NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/TCD/CO/1521 septembre 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante-quinzième session

3-28 août 2009

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

TCHAD

Le Comité a examiné les dixième à quinzième rapports périodiques du Tchad présentés en un seul document (CERD/C/TCD/15), à ses 1960e et 1961e séances (CERD/C/SR.1960 et 1961), tenues les 20 et 21 août 2009. À sa 1970e séance (CERD/C/SR.1970), tenue le 27 août 2009, il a adopté les observations finales suivantes.

A.     Introduction

Le Comité se félicite de la présentation du rapport par l’État partie élaboré conformément aux directives du Comité concernant l’élaboration de rapports et de la reprise du dialogue avec le Comité après une longue période de 14 ans. Le Comité exprime sa satisfaction pour les renseignements complémentaires apportés oralement et par écrit par l’État partie.

Le Comité accueille la délégation de haut rang de l’État partie et se félicite du dialogue constructif et franc qu’il a eu avec cette délégation. Le Comité exhorte, toutefois, l’État partie à respecter les délais fixés pour la présentation de son prochain rapport périodique.

B. Facteurs et difficultés entravant l’application de la Convention

Le Comité note que l’État partie traverse, depuis une trentaine d’années, une crise institutionnelle et politique caractérisée par des rebellions armées et des conflits intercommunautaires. Il s’inquiète spécialement de l’impact de la crise du Darfour. Comme la délégation elle-même, le Comité est préoccupé par la précarité de la paix à l’intérieur et aux frontières du pays, ce qui a eu pour conséquence d’entraver la pleine application de la Convention.

C. Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction la série de réformes entamées par l’État partie visant à améliorer son cadre législatif et institutionnel, en particulier l’adoption de la Constitution du 31 mars 1996, révisée le 15 juillet 2005, qui consacre 32 articles aux libertés publiques et aux droits fondamentaux et prévoit dans son article 221 que les traités internationaux ont une valeur supérieure aux lois nationales et peuvent être directement invoqués devant les tribunaux nationaux.

Le Comité note avec satisfaction l’adoption par l’État partie de la loi nº 06/PR/2002 du 15 avril 2002, qui interdit les mutilations génitales féminines, les mariages précoces et les violences domestiques et sexuelles; la loi nº16/PR/06 du 13 mars 2006 portant orientation du système éducatif qui reconnaît le droit à l’éducation et à la formation à tous sans distinction; la loi nº17/PR/01 du 31 décembre 2001 qui reconnaît l’accès aux emplois publics à tous à égalité de droits; la loi nº45/PR/94 portant Charte des partis politiques qui proscrit l’intolérance, le tribalisme, le régionalisme, le confessionnalisme, la xénophobie, l’incitation ou le recours à la violence dans les programmes et activités des partis politiques; la loi nº 021/PR/2000 du 18 août 2000 portant code électoral et l’ordonnance régissant les associations.

Le Comité prend note avec intérêt de la création par l’État partie en 2005 d’un Ministère des droits de l’homme et de la promotion des libertés, ainsi que la mise en place d’une Commission nationale d’investigation sur les violations des droits de l’homme qui ont eu lieu dans l’État partie lors des événements de février 2008.

Le Comité note avec intérêt l’engagement de l’État partie à renouer le dialogue avec les organes et mécanismes des Nations Unies, en particulier les organes de surveillance de la mise en œuvre des traités relatifs aux droits de l’homme. De même, le Comité se félicite de l’ouverture par l’État partie d’une Mission permanente auprès des Nations Unies, à Genève, dans le but d’un meilleur suivi des questions des droits de l’homme, ainsi que le Comité l’avait recommandé dans ses précédentes observations finales.

Le Comité note avec intérêt que l’État partie envisage d’organiser un forum sur les droits de l’homme au mois de novembre 2009. Il espère que l’attention voulue sera accordée à la nécessité d’assurer le respect des dispositions de la Convention et en attend les conclusions.

