Communication présentée par :

Svetlana Medvedeva (représentée par son conseil, Dmitri Bartenev)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

5 mai 2013

Références :

Transmis à l’État partie le 15 août 2013 (non publié sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

25 février 2016

Annexe

Constatations du Comité pour l’éliminationde la discrimination à l’égard des femmesconformément au paragraphe 3 de l’article 7du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formesde discrimination à l’égard des femmes(soixante-troisième session)

concernant la

Communication n° 60/2013 *

Présentée par :

Svetlana Medvedeva (représentée par son conseil, Dmitri Bartenev)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

5 mai 2013

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, créé en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 25 février 2016,

Adopte ce qui suit :

Constatations conformément au paragraphe 3 de l’article 7du Protocole facultatif

1.1 L’auteure de la communication est Svetlana Medvedeva, de nationalité russe, née le 20 mars 1986. Elle se dit victime de violations par la Fédération de Russie de ses droits, énoncés dans l’article premier, les alinéas c), d), e) et f) de l’article 2 et les alinéas b), c) et f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’auteure est représentée par un conseil, Dmitri Bartenev. L’État partie a ratifié la Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant le 23 janvier 1981 et le 28 juillet 2004, respectivement.

* Les membres suivants du Comité ont pris part à l ’ examen de la présente communication : Ayse Feride Acar, Gladys Acosta Vargas, Bakhita Al-Dosari, Nicole Ameline, Magalys Arocha Dominguez, Barbara Bailey, Niklas Bruun, Louiza Chalal, Naéla Gabr, Hilary Gbedemah, Yoko Hayashi, Ismat Jahan, Dalia Leinarte, Lia Nadaraia, Theodora Nwankwo, Pramila Patten, Silvia Pimentel, Biancamaria Pomeranzi et Xiaoqiao Zou.

1.2 Le 23 octobre 2013, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la recevabilité de la communication indépendamment du fond. Le 14 mars 2014, conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner, par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les communications présentées conformément au Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la recevabilité de la communication parallèlement au fond. 

Rappel des faits présenté par l’auteure

2.1 L’auteure vit dans la région de Samara (Fédération de Russie). En 2005, elle a reçu son diplôme d’officier de navigation (navigatrice diplômée d’université) de la Faculté de navigation du fleuve Samara, où elle avait étudié la navigation fluviale et côtière. Le 1er juin 2012, elle a présenté sa candidature à un poste de timonier-officier mécanicien à la Samara River Passenger Enterprise, compagnie à responsabilité limitée. Sa candidature a été initialement approuvée par le directeur adjoint de la compagnie avant d’être cependant rejetée le 29 juin en vertu du règlement administratif n° 162 du 25 février 2000, qui établit une liste de métiers pénibles et d’emplois effectués dans des conditions insalubres ou dangereuses et interdits aux femmes. Ce règlement a été édicté en application de l’article 253 du Code du travail de la Fédération de Russie.

2.2 En vertu de la section 404 du chapitre XXXIII du règlement n° 162, il est interdit d’employer des femmes à des postes de machiniste sur tous les types de navires, ainsi qu’à des fonctions combinant des responsabilités de pont et de salle des machines. La liste de ces fonctions inclut celles de timonier-officier mécanicien. Toutefois, en vertu du paragraphe 1 de cette section, l’employeur peut décider d’embaucher du personnel féminin aux postes prohibés si des conditions de travail sûres ont été mises en place et certifiées par un audit du site.

2.3 Un audit de ce type, effectué en 2010, a conclu que le poste de timonier-officier mécanicien ne répondait pas aux normes d’un environnement de travail sûr, car les niveaux de bruit excédaient les niveaux jugés sans danger. L’environnement de travail a été classé comme nocif conformément aux dispositions du « manuel d’évaluation des conditions d’hygiène de l’environnement de travail et des facteurs de processus de travail; critères de classification des conditions de travail » (règlement n° 2.2.2006-05, approuvé par le médecin-chef des services sanitaires de la Fédération de Russie le 29 juillet 2005). Le règlement ne précise pas les raisons pour lesquelles un niveau de bruit accru pourrait avoir des effets nocifs sur la santé des femmes.

2.4 L’auteure a contesté en justice le rejet de sa candidature et demandé que, par une ordonnance judiciaire, le tribunal contraigne la compagnie à mettre en place les conditions de travail sûres requises pour son emploi. Elle s’appuyait sur les dispositions égalitaires de la Constitution et du Code du travail, notant que ce dernier prévoit formellement l’égalité de traitement des hommes et des femmes et interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans les relations de travail (art. 3). Le 20 août 2012, le tribunal du district de Samarskiy a débouté l’auteure, statuant que la décision contestée n’avait pas violé le droit de l’auteure à l’emploi car elle était destinée à la protéger contre des conditions de travail nocives ayant un effet délétère sur les femmes et leur santé procréative. Le tribunal de district s’appuyait sur la position de la Cour constitutionnelle (décision n° 617-O-O du 22 mars 2012) dans une affaire concernant l’interdiction faite aux femmes d’occuper le poste de conducteur adjoint de rames de métro.

2.5 Le tribunal de district a pris note de la décision de la compagnie d’ordonner un audit extraordinaire des conditions de travail. Le 28 juin 2012, la compagnie a retenu les services d’une agence pour évaluer l’environnement de travail après le remplacement des moteurs du navire. Toutefois, au moment de l’audience, les résultats de l’audit n’étaient pas disponibles et le tribunal a décidé que l’auteure aurait la possibilité de soumettre de nouveau sa candidature au poste au cas où l’évaluation par l’Inspection sanitaire d’État aboutirait à l’homologation.

