Nations Unies

CAT/C/57/D/583/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 juin 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 583/2014*, **

Communication p résentée par :

A. (représenté par un conseil, Raj S. Bhambi)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la requête :

16 décembre 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 mai 2016

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Questions de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes − plainte manifestement infondée

Questions de fond :

Non refoulement ; statut de réfugié ; torture

Article(s) de la Convention :

3 et 22 (par. 5 b))

1.1Le requérant est A., de nationalité indienne, né le 5 janvier 1988, qui, au moment où la présente communication a été soumise, faisait l’objet d’un ordre d’expulsion vers l’Inde. Il affirme que son expulsion vers l’Inde constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par le Canada.

1.2En vertu du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie, le 17 janvier 2014, de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant que sa requête serait à l’examen. Le 12 août 2014, le Comité a accédé à la demande de l’État partie visant à ce que les mesures provisoires soient levées. Le 23 avril 2015, l’État partie a informé le Comité que le requérant avait été renvoyé à New Delhi le 23 mars 2015.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est de confession sikhe ; il est né à Jalandhar, au Penjab (Inde). Il a travaillé dans la pharmacie familiale de Phagwara. Il a été pris pour cible par les autorités locales parce qu’il avait un cousin, M. qui était accusé d’aider des militants.

2.2Le 3 novembre 2008, la police est entrée au domicile du requérant, où M. séjournait, a perquisitionné les lieux et les a arrêtés tous les deux. Elle a accusé le requérant d’aider des militants et l’a placé en détention pendant quatre jours. Au cours de cette période, le requérant a dû se déshabiller complétement. Les policiers l’ont fouetté avec des ceintures de cuir et frappé à coups de bâton sur le bas du dos et la plante des pieds. Ses jambes ont été écartées et un policier lui a donné des coups sur le sexe. Il a perdu connaissance à la suite de ces mauvais traitements. Le 7 novembre 2008, il a été libéré après que sa famille a payé un pot-de-vin considérable et obtenu l’intervention de responsables locaux. Le requérant a dû être traité à l’hôpital pour les blessures qu’il avait subies.

2.3En juillet 2009, la police s’est de nouveau présentée au domicile du requérant pour l’arrêter, mais celui-ci était absent. Craignant pour sa vie, il a quitté son village et est parti vivre avec des membres de sa famille, d’abord dans le village de Nadha Sahib, dans le district d’Ambala, puis à Chandigarh.

2.4Le 8 décembre 2009, le requérant a été arrêté à Chandigarh et passé à tabac par des policiers. Il a ensuite été ramené à Phagwara, où il a été torturé par des agents de la police. Les policiers l’ont accusé d’avoir aidé des militants et d’avoir projeté avec M. d’assassiner des dirigeants non précisés. Le requérant a été relâché le 10 décembre 2009, après que sa famille a payé un autre pot-de-vin considérable et obtenu l’intervention de personnes influentes. On lui a demandé de donner plus de renseignements sur M. et il a été prié de ne pas s’éloigner de Phagwara sans avertir la police. La police l’a menacé et lui a donné l’instruction particulière de livrer son cousin dans les deux mois qui suivaient et de donner des renseignements sur des militants non précisés. S’il ne s’exécutait pas, il serait tué. Il a de nouveau dû subir un traitement à l’hôpital et s’est aperçu que la police avait été capable de retrouver sa trace à Chandigarh en enregistrant les conversations téléphoniques du domicile de sa famille. Craignant pour sa vie, il a quitté l’Inde et est arrivé au Canada avec un visa d’étudiant le 18 janvier 2010.

2.5Le requérant affirme qu’il a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. Le 20 décembre 2011, il a présenté une demande de statut de réfugié au Canada. En juin 2013, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dont fait partie la Section de la protection des réfugiés, a rejeté sa demande. Il a ensuite déposé une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision de la Commission par la Cour fédérale du Canada. Cette demande a été rejetée le 18 octobre 2013. Le requérant fait valoir qu’il ne peut soumettre une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) parce que les personnes dont la demande de statut de réfugié a été rejetée doivent attendre au moins un an avant de pouvoir présenter une telle demande. Le requérant a fait l’objet d’un ordre d’expulsion et, le 13 janvier 2004, il a été placé en rétention dans un centre des services de l’immigration à Montréal. Il a été libéré sous caution le 15 janvier 2014.