D. Sujets de préoccupations et recommandations

Tout en prenant note de la mise en place de la Commission nationale d’investigation sur les violations qui ont eu lieu lors des événements de février 2008, le Comité est préoccupé de l’absence d’informations de la part de l’État partie sur les enquêtes menées, les sanctions et les peines encourues par les auteurs, y compris les membres des forces armées.

Le Comité encourage l’ État partie, dans l a perspective de la réconciliation nationale, de poursuivre les efforts entamés dans le cadre de cette Commission, de donner suite à ses recommandations en vue du jugement et de la sanction des coupables . Le Comité recommande également à l’État partie de lui faire part des résultats de s travaux de cette Commission ainsi que de lui trans mettre des informations en ce qui concerne les poursuites et les décisions rendues par les instances judiciaires compétentes .

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur la réforme de la justice. Le Comité est néanmoins préoccupé par la persistance de nombreux dysfonctionnements de la justice, entre autres, la corruption, l’impunité, l’immixtion du pouvoir exécutif dans la justice et le manque de formation des magistrats.

Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre ses efforts d’amélioration du système judiciaire en tenant compte des conclusions des états généraux de la justice tenus en 2003 :

a) en poursuivant l’assainissement de l’appareil judiciaire afin de p romouvoir la confiance des justiciables et freiner leur propension à recourir à la justice traditionnelle ;

b) en renforçant la lutte contre la corruption au sein de la justice;

c) en favorisant l’indépendance de la justice et des magistrats ;

d) en assurant la formation des magistrats;

e ) en créant les conditions favorables à l’accès à la justice et à l’acceptation de s décisions de justice, notamment par des programmes de vulgarisation et de sensibilisation des justiciables.

Le Comité recommande également à l’État partie d ’achever la création d’une école spécialisée pour la formation des magistrats, dont l’État partie a fait état dans ses réponses orales.

Le Comité note avec préoccupation les difficultés de fonctionnement effectif de la Commission nationale des droits de l’homme, liées notamment à la fragilité de son indépendance et à son manque de ressources.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures afin d’assurer le fonctionnement effectif de la Commission nationale des droits de l’homme, notamment  : a) en accélérant l’adoption de la loi qui vise à lui donner un fondement constitutionnel ; b) en assur ant son indépendance  et en lui allou ant les ressources nécessaires à son fonctionnement  en conformité avec les Principes relatifs au statut des institutions nationales chargées de la promotion et de la protection des droits de l’homme (Principes de Paris, résolution 48/134 de l’Assemblée générale).

Le Comité prend note de l’existence d’une Médiature nationale dont l’une des fonctions a été de régler les tensions intercommunautaires. Il est cependant préoccupé au sujet de son fonctionnement effectif, des conflits de compétence avec d’autres institutions et de son manque de ressources.

Le Comité exhorte l’État partie à adopter le projet de loi en cours d’examen à l’assemblée nationale afin de délimiter le s compétences de la Médiature na tionale , de la d o ter de ressources nécessaires à son fonctionnement et de renforcer ses capacités .

Le Comité prend note de l’existence dans la Constitution ainsi que dans d’autres lois de l’État partie de dispositions d’ordre général sur l’égalité des droits et la non-discrimination. Cependant, le Comité est préoccupé par l’absence d’une législation qui intègre la définition de la discrimination telle que prévue par l’article 1er de la Convention. Il est également préoccupé par l’absence d’une disposition spécifique interdisant et condamnant la discrimination raciale et ethnique.

Estimant que la discrimination raciale et ethnique existe ou pourrait exister dans toutes les sociétés , l e Comité recommande à l’ État partie de prendre des mesures nécessaires afin d’adopter une législation spécifique qui interdi se la discrimination raciale ou d’amender les lois existantes en vue de les rendre conformes aux dispositions de l’article 2 de la Convention. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager le réexamen de la proposition de loi abandonnée portant interdiction des pratiques discriminatoires en République du Tchad dont il fait état au paragraphe 164 d e son rapport. Il recommande également à l’État partie d’envisager d’intégrer dans sa législation la notion de discrimination raciale telle que définie à l’article 1 er de la Convention (articles 1 et 2).