2.6 L’auteure a fait appel du jugement, soutenant que le tribunal de district n’avait pas correctement examiné sa demande première, qui consistait à ordonner à la compagnie de mettre en place des conditions de travail sûres qui lui permettraient, en tant que femme, de travailler comme timonier-officier mécanicien. Elle a également soutenu que la décision contestée démontrait qu’il lui était de faitinterdit d’exercer son droit à un emploi correspondant à sa formation, car sa qualification d’officier de navigation l’amènerait inévitablement à travailler dans des conditions considérées comme dangereuses pour les femmes par la loi et la réglementation. Il incombait donc à la compagnie de mettre en place ces conditions dans la mesure du possible. Cependant, le tribunal n’a pas cherché à savoir si la compagnie avait pris des mesures concrètes à cet égard ni si l’audit extraordinaire de l’environnement de travail avait été entrepris à cette fin.

2.7 En audience d’appel, la compagnie a fait valoir que l’audit extraordinaire avait confirmé que le poste de timonier-officier mécanicien présentait des conditions de travail nocives. L’auteure a été déboutée en appel par le tribunal de la région de Samara le 19 novembre 2012. Elle soutient qu’avec ce déboutement, les voies de recours dont elle disposait avaient été épuisées.

2.8 L’auteure a usé d’un recours extraordinaire et s’est pourvue en cassation devant le Présidium du tribunal de la région de Samara. Le pourvoi a été rejeté par la décision du 7 mars 2013. Le juge a statué, en particulier, que :

L’argument de la demanderesse selon lequel le tribunal [de première instance], en la déboutant de sa demande, n’avait pas examiné sa requête d’enjoindre par ordonnance au défendeur de créer les conditions de travail nécessaires à son emploi, bien que la loi en fasse obligation à l’employeur, ne peut être pris en considération. Le tribunal de première instance a correctement statué que la conclusion d’un contrat de travail avec une personne physique était un droit et non une obligation de l’employeur. Afin de faciliter l’exercice de ce droit conformément à la note n° 1 de la liste [du règlement n° 162], l’employeur peut décider de pourvoir les postes et emplois prohibés avec de la main-d’œuvre féminine, sous réserve de créer un environnement de travail sûr, confirmé par un audit du lieu de travail. Cependant, ces dispositions n’entraînent pas pour l’employeur l’obligation de créer un tel environnement de travail chaque fois qu’une femme se porte candidate au poste en question.

2.9 L’auteure a également fait savoir qu’aucune plainte n’avait été déposée en son nom devant d’autres instances d’enquête ou de règlement internationale concernant les incidents qui ont donné lieu à la présente communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure se dit victime d’une violation de ses droits découlant de l’article premier, des alinéas c), d), e) et f) de l’article 2 et des alinéas b), c) et f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention.

3.2L’auteure maintient qu’elle s’est vu refuser un emploi par la compagnie en raison de son sexe, en vertu d’une interdiction légale expresse. Elle soutient qu’une telle différence de traitement est discriminatoire et contrevient à la Convention et que ni l’article 253 du Code du travail ni le règlement n° 162 ne motivent cette interdiction générale. Selon le raisonnement de la Cour constitutionnelle dans sa décision du 22 mars 2012, l’interdiction vise à protéger la santé procréative des femmes. Cependant elle s’applique à toutes les femmes, quels que soient leur âge, leur situation matrimoniale, leur capacité ou leur désir d’avoir des enfants ou toute autre circonstance individuelle. L’auteure affirme également que, dans son cas, les autorités judiciaires ont fait une lecture erronée du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention, qu’ils ont interprété comme justifiant cette mesure de protection. Il est évident d’après la formulation de l’article 4 que celui-ci a été inclus dans la Convention dans le but d’appeler les États à donner la possibilité aux femmes de parvenir à une égalité de faitou véritable avec les hommes, sachant qu’un traitement différencié des femmes et des hommes est parfois nécessaire en raison de leurs différences biologiques. Cette disposition n’autorise pas la restriction des droits des femmes, notamment le droit à l’emploi, en raison de différences biologiques ou de leur capacité à devenir enceintes et à porter des enfants. Le paragraphe 2 de l’article 4 ne justifie pas la limitation ou la restriction des droits fondamentaux des femmes, notamment leur droit à l’emploi, ni n’autorise de distinctions fondées sur le sexe, qui restreignent ou infirment l’exercice de ces droits par les femmes, sur un pied d’égalité avec les hommes.

3.3L’auteure fait valoir que, même si l’adoption d’un tel régime découlait du souhait de « protéger » les femmes, les considérations qui précèdent sont sans rapport avec la question de savoir s’il s’agit ou non de discrimination. Elle fait observer que la Convention enjoint aux États parties de s’assurer que les employeurs prennent des mesures pour éliminer les effets nocifs pour la santé des femmes. Même si de telles mesures sont inexistantes ou irréalisables, il est inacceptable d’empêcher les femmes d’accéder à l’emploi au moyen de lois d’exclusion qui ne s’appliquent qu’à elles. La législation sur l’hygiène et la sécurité du travail doit imposer aux employeurs l’obligation de rendre les lieux de travail sûrs pour les employés des deux sexes et réglementer étroitement les conditions de travail intrinsèquement nocives ou dangereuses en vue de protéger, dans toute la mesure du possible, la santé des employés des deux sexes. L’article 253 du Code du travail et les règlements correspondants, qui excluent tout simplement les femmes de l’emploi dans certains domaines ou environnements de travail, dispensent les employeurs de l’obligation de mettre en place des cadres de travail sûrs et d’améliorer les conditions de travail et ils ne constituent donc pas un mécanisme effectif d’amélioration de l’hygiène et de la sécurité du travail. En outre, le caractère général de l’exclusion, les critères régissant celle-ci et son application aux seules femmes invalident toute allégation qu’elle pourrait avoir une fonction légitime d’hygiène et de sécurité du travail. Ces facteurs donnent plutôt à penser que la législation résulte de normes et stéréotypes contestables fondés sur le sexe.

