Présentée par :

V. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime présumée :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

6 août 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 13 août 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

11 juillet 2016

Annexe

Décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes au titre du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (soixante-quatrième session)

Concernant la

Communication n° 57/2013 *

Présentée par :

V. ( représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime présumée :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

6 août 2013 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (le « Comité »), créé en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (la « Convention »),

Réuni le 11 juillet 2016,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteure de la communication est Mme V., ressortissante indienne née en 1989, qui risque d’être expulsée vers l’Inde comme suite au rejet de sa demande d’asile au Danemark. Elle affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ainsi que des recommandations générales du Comité no 12 (1989) sur la violence contre les femmes et no 16 (1991) sur les femmes travaillant sans rémunération dans des entreprises familiales. Elle est représentée par un conseil. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur dans l’État partie respectivement le 21 mai 1983 et le 22 décembre 2000.

1.2Lors de l’enregistrement de la communication, le 13 août 2013, conformément à l’alinéa 1) de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les communications présentées conformément au Protocole facultatif, le Comité a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure tant que la communication serait en cours d’examen. Le 14 octobre 2013, l’État partie a informé le Comité qu’il avait différé l’expulsion de l’auteure et lui a demandé d’examiner avant tout la recevabilité de la communication. Le 8 janvier 2014, en application de l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les communications présentées conformément au Protocole facultatif, a décidé d’examiner la question de la recevabilité de la communication et la communication elle-même quant au fond.

Rappel des faits présenté par l’auteure

2.1L’auteure est une femme chrétienne qui vivait près de Jalandhar (Inde) et travaillait comme réceptionniste dans un hôpital. En 2009, sur son lieu de travail, elle a rencontré un homme hindou, M. R., avec lequel elle a entamé une relation amoureuse. Cependant, lorsque leurs familles l’ont appris, elles ont tenté de les empêcher de se voir. Les proches de l’auteure l’ont battue et, en octobre 2009, ont attaqué M. R. une première fois. Celui-ci a été arrêté par la police à la suite de cette attaque, alors qu’il en était la victime, ce qui l’a conduit à quitter la ville où il habitait pour s’installer à Jalandhar. Cependant, les proches de l’auteure s’y sont pris à lui une seconde fois et, en 2010, il a quitté l’Inde.

2.2En 2011, la famille de l’auteure a voulu la marier de force à un chrétien. Avec l’aide d’un ami de M. R., l’auteure a obtenu un visa et est partie pour le Danemark en avril 2012. M. R. s’est d’abord rendu en Roumanie et en Italie et est arrivé au Danemark en octobre 2012, où l’auteure et lui ont introduit une demande d’asile.

2.3Le 12 mars 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande de l’auteure, estimant que ses propos présentaient des contradictions et qu’elle manquait donc de crédibilité. L’auteure a fait appel de cette décision devant la Commission de recours pour les réfugiés (la « Commission »).

2.4Le 19 juillet 2013, la Commission a rejeté l’appel. Elle a expliqué que, dans les grandes lignes, elle croyait l’auteure quand celle-ci déclarait qu’elle avait fait la connaissance de M. R. sur son lieu de travail et commencé à le fréquenter et que leurs deux familles s’y étaient opposées. Alors que le Service danois de l’immigration avait jugé que l’histoire de l’auteure n’était pas crédible, les cinq membres de la Commission semblaient fonder leur décision finale sur le fait que, selon eux, le jeune couple (chrétien/hindou) violait les normes morales et les règles indiennes régissant les rapports homme-femme en entretenant une relation sans l’approbation de leurs familles, de surcroît alors qu’ils étaient de confessions différentes. La Commission était fort partagée sur la question, un ou deux de ses membres (le nombre exact est inconnu car le règlement de la Commission interdit de dévoiler qui a voté quoi) étant favorables aux demandes d’asile de l’auteure et de son compagnon compte tenu du fait qu’ils seraient exposés aux persécutions de leurs familles et de la police s’ils retournaient en Inde. Néanmoins, la majorité des membres n’étaient pas de cet avis et l’appel de l’auteure a été rejeté.

2.5Les membres composant la majorité n’étaient cependant pas d’accord quant aux motifs de la décision, certains mettant en question la crédibilité de l’auteure quant à l’ampleur du conflit avec sa famille tandis que d’autres la croyaient entièrement mais lui conseillaient d'aller vivre dans une autre partie de l’Inde. L'auteure soutient qu'en s’installant ailleurs dans le pays, elle risquerait d’être victime de crime « d’honneur » du fait qu’elle comptait épouser, contre la volonté de sa famille, un hindou avec lequel elle avait demandé l'asile à l’étranger. Sa volonté de se marier était contraire aux règles indiennes régissant les rapports hommes-femmes, selon lesquelles les femmes devaient se plier à la décision de leurs parents, ainsi qu’aux normes religieuses et culturelles, qui interdisaient l’union d’un homme hindou et d’une femme chrétienne.

