Nations Unies

CAT/OP/2

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

1er octobre 2012

Français

Original: espagnol

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Déclaration provisoire sur le rôle du contrôle judiciaireet de la garantie d’une procédure régulière dans la prévention de la torture adoptée par le Sous-Comitépour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au coursde sa seizième session, tenue du 20 au 24 février 2012

Table des matières

Paragraphes Page

Résumé13

I.Introduction2−63

II.Défaut de protection institutionnelle7−103

III.Garantie d’une procédure régulière11−134

IV.Contrôle judiciaire14−185

V.Recommandation196

Résumé

1.La torture et les mauvais traitements dans les lieux de détention, en particulier dans les prisons pour adultes et pour jeunes, sont facilités par la conception erronée selon laquelle la garantie d’une procédure régulière prend fin avec la détermination de la peine et ne vise pas, en soi, les conditions et le régime de la détention. Au-delà du traitement des plaintes ou de la supervision des lieux de détention, les États doivent d’urgence se doter d’un organe judiciaire ou d’un organe similaire spécialisé chargé de contrôler l’exécution de toute mesure de détention, qu’il s’agisse du prononcé de la peine ou de la détention avant jugement. Le Sous-Comité examinera ultérieurement la question de la garantie d’une procédure régulière et du contrôle judiciaire dans les lieux de détention qui ne relèvent pas du système de justice pénale, tels que les lieux d’internement pour malades mentaux et autres.

I.Introduction

2.L’existence de la torture dans les lieux de détention est en étroite corrélation avec le cadre juridique régissant ces lieux.

3.Dans le cas particulier des prisons, plusieurs facteurs culturels, tels que l’idée selon laquelle les détenus sont «exclus de la société» ou «dangereux» ou bien le sentiment d’insécurité publique que véhiculent les médias, favorisent le rejet et la vulnérabilité des détenus − condamnés ou prévenus en détention avant jugement.

4.Pour pallier ce défaut de protection des détenus, il faut adopter une définition juridique établissant que les personnes détenues conservent, en principe, tous leurs droits (notamment les droits à l’intégrité et à la liberté de conscience) et que seuls certains droits sont suspendus (le droit à la liberté de choisir son lieu de résidence, par exemple) ou restreints (tels que les libertés de réunion et d’expression). Il faut également établir et garantir les droits acquis du fait de l’internement (dont les droits à l’alimentation, à un lieu de séjour décent et à des services de santé).

5.Les garanties requises pour assurer l’exercice effectif de ces droits font également défaut. Ces garanties concernent tant les structures que les procédures. Selon l’opinion commune «les lois sont bonnes, c’est leur application qui laisse à désirer», mais le problème ne réside pas seulement dans les faits, il tient aussi aux lacunes que présentent les normes censées assurer aux détenus l’accès à des organes et à des procédures de recours leur permettant de faire valoir leurs droits. Dans la réalité, les personnes détenues sont titulaires de «droits non assortis de garanties».

6.Cette absence de dispositif juridique d’ensemble − structures et procédures − est à l’évidence porteuse d’impunité et de nouvelles violations des droits de l’homme.

II.Défaut de protection institutionnelle

7.Le défaut de protection juridique dans les lieux de détention découle aussi des conceptions thérapeutiques ou correctionnalistes de la peine qui ont concouru à la prédominance d’un modèle dans lequel l’administration pénitentiaire, le personnel technique et les organes de sécurité déterminent unilatéralement le régime de la peine. Les personnes en détention avant jugement et les jeunes en conflit avec la loi sont dans une situation très similaire et leurs droits doivent bénéficier d’une protection particulière, non seulement en tant que personnes faisant l’objet de poursuites, mais aussi en leur qualité de détenus.

8.On infère à tort de ce schéma que la garantie d ’ une procédure régulière prendrait fin avec le prononcé de la peine et n’engloberait pas les aspects qualitatifs de l’incarcération en particulier eu égard aux droits de la personne détenue, en d’autres termes: la détermination de la peine et sa durée seraient soumises à un contrôle, mais pas sa nature ni son intensité. Des questions comme l’alimentation, l’emploi du temps, l’encadrement des contacts avec l’extérieur, les conditions matérielles et les achats, les besoins particuliers des femmes détenues, les transferts dans la prison et entre établissements, tout comme les sanctions internes, parmi de nombreux autres éléments, sont laissées aux soins de l’administration pénitentiaire, dont l’action n’est soumise à aucun contrôle judiciaire garantissant le respect des droits fondamentaux. Comme l’ont fait apparaître les visites effectuées par des membres du Sous-Comité, dans de telles circonstances la nature des peines se trouve souvent modifiée, cette dérive aboutissant à en faire des peines cruelles, inhumaines et dégradantes, voire, à l’extrême, des formes de torture.