3.4L’auteure fait également valoir que l’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, qui appelle les États parties à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi afin d’assurer le droit à la protection de la santé et à la sécurité des conditions de travail, notamment la sauvegarde de la fonction de procréation, ne justifie pas l’exclusion généralisée des femmes de certains emplois ou professions. Il concerne en réalité le droit d’une femme à la protection de la santé et à la sécurité des conditions de travail et non le droit de l’État de protéger la fonction de procréation d’une femme en l’excluant, avec toutes les autres femmes, de certains emplois ou lieux de travail, qu’elles souhaitent ou non bénéficier de cette protection. L’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 11, qu’il convient de lire dans le contexte des autres dispositions de l’article 11, enjoint aux États parties de veiller à ce que les employeurs et les lieux de travail prennent activement les mesures nécessaires pour protéger la santé des femmes au travail, notamment leur santé procréative, leur permettant ainsi de jouir de leurs droits à l’emploi et à la santé dans des conditions d’égalité et de non-discrimination. Il ne constitue pas un fondement juridique permettant d’exclure des personnes, en raison de leur sexe, de l’accès à certains types d’emplois. En outre, l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 11 stipule que les États Parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi afin de garantir le droit à l’égalité de traitement pour un travail de valeur égale.

3.5L’auteure affirme également que les autorités nationales ont cité des motifs d’hygiène et de sécurité pour justifier l’interdiction de l’emploi de femmes dans certains domaines. Il est indéniable que certains environnements de travail peuvent avoir des effets défavorables sur la santé procréative d’une femme, mais aucun emploi n’est interdit aux hommes pour cause de nocivité dans la législation russe. Ainsi que l’a précisé la Cour constitutionnelle dans sa décision du 22 mars 2012, un règlement sanitaire du 28 octobre 1996 précisant les « normes d’hygiène applicables aux conditions de travail des femmes » contient les « critères objectifs » justifiant les restrictions à l’emploi des femmes. Il n’existe pas en revanche de réglementation similaire définissant les conditions de travail des hommes, alors même qu’il est reconnu officiellement que certains facteurs professionnels peuvent avoir des effets défavorables sur la santé des hommes, y compris leur santé procréative. L’auteure en déduit donc que l’État partie a légiféré de manière incohérente dans ce domaine en n’imposant d’exclusions qu’aux femmes. Cela démontre l’existence de partis pris sexistes et de stéréotypes enracinés dans la législation nationale qui institue des mesures de protection reposant sur la présomption qu’une femme est toujours d’abord considérée comme une mère et seulement ensuite comme une travailleuse. En outre, il découle des décisions judiciaires nationales que le « niveau de bruit équivalent au cours de la période de travail excédant le niveau autorisé » a été invoqué pour justifier le refus d’embauche de l’auteure au poste de timonier-officier mécanicien. S’il appartient aux autorités nationales de déterminer les facteurs professionnels qui ont un effet défavorable sur la santé des femmes, on ne peut nier toutefois qu’il n’existe aucune preuve scientifique qu’un niveau de bruit accru présente un risque de dommage immédiat ou irréversible pour la santé procréative de l’auteure. La réglementation ne précise pas comment un niveau de bruit accru peut influer défavorablement sur la santé procréative ou générale des femmes ni si cette influence pourrait être atténuée par des mesures préventives.

3.6L’auteure soutient que le caractère disproportionné de l’interdiction légale faite aux femmes d’accéder à certains emplois est évident dans son cas. Elle déclare qu’elle a deux enfants et qu’elle a donc le droit, conformément à la loi fédérale régissant les soins médicaux dans l’État partie, d’obtenir une stérilisation médicale de sa propre initiative. Ainsi donc, la loi l’autorise à mettre un terme irréversible à sa capacité procréative par la stérilisation mais en même temps ne tient aucun compte de son souhait d’accéder à un emploi dont l’effet est potentiellement (et théoriquement) nocif pour sa capacité procréative sans pour autant être irréversible. L’auteure fait référence aux constatations du Comité, rappelant qu’il a critiqué les cadres juridiques nationaux qui instituent des « inégalités flagrantes » qui peuvent être relevées dans « le recrutement, la rémunération et les droits au congé des femmes, ainsi que les restrictions légales à l’emploi des femmes, mais non à celui des hommes, qui reflètent les préjugés sur lesquels reposent les attitudes concernant les emplois qui conviennent aux femmes ». L’auteure mentionne également une étude, établie en 2006 pour le compte du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme, qui a conclu que « six des neuf pays étudiés restreignent, en violation de la Convention, les possibilités d’emploi des femmes en leur interdisant le travail de nuit, le travail dans les mines… Ces dispositions protectionnistes entravent l’autonomie des femmes et imposent des restrictions abusives à leur droit de choisir leur profession et leur emploi ».

3.7L’auteure soutient qu’il découle clairement des dispositions de l’article 2 de la Convention, considérées conjointement avec l’article 11, que la Convention enjoint aux États d’adopter les mesures législatives nécessaires pour protéger les femmes contre toute discrimination sexiste pratiquée par les employeurs. En vertu de l’article 11, les employeurs sont tenus de prendre activement des mesures raisonnables pour assurer la sécurité des lieux de travail pour les femmes. La législation russe aurait donc dû imposer à la compagnie les ajustements raisonnables de l’environnement de travail, qui sont nécessaires pour permettre aux femmes d’exécuter les fonctions souhaitées en toute sécurité, par exemple en réduisant le niveau de bruit ou la durée d’exposition des employées aux bruits nocifs. Or la loi précise qu’il appartient à la compagnie de décider, à sa seule discrétion, si elle souhaite procéder à ces ajustements. Aucune loi nationale n’impose à un employeur l’évaluation des ajustements qui seraient éventuellement nécessaires pour protéger la santé des femmes et leur permettre d’accéder aux professions « prohibées » ou de prendre des mesures concrètes et raisonnables à cette fin.