2.6L’auteure ajoute qu’il a également été noté dans les observations finales qu’il était extrêmement difficile pour les victimes d’avoir accès à des services de protection et d’obtenir réparation, les auteurs de crimes d’honneur n’étant pas poursuivis ou punis en Inde. Tous les renseignements sur la situation en Inde montraient que les femmes ne disposaient d’aucune protection contre la violence sexiste et que, même en cas de viol, les autorités n'étaient guère disposées à mener une enquête efficace, entamer des poursuites et ordonner des réparations avec la diligence requise. L’auteure a également présenté un article de presse dans lequel un agent de police aurait demandé au père d’une fille portée disparue de commettre un crime d’honneur, ce qui montrait, selon elle, qu’elle ne pouvait pas compter sur les autorités indiennes pour assurer sa protection.

2.7Enfin, l’auteure explique qu’en Inde, toute personne souhaitant établir son domicile doit informer la police locale de sa présence et disposer d’une carte d’identité. De ce fait, avec l’aide de la police, sa famille pourrait facilement la retrouver même si elle s’installait dans une autre ville. À ce sujet, elle rappelle que ses proches avaient pu localiser son compagnon même après qu’il eut déménagé à Jalandhar.

2.8L’auteure affirme avoir épuisé tous les recours possibles au niveau national, les décisions de la Commission n'étant pas susceptibles d’appel devant un tribunal.

Teneur de la plainte

3.L’auteure déclare que si elle retournait en Inde, où elle a déjà été victime de violence sexiste de la part de sa famille, elle serait davantage exposée au risque de subir des attaques similaires ou d’être tuée pour avoir, en tant que femme, terni l'image de sa famille. Elle affirme également que son expulsion constituerait une violation par l’État partie des articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention ainsi que des recommandations générales n° 12 et n° 16 du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 14 octobre 2013, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il a rappelé que l’auteure, une ressortissante indienne née en 1989, était entrée sur le territoire danois le 29 avril 2012 munie de documents de voyage en règle et, en sa qualité de travailleuse au pair, d'un titre de séjour qui expirait le 18 avril 2013. Son compagnon, M. R., était arrivé au Danemark en août 2012 et avait introduit une demande d’asile le 17 septembre 2012, ce qu’avait également fait l’auteure le 22 septembre. Le 12 mars 2013, le Service danois de l’immigration a refusé d’accorder l’asile à l’auteure, qui a alors introduit un recours devant la Commission. Dans ce recours, daté du 11 juillet 2013, le conseil de l’auteure a introduit une demande d’octroi de titre de séjour, en vertu principalement du paragraphe 1 et subsidiairement du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Dans son mémoire d’appel, le conseil de l’auteure a déclaré que celle-ci craignait, en cas de renvoi dans son pays, de subir des violences ou d’être tuée au nom de « l’honneur » en raison de sa relation avec M. R., qui était d’une autre confession et d’une autre caste qu’elle. Il a également déclaré que la famille de l’auteure désapprouvait cette relation et avait accusé M. R. de l 'avoir enlevée. L’auteure aurait indiqué sa peur d’être persécutée pour avoir désobéi à sa propre famille et contrevenu ainsi aux règles régissant les rapports hommes-femmes et aux codes d’honneur de la société indienne.

4.2Au cours des débats, la Commission a examiné conjointement les demandes d’asile déposées par l’auteure et par son compagnon, l’auteure ayant précédemment expliqué qu’elle craignait d’être tuée par sa famille ou celle de M. R. si elle était renvoyée en Inde, parce qu’elle était chrétienne et que les membres de sa famille étaient des sympathisants du parti Akali alors que M. R. était hindou et partisan du Congrès national indien.

4.3L’auteure a déclaré à la Commission que sa relation avec M. R. avait débuté en 2009. Sa famille avait tenté de la convaincre de le quitter et les avait agressés physiquement à plusieurs reprises. Elle avait également tenté, en 2011, de la marier de force à un autre homme. Enfin, l'auteure a déclaré que sa famille avait soudoyé les autorités indiennes pour qu’elles mettent un terme à sa relation avec M. R.

