en créant des cliniques d’aide juridique dans les zones rurales ou reculées et en élargissant le projet d’appui à l’amélioration des pratiques d’aide juridique en faveur de l’accès à la justice pour tous en Turquie mené par l’Union des Associations du barreau turc en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement;

c)De créer une unité spéciale au sein de l’institution du Médiateur des droits de l’homme chargée de la protection des femmes et des enfants, et d’élaborer et mettre en œuvre une politique visant à assurer la promotion de la femme en veillant à la doter de fonds suffisants.

Mécanisme national de promotion de la femme

Le Comité note avec préoccupation que le Ministère chargé de la femme et des affaires familiales, qui a été placé sous l’autorité directe du Premier Ministre avec une position particulière vis-à-vis des ministères d’exécution a été remplacé en 2011 par le Ministère de la famille et des politiques sociales, l’accent étant mis davantage sur le rôle des femmes au sein de la famille plutôt que sur les droits des femmes et l’égalité des sexes, et qu’aucune indication précise n’a été donnée quant aux ressources allouées à ces deux questions. Il est également préoccupé par le fait que les programmes de formation à la sensibilisation proposés par la Direction générale de la condition de la femme, en particulier aux fonctionnaires, ne comporte plus couramment de modules relatifs à l’égalité des sexes. En outre, le Comité est très préoccupé par le fait qu’à ce jour, le Plan d’action national sur l’égalité des sexes 2015–2020 n’a pas été officiellement approuvé et mis en œuvre.

Le Comité recommande à l’État partie :

a)De renforcer le mécanisme de promotion de la femme, avec le mandat adéquat pour assurer l’égalité entre les sexes, d’allouer des ressources humaines, techniques et financières suffisantes à ce mécanisme et de veiller à ce qu’il s’attache aux droits de toutes les femmes de l’État partie sans tenir compte de leurs circonstances familiales;

b)De veiller à ce que le mécanisme national coopère étroitement avec le Médiateur et la nouvelle Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité;

c)D’approuver et de mettre en œuvre le Plan d’action national sur l’égalité des sexes (2015-2020) de manière à promouvoir l’égalité des sexes et éliminer la discrimination à l’égard des femmes et de veiller à ce que les programmes de formation à la sensibilisation proposés par la Direction générale de la condition de la femme, aux fonctionnaires en particulier, comportent des modules relatifs à l’égalité des sexes.

Mesures temporaires spéciales

Le Comité note que l’article 10 de la Constitution prévoit des mesures temporaires spéciales. Il est cependant préoccupé par le fait que la compréhension et l’utilisation de mesures temporaires spéciales par l’État partie semblent se limiter à des transferts monétaires pour les femmes qui se trouvent dans des situations défavorisées.

Le Comité recommande à l’État partie de mettre en œuvre des mesures temporaires spéciales conformément à l’article 4 de la Convention et à la Recommandation générale n° 25 (2004) relative aux mesures temporaires spéciales afin de favoriser plus rapidement une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans tous les domaines où les femmes sont sous-représentées ou désavantagées, y compris l’éducation, le marché du travail et la vie politique et publique. Il recommande également à l’État partie de fournir des programmes de renforcement des capacités afin de familiariser les fonctionnaires concernés avec le principe des mesures temporaires spéciales.

Stéréotypes et pratiques préjudiciables

Le Comité est préoccupé par la persistance de stéréotypes discriminatoires profondément enracinés concernant les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société, qui insistent trop sur le rôle traditionnel de mères et d’épouses des femmes, sapant par là le statut social, l’autonomie, les possibilités éducatives et professionnelles des femmes et constituant en outre une cause sous-jacente de la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes. Il note avec préoccupation que les prises de position patriarcales connaissent une augmentation au sein des pouvoirs publics et de la société, et que l’égalité des sexes est ouvertement et de plus en plus compromise par les concepts trop vagues d’« équité entre les sexes » ou de « justice sexospécifique ». En outre, le Comité note avec préoccupation que les représentants de haut niveau du Gouvernement ont à plusieurs reprises fait des déclarations discriminatoires et dégradantes au sujet des femmes qui ne se plient pas à ces rôles traditionnels.