3.8L’auteure fait observer que les tribunaux nationaux ont considéré que le niveau de bruit pendant la période de travail dépassant les normes autorisées, le refus de l’employer comme timonier-officier mécanicien était justifié. Or les autorités nationales n’ont jamais envisagé que la compagnie aurait raisonnablement pu prendre des mesures pour réduire l’effet défavorable du bruit sur la santé de l’auteure. Celle-ci estime que le fait de limiter les dispositions antidiscriminatoires à de seules mesures négatives rendrait purement théoriques les garanties stipulées dans la Convention, étant donné qu’il est essentiel de prendre « toutes les mesures appropriées », conformément à l’alinéa e) de l’article 2 de la Convention, pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes. Il ressort clairement de la formulation des alinéas b), c) et f) du paragraphe 1 de l’article 11 que les mesures appropriées impliquent l’obligation pour les États Parties de réglementer les employeurs et de veiller à ce qu’ils prennent activement des mesures concrètes. L’auteure maintient que l’État partie aurait dû exiger de la compagnie qu’elle prenne au moins des mesures concrètes et raisonnables, fondées sur une évaluation exhaustive, pour permettre à une candidate d’occuper le poste souhaité.

3.9L’auteure maintient également que l’alinéa e) de l’article 2 de la Convention enjoint aux États parties de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque. En outre, le Comité a réaffirmé, dans sa jurisprudence et ses recommandations générales, que les États parties avaient l’obligation, aux termes de la Convention, de mettre en place un régime de protection légale contre les abus commis par des acteurs privés.

Observations de l’État partie

4.1 Le 23 octobre 2013, l’État partie a confirmé que l’auteure avait présenté sa candidature au poste de timonier-officier mécanicien à la Samara River Passenger Enterprise et que sa candidature avait été rejetée parce que les conditions de travail étaient jugées dangereuses. Il a fait observer que l’article 253 du Code du travail limitait l’emploi de la main-d’œuvre féminine dans les métiers pénibles, dangereux et/ou insalubres ainsi que dans les activités en sous-sol, à l’exclusion de travaux de nature non physique ou de services à caractère sanitaire ou domestique. La liste des secteurs d’activité, professions et emplois où les conditions de travail insalubres et/ou dangereuses limitent le travail des femmes ainsi que le poids maximal autorisé au levage manuel et à la manutention par des femmes ont été approuvés selon la procédure établie par le Gouvernement, sur avis du Comité trilatéral russe sur les relations sociales et de travail. Au moment de la présentation de la communication, la question était régie par le règlement n° 162 du 25 février 2000. La section 404 de la liste susmentionnée incluait les postes de machiniste sur tous les types de navire, ainsi que les équipages de tous les types de flotte.

4.2 L’État partie a déclaré que les tribunaux avaient rejeté les demandes de l’auteure concernant la conclusion de son contrat d’embauche. Conformément à l’article 3 du Code du travail, ne sont pas considérées comme discriminatoires les distinctions, exceptions, préférences et restriction des droits des employés, qui sont motivées par les besoins inhérents à un travail donné, tels qu’ils sont déterminés par la loi fédérale, ou par la protection sociale ou juridique renforcée offerte par l’État à certaines personnes. Comme indiqué dans la décision n° 617-O-O du 22 mars 2012 de la Cour constitutionnelle, la Constitution, en proclamant le droit de chacun à la sécurité et à la santé, énonçait le principe que la santé de l’individu constituait un facteur inaliénable de la plus haute importance, sans lequel de nombreux autres éléments et valeurs n’auraient pas de sens et que sa protection et son amélioration jouaient donc un rôle central dans la société et l’État. Les considérations qui précèdent déterminaient les obligations de l’État qui avait pour responsabilité de protéger et d’améliorer la santé de la population. En conséquence, pour mettre en œuvre les droits consacrés dans la Constitution, la législation réglementant les relations de travail imposait l’établissement de dispositions générales visant à protéger la santé des travailleurs et de règlements spéciaux tenant compte entre autres de la nature et des conditions de travail ainsi que des caractéristiques psychophysiologiques des travailleurs. Les détails de la réglementation du travail des femmes figurent plus haut.

4.3 L’État partie a fait observer que les caractéristiques psychophysiologiques des travailleurs avaient été prises en considération pour définir les restrictions particulières à l’emploi de la main-d’œuvre féminine; ces dernières ont été établies en raison de la nécessité de protéger spécialement cette main-d’œuvre contre les facteurs de production nocifs ayant des effets délétères sur le corps féminin, en particulier sur sa fonction procréative. En dressant la liste des métiers pénibles et des emplois interdits aux femmes, dont les conditions de travail sont nocives ou dangereuses, le Gouvernement avait agi en se fondant sur une évaluation des conditions de travail et de l’intensité de leurs effets sur le corps de la travailleuse et sa fonction procréatrice. Cette liste avait donc été établie en fonction de critères objectifs, ce qui excluait la limitation arbitraire de l’emploi des femmes dans les postes figurant dans la liste et garantissait de leur droit à des conditions de travail équitables. Simultanément, en vertu de la section 404 1) de la liste, les femmes pouvaient être employées aux postes inscrits sur la liste sous réserve que l’employeur crée des conditions de travail sûres; ces dernières devant être confirmées par un audit du site et par une évaluation favorable des inspecteurs du travail et de l’hygiène de l’État. En conséquence, l’interdiction d’employer des femmes aux postes inscrits sur la liste n’était pas absolue mais limitée, sous réserve d’élimination des facteurs nocifs pour leurs corps.