4.4Le 19 juillet 2013, la Commission a confirmé la décision du Service danois de l’immigration. Une majorité des membres de la Commission a conclu que l’auteure ne remplissait pas les conditions posées à l’article 7 de la loi sur les étrangers pour obtenir un titre de séjour. La Commission a accepté la déclaration de l’auteure concernant le fait qu’elle avait rencontré M. R. sur le lieu travail et qu’ils avaient entamé une relation que leurs familles respectives désapprouvaient. La majorité des membres de la Commission a estimé qu’en cas de renvoi en Inde, l’auteure ne courrait pas de risque réel de persécution aux termes du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, ni d’atteinte aux droits des personnes aux termes du paragraphe 2 de l’article 7 de ladite loi. Toutefois, une partie des membres de la majorité n’a pas accepté la déclaration de l’auteure concernant l’ampleur du conflit qui l’opposait aux deux familles. Ces membres ont en effet souligné que la déclaration faite par l’auteure était peu crédible et semblait avoir été inventée de toutes pièces pour les besoins de la cause, qu’elle était en partie incohérente et manquait de précision. Ils ont ajouté qu’à l’audience, l’auteure n’avait pas été en mesure de donner à la Commission davantage d’informations sur le conflit qui l'opposait à sa famille. Ils se sont également étonnés que l'auteure ait attendu 18 mois après que le conflit eut atteint son paroxysme pour quitter l’Inde, et qu’elle n’avait demandé l’asile au Danemark qu’après y avoir travaillé au pair pendant cinq mois. Ils ont donc écarté la déclaration de l’auteure pour défaut de crédibilité. Ils ont conclu que le fait que le conflit opposant l'auteure à sa famille et à celle de M. R puisse être grave au point de l’empêcher de retourner vivre à proximité de sa famille n’entrait pas en ligne de compte, dans la mesure où l’auteure pourrait tout à fait s’installer ailleurs en Inde. En conséquence, cette partie de la majorité s’est prononcée en faveur du maintien de la décision du Service danois de l’immigration.

4.5L’État partie ajoute qu’une autre partie de la majorité a accepté la déclaration de l’auteure concernant le conflit l’opposant à sa famille et a admis que l’auteure avait donc besoin de bénéficier de la protection relevant du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Toutefois, ces membres ont également conclu que l’auteure pourrait s’installer ailleurs en Inde. Il a été souligné à cet égard que le conflit était d’ordre privé et que, compte tenu de la situation particulière et de l’histoire personnelle de l’auteure, on pouvait raisonnablement présumer que celle-ci serait en mesure de s’installer dans une grande zone urbaine. La Commission a par conséquent confirmé la décision du Service danois de l’immigration.

4.6L’État partie note que, le 14 août 2013, eu égard aux mesures conservatoires demandées par le Comité, la Commission a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai qui avait été imparti à l’auteure et à son compagnon pour quitter le territoire.

4.7L’État partie fournit ensuite de nombreuses informations sur les activités et la composition de la Commission, sur les audiences qu’elle a tenues et sur la valeur juridique de ses décisions. Il s’agit d’un organe quasi judiciaire indépendant, considéré comme une juridiction au sens de l’article 39 de la directive 2005/85/EC du Conseil de l’Union européenne relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. L’article 39 prévoit que les demandeurs d’asile disposent d’un droit de recours devant une juridiction compétente contre une décision concernant leur demande d’asile. La Commission se compose d’un président, de vice-présidents (le Comité exécutif) et d’autres membres. Le président et les vice-présidents sont des juges alors que les autres membres doivent être des avocats, des membres désignés siégeant au Danish Refugee Council [Conseil danois pour les réfugiés] ou des fonctionnaires du Ministère des affaires étrangères ou du Ministère de la justice. Les membres de la Commission sont désignés par le Comité exécutif de la Commission, sur proposition de l’administration des tribunaux en ce qui concerne les juges, sur proposition du Conseil du barreau danois en ce qui concerne les avocats et sur proposition du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la justice et du Danish Refugee Council, respectivement, pour ce qui est des autres membres.

4.8En l’espèce, l’État partie prend note de l’allégation de l’auteure, selon laquelle le Danemark, s’il l’expulsait en Inde, violerait les articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ainsi que les recommandations générales n° 12 et n°19 (1992) du Comité relatives aux violences faites aux femmes, puisqu’elle courrait alors le risque d’être victime de harcèlement sexiste et de discrimination, voire d’être assassinée. À cet égard, l’auteure a rappelé qu’en raison du déshonneur que sa relation constituait aux yeux de sa famille et de celle de son compagnon, celles-ci l’auraient déjà agressée violemment à plusieurs reprises. Elle a également fait valoir qu’il lui était impossible de solliciter la protection des autorités indiennes.