 Le Comité est préoccupé par l’existence du phénomène de castes dans l’État partie, qui entraîne une discrimination à l’encontre de certains groupes de personnes au sein de sa population ainsi que de graves violations de leurs droits, comme l’État partie le mentionne au paragraphe 152 de son rapport.

Rappelant sa recommandation générale 29 (2002) concernant la discrimination fondée sur l’ascendance, le Comité recommande à l’État partie :

a) de prendre des mesures spécifiques pour combattre et abolir le phénomène de castes, y compris en adoptant une législation spécifique interdisant la discrimination fondée sur l’ascendance;

b) de prendre des mesures de sensibilisation et d’éducation de la population sur les effets néfastes du système de castes et la situation des victimes;

c) de fournir au Comité des renseignements supplémentaires détaillés sur ce phénomène et son ampleur (article 3).

Le Comité prend note avec préoccupation de l’absence d’une législation spécifique dans l’État partie donnant effet aux dispositions de l’article 4 de la Convention.

Rappelant ses recommandations générales 1 (1972), 7 (1985) et 15 (1993) d’après lesquelles les dispositions de l’article 4 ont un caractère impératif et préventif, le Comité recommande à l’État partie d’adopter une législation spécifique ou d’inclure dans sa législation existante les dispositions donnant effet à l’article pertinent de la Convention (article 4).

Le Comité est préoccupé par les pratiques coutumières de certaines ethnies qui entravent la jouissance par une catégorie de la population de ses droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit pour les femmes d’accéder à l’héritage et à la propriété.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) d’adopter des mesures pour éradiquer ces pratiques coutumières, notamment par la sensibilisation et l’éducation des populations concernées;

b) d’adopter le Code des personnes et de la famille pour permettre aux femmes des ethnies concernées de jouir de leurs droits, en particulier de l’accès à l’héritage et à la propriété (article 5).

Le Comité prend note de ce que la crise du Darfour a occasionné des mouvements massifs de réfugiés à l’est du territoire de l’État partie ainsi que des personnes déplacées à l’intérieur du pays. Il reste préoccupé par l’insécurité, la discrimination à leur encontre, les violences dont elles sont victimes et les tensions intercommunautaires qui peuvent naître avec les populations qui les accueillent.

Rappelant ses recommandations générales 20 (1996) et 22 (1996), l e Comité recommande à l’État partie de poursuivre ses efforts pour améliorer la protection des réfugiés et des personnes déplacées :

a) en renforçant les activités de la Commission nationale d’accueil des réfugiés;

b) en poursuivant ses efforts pour adopter l’avant-projet de loi sur les réfugiés dont l’État partie a fait état;

c) en poursuiv ant ses efforts pour réussir l’intégration des réfugiés au Tchad ;

d) en favoris ant l ’ accès à la justice pour les réfugiés et les personnes déplacées ;

e) en poursuiv ant et en sanctionnant les personnes coupables de violence s à leur égard;

f ) en favoris ant le retour librement consenti des personnes déplacées et la jouissance de leurs biens ;

g ) en promouv ant des relations harmonieuses entre les refugiés, les personnes déplacées et les populations , notamment à travers des campagnes de sensibilisation à la tolérance et à l’entente interethnique.

Le Comité recommande également à l’État partie de prendre en compte les résultats de l’étude menée par le Programme des Nations Unies pour le développement sur l’impact des réfugiés dans les zones d’accueil, notamment du point de vue de la propriété foncière et de l’exploitation agricole (article 5 (b), (e) et article 6).

Le Comité note que la Convention a une autorité supérieure à la loi et peut être invoquée directement devant les tribunaux nationaux. Néanmoins, il regrette que l’État partie n’ait fourni que peu d’exemples d’application des dispositions de la Convention par ses tribunaux.