4.4 L’État partie a fait savoir que les dispositions législatives susmentionnées ne pouvaient être considérées comme discriminatoires à l’égard des femmes car elles ne limitaient pas leur droit de travailler dans des conditions appropriées et comprenaient des garanties pour préserver la santé des femmes au travail.

4.5 À la lumière de ce qui précède, l’État partie a considéré que la communication était irrecevable.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.Le 5 janvier 2014, l’auteure a fait valoir que l’État partie avait simplement réitéré la position des tribunaux nationaux et n’avait répondu à aucun des arguments présentés dans sa communication concernant la discrimination dont elle avait été victime.

Observations additionnelles de l’État partie

6.1 Le 26 février 2014, l’État partie a réitéré son exposé précédent. Il a aussi soutenu qu’en vertu des instruments internationaux, l’adoption de mesures spéciales destinées à protéger la maternité n’était pas considérée comme discriminatoire (paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention). L’État partie s’est référé au paragraphe 3 de l’article 10 de la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui stipule que les mesures prises pour protéger les femmes employées à certains types de travaux, pour des motifs inhérents à leur nature physique, ne doivent pas être considérées comme discriminatoires, ainsi qu’au paragraphe 2 de l’article premier de la Convention (n° 111) de 1958 concernant la discrimination (emploi et profession) de l’Organisation internationale du Travail, en vertu duquel aucune distinction, exclusion ou préférence relative à un emploi donné, fondée sur les besoins intrinsèques de celui-ci, ne doit être considérée comme discriminatoire. Les dispositions susmentionnées ont été reprises dans la position de la Cour constitutionnelle dans une affaire similaire (n° 617-O-O, décision du 22 mars 2012). La Cour avait déclaré que le principe juridique d’égalité ne pouvait être mis en œuvre sans prendre en considération le rôle social des femmes dans la procréation, ce qui obligeait l’État à établir des garanties additionnelles pour les femmes, notamment dans les relations de travail, afin de protéger la maternité. L’État partie a mentionné l’article 253 du Code du travail et fait valoir que, selon la Cour constitutionnelle, l’article visait à protéger la santé procréatrice des femmes contre des facteurs de production nocifs. Il a réaffirmé qu’en vertu de la section 404 1) de la liste, un employeur pouvait décider d’employer de la main-d’œuvre féminine aux postes prohibés si des conditions de travail sûres ont été mises en place et certifiées par un audit de site. Il s’ensuivait que l’interdiction d’employer des femmes aux postes inscrits sur la liste n’était pas absolue.

6.2 L’État partie a également fait valoir qu’en vertu des articles 376 3) et 377 du Code de procédure civile, l’auteure aurait pu faire appel du jugement du 20 août 2012 du tribunal du district de Samara et de la décision du 19 novembre 2012 du tribunal de la région de Samara auprès de la Cour suprême dans les six mois suivant leur entrée en vigueur. En outre, l’article 391 1) du Code prévoyait la possibilité de faire appel de la décision de la débouter de son pourvoi en cassation auprès du Présidium du Tribunal de la région de Samara (du 7 mars 2013) devant la chambre civile de la Cour suprême (demande de contrôle juridictionnel). Au moment de la présentation de la communication au Comité (14 mai 2013), le délai de six mois prévu par l’article 376 du Code pour faire appel n’avait pas encore expiré, mais l’auteure n’avait pas interjeté appel. De plus, en vertu de l’article 112 du Code, il était possible de demander le rétablissement du délai si la Cour estimait que la date limite n’avait pas été respectée pour des raisons convaincantes. L’auteure disposait donc encore de la possibilité de faire appel. L’État partie a maintenu que la communication était irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

6.3 Par ailleurs l’État partie a fait valoir que l’auteure ne pouvait occuper le poste de timonier-officier mécanicien à la compagnie qu’à titre temporaire, en remplacement d’un employé qui était en congé et auquel le poste était réservé. Le congé de cet employé se terminait au moment où le tribunal de première instance examinait la demande en appel de l’auteure. 

Commentaires de l’auteure

7.1 Le 2 juin 2014, l’auteure a fait valoir qu’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême n’était pas un recours effectif dans son cas. Conformément à l’article 387 du Code de procédure civile, la Cour, agissant en qualité de cour de cassation, pouvait annuler la décision d’une juridiction inférieure si elle considérait que de graves infractions aux règles de fond ou de procédure avaient été commises et que le fait de ne pas y remédier rendrait impossible le rétablissement des droits et intérêts légitimes de la demanderesse. Un tel pourvoi était donc un recours extraordinaire. Les tribunaux nationaux s’étaient appuyés sur la position de la Cour constitutionnelle qui avait précédemment jugé que les restrictions légales à l’emploi des femmes étaient constitutionnelles et donc non discriminatoires. L’État partie avait soutenu que le droit avait été appliqué correctement dans le cas de l’auteure, omettant de préciser les motifs justifiant un éventuel pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême. Par ailleurs, aucune infraction à la procédure, à laquelle la Cour suprême pourrait remédier, n’avait été commise dans le cas de l’auteure. En conséquence, un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême était hypothétique et ne constituait pas un recours effectif dans le cas de l’auteure.