4.9L’État partie estime que la communication est manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée, et par conséquent irrecevable au titre de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention. Selon l’État partie, l’auteure cherche, dans sa communication, à faire appliquer de manière extraterritoriale les obligations découlant de la Convention. Dans sa décision concernant la communication n° 33/2011, le Comité faisait des observations générales quant à la portée extraterritoriale de la Convention. Au paragraphe 8.10 de ladite décision, qui traite des obligations positives des États parties découlant de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, le Comité rappelait l’obligation, pour les États parties, de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste, que ces conséquences aient lieu ou non dans les limites territoriales de l’État partie d’envoi.

4.10 L’État partie note que, d’après le Comité, la Convention n’a de portée extraterritoriale que lorsque les femmes que l’on entend expulser courent un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence sexiste. Il faut, en outre, que la conséquence nécessaire et prévisible de l'expulsion soit que les droits de ces personnes au titre de la Convention seront violés dans un autre pays. Cela signifie que les actes d’un État partie qui pouvent avoir un effet indirect, dans d’autres États, sur les droits que confère la Convention à une personne, ne sauraient engager la responsabilité dudit État partie (portée extraterritoriale de la Convention). Sauf dans des circonstances exceptionnelles, où la personne se trouve, par suite de son renvoi, exposée au risque d’être privée de son droit à la vie ou à ne pas être soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants. Ces droits sont protégés, notamment par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ses articles 6 et 7 et la Convention européenne des droits de l’homme en ses articles 2 et 3.

4.11 L’État partie estime que l’auteure n’a pas réussi à prouver qu’elle encourait un risque personnel, réel et prévisible de persécution, ni que son renvoi en Inde aurait pour conséquence nécessaire et prévisible la violation des droits qui lui reviennent en vertu de la Convention. L’évaluation de l’existence d’un risque réel doit nécessairement être rigoureuse et, de l’avis de l’État partie, il revient généralement à la personne qui invoque l’effet extraterritorial de la Convention et la protection qui en découle de fournir des informations et des documents prouvant qu’elle serait exposée à un risque réel de traitement contrevenant à la Convention si elle était renvoyée dans le pays considéré.

4.12 L’État partie fait valoir que les allégations de l’auteure concernant un possible risque de harcèlement ne sont nullement étayées par des indices convaincants. Pour étayer son argument, il note les rapports établis dans le cadre de la procédure de demande d’asile introduite dans les services danois de l’immigration indiquent que l’auteure a fait des déclarations vagues et incohérentes concernant la chronologie de sa relation avec M. R., le conflit avec sa famille, ainsi que le pouvoir et les relations politiques de celle-ci , et qu'elle s'est également contredite sur l'auteur et la nature des agressions dont elle et M. R. avaient été l'objet, l'endroit et le moment où celles-ci auraient eu lieu. Une partie des membres de la majorité de la Commission n’a pas pu accepter la déclaration de l’auteure concernant l’ampleur du conflit qui l’opposait aux deux familles. Ces membres ont souligné que la déclaration de l’auteure manquait de crédibilité et semblait avoir été montée de toutes pièces pour les besoins de la cause. A à cet égard, ils ont mentionné le fait que la déclaration était en partie incohérente et sans précisions, et que, devant la Commission, l’auteure n’avait pas été en mesure d’apporter des précisions concernant le conflit avec sa famille. Ils se sont également étonnés que l'auteure ait attendu 18 mois après que le conflit eut atteint son paroxysme pour quitter l’Inde, et qu’elle n’avait demandé l’asile au Danemark qu’après y avoir travaillé au pair pendant cinq mois. Ils en ont donc conclu que la déclaration de l’auteure devait être rejetée, faute de crédibilité.

4.13Malgré ces problèmes de crédibilité, l’autre partie de la majorité des membres de la Commission a accordé à l’auteure le bénéfice du doute et a accepté sa déclaration concernant le conflit familial. L’État partie fait observer que l’auteure ne peut néanmoins pas affirmer que cette partie de la majorité estimait qu’elle risquait d’être victime d’un crime "d’honneur" si elle retournait dans sa ville natale. Il ne semble pas, d’après les motifs de la décision rendue par la Commission, que cette partie de la majorité ait eu ce sentiment. En outre, l’auteure n’est nullement fondée à affirmer que la minorité de la Commission leur accorderait l’asile, à elle et à son compagnon, sur la base d’un risque de persécution de la part des familles et de la police indienne à leur retour. De fait, la raison pour laquelle la minorité de la Commission leur accorderait l’asile n’est pas mentionnée dans la décision.