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter une stratégie globale visant à éliminer les comportements patriarcaux et les stéréotypes discriminatoires à l’égard des femmes, conformément aux dispositions de la Convention. Ces mesures devraient prévoir des efforts, à tous les niveaux, en collaboration avec la société civile, pour éduquer et sensibiliser le public aux effets négatifs des stéréotypes discriminatoires s’agissant pour les femmes de la pleine réalisation de leurs droits fondamentaux.

Le Comité est préoccupé par :

a)La pratique ayant toujours cours, en particulier dans les zones rurales et les régions reculées, qui consiste à donner des filles en mariage afin de régler des dettes de sang, et le fait que dans certaines régions, on continue à payer le « tribut de la fiancée »;

b)Les cas signalés de filles ayant été violées ou harcelées qui se retrouvent contraintes d’épouser leur agresseur au nom de la préservation du soi-disant « honneur de la famille »;

c)Le nombre important de mariages d’enfants, en particulier dans les zones rurales défavorisées, leur acceptation généralisée par la société et l’insuffisance des efforts déployés par l’État partie pour empêcher les mariages d’enfants et sanctionner les responsables comme il se doit.

Le Comité attire l’attention sur la Recommandation générale conjointe n° 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et sur l’observation générale n° 18 du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables (2014), et recommande que l’État partie :

a)Veille à ce que toute forme de vente ou d’échange de femmes et de filles aux fins du règlement de différends soit pénalisée, fasse l’objet d’enquêtes et de poursuites, et que les contrevenants soient dûment punis;

b)Prenne les mesures nécessaires, y compris des efforts de sensibilisation et des amendements juridiques, pour veiller à ce qu’aucune victime de viol ou de harcèlement ne se voie contrainte d’épouser son agresseur;

c)Assure une mise en œuvre effective de l’interdiction des mariages d’enfants et renforce les efforts de sensibilisation aux effets préjudiciables des mariages d’enfants sur la santé et le développement des filles.

Violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes

Le Comité prend note de l’adoption, en 2012, de la loi n° 6284 relative à la prévention de la violence à l’égard des femmes et à la protection de la famille. Cependant, il note avec préoccupation que cette loi ne pénalise pas la violence familiale en tant que telle et ne contient aucune disposition relative à la poursuite et à la sanction des contrevenants. Il est également préoccupé par la persistance dans l’État partie de violences fondées sur le sexe systématiques et généralisées à l’égard des femmes, y compris la violence sexuelle, la violence psychologique, ainsi que la privation de l’accès aux biens essentiels à l’égard des femmes dans la sphère privée, et note en outre avec préoccupation :

a)Qu’un grand nombre de femmes sont assassinées par leur partenaire intime, leur conjoint, leur ancien partenaire ou conjoint ou par des membres de leur famille;

b)Que les ordonnances de protection sont rarement appliquées, sont insuffisamment contrôlées, et que ce manquement aboutit souvent à un prolongement des actes de violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes ou au meurtre des femmes concernées;

c)Que les actes de violence sont bien trop rarement signalés en raison de la stigmatisation, de la peur de représailles, de la dépendance économique à l’égard de l’auteur de l’infraction, de l’analphabétisme juridique, des barrières linguistiques et/ou du manque de confiance dans les autorités chargées d’appliquer la loi;

d)L’insuffisance de l’aide et des voies de recours offertes aux femmes qui cherchent à échapper à une relation violente, reflétée notamment par le manque de foyers et leur répartition géographique insuffisante, les conditions d’accueil inappropriées pour les femmes de ces centres, avec notamment des fouilles au corps, la confiscation des téléphones portables des victimes et les restrictions des horaires d’entrée et de sortie; ainsi que la pratique répandue du renvoi des victimes à leurs partenaires violents, ou le fait qu’elles soient contraintes de se séparer de leurs enfants;

e)La légèreté des jugements rendus à l’encontre des auteurs de violences sexuelles, y compris ceux qui sont reconnus coupables de viol de filles, et les peines réduites en raison de la « bonne conduite » de l’agresseur pendant son procès;

f)Malgré la ratification sans réserve de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), dont il y a lieu de se féliciter, la discrimination et la violence qui ciblent les lesbiennes, les bisexuelles et les femmes transgenres se poursuivent; Cette violence est exacerbée par l’impunité dont bénéficient les auteurs de crimes motivés par la haine, y compris de graves violences et des meurtres visant les lesbiennes, les bisexuelles et les femmes transgenre; par le fait que l’« orientation sexuelle et l’identité sexuelle » ne sont pas incorporées dans la législation relative aux crimes motivés par la haine ou parmi les motifs de discrimination interdits par la loi n° 6701, en violation du paragraphe 3 de l’article 4 de la Convention d’Istanbul; et par le fait que les tribunaux acceptent que soit appliqué l’article 29 du Code pénal sur la « provocation injustifiée » aux cas d’ assassinats de lesbiennes, de bisexuelles et de femmes transgenres, fournissant ainsi des circonstances atténuantes aux auteurs de ces crimes.