7.2 L’auteure a également fait valoir que la formulation de l’article 4 de la Convention montrait à l’évidence qu’il avait été inclus dans le but d’enjoindre aux États de permettre aux femmes de parvenir à une égalité de fait ou effective avec les hommes, étant entendu qu’un traitement différencié des femmes et des hommes était parfois nécessaire en raison de leurs différences biologiques. Le paragraphe 2 de l’article 4 avait donc pour but d’inclure en faveur des femmes des mesures positives, et éventuellement préférentielles (les « mesures spéciales »), qui leur permettraient effectivement d’exercer leurs droits, notamment à l’emploi, sur un pied d’égalité, compte tenu de leurs différences biologiques et des nécessités de la grossesse et de la maternité, par exemple au moyen de lois instituant des congés de maternité payés. Cette disposition n’autorisait pas la restriction des droits des femmes, notamment le droit à l’emploi, en raison de différences biologiques ou de leur capacité de devenir enceintes et de porter des enfants. L’auteure a fait observer en outre que l’État partie n’avait présenté aucune information concernant l’adoption par les autorités de mesures positives visant à permettre à l’auteure d’occuper le poste souhaité.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.Le 13 novembre 2014, l’État partie s’est référé aux articles 320, 330 1), 376, 387, 391.1 et 391.9 du Code de procédure civile. Il a aussi mentionné la « discrimination à l’égard des femmes », définie à l’article premier de la Convention, et réaffirmé que l’adoption de mesures spéciales destinées à protéger la maternité n’était pas considérée comme discriminatoire. Il a réitéré son exposé concernant les conclusions de la Cour constitutionnelle dans sa décision n° 617-O-O du 22 mars 2012 (voir par. 4.2) et une partie de son argumentaire précédent (voir par. 6.1).

Commentaires additionnels de l’auteure

9.Le 14 janvier 2015, l’auteure a fait valoir que l’exposé de l’État partie ne contenait aucun argument nouveau, qu’elle n’avait pas de commentaires à faire et qu’elle maintenait pleinement sa communication initiale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1 Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

10.2 Le Comité note que l’État partie a contesté, dans ses observations datées du 23 octobre 2013, la recevabilité de la communication, apparemment fondée sur des justifications insuffisantes de la plainte de l’auteure, en vertu du Protocole facultatif, sans préciser de motifs précis. Le Comité prend note des exposés, présentés par l’État partie les 26 février 2014 et 14 novembre 2014, selon lesquels l’auteure aurait pu faire appel en cassation du jugement rendu le 20 août 2012 par le tribunal du district de Samara et de la décision du tribunal de la région de Samara du 19 novembre 2012 auprès de la Cour suprême et qu’elle avait la possibilité de demander un contrôle juridictionnel de la décision rejetant son pourvoi en cassation auprès du Présidium du tribunal de la région de Samara (du 7 mars 2013) devant la Chambre civile de la Cour suprême et que, par conséquent, la communication devait être considérée comme irrecevable.

10.3 Le Comité rappelle que, selon le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que la partie requérante obtienne réparation par ce moyen. Dans ce contexte, le Comité prend note également de l’argument de l’auteure qui fait valoir qu’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême ne constitue pas un recours effectif, la cour de cassation ne pouvant annuler la décision d’une juridiction inférieure que si elle constate de graves violations des règles de fond ou de procédure; or, l’État partie a soutenu que le droit avait été appliqué correctement, et il n’y avait donc pas, dans son cas, d’infraction aux règles de procédures à laquelle la Cour suprême pourrait remédier.

10.4 Le Comité note que, conformément à l’article 376 du Code de procédure civile, les motifs d’annulation ou de modification des décisions judiciaires par la procédure de cassation sont les violations graves des règles de droit ou de procédure ayant affecté l’issue d’une affaire. Le Comité relève également que la révision en cassation semble être essentiellement un examen de la légalité des décisions des juridictions inférieures. Parallèlement, le Comité note que l’auteure ne conteste pas la légalité de ces décisions, mais la compatibilité des dispositions respectives du Code du travail et du règlement n° 162 du 25 février 2000 avec les dispositions de l’article premier, des alinéas c), d), e) et f) de l’article 2 et des alinéas b), c) et f) du paragraphe 1de l’article 11 de la Convention. Le Comité considère par conséquent qu’un nouveau pourvoi en cassation ne constituerait pas un recours effectif pour remédier aux violations présumées dans la plainte de l’auteure.

10.5 Le Comité note qu’un des motifs d’annulation d’une décision par la procédure de contrôle juridictionnel en vertu de l’article 391.9 du Code de procédure civile est la violation des libertés et droits fondamentaux garantis par la Constitution ainsi que des principes et règles universellement reconnus du droit international et des instruments internationaux ratifiés par l’État partie. Le Comité relève cependant que la question de la constitutionnalité de la législation contestée a déjà été examinée par l’instance suprême de l’État partie, à savoir la Cour constitutionnelle (voir les paragraphes 2.4, 2.10, 2.13, 4.2 et 6.1), que celle-ci a jugé que les dispositions en question ne contrevenaient pas à la Constitution et que les juridictions inférieures avaient fondé leurs décisions dans une large mesure sur cette position de la Cour constitutionnelle. Le Comité note que l’État partie n’a pas précisé si la demande de contrôle juridictionnel faite auprès de la Cour suprême permettrait de conclure si l’auteure avait été ou non victime de discrimination à l’embauche du fait de son sexe. À la lumière des informations dont il dispose, le Comité considère qu’il ne lui est pas interdit, aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, d’examiner la communication.