4.14L’État partie ajoute que l’auteure n’est pas davantage fondée à affirmer que la décision finale de la Commission reposait sur le fait que ses cinq membres étaient convenus que le jeune couple (chrétien/hindou) violait les normes morales et les règles indiennes régissant les rapports homme-femme en entretenant une relation sans l’approbation de leur famille, de surcroît alors qu’ils étaient de confessions différentes. En conséquence, l’État partie conteste que l’exposé des faits établi par l’auteure dans la communication adressée au Comité le 6 août 2013 puisse être pris en considération, étant donné que, comme indiqué ci-dessus, l'auteure a fait plusieurs déclarations incohérentes au cours de la procédure de demande d’asile, en ce qui concerne notamment les circonstances et le moment des attaques perpétrées contre M. R., son arrestation présumée par la police, les tentatives de la famille visant à obliger l’auteure à épouser un autre homme et le rôle que ces événements ont joué dans sa décision de quitter l’Inde.

4.15La majorité des membres de la Commission a conclu que l’auteure pourrait s’installer dans une autre région de l’Inde. L'auteure, qui affirme que sa famille serait en mesure de la retrouver partout dans le pays, s’oppose à cette conclusion.

4.16L’État partie affirme que ces allégations ne concordent pas avec les renseignements dont il dispose. À cet égard, il renvoie au paragraphe 3.13.20 de la note d’orientation opérationnelle sur les conditions de réinstallation des femmes en Inde, publiée par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en mai 2013, dont il ressort que, pour certaines femmes indiennes, la réinstallation ne devrait pas être particulièrement éprouvante, à condition que l’intéressée soit célibataire, sans enfants à charge, en mesure d’accéder à un logement sûr et suffisamment éduquée pour pouvoir subvenir à ses besoins. Certaines femmes célibataires peuvent également emménager avec de la famille lointaine ou des amis vivant dans d’autres régions du pays. Toutefois, en l’absence de ces conditions, la réinstallation dans le pays d’origine est probablement trop éprouvante.

4.17L’État partie fait remarquer que l’auteure est une femme complètement indépendante et instruite qui a été scolarisée durant 12 ans et qui possède un diplôme dans le domaine des technologies de l’information. Elle a exercé un emploi rémunéré hors de son domicile comme réceptionniste dans un hôpital du Penjab, est partie seule en Europe et a travaillé au pair au Danemark pendant environ cinq mois. En outre, d’après sa déclaration aux autorités danoises, elle s’est toujours opposée à la volonté de sa famille de la voir cesser sa relation avec M. R. et d’épouser un autre homme.

4.18En ce qui concerne les conditions généralement appliquées pour une réinstallation en Inde, l’État partie se réfère également aux paragraphes 2.3.1 à 2.3.8 de la note d’orientation opérationnelle mentionnée ci-dessus, qui prévoit, entre autres, que la réinstallation dans le pays peut être pertinente dans le cas d’une persécution infligée par des agents de l’État ou par des particuliers, mais que, de manière générale, elle est probablement plus adaptée aux victimes de persécution infligée par des particuliers, dans une région donnée. En conséquence, l’État partie estime que, dans le cas de l’auteure, la réinstallation est une option raisonnable et acceptable.

4.19L’État partie fait valoir que l’auteure n’a apporté aucune preuve étayant l’allégation selon laquelle sa famille et celle de M. R. seraient en mesure de les retrouver, où qu’ils se trouvent en Inde, et qu'une possibilité d’agression purement théorique ne constitue pas, à son avis, un motif suffisant pour empêcher son renvoi. Aucune information nouvelle ou considération essentielle n’ayant été apportée au Comité depuis la première comparution de l’auteure devant la Commission, le 19 juillet 2013, l’État partie estime que les allégations de l’auteure concernant un possible risque de harcèlement ne sont pas suffisamment étayées.

4.20L’État partie fait valoir que les allégations de violations de la Convention dont l’auteure dit qu’elle serait victime si elle était renvoyée dans son pays sont confuses et insuffisamment motivées. L’auteure se réfère à plusieurs articles de la Convention, sans pour autant préciser en quoi ceux-ci pourraient être considérés comme pertinents en l’espèce. Elle affirme, par exemple, que son expulsion vers l’Inde constituerait une violation de l’article 12, qui traite de l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé, mais ne donne aucune explication supplémentaire. Selon l’État partie, le renvoi à cet article est dénué de toute pertinence en l’espèce.

4.21Pour ces différentes raisons, l’État partie estime que l’auteure n’a pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité de sa demande, que son expulsion vers l’Inde l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violences sexistes. Par ailleurs, les allégations de violations de la Convention dont l’auteure dit qu’elle serait victime si elle était renvoyée dans son pays sont confuses et insuffisamment motivées. Cette communication devrait par conséquent être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention, au motif qu’elle est manifestement mal fondée et insuffisamment motivée.