Conformément à la Recommandation générale n° 19 (1992) sur la violence contre les femmes et à l’Objectif de développement durable 5, cible 5.2, pour éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles dans les sphères publique et privée, y compris la traite et l’exploitation sexuelle et d’autres types d’exploitation, le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour lutter contre la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes, y compris contre ses causes profondes. Il recommande également que l’État partie :

a)Applique effectivement son Plan d’action national sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes (2016-2019);

b)Adopte les modifications législatives nécessaires pour pénaliser expressément la violence familiale afin qu’il devienne possible de poursuivre et de punir les contrevenants;

c)Assure un suivi solide des ordonnances de protection et sanctionne énergiquement leurs violations, et enquête sur les agents de la force publique et le personnel judiciaire et les tienne pour responsables au cas où ils manqueraient à enregistrer les plaintes ou à publier et faire appliquer des ordonnances de protection;

d)Encourage le signalement de la violence familiale à l’égard des femmes et des filles, notamment en lançant des campagnes de sensibilisation par le biais des médias et de programmes d’éducation publics ainsi qu’en renforçant le nombre de femmes juges et agents de la force publique; et veille à ce que les rapports fassent l’objet d’une enquête efficiente et que les victimes bénéficient d’une aide et d’une protection adéquates;

e)Fournisse aux femmes qui ne peuvent pas rentrer chez elles en toute sécurité une aide pour se construire une existence indépendante; cette aide peut comporter un soutien psychosocial, une formation professionnelle pour leur permettre de mener des activités génératrices de revenus et, si cela s’avère nécessaire pour assurer leur sécurité, un changement d’identité;

f)Crée une ligne d’assistance téléphonique opérationnelle 24 heures sur 24 pour toutes les questions liées à la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes, avec des opérateurs et opératrices parlant également le kurde et l’arabe;

g)Veille à ce que des critères non pertinents tels que la bonne conduite au tribunal ne puissent motiver de réduction de peines pour les prévenus s’étant livrés à des actes de violence fondée sur le sexe à l’égard de femmes;

h)Exerce, conformément à ses Recommandations générales n° 19 (1992) et no28 (2010) sur les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, ainsi que conformément à la Convention d’Istanbul, toute la diligence voulue pour protéger les lesbiennes, les bisexuelles et les femmes transgenre contre la discrimination et la violence en incorporant « l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle » dans la législation sur les crimes motivés par la haine ainsi que dans la loi 6701 parmi les motifs de discrimination prohibée, et veille à ce que les auteurs d’actes de violence à l’égard des lesbiennes, des bisexuelles et des femmes transgenre ne puissent pas bénéficier des circonstances atténuantes prévues par l’article 29 du Code pénal.

Meurtres et suicides forcés au nom de « l’honneur »

Le Comité est préoccupé par la persistance des crimes, notamment des meurtres, commis au nom de « l’honneur », et par le nombre relativement élevé de suicides forcés ou de meurtres déguisés. Il note avec préoccupation que les activités de sensibilisation de l’État partie visant à réfuter la conception de l’honneur qui contribue à perpétuer et cautionner les meurtres de femmes ont été insuffisantes. Il prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle l’article 29 du Code pénal prévoyant des circonstances atténuantes en cas de « provocation injustifiée » n’est pas appliqué aux meurtres commis au nom de « l’honneur ». Toutefois, le Comité est préoccupé par le fait que cela ne constitue pas une garantie juridique suffisante, car la disposition interdisant expressément l’application de l’article 29 ne traite que des meurtres commis au nom de la « coutume » (töre) et que par conséquent, il se peut qu’elle ne couvre pas toujours les meurtres commis au nom de « l’honneur » (namus).