2.6Le requérant a été averti à diverses reprises par des membres de sa famille et des proches de son village en Inde que, pour sa propre protection, il ne devrait pas revenir en Inde. La police et les forces de sécurité indienne le recherchent activement, et ont harcelé et menacé ses parents depuis qu’il a quitté le pays. Les agents de la police se sont rendus au domicile familial et ont torturé mentalement et physiquement des membres de sa famille pour obtenir des renseignements sur le lieu où il se trouvait. La police a emmené des membres de sa famille au poste de police à plusieurs reprises et a interrogé ses parents dans ce but. Ceux-ci ont pu s’échapper parce qu’ils connaissaient une personne influente et respectable qui a payé un pot-de-vin considérable.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que l’État partie violerait les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention en le renvoyant de force en Inde, où il risquerait d’être soumis à des actes de torture et à des mauvais traitements en raison de ses liens supposés avec le terrorisme sikh au Penjab. Il a été arrêté par deux fois et soumis à des actes brutaux de torture commis par des agents des forces de police indienne, qui continuent de le chercher activement, et de harceler et de torturer des membres de sa famille. Les autorités nationales de l’État partie se sont trompées dans leur évaluation du risque qu’il courait en Inde. Le requérant affirme que, selon des informations dignes de foi, l’Inde connaît de graves violations des droits de l’homme, telles que des exactions commises par la police, des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des lettres du 5 juin 2014, du 11 juillet 2014 et du 8 juillet 2015, l’État partie souligne que le requérant est arrivé au Canada avec un visa d’étudiant et qu’il n’a présenté de demande de statut de réfugié au Canada qu’après avoir terminé ses études de gestion et technologie des soins de santé, deux ans après son arrivée. Ce fait indique un manque de crainte subjective de retourner en Inde.

4.2L’État partie indique que la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le requérant a été rejetée et que sa demande d’autorisation d’examen judiciaire de la décision négative concernant l’examen des risques a aussi été rejetée. L’État partie considère néanmoins que le requérant n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas soumis de demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

4.3L’État partie considère aussi que la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement. Le requérant n’a aucunement démontré au Comité ou aux autorités canadiennes qu’il était considéré comme un militant important ou soupçonné de terrorisme, et n’a donc aucunement établi la perspective d’un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Inde. Les déterminations de la Section de la protection des réfugiés et des responsables de l’examen des risques avant renvoi sont fondées sur un examen complet et impartial des allégations du requérant et de la situation en Inde, décrites dans des rapports objectifs. La Section de la protection des réfugiés a rejeté les allégations du requérant au motif qu’elles n’étaient pas crédibles. La Section a estimé que le requérant ne donnait pas une explication raisonnable quant à la question de savoir pourquoi il n’avait pas quitté Phagwara immédiatement après avoir été torturé par la police pendant quatre jours et avoir échappé à la mort. À la question de savoir pourquoi il n’était parti qu’en juin 2009, il a répondu que ses parents avaient estimé que la situation s’était aggravée en 2009. La Section a renvoyé à un arrêt de la Cour fédérale du Canada, dans lequel celle-ci avait conclu que la Section pouvait tirer des conclusions défavorables concernant la crainte subjective lorsqu’une personne alléguant la peur d’être persécutée par des agents locaux demeurait au même endroit. La Section a estimé que si la police avait, comme il l’avait prétendu, envoyé 12 policiers à des centaines de kilomètres pour arrêter le requérant à Chandigarh, le ramener au Penjab sous escorte policière et l’accuser de tentative de meurtre d’un dirigeant important, il n’était ni logique ni plausible qu’il soit libéré deux jours plus tard et puisse conserver son passeport. Il n’était pas logique non plus que 12 policiers aient localisé le requérant, alors que celui-ci était régulièrement déplacé par son agent (qui ne dévoilait pas sa véritable identité aux logeurs), que le requérant vivait caché et ne sortait pas, et qu’il ne connaissait pas les adresses des lieux où il était emmené. La Section a estimé que la seule explication donnée par le requérant, à savoir que le téléphone de ses parents avait été mis sur écoute, était insatisfaisante, parce qu’il n’y avait pas de preuve digne de foi que la police du Penjab avait les moyens ou les ressources de mener les actions qu’il avait décrites.