10.6 N’ayant constaté aucun obstacle à la recevabilité de ces griefs, le Comité procède à leur examen quant au fond.

Examen quant au fond

11.1 Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et par l’État partie, conformément au paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

11.2 Le Comité prend note de l’assertion de l’auteure qui affirme que ses droits, énoncés dans l’article premier, les alinéas c), d), e) et f) de l’article 2 et les alinéas b), c) et f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, ont été violés pour les raisons suivantes : en premier lieu, bien que l’auteure ait été initialement retenue pour le poste de timonier-officier mécanicien, elle n’a pu obtenir ce poste en raison d’une interdiction stipulée à l’article 253 du Code du travail et du règlement n° 162 en raison de son sexe; en deuxième lieu, l’État partie n’a pas contraint l’employeur à prendre des mesures raisonnables pour adapter l’environnement de travail aux besoins des femmes. Le Comité note également que l’État partie ne conteste pas que l’auteure a fait l’objet d’un traitement différencié du fait de son sexe, que ledit traitement était prescrit par le droit national et qu’il faisait partie des mesures spéciales de protection des femmes dans certains types d’emplois, pour des motifs inhérents à leur caractéristique physique, à savoir leur capacité à devenir mères, et qu’il ne devait donc pas être considéré comme discriminatoire. L’État partie a aussi fait valoir que le refus d’un employeur d’embaucher une femme pour accomplir les travaux inscrits sur la liste n’était pas discriminatoire si l’employeur n’avait pas mis en place un environnement de travail sûr, confirmé par un audit spécial des conditions de travail.

11.3 Le Comité rappelle qu’en vertu des alinéas d) et f) de l’article 2, les États Parties sont tenus d’abroger ou de modifier les lois et réglementations discriminatoires, de s’abstenir de tout acte ou pratique directement ou indirectement discriminatoire à l’égard des femmes et de veiller à abroger toutes les lois qui ont pour effet ou résultat d’engendrer des discriminations. Le Comité fait remarquer que les dispositions concernant la protection des personnes travaillant dans des conditions dangereuses ou pénibles doivent viser à protéger la santé et la sécurité des femmes comme des hommes au travail, tout en tenant compte des différences entre les sexes sur le plan des risques spécifiques pour leur santé. Le Comité constate également que l’article 253 du Code du travail et le règlement n° 162 du 25 février 2000 excluent les femmes de 456 métiers et de 38 secteurs d’activité et qu’aucun élément n’a été fourni au Comité prouvant que l’inclusion du poste d’officier de pont-mécanicien dans la liste reposait sur des constatations scientifiques indiquant qu’il pourrait être préjudiciable à la santé procréative des femmes. Le Comité note que l’État partie se réfère au niveau élevé de bruit mais ne fournit pas de preuve qu’il est nocif pour la santé procréative des femmes. Le Comité estime que l’adoption de telles dispositions légales traduit la persistance de stéréotypes au sujet des rôles et responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et la société, qui ont pour effet de perpétuer les rôles traditionnels des femmes comme mères et épouses et compromettent le statut social des femmes et leurs perspectives de formation et de carrière. Le Comité rappelle également que, dans ses observations finales sur le huitième rapport périodique de l’État partie, il a exprimé ses préoccupations devant la liste excessivement protectrice des métiers et secteurs d’activité dont l’accès était interdit aux femmes et il a recommandé à l’État partie de réviser cette liste afin d’y inclure seulement les restrictions nécessaires à la protection de la maternité au sens strict et encourage et facilite l’accès des femmes aux emplois précédemment réglementés en améliorant les conditions de travail et en adoptant des mesures spéciales temporaires appropriées (CEDAW/C/RUS/CO/8, par. 33-34). Le Comité conclut que les dispositions législatives susmentionnées sont contraires aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu des alinéas d) et f) de l’article 2 de la Convention.

11.4 Le Comité rappelle également qu’aux termes de l’alinéa c) de l’article 2, les États Parties doivent veiller à ce que les tribunaux soient tenus d’appliquer le principe de l’égalité tel qu’il est consacré dans la Convention et d’interpréter la loi, dans toute la mesure du possible, conformément aux obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention. Le Comité rappelle également qu’aux termes de l’alinéa e) de l’article 2, les États parties ont pour obligation d’éliminer la discrimination pratiquée par tout acteur public ou privé et d’instaurer la protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes, de garantir par le truchement des juridictions nationales compétentes et d’autres institutions publiques la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire et de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque. Le Comité note que dans le présent cas, les juridictions de l’État partie ont jugé licite le refus d’employer l’auteure en qualité de timonier-officier mécanicien sans examiner ses assertions que ce refus constituait une discrimination à son égard en raison de son sexe et sans imposer à l’employeur l’obligation légale de créer des conditions de travail sûres pour les femmes. Le Comité conclut donc que les juridictions de l’État partie ont fermé les yeux sur les actions discriminatoires de la compagnie privée. Dans ces conditions, le Comité considère que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations lui incombant en vertu des alinéas c) et e) de l’article 2, lus en parallèle avec l’article premier de la Convention, en n’assurant pas le respect, sur le plan pratique, du principe de l’égalité de traitement prévu par la Convention et la Constitution ni la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination fondé sur le sexe.