Le Comité recommande à l’État partie de renforcer ses efforts pour poursuivre et sanctionner comme il convient tous les crimes commis au nom de « l’honneur » et :

a)De modifier le Code pénal de manière à exclure explicitement les crimes commis au nom du prétendu « honneur » de l’application de l’article 29;

b)De veiller à ce que les suicides, les accidents et autres morts violentes de femmes et de filles fassent l’objet d’enquêtes approfondies, y compris avec la collecte de preuves médico-légales en procédant, par exemple, à une autopsie médicale et/ou psychologique;

c)De veiller à ce que les procureurs et les juges appliquent strictement l’article 84 du Code pénal de 2005 sur le suicide chaque fois que cela se justifie;

d)De réfuter l’idée selon laquelle l’honneur et le prestige d’un homme ou d’une famille sont étroitement associés à la conduite ou au comportement présumé de leurs parentes féminines, qui est fondée sur des comportements patriarcaux, sert à contrôler les femmes et à restreindre leur autonomie personnelle et est incompatible avec les dispositions de la Convention.

Femmes affectées par la résurgence de la violence entre les forces de sécurité turques et le Parti des travailleurs du Kurdistan suite à l’effondrement du processus de paix en 2015

Le Comité note que l’État partie est actuellement confronté à une série d’actes de terrorisme et autres actes de violence et reconnaît pleinement qu’il lui faut protéger ses citoyens contre ces actes. Toutefois, le Comité rappelle qu’il convient aussi de protéger les droits de l’homme dans le contexte des mesures prises pour lutter contre le terrorisme. Le Comité note avec préoccupation qu’un nombre élevé de civils, kurdes pour l’essentiel, dont beaucoup de femmes, auraient été tués ou auraient subi des violences, notamment des violences sexuelles, commises dans le contexte des opérations antiterroristes menées par les forces de sécurité turques contre le Parti des travailleurs kurdes (PKK), considéré comme une organisation terroriste par l’État partie et par certains autres États, et les factions de jeunes qui lui sont affiliées, dans le sud-est de l’État partie, en particulier dans le contexte de couvre-feux souvent imposés dont certains sont très longs et ne reposent pas toujours sur des bases légales. Le Comité est notamment préoccupé par :

a)Les allégations documentées selon lesquelles des femmes kurdes ont été victimes de harcèlement, de violences sexuelles et de menaces, et des photos de femmes nues violées ou tuées (aussi bien des civiles que des militantes du PKK) partagées sur les réseaux sociaux par les forces de sécurité par mesure d’intimidation;

b)Le fait qu’un grand nombre de personnes ont été déplacées de leurs foyers, dont beaucoup de femmes, et sont victimes de formes multiples et transversales de discrimination et obligées de dormir dans la rue, où elles sont exposées à des risques supplémentaires de violence sexuelle et d’autres formes de violence;

c) Le fait que le Plan d’action national permettant la mise en œuvre de la Résolution n° 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité n’ait pas encore été adopté.

Conformément à l’article 2 de la Convention, et compte tenu de ses Recommandations générales n° 19, n° 28 et n° 30 (2013), le Comité recommande à l’État partie :

a)De prendre toutes les mesures possibles pour rétablir des négociations de paix avec le PKK et les factions de jeunes qui lui sont affiliées et de veiller à ce que les femmes et les organisations de défense des droits des femmes puissent participer à toutes les négociations de paix et à toutes les activités de relèvement et de reconstruction après un conflit;

b)De mener des enquêtes, de poursuivre et de sanctionner comme il se doit les violations des droits de l’homme perpétrées par les forces de défense et de sécurité ainsi que par le PKK et tout autre groupe armé;

c)De veiller à ce que les enquêtes soient menées de manière efficace, impartiale et transparente, afin de garantir la confiance du public dans ces procédures et de mettre en place un mécanisme d’enquête indépendant et impartial à cette fin, avec l’aide de la communauté internationale;

d)De prendre des mesures immédiates pour garantir l’obligation redditionnelle et apporter une assistance médicale, psychologique et autre aux victimes de violences sexuelles et d’autres formes de violence, ainsi qu’une réparation appropriée, y compris la restitution, l’indemnisation, la réhabilitation, la satisfaction et les garanties de non-répétition, aux femmes victimes de violations des droits de l’homme commises dans le contexte de conflits armés et de mesures de lutte contre le terrorisme;

e)D’améliorer l’accès des femmes et des filles déplacées à l’éducation, à la santé et au logement pour elles-mêmes et pour leurs enfants et de veiller à ce que les femmes déplacées puissent rentrer dans leurs foyers aussi rapidement que possible et que leurs maisons soient remises en état de façon à leur garantir des conditions de logement décentes.