4.4La Section a aussi noté que le requérant n’avait eu aucune difficulté à quitter l’Inde avec un passeport valable et un visa canadien pour étudiants, alors qu’il disait être soupçonné par la police d’un projet d’assassinat d’un dirigeant. La Section a renvoyé à un arrêt dans lequel la Cour fédérale du Canada avait estimé que le fait qu’un demandeur de la protection accordée aux réfugiés soit capable de quitter son pays en utilisant un passeport légal sans aucune preuve que des fonctionnaires avaient été soudoyés pour autoriser son départ était un facteur qui indiquait que l’intéressé n’était pas recherché par les autorités. Au cours de son audition par la Section, le requérant était représenté par un conseil, il avait eu accès à l’aide d’un interprète accrédité, avait aussi pu témoigner de vive voix et répondre aux questions qui lui étaient posées. Les actes posés par le requérant illustrent une absence totale de crainte subjective et, au contraire, comme l’a noté la Section, les préparatifs qu’il avait faits pendant trois ans témoignent de son intention d’étudier à l’étranger, intention qu’il a concrétisée au Canada. Le requérant a pris des cours d’anglais en 2009 et présenté une demande de visa d’étudiant au Canada après s’être inscrit à des cours de gestion et de technologie des soins de santé dans une université canadienne.

4.5Le requérant n’a pas étayé ses allégations concernant les actes de torture qu’il aurait subis. Il n’a pas montré le moindre document de cette époque, ni un quelconque document officiel qui corroborerait son récit selon lequel il aurait été placé en détention par la police locale. Il n’a pas non plus donné de preuve crédible remontant à cette époque à l’appui de ses allégations de torture. Il se repose sur une attestation sous serment de S. qui ne porte pas à croire que S. avait une connaissance personnelle des faits de torture allégués. Les affirmations contenues dans l’attestation sous serment sont également vagues. S. n’indique pas comment il a appris l’information qui figure dans son attestation, il ne renvoie à aucune date lorsqu’il affirme que le requérant a été torturé et il est vague quant au nombre de circonstances dans lesquelles il pense que ces actes de torture ont été commis. Il ne donne aucun détail précis concernant les événements. Qui plus est, l’attestation sous serment ne date pas de l’époque des faits, mais du 28 février 2013, soit plus de trois ans après que le requérant aurait eu maille à partir avec la police. Cette attestation sous serment a donc peu de valeur probante. La lettre du médecin soumise par le requérant a été établie plus d’un an et demi après les derniers incidents avec la police. Il ne s’agit pas d’un rapport médical établi au moment-même, ni d’une attestation sous serment notariée. La description des blessures présentée par le requérant est très générale et la conclusion selon laquelle des blessures aussi communes que celles-là seraient attribuables à un passage à tabac par la police n’est pas motivée. La lettre n’indique pas non plus que le requérant a été soumis à des actes de torture et rien ne pousse à conclure de la sorte. Ce document a également une valeur probante faible.

4.6Même si ses griefs selon lesquels il a été torturé par le passé sont acceptés en tant que preuve, le requérant n’a pas donné de preuve suffisante pour étayer un risque personnel de subir de la torture s’il retourne en Inde. Le requérant a quitté le Penjab il y a plusieurs années ; il n’a pas indiqué qu’il était un militant sikh de haut niveau ; il ne dit même pas qu’il est lié avec des militants sikhs ou qu’il en connaît. En fait, à aucun moment il n’a affirmé que la police indienne pensait qu’il était personnellement engagé actuellement dans des activités militantes. Sur la base de ces faits, il paraît hautement improbable que le moindre risque qui ait jamais pu exister pour lui dans l’Inde du Nord existe encore s’il y était renvoyé.