11.5 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure que l’État partie a violé ses droits, énoncés dans les alinéas b) et c) du paragraphe 1 de l’article 11, le Comité prend note de son argumentaire, à savoir que le refus de l’embaucher en qualité de timonier-officier mécanicien et la confirmation de cette décision par les tribunaux montraient qu’il lui était interdit dans les faits d’exercer son droit à un emploi correspondant à sa formation puisque sa qualification d’officier de navigation l’amènerait inévitablement à travailler dans des conditions réputées dangereuses pour les femmes par l’État partie. Le Comité note que ce dernier n’a pas spécifiquement contesté l’affirmation qui précède. Il relève que le refus d’embauche met l’auteure dans une situation où elle ne peut gagner sa vie au moyen d’une profession pour laquelle elle a fait des études, ce qui entraîne donc des conséquences économiques préjudiciables pour elle. Le Comité estime donc que la législation existante ne garantit pas, sur un pied d’égalité entre les femmes et les hommes, le droit aux mêmes possibilités d’emploi. Le Comité relève également que dans le cadre juridique existant, il ne sera pas possible à l’auteure d’avoir les mêmes possibilités d’emploi aux postes pour lesquels elle dispose d’une qualification formelle, sauf si les employeurs décident de créer des conditions de travail sûres, mais le fardeau supplémentaire de la mise en place de conditions de travail sûres pour les femmes et de l’obtention des homologations nécessaires est laissé entièrement à la discrétion des employeurs. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que le refus d’employer l’auteure en vertu d’une disposition législative générale constitue une violation de son droit aux mêmes possibilités d’emploi et au libre choix de la profession et de l’emploi conformément aux alinéas b) et c) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, en d’autres termes, les droits de l’auteure en vertu de ces dispositions ont été violés, et les juridictions de l’État partie n’y ont pas remédié.

11.6 En ce qui concerne la plainte de l’auteure faisant état d’une violation par l’État partie de ses droits énoncés dans l’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 11, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la liste réglementant l’emploi de main-d’œuvre féminine dans les secteurs d’activité, professions et emplois comportant des conditions de travail insalubres et/ou dangereuses a été approuvée conformément à une procédure établie par le Gouvernement, sur avis du Comité trilatéral russe sur les relations sociales et de travail. Il prend note également de l’assertion de l’État partie selon laquelle les caractéristiques psychophysiologiques des travailleurs sont prises en considération pour établir les restrictions particulières applicables à l’emploi des femmes et que ces dernières sont établies en raison de la nécessité de les protéger spécialement contre des facteurs de production nocifs ayant des effets préjudiciables sur le corps féminin, en particulier sur la fonction de procréation. En dressant la liste des emplois pénibles et ceux dont les conditions de travail sont nocives ou dangereuses et pour lesquels l’emploi des femmes est prohibé, l’État partie affirme avoir agi en se fondant sur une évaluation des conditions de travail, de l’influence de ces conditions sur le corps des travailleuses et sur leur fonction de procréation. Le Comité prend note en outre de la déclaration de l’État partie précisant que la section 404 1) de la liste permet l’emploi de femmes aux postes inscrits sur la liste si l’employeur met en place des conditions de travail sûres.

11.7 Le Comité fait remarquer que l’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention doit être lu en parallèle avec les articles 2 et 3. En vertu de ces dispositions, l’État partie est tenu de prendre des mesures de protection pour préserver la santé procréative des hommes comme des femmes et de créer des conditions de travail sûres dans toutes les secteurs d’activité et non d’empêcher les femmes d’accéder aux emplois dans certains domaines et de laisser la création de conditions de travail sûres à la discrétion des employeurs. Lorsqu’un État partie souhaite s’écarter de l’approche susmentionnée, il doit disposer de preuves médicales et sociales convaincantes de la nécessité de protéger la maternité/grossesse ou d’autres facteurs spécifiques à un sexe ou l’autre. Le Comité fait observer que l’adoption d’une liste de 456 emplois et de 38 secteurs d’activité est contraire aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention car elle traite les hommes et les femmes de manière différente, n’encourage d’aucune manière l’emploi des femmes et repose sur des stéréotypes discriminatoires. En outre, une procédure d’embauche où un employeur peut, à sa seule discrétion, déroger à la réglementation et employer des femmes si leur sécurité peut être garantie n’est pas conforme aux obligations imposées par la Convention du fait qu’il n’y a aucune obligation pour l’employeur, soit de créer des conditions de travail sûres, soit d’employer des femmes, même si elles sont les candidats les mieux qualifiés. Le Comité note également que l’existence de cette longue liste pourrait influer sur les décisions de recrutement des employeurs. Il considère donc que l’article 253 du Code du travail et le règlement n° 162 du 25 février 2000, tels qu’ils ont été appliqués dans le cas de l’auteure, ne sont pas conformes aux obligations incombant à l’État partie en vertu de l’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention. Le Comité estime que le refus d’employer l’auteure en vertu des dispositions législatives susmentionnées constitue une violation de son droit aux mêmes conditions d’hygiène et de sécurité du travail que les hommes, conformément à l’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention.

12. En vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif et compte tenu de toutes les considérations qui précèdent, le Comité considère que l’État partie a violé les droits de l’auteure énoncés dans les alinéas c), d), e) et f) de l’article 2 et les alinéas b), c) et f) du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention.

13. Le Comité adresse les recommandations suivantes à l’État partie :

a) En ce qui concerne l’auteure de la communication : accorder à celle-ci une compensation appropriée et une indemnisation adéquate proportionnelle à la gravité de l’atteinte à ses droits et faciliter son accès aux emplois pour lesquels elle est qualifiée;

b) En général :

i) Réviser et modifier l’article 253 du Code du travail et le règlement n° 162 afin que les restrictions applicables aux femmes soient strictement limitées à celles qui visent à protéger la maternité au sens strict et qui garantissent des conditions spéciales aux femmes enceintes et aux mères allaitantes et n’entravent pas l’accès des femmes à l’emploi ni leur rémunération en raison de stéréotypes sexistes;

ii) Après révision de la liste des emplois réglementés ou interdits aux femmes, promouvoir et faciliter l’accès des femmes aux emplois précédemment réglementés ou interdits en améliorant les conditions de travail et en adoptant des mesures temporaires spéciales appropriées pour encourager leur recrutement.

14. Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examine dûment les constatations et les recommandations du Comité auquel il soumet, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant notamment de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est en outre prié de rendre publiques les constatations et recommandations du Comité et de les diffuser largement afin d’atteindre tous les secteurs concernés de la société.