En outre, le Comité engage l’État partie à établir un calendrier précis pour finaliser et adopter le projet de Plan d’action national à l’appui de la mise en œuvre de la Résolution n° 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, en coopération avec des représentantes d’organisations de femmes, à veiller à ce qu’il prenne en considération tout l’éventail du programme du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, tel qu’il apparaît dans les Résolutions 1820 (2008), 1888 (2009), 1889 (2009) et 2122 (2013), et à en assurer sans tarder la mise en œuvre.

Traite et exploitation de la prostitution

Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes. Cependant, il est préoccupé par la persistance de la traite des femmes et des filles, à la fois dans le pays et au-delà des frontières, à des fins d’exploitation sexuelle, y compris les cas fréquents de filles syriennes victimes de traite et d’exploitation par la prostitution suite à de fausses promesses de mariage et d’une vie meilleure dans l’État partie, ainsi que par les allégations documentées selon lesquelles des réfugiées adolescentes de camps de réfugiés sont vendues comme épouses dans l’État partie. En outre, le Comité est préoccupé par :

a)Le fait que seuls 4 foyers d’accueil pour les victimes de la traite sont opérationnels;

b)L’insuffisance des mesures mises en place en vue de l’identification précoce des victimes de la traite ainsi que l’insuffisance de services de protection à leur intention;

c)Les informations indiquant que des victimes de la traite, y compris des femmes prostituées, ont été arrêtées, détenues et expulsées du pays pour des actes commis du fait d’avoir été victimes de la traite.

Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts pour lutter contre la traite, et :

a)D’intensifier les activités de formation et de renforcement des capacités pour les fonctionnaires chargés de l’application des lois et les agents chargés des services frontaliers afin d’accroître leur aptitude à identifier et fournir une assistance aux victimes potentielles de la traite;

b)D’accroître sensiblement les capacités d’hébergement pour les victimes de la traite et de garantir l’accès à des soins médicaux de qualité, des conseils, un appui financier et des possibilités d’éducation, ainsi que l’accès à des services juridiques gratuits;

c)De veiller à ce que les femmes victimes de la traite et de l’exploitation de la prostitution soient exemptées de toute responsabilité et bénéficient d’une protection adéquate, comme des programmes de protection des témoins et des permis de séjour temporaires, indépendamment de leur capacité ou de leur volonté de coopérer avec les autorités chargées des poursuites.

Participation à la vie politique et à la vie publique

Le Comité est préoccupé par la faible participation des femmes à tous les niveaux de la prise de décisions, sur le plan national et local, y compris au sein du Gouvernement et du Parlement – car elle est inférieure à la moyenne mondiale et a même diminué après les élections de novembre 2015 – ainsi qu’au sein de l’appareil judiciaire et de la fonction publique, et par l’absence de mesures concrètes pour remédier aux causes profondes de ce manque de participation, notamment les comportements sociaux et culturels prédominants.

Conformément à sa Recommandation générale n° 23 (1997) concernant les femmes dans la vie politique et publique, le Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures, y compris des mesures temporaires spéciales, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à la Recommandation générale n° 25 du Comité, y compris des quotas, des objectifs avec des calendriers bien définis et une formation adéquate, afin de parvenir à la participation pleine et équitable des femmes à la vie politique et publique et à la prise de décisions au niveau local et national ainsi qu’au sein de l’appareil judiciaire et de la fonction publique. Il recommande en outre à l’État partie de mettre en œuvre des activités de sensibilisation de la société dans son ensemble à l’importance de la participation des femmes à la prise de décisions, y compris des femmes appartenant à des groupes défavorisés ou marginalisés, et de proposer des programmes de formation aux fonctions de direction et de négociation à l’intention des dirigeantes actuelles et futures.