4.7De plus, d’après les renseignements objectifs concernant la situation actuelle des Sikhs en Inde, le requérant a une autre possibilité de réinstallation interne viable. Il ressort de ces renseignements qu’il n’y a pas de risque général de mauvais traitements au retour en Inde, fondé uniquement sur la base de son opinion politique réelle ou perçue. Étant donné le profil personnel du requérant, établi à partir des allégations qu’il a formulées lui‑même dans la présente communication au sujet de ses difficultés avec la police locale du Penjab, il est peu probable que l’intéressé fasse l’objet de poursuites en dehors de la région du Penjab s’il retourne en Inde. L’Inde est une république laïque dans laquelle les citoyens ne sont pas tenus d’enregistrer leur confession. Les Sikhs peuvent pratiquer leur religion sans restriction dans tout État de l’Inde. Il est certes vrai que la majorité des Sikhs vivent au Penjab, mais il existe des minorités sikhes considérables dans d’autres États. Les communautés sikhes, présentes dans l’ensemble du pays, sont florissantes et de nombreuses personnes de confession sikhe occupent des postes officiels importants. De 2004 à 2014, l’Inde a eu un Premier Ministre sikh. Le chef de l’état-major indien est un Sikh. Les rapports sur le pays montrent clairement que seuls les militants sikhs de tout premier rang courent le risque d’être arrêtés ou d’être poursuivis en dehors du Penjab. Ce risque concerne les personnes qui, au contraire du requérant, sont soit perçues comme des dirigeants d’un groupe militant soit soupçonnées d’avoir commis un attentat terroriste. Un particulier ne peut normalement être considéré comme un militant de premier rang simplement parce qu’il a des opinions politiques tranchées, qu’il est actif politiquement, ou qu’on pense qu’un membre de sa famille est un militant en vue. Il ressort plutôt des rapports sur le pays que la police du Penjab fabrique de toute pièce des accusations en utilisant l’alibi de l’élimination de menaces politiques ou autres, pour soutirer des pots‑de‑vin. Selon les rapports sur l’Inde, on peut raisonnablement conclure que lorsque la crainte d’un particulier est inspirée par les mauvais traitements que peut infliger la police locale mais que l’intéressé ne présente aucun intérêt pour les autorités centrales indiennes, le déménagement dans une autre partie du pays est une option possible pour parer au risque allégué d’éventuels préjudices futurs. De plus, il n’existe pas de risque général de mauvais traitements des Sikhs en Inde. Ceux-ci sont libres de circuler dans tous les États du pays et ne se heurtent pas à des difficultés légales ou procédurales lorsqu’ils souhaitent se réinstaller ailleurs dans le pays. En dehors du Penjab, les Sikhs peuvent pratiquer leur religion et ont accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement ; ils ne font pas l’objet d’une suspicion particulière, et ne sont pas harcelés par la police locale au simple motif de leur religion ou de leur origine régionale. Rien ne porte à croire que le requérant ne pourrait pas vivre sans difficulté en Inde, ailleurs qu’au Penjab. L’État partie note que le Comité a estimé dans certaines affaires qu’un individu ayant un profil de militant sikh en vue peut être incapable de se réinstaller dans un autre État indien ; il considère néanmoins qu’il est clair, à la lumière de la situation actuelle du pays, et après une lecture attentive de la présente communication et des décisions des autorités canadiennes, que rien ne porte à croire que les autorités centrales indiennes seraient d’une manière quelconque intéressées par le requérant.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 août et le 16 décembre 2014, le requérant a fait connaître ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il y rappelle ses griefs concernant le risque de préjudice. Il répète qu’il a établi tout le bien‑fondé, en première analyse, de sa communication selon laquelle il a été l’objet d’actes de torture par le passé et qu’il court un risque considérable d’être torturé s’il rentre en Inde. La décision de rejeter sa demande d’asile était arbitraire et injuste, parce qu’elle ne tenait pas compte des preuves qu’il avait soumises.