9.À l’heure actuelle, toutes les administrations pénitentiaires sont assujetties à des systèmes de contrôle internes (dont les services de contrôle et d’inspection de l’administration) et externes (en particulier les médiateurs et/ou les mécanismes nationaux de prévention de la torture (MNP) et/ou les institutions nationales des droits de l’homme (INDH)). Ce n’est qu’exceptionnellement que des juges de la surveillance pénitentiaire ou de l’application des peines sont chargés de cette mission. Sur le plan international, ce sont les organes de protection des droits de l’homme régionaux ou universels, comme le Sous-Comité, qui interviennent; ce dernier doit non seulement effectuer des visites régulières dans les prisons et faire rapport sur ses constatations y relatives, mais aussi examiner dans quelle mesure l’absence de lois et de contrôle judiciaire favorise les mauvais traitements tels que la mise au secret. Le Sous-Comité a pour mandat de prévenir les violences à l’égard des personnes détenues en recensant les organes et procédures nécessaires à cette fin. Il s’agit là d’un aspect incontournable et primordial de son mandat.

10.L’interaction entre les contrôles internes, plus complets, et les contrôles internationaux, de caractère subsidiaire, est susceptible de créer une synergie positive pour en finir avec la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les détenus. L’action des organismes internationaux, tels que le Sous-Comité, peut difficilement pallier l’inefficacité des institutions nationales, notamment judiciaires, ou leur absence.

III.Garantie d’une procédure régulière

11.La garantie d’une procédure régulière balise le chemin dont l’État ne peut s’écarter pour légitimer toutes restrictions qu’il impose à l’exercice de droits fondamentaux: elle consiste en un ensemble de règles à respecter pour donner à toutes les personnes les moyens de se défendre de manière adéquate contre tout acte de l’État susceptible de porter atteinte à leurs droits. Américo Incalcaterra souligne son importance.

12.Dans le domaine pénal, le champ de la garantie d’une procédure régulière ne doit pas se limiter à la détermination des peines, mais englober aussi les mesures de sauvegarde et de protection des détenus, en inscrivant les relations entre détenus et autorités pénitentiaires dans un cadre de droits et d’obligations prévoyant des moyens de défense et des recours légaux pour les détenus.

13.Étant donné que la garantie d’une procédure régulière englobe les principes d’accès à la défense et de publicité, leur adoption au stade considéré conférerait davantage de visibilité à ce qui se passe dans les lieux de détention, car des affaires relatives, par exemple, à des services déficients ou aux motifs d’un transfert seraient examinées lors d’une audience publique durant laquelle le détenu serait assisté par un défenseur, l’accès de personnes ou d’organisations aux établissements devant être assuré à titre de moyen de contrôle social, le tout dans le souci d’une prévention plus efficace des mauvais traitements et de la torture:

«Plus un détenu est coupé du monde extérieur, plus le risque de torture et de mauvais traitements augmente. Le droit de s’entretenir avec un avocat est un moyen important de prévenir ce genre de situation, ainsi qu’une garantie du respect de la légalité.».

IV.Contrôle judiciaire

14.L’intervention judiciaire, pendant la période de détention, de juges autres que ceux ayant établi les chefs d’accusation, est consubstantielle à la garantie d’une procédure régulière; pour que le détenu puisse se prévaloir des normes censées le protéger devant des autorités pénitentiaires négligentes ou abusant de leurs pouvoirs, il doit exister une tierce partie extérieure chargée de les faire appliquer, car nul ne peut être à la fois juge et partie. Il s’agit de subordonner l’administration pénitentiaire à des institutions chargées de la contrôler, investies de pouvoirs de contrainte étendus, en allant au-delà du traitement des plaintes ou de la supervision par les organes administratifs.

15.Étant donné que l’application de la peine et la détention avant jugement relèvent du système de justice pénale, il serait logique que cette tierce partie impartiale soit un juge spécialisé dans le règlement des conflits propres à l’univers carcéral, à savoir le juge de la surveillance pénitentiaire. Il s’établit alors une relation triangulaire, dans laquelle le juge en question occupe le sommet du triangle et l’administration pénitentiaire et les détenus les deux angles inférieurs, ce qui les place sur un plan d’égalité en matière de procédures. D’«objet» du traitement, le détenu devient «sujet» juridique et, en cas de conflit avec les autorités, peut faire valoir à armes égales ses droits face à l’administration:

16.Pour assurer aux personnes détenues l’accès à la justice pénitentiaire, il faut en outre garantir l’accès à des services d’aide juridictionnelle spécialisés dans la protection de leurs droits pendant l’exécution de la peine ou la détention avant jugement.

17.En fonction de la tradition juridique et du droit interne de chaque État, les attributions de juge de la surveillance pénitentiaire peuvent être dévolues à un juge administratif ou même à toute autre autorité spécialisée investie de pouvoirs de coercition, pourvu qu’elle ait été instituée par la loi et soit indépendante et impartiale.

18.L’existence de la torture et des mauvais traitements dans les lieux de détention ne doit rien au hasard mais est de fait encouragée par le vide législatif et l’inaction de la justice − qui en constituent le terreau. Des progrès seront accomplis si les États parties au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture se conforment à leur obligation de prendre «des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout le territoire sous [leur] juridiction» (par. 1 de l’article 2 de la Convention contre la torture qui lie tous les signataires dudit Protocole).

V.Recommandation

19.Les États parties devraient reconnaître qu’un contrôle judiciaire effectif et la garantie d’une procédure régulière pendant l’exécution des peines de détention sont une condition préalable à la prévention des mauvais traitements et de la torture à l’encontre des personnes privées de liberté et permettront de conférer un caractère légitime à l’exercice du pouvoir judiciaire.