Éducation

Le Comité reste préoccupé par le taux élevé d’abandon scolaire des femmes et des filles et de leur sous-représentation dans la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, en particulier dans les zones rurales pauvres et au sein des communautés de réfugiés. Il note qu’en vertu de la nouvelle législation la scolarité obligatoire est prolongée jusqu’à l’âge de 12 ans. En revanche, le Comité est préoccupé par le fait que ce système permet également aux élèves, sous réserve de l’approbation de leurs parents, d’opter pour la scolarisation à domicile à partir de l’âge de 12 ans ou de poursuivre leurs études dans des écoles religieuses spécialisées (hatip). Le Comité s’inquiète de l’impact particulièrement négatif que cela pourrait avoir sur les filles qui restent chez elles; quant à l’éducation religieuse, elle risque d’insister sur le rôle traditionnel d’épouses et de mères des filles et de ne pas être soumise à un contrôle aussi rigoureux que celui qui régit le système scolaire public. En outre, le Comité constate avec préoccupation que :

a)Des stéréotypes discriminatoires présentant les femmes comme des mères et des femmes au foyer et les hommes comme des participants actifs à la vie économique et publique, restent présents dans certains manuels scolaires, en particulier les manuels scolaires fondés sur le programme scolaire syrien qui sont destinés aux réfugiés;

b)Les programmes scolaires ne prévoient pas d’éducation en matière de santé et de droits sexuels et procréatifs;

c)Les niveaux de fréquentation scolaire des filles et des femmes handicapées sont faibles, et les possibilités d’éducation pour les femmes et les filles handicapées insuffisantes;

d)Dans certaines régions du sud-est de l’État partie, près de 50 pour cent des filles seraient analphabètes et un taux encore plus élevé d’entre elles ne poursuivent pas leur éducation après l’école primaire en raison de la pauvreté et de la barrière de la langue, l’enseignement public n’étant pas accessible en kurde.

Conformément à l’article 10 de la Convention, le Comité attire l’attention sur l’objectif de développement durable 4, et appelle l’État partie à faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons puissent mener à bien, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit, et de qualité leur ouvrant de vrais débouchés. Il recommande à l’État partie d’encourager les parents à autoriser leurs filles à poursuivre des études dans les écoles et à lutter contre les taux élevés d’abandon scolaire. Il recommande également que l’État partie :

a)Garantisse, conformément à l’Objectif de développement durable 4, cible 4.3, l’égalité d’accès de toutes les femmes et tous les hommes à une éducation professionnelle et supérieure abordable et de qualité, y compris à l’Université et élabore une politique visant à renforcer l’accès des filles à l’enseignement supérieur et à la formation technique et professionnelle des femmes, y compris dans des domaines traditionnellement réservés aux hommes et d’autres domaines;

b)Mette en œuvre le projet sur la promotion de l’égalité des sexes dans l’éducation, examine et révise les manuels scolaires, et incorpore dans ce projet les manuels scolaires et les matériels pédagogiques fondés sur le programme syrien, et mène également des programmes de renforcement des capacités à l’intention des enseignants, à tous les niveaux, dans le but de modifier les points de vues et les comportements stéréotypés concernant le rôle des femmes et des hommes au sein de la famille et de la société;

c)Assure l’intégration dans les programmes scolaires d’une éducation en matière de santé sexuelle et procréative obligatoire et adaptée à l’âge des élèves, en accordant une attention particulière à la prévention des grossesses précoces et des maladies sexuellement transmissibles, ainsi qu’à la prévention de la violence;

d)Poursuive les efforts visant à assurer l’accès à l’éducation des filles réfugiées et s’attaque à leur taux d’abandon scolaire particulièrement élevé;

e)S’attaque aux causes du faible taux de scolarisation des filles et des femmes handicapées et veille à offrir des possibilités d’éducation suffisantes aux femmes et aux filles handicapées, notamment en les intégrant dans le système éducatif général;

f) Mette en œuvre des politiques et programmes ciblés pour éliminer les inégalités en matière d’éducation auxquelles sont confrontées les filles et les femmes qui appartiennent à des groupes linguistiques et ethniques, en particulier dans les zones rurales, y compris en étudiant les possibilités d’éducation multilingue, et remédie aux disparités régionales.

Emploi

Le Comité note avec préoccupation que le taux d’emploi des femmes demeure particulièrement faible, et qu’une part disproportionnée des tâches ménagères est assurée par les femmes. En outre, le Comité est préoccupé par :

a)Le taux de chômage plus élevé chez les femmes que chez les hommes, en particulier les jeunes femmes;

b)L’écart salarial persistant entre hommes et femmes, dans le secteur public et ailleurs;

c)Le nombre important de femmes qui occupent des emplois peu rémunérés du secteur informel dans des conditions précaires et sans accès à l’assurance maladie ou à la sécurité sociale.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en œuvre le Plan d’action sur l’emploi des femmes;

b)D’adopter des politiques et des mesures législatives concrètes en vue d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes en matière d’emploi et de s’employer à garantir l’égalité des chances à tous les niveaux pour les femmes sur le marché du travail, dans le secteur formel et ailleurs;

c)De mettre au point des systèmes d’évaluation des emplois axés sur des critères sexospécifiques en vue de combler l’actuel écart salarial entre les sexes, conformément à la Recommandation générale n° 13 (1989) du Comité concernant l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale;

d) D’introduire un salaire minimum légal applicable à tous les secteurs du marché du travail en vue de relever les salaires dans les secteurs à prédominance féminine, et de prendre toutes les autres mesures nécessaires pour garantir des salaires décents.