5.2Le requérant fait valoir qu’il ne serait pas en sécurité en Inde, parce que le Premier Ministre a trempé dans l’assassinat de milliers de musulmans dans le Gujarat en 2002 et que le chef du parti Bharatiya Janata au pouvoir fait l’objet de poursuites pour avoir tué de nombreux musulmans innocents en Inde. Il y a un « schéma systématique de surveillance et de contrôle » de ceux qui arrivent en Inde, spécialement s’ils parlent le punjabi, ou qu’ils sont sikhs ou punjabis. Il cite le rapport de 2013 du Département d’État des États-Unis dans lequel il est dit que : « Selon certaines informations, le Gouvernement et ses agents ont commis des exécutions arbitraires ou illégales, y compris des exécutions extrajudiciaires d’individus soupçonnés d’infractions ou d’insurgés. ». Le requérant affirme que les Sikhs d’Inde sont « forcés de vivre sous la menace constante » d’être soumis à des actes de torture par des agents publics. Il est donc « extrêmement difficile, si pas impossible » pour le requérant et sa famille de trouver refuge où que ce soit en Inde. En ce qui concerne les voies de recours internes, le requérant affirme qu’il n’y a pas d’autre voie de recours efficace disponible pour lui.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que lesdites voies de recours ont dépassé les délais raisonnables ou qu’il est improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité note l’observation de l’État partie qui fait observer que le requérant n’a pas déposé de demande de statut de résident permanent pour des motifs humanitaires. Le Comité rappelle sa jurisprudence concernant la nature discrétionnaire et non judiciaire de ce recours, et considère que le non-épuisement de ce recours ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication.

6.3Le Comité rappelle aussi que pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum de preuves requis aux fins de la recevabilité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est manifestement mal fondée faute d’être suffisamment étayée. Il considère néanmoins que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes au titre de l’article 3 de la Convention, et qu’ils devraient être examinés au fond. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les Parties.

7.2Concernant le grief tiré par le requérant de l’article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture en cas de retour en Inde. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne peut être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997), concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 (roulement et communications), aux termes de laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est « hautement probable », le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court « personnellement un risque réel et prévisible ». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concernés, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Pour évaluer le risque de torture en l’espèce, le Comité note l’affirmation du requérant selon laquelle il court personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé et, peut-être, tué s’il est renvoyé en Inde parce que les autorités du Penjab le soupçonnent d’aider des militants et de vouloir, avec son cousin M., assassiner des dirigeants. Le Comité note que le requérant n’a pas donné des renseignements suffisamment détaillés pour étayer ses griefs. Par exemple, il n’a pas indiqué les activités spécifiques dont la police le soupçonnait, ni les personnes avec qui il était soupçonné de collaborer pour mener de telles activités. Le Comité note aussi l’observation de l’État partie selon laquelle ses autorités nationales ont jugé que le requérant n’était pas digne de foi parce que, entre autres, il s’est préparé pendant trois ans à quitter l’Inde et que ses actes témoignaient de son intention de poursuivre des études au Canada ; il a obtenu un passeport en 2008, suivi des cours d’anglais en 2009 ; il a demandé un visa d’étudiant au Canada après s’être inscrit à un programme de formation en gestion et technologie des soins de santé ; il n’a jamais prétendu avoir été inscrit dans un parti politique ou avoir participé à des activités militantes et il n’a eu aucune difficulté à quitter l’Inde avec un passeport valable et un visa canadien en tant qu’étudiant, alors que, selon ses dires, il était soupçonné par la police d’être impliqué dans une tentative d’assassinat d’un dirigeant.

7.5Le Comité prend note des documents que le requérant a produits pour étayer ses griefs selon lesquels il avait été soumis à de la torture. Néanmoins, il note que les autorités compétentes de l’État partie avaient évalué attentivement les preuves présentées par le requérant et estimé qu’elles étaient d’une valeur probante limitée en raison de leur contenu et de leur date. De plus, le Comité observe que le requérant n’a présenté aucune preuve documentaire selon laquelle il y avait des procédures pénales engagées contre lui ou que les autorités indiennes avaient émis un mandat d’arrêt le concernant. Le Comité considère que les autorités de l’État partie ont dûment examiné les aspects fondamentaux des griefs du requérant avant de tirer une conclusion négative quant à sa crédibilité. Le Comité n’attribue donc pas de poids matériel à l’affirmation du requérant selon laquelle même s’il a quitté l’Inde en janvier 2010, les autorités du Penjab continuent de harceler et d’interroger des membres de