4.22L’État partie fait valoir que, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif, la présente communication est incompatible avec les dispositions de la Convention. Il fait également valoir que les obligations positives découlant du paragraphe d) de l’article 2 n’incluent pas l’obligation pour les États parties de s’abstenir d’expulser une personne qui risquerait de se voir infliger des tourments ou des souffrances par un particulier, sans le consentement exprès ou tacite de l’État concerné. Cette limitation a été établie, entre autres, par le Comité contre la torture dans sa décision V. X. N. et H. N. c. Suède. À l’appui de cette observation, l’État partie relève que l’auteure a déclaré, lors de son deuxième entretien avec le Service danois de l’immigration, le 4 mars 2013, qu’elle n’avait pris contact avec aucune autorité locale ou instance supérieure en Inde pour solliciter une protection. L’auteure a expliqué qu’elle n’avait pas pu s’adresser aux autorités car il lui était impossible de quitter la maison sans être surveillée par sa famille. Confrontée à sa déclaration selon laquelle elle avait pu quitter son domicile pour solliciter un permis de séjour au Danemark et rejoindre un ami, l’auteure a indiqué qu’elle n’aurait pas été en mesure de porter plainte devant des autorités supérieures car elle ne disposait pas de beaucoup d’argent.

4.23Enfin, l’État partie fait observer que l’Inde a signé et ratifié la Convention et qu'elle est par conséquent tenue d’en respecter les dispositions.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 décembre 2013, l’auteure a soutenu que la présente communication répondait pleinement aux critères de recevabilité au titre de la Convention. Aux termes de la Convention, l’État partie ne peut expulser les femmes exposées à un risque réel, personnel et prévisible de graves violences sexistes dans leur pays d’origine. Comme il ressort de la décision du Comité énoncée aux paragraphes 8.3 à 8.10 de la communication n° 33/2011, ainsi que de la Communication no 35/2011, la présente communication devrait également être jugée recevable.

5.2Toutefois, l’État partie semble avancer que l’auteure n’a pas prouvé l’existence de violences sexistes et que la communication n’est donc pas suffisamment motivée. L’auteure fait valoir qu’elle a pu établir la présomption de discrimination et de violence sexiste. Les répressions à l’encontre des femmes dans cette partie du monde (Inde et Pakistan) sont monnaie courante ; c’est plus particulièrement le cas ici en raison du choix de l’auteure concernant son mari.

5.3Le fait que les hommes ne subissent pas de restriction dans le choix d’une épouse, ou plutôt qu’ils ne soient pas punis pour leur choix, révèle une tendance à la discrimination à l’égard des femmes. Bien que la majorité de la Commission des recours des réfugiés de l’État partie n’appuie pas la conclusion selon laquelle l’auteure serait exposée au risque de crime "d’honneur" si elle retournait dans son pays, il semblerait que la Commission reconnaisse indirectement cette possibilité en suggérant comme solution alternative la "fuite intérieure" en Inde. La minorité des membres de la Commission a déclaré qu’elle acceptait la déclaration de l'auteure au sujet du conflit avec sa famille. Elle estimait néanmoins que celle-ci aurait la possibilité de s’installer ailleurs en Inde.

5.4L’auteure fait valoir que la solution de la fuite intérieure n’est pas viable, car elle doit se signaler à la police du lieu où elle choisirait de s’installer, et la police en informerait ses parents. Elle se demande dans quelle mesure les femmes devraient être obligées de chercher à se protéger du risque réel, personnel et prévisible de graves violences sexistes dans d’autres régions de leur pays d’origine, plutôt qu’à l’étranger.

5.5En ce qui concerne les arguments de l’État partie relatifs à l’article 12 de la Convention, l’auteure note que la santé des femmes est directement liée au problème de la violence sexiste. Cette remarque est également relevée dans le dernier rapport périodique présenté par l’État partie au Comité.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 13 février 2014, l’État partie a présenté de nouvelles observations. Il a fait valoir que l’auteure n’avait toujours pas prouvé l’existence d’un risque réel, personnel et prévisible de persécution si elle était renvoyée dans son pays d’origine. En ce qui concerne les commentaires de l’auteure sur la décision de la Commission, l’État partie a indiqué qu’une partie de la majorité avait accepté les déclarations de l’auteure quant au conflit avec sa famille, mais que la Commission n’avait exposé aucun motif pour lequel l’auteure pourrait bénéficier d’une protection. Il était donc impossible de déterminer si la Commission accordait une quelconque importance au risque allégué de crime "d’honneur".