Santé

Le Comité constate avec préoccupation que :

a)L’accès aux services de santé sexuelle et procréative, y compris les moyens de contraception modernes, est extrêmement limité, en particulier pour les femmes kurdes et d’autres femmes appartenant à des minorités, et pour les femmes vivant dans des zones rurales et reculées, ce qui entraîne un nombre important de grossesses précoces et non désirées;

b)La politique de gratuité des contraceptifs et le cadre juridique de l’avortement risquent d’être compromis par les critiques répétées de représentants de haut niveau du Gouvernement, et qu’un grand nombre d’hôpitaux publics refusent de pratiquer des avortements en dépit du fait que l’interruption de grossesse est légale jusqu’à la dixième semaine de la grossesse, ce qui oblige beaucoup de femmes à recourir à des cliniques privées très coûteuses ou à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses; et

c)Malgré l’augmentation des taux d’infection par le VIH, l’État partie ne dispose pas de données épidémiologiques sur les groupes particulièrement exposés au VIH/sida, et manque de centres de conseil concernant le VIH et les IST, ce qui constitue une entrave importante à la lutte contre la pandémie.

Le Comité attire l’attention sur sa déclaration relative aux droits en matière de santé sexuelle et procréative (2014), et recommande à l’État partie :

a)D’assurer l’accès plein et égal pour toutes les femmes, y compris les femmes kurdes et les femmes appartenant à des groupes minoritaires, à des informations et des services en matière de santé sexuelle et procréative qui respectent les droits des femmes à l’autonomie, l’intimité, la confidentialité, au consentement et au choix éclairés, sont sûrs et incorporent l’accès à des formes modernes de contraception, y compris la contraception d’urgence, dans toutes les régions de l’État partie, y compris dans les zones rurales et les zones reculées;

b)De prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger le droit légal à l’avortement et aux moyens de contraception en vigueur, d’assurer le suivi des hôpitaux et de faire en sorte que ceux-ci respectent leur obligation juridique de mettre un terme à une grossesse jusqu’à la dixième semaine, et jusqu’à la vingtième en cas de viol, sans imposer aucune condition supplémentaire;

c) De recueillir des données concernant la prévalence du VIH, de renouveler le Plan d’action stratégique national sur le VIH/sida 2011-2015 et de mettre en place des centres de conseil spécialisés en matière de VIH et d’IST dans toutes les régions de l’État partie, y compris dans les zones rurales et les zones reculées.

Femmes rurales

Le Comité est préoccupé par la situation précaire des femmes des zones rurales, qui sont touchées de manière disproportionnée par la pauvreté et ont un accès limité à l’éducation, à l’emploi, à la sécurité sociale et aux soins de santé. Le Comité note également avec préoccupation que les femmes des zones rurales sont particulièrement exposées à des stéréotypes discriminatoires concernant les rôles traditionnels des femmes, ce qui les empêche notamment de prendre part à des décisions importantes au sein de leur ménage.

Le Comité, conformément à sa Recommandation générale n° 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, recommande à l’État partie d’élaborer et de mettre en œuvre des mesures, y compris des mesures temporaires spéciales, pour accélérer la réalisation d’une égalité de fait des femmes rurales dans tous les domaines où celles-ci sont sous-représentées ou désavantagées, notamment dans la vie politique et publique, l’éducation, la santé et l’emploi. L’État partie devrait mettre en place des programmes visant à réduire la participation des filles des zones rurales à des travaux de soins non rémunérés, qui font entrave à la fréquentation scolaire, et concevoir et mettre en œuvre des mesures ciblées afin de créer des activités génératrices de revenus pour les femmes rurales dans leurs localités.