Se référant à sa recommandation générale 31 (2005) concernant la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale , le Comité rappel le que l’absence de plaintes et d’actions en justice de la part de s victimes de discrimination raciale peut être révélatrice de l’inexistence d’une législation spécifique pertinente, de l’ignorance des recours disponibles , de la crainte d’une réprobation sociale, ou du manque de volonté des autorités chargées d’engager des poursuites . L e Comité recommande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport des données statistiques :

a) sur les poursuites engagées et les condamnations prononcées pour des infractions liées à la discrimination raciale;

b) sur les mesures d’indemnisation décidées par les tribunaux suite à ces condamnations. Il demande à l’ État partie de veiller à ce que la législation nationale contienne des dispositions appropriées et d’informer le public de tous les recours juridiques disponibles dans le domaine de la discrimination raciale. ( art icle  6) .

Le Comité est préoccupé par l’insuffisance de renseignements sur les mesures prises en vue de diffuser des informations sur les dispositions de la Convention et leur application, notamment des cours de formation proposés aux membres de l’appareil judiciaire et des forces de l’ordre, aux enseignants, aux travailleurs sociaux et autres fonctionnaires.

Le Comité recommande à l’ É tat partie de lui fournir plus d’informations sur l’enseignement des droits de l’homme, et en particulier de la Convention et sur les cours de formation spécifiques destinés aux membres de l’appareil judiciaire, aux forces de l’ordre, aux enseignants, aux travailleurs sociaux et autres fonctionnaires (article 7).

Gardant à l’esprit le caractère indivisible de tous les droits de l’homme, le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions ont un rapport direct avec le sujet de la discrimination raciale, comme la Convention internationale sur les droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leurs familles.

Le Comité recommande à l’État partie de tenir compte de la Déclaration et du Programme d’action de Durban adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, ainsi que du document final de la Conférence d’examen de Durban, qui s’est tenue à Genève en avril 2009, lorsqu’il applique la Convention dans son ordre juridique interne. Il le prie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations spécifiques sur les plans d’action et autres mesures adoptés pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action de Durban au plan national.

Le Comité recommande à l’État partie de continuer à tenir des consultations et d’approfondir son dialogue avec les organisations de la société civile œuvrant dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier avec celles qui luttent contre la discrimination raciale, en vue de l’élaboration de son prochain rapport périodique.

Le Comité note que l’État partie envisage de faire la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention et l’encourage à le faire rapidement.

Le Comité recommande à l’État partie de ratifier l’amendement au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 16 décembre 1992. À cet égard, le Comité renvoie à la résolution 61/148 de l’Assemblée générale, par laquelle l’Assemblée a demandé instamment aux États parties à la Convention d’accélérer leurs procédures internes de ratification de l’amendement et d’informer par écrit le Secrétaire général, dans les meilleurs délais, de leur acceptation de cet amendement.

Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission et de diffuser également ses observations finales sur ces rapports dans les langues officielles et les autres langues communément utilisées, selon le cas.

Notant que l’État partie a soumis son document de base en 1997, le Comité encourage l’État partie à présenter une version mise à jour, conformément aux directives harmonisées concernant l’établissement des rapports établis au titre des instruments internationaux relatifs au droits de l’homme, à savoir celles qui se rapportent au document de base commun, telles qu’adoptées par la cinquième réunion intercomités des organes crées en vertu des traités relatifs aux droits de l’homme tenue en juin 2006 (HRI/GEN/2/Rev.4).

Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur modifié, le Comité prie l’État partie de fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, des informations sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations contenues dans les paragraphes 10, 12 et 18 ci-dessus.

Le Comité souhaite également appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations 11, 14, 16 et 17, et le prie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations détaillées sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour appliquer ces recommandations.

Le Comité recommande à l’État partie de soumettre ses seizième, dix-septième et dix-huitième rapports périodiques en un seul document, attendu le 16 septembre 2012, qui tiendra compte des directives concernant l’élaboration des documents propres au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), et traitera tous les points soulevés dans les présentes observations finales.

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