6.2L’État partie réaffirme donc sa position selon laquelle la communication devrait être jugée irrecevable car elle est manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée, d’autant plus que l’auteure n’a pas pu étayer l’argument selon lequel les autorités nationales ne seraient pas en mesure d’écarter les risques allégués et d’y remédier de manière appropriée. Même si la Commission jugeait la communication recevable, l’État partie soutient, conformément à ses observations précédentes, que l’auteure n’a pas établi assez clairement que ses droits au titre de la Convention seraient violés si elle était renvoyée dans son pays.

Observations supplémentaires de l’auteure

7.1Le 9 novembre 2014, l’auteur indique qu’en février 2014, le couple avait reçu, du maire de la ville où il vivait, l'autorisation de se marier au Danemark, ce qui, selon elle, accroît le risque de violence sexiste si elle retourne en Inde. Elle ajoute que, le 27 juillet 2014, elle avait donné naissance à un petit garçon, ce qui a aggravé la situation, car elle est maintenant la mère d’un enfant dont le père est d’une religion différente : sa famille s’attaquerait donc aussi à l’enfant. Cette naissance appelle des représailles de la part de sa famille.

7.2L’auteure fait en outre valoir que la situation générale concernant la violence sexiste ne s’améliore pas en Inde. Le 9 octobre 2014, le journal The Times of India a rapporté que le système des « devadasi » existait toujours. Les relations entre les castes supérieures et inférieures n’étaient toujours pas autorisées et pouvaient même se solder par un meurtre. Des articles de The Times of India du 30 avril et du 20 juillet 2014 ont rapporté des incidents de ce type. Par conséquent, l’auteure soutient que le risque de violence familiale serait très réel pour elle si elle retournait en Inde.

7.3L’auteure fait également valoir que les membres de la Commission étaient en désaccord quant à leur décision. La minorité a décidé que l’auteure avait besoin de protection et ne devait pas être renvoyée en Inde, alors qu’une partie de la majorité a accepté les arguments de l’auteure, mais a estimé qu’elle pouvait s’installer ailleurs en Inde. L’État partie rejette ces faits et considère que le conflit est de nature privée. L’auteure affirme qu’elle a déjà prouvé la réalité du risque auquel elle s’exposait en retournant en Inde.

7.4L’auteure réaffirme que, selon la loi indienne, elle doit se signaler à la police si elle décide de déménager dans une autre ville. Elle y sera inscrite, et ses parents pourront donc découvrir où elle vit. Elle déclare que l’État partie devrait prendre le principe de non-refoulement au sérieux dans les affaires qui concernent des femmes craignant des violences sexistes.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

8.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit se prononcer sur la recevabilité de la communication au sens des dispositions du Protocole facultatif.

8.2Le Comité prend note des affirmations de l'auteure selon lesquelles son expulsion vers l’Inde constituerait une violation par le Danemark des articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication doit être jugée irrecevable au motif qu'elle est manifestement mal fondée, non étayée, et incompatible avec les dispositions de la Convention. Le Comité note en outre l'invocation, par l’État partie, de sa jurisprudence selon laquelle la Convention ne peut avoir un effet extraterritorial que dans le cas où la femme, si elle était renvoyée dans son pays, courrait un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste.

8.3La première question que doit examiner le Comité est donc celle de savoir s’il a compétence au regard de la Convention pour examiner la présente communication, qui a pour objet l’expulsion de l’auteure du Danemark à destination de l’Inde, où elle affirme qu’elle serait exposée à un risque de violence sexiste, traitement interdit par la Convention. Le Comité doit déterminer si, en cas d’expulsion de l’auteure vers l’Inde, la responsabilité de l’État partie serait engagée au regard de la Convention quant aux conséquences de cette expulsion, même si ces conséquences se produisaient hors de son territoire.

8.4Le Comité rappelle avoir souligné, au paragraphe 12 de sa recommandation générale n° 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties au titre de l’article 2 de la Convention, que les obligations des États parties s’appliquaient sans discrimination aux citoyens et aux non-citoyens, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile, les travailleurs migrants et les apatrides, qui se trouvent sur leur territoire ou qui, sans y être, sont placés sous leur juridiction effective. Le Comité a indiqué que les États parties étaient responsables de tous leurs actes ayant une incidence sur les droits de l’homme, que les personnes touchées soient ou non présentes sur leur territoire.