Femmes en détention

Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles les femmes qui se trouvent en détention seraient victimes de violences sexuelles et de torture, autant d’actes qui, dans de nombreux cas, ne feraient pas l’objet d’enquêtes et de poursuites adéquates.

Le Comité attire l’attention sur les règles des Nations Unies concernant le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les femmes délinquantes (Règles de Bangkok), et recommande à l’État partie de garantir des conditions de détention et une protection contre la violence et les mauvais traitements adéquates pour les femmes en détention. Il recommande à l’État partie de mettre en place des mécanismes de surveillance et de contrôle indépendants, ainsi que des mécanismes de plainte indépendants, par exemple en installant des boîtes à lettres fermées pour recueillir les plaintes, ce qui permettra aux détenues de correspondre de façon confidentielle avec les organismes judiciaires et de réclamation extérieurs.

Mariage et vie de famille

Le Comité constate avec préoccupation que :

a)Le récent arrêt de la Cour constitutionnelle qui a pour effet de dépénaliser un mariage religieux n’ayant pas été précédé par un mariage civil, peut provoquer une augmentation du nombre de mariages polygames et de mariages d’enfants et constituer un risque important pour les femmes, étant donné que les mariages religieux non enregistrés les privent de la protection économique garantie par le droit civil;

b)En dépit de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme de 2013 ordonnant à l’État partie d’autoriser les femmes mariées à conserver leur nom de famille si elles le souhaitent, l’Article 187 du Code civil est toujours en vigueur et les femmes mariées doivent recourir à des procédures judiciaires pour faire valoir leur droit de conserver leur propre nom de famille;

c) Le récent projet de rapport établi par une commission parlementaire sur le divorce contient des recommandations de modifications législatives à l’actuel cadre juridique pénal et de divorce, comme l’autorisation d’une mise à l’épreuve dans les cas d’abus sexuels sur des enfants qui aboutissent à des mariages « réussis et sans problèmes » et l’obligation d’avoir recours à une médiation en cas de violence familiale.

Le Comité engage l’État partie à :

a)Continuer de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer la polygamie et les mariages d’enfants, y compris les mariages religieux non enregistrés de ce type, et à assurer l’enregistrement civil de tous les mariages afin de garantir les droits de toutes les femmes mariées et de leurs enfants;

b)Modifier la législation en vigueur afin d’assurer aux femmes des droits égaux pour porter leur nom, en conformité avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme et avec l’Article 16 de la Convention;

c)Veiller à ce que toute réforme juridique future, y compris le document final de la Commission parlementaire sur le Divorce, soit conforme à l’Article 16 de la Convention et aux Recommandations générales n° 21 du Comité sur l’égalité dans le mariage et les relations familiales et n° 29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage, des liens familiaux et de leur dissolution.

Déclaration et Programme d’action de Beijing

Le Comité invite l’État partie à utiliser la Déclaration et Programme d’Action de Beijing dans le cadre des efforts qu’il déploie pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention.

Programme de développement durable à l’horizon 2030

Le Comité appelle à la réalisation d’une égalité effective des sexes, conformément aux dispositions de la Convention, tout au long du processus de mise en œuvre du Programme de développement durable pour 2030.

Diffusion

Le Comité prie l’État partie de veiller à la diffusion en temps voulu des présentes observations finales, dans la ou les langues officielles de l’État partie, auprès des institutions d’État pertinentes à tous les niveaux (national, régional, local), en particulier le Gouvernement, les ministères, le Parlement et l’appareil judiciaire, afin d’en permettre la pleine application.

Ratification d’autres traités

Le Comité fait observer que l’adhésion de l’État partie aux neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme renforcerait la jouissance par les femmes de leurs droits et de leurs libertés fondamentales dans tous les aspects de la vie. C’est pourquoi le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier la Convention internationale pour la Protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, à laquelle il n’est pas encore partie.

Suite donnée aux observations finales

Le Comité prie l’État partie de lui fournir, dans un délai de deux ans, des informations écrites sur les mesures prises pour mettre en œuvre les recommandations figurant aux paragraphes 15 c); 33 b) c) et f), et 37 c) ci-dessus.

Établissement du prochain rapport

Le Comité invite l’État partie à présenter son huitième rapport périodique en juillet 2020.

Le Comité prie l’État partie de suivre les directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des traités internationaux des droits de l’homme, englobant le document de base commun et des documents spécifiques à chaque instrument (HRI/GEN/2/REV.6, chap. I).