8.5Le Comité rappelle que la discrimination à l’égard des femmes est définie à l’article premier de la Convention comme toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. Il rappelle en outre sa recommandation générale no 19, par laquelle il a clairement précisé que la violence à l’égard des femmes faisait partie de la discrimination à leur égard en ce sens que la violence fondée sexiste était une forme de discrimination et englobait les actes qui infligeaient des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou d’autres privations de liberté. Le Comité rappelle enfin qu’il a également déterminé que de telles violences fondées sur le sexe compromettaient ou détruisait la jouissance par les femmes d’un certain nombre de leurs droits et libertés fondamentales, dont le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté de la personne et le droit à l’égalité de protection de la loi.

8.6Le Comité note en outre qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement impose aux États l’obligation de ne pas renvoyer une personne vers un pays dans lequel elle risque d’être soumise à des violations graves des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le principe de non-refoulement constitue aussi une composante essentielle du droit d’asile et de la protection internationale des réfugiés. En substance, ce principe signifie qu’un État ne peut obliger une personne à regagner un territoire où elle risque d’être exposée à la persécution, y compris à des formes et des motifs de persécution liés au sexe. Les formes de persécution liées au sexe sont celles qui sont dirigées contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui affectent les femmes de manière disproportionnée.

8.7Le Comité rappelle qu’aux termes de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention relative au statut des réfugiés (« Convention sur les réfugiés »), les États parties s’engagent à s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et à faire en sorte que les autorités et les institutions publiques se conforment à cette obligation. Cette obligation positive inclut l’obligation, pour les États parties, de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste, indépendamment du fait que de telles conséquences puissent avoir lieu ou non dans les limites territoriales de l’État partie d’envoi. Si un État partie prend, en ce qui concerne une personne qui se trouve sur son territoire, une décision dont la conséquence nécessaire et prévisible est la violation, dans un autre pays, des droits que cette personne tient de la Convention, cet Etat partie peut ainsi être coupable de violation de la Convention sur les réfugiés. Par exemple, un État partie serait coupable de violation de la Convention s’il renvoyait une personne dans un autre État dans des circonstances où il est prévisible qu’elle sera soumise à des formes graves de violence sexiste. En raison de cette prévisibilité, il y aurait dès ce moment violation de la part de l’État partie, même si la conséquence ne se produisait qu’ultérieurement. La question de savoir quels actes constituent des formes graves de violence sexiste dépendra des circonstances de l’espèce et devra être tranchée au cas par cas par le Comité au stade de l’examen au fond, à condition que l’auteure ait démontré devant le Comité le bien-fondé à première vue de ses allégations en les étayant suffisamment.

8.8Le Comité prend note des déclarations de l’auteure qui dit craindre des actes de violence sexiste de la part de membres de sa propre famille si elle devait être renvoyée en Inde et qui affirme que les autorités indiennes ne la protégeraient pas contre de tels actes. Il relève également que les autorités de l’État partie ont rejeté l’affirmation de l’auteure selon laquelle les autorités indiennes ne seraient pas disposées à la mettre à l’abri des agressions de sa famille ou ne pourraient pas le faire, dans la mesure où elle admet n’avoir jamais porté plainte auprès des autorités ou tenté d’obtenir une quelconque protection en Inde. Il constate que, tout en contestant les conclusions factuelles des autorités d’asile de l’État partie, l’auteure n’a jamais tenté de demander la protection des autorités indiennes et n’a pas apporté le moindre commencement de preuve quant à la question de savoir si ces autorités auraient été ou non capables ou désireuses de la protéger des exactions que pourraient lui faire subir des membres de sa famille. Le Comité note en outre que l’auteure n’a jamais porté plainte auprès de la police quant aux agressions qu’elle aurait subies aux mains de membres de sa famille.

8.9Le Comité relève de surcroît l’argument de l’auteure selon lequel elle risquerait d’être victime d’un crime « d’honneur » si elle retournait en Inde. Prenant note de l’argument de l’État partie en faveur de la réinstallation de l’auteure dans une autre région de l’Inde, le Comité constate également que Mme V. n’a fourni aucun détail concernant les menaces de mort qu’elle aurait reçues de sa famille. Bien que le Comité ait noté, dans ses observations finales concernant le rapport unique valant quatrièmes et cinquièmes rapports périodiques de l’Inde, la persistance de pratiques traditionnelles néfastes, l’auteure n’a pas pu montrer en quoi elle serait personnellement visée par de telles actions, notamment de la part de membres de sa famille. Dans ces conditions et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé, aux fins de recevabilité, son affirmation selon laquelle son renvoi du Danemark en Inde l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible d’être soumise à une forme grave de violence sexiste. Le Comité note qu’en application du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, il est tenu de déclarer une communication irrecevable lorsqu’elle n'est pas suffisamment motivée. En conséquence, le Comité conclut que la présente communication est irrecevable aux termes du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité décide :

a) Que la communication est irrecevable aux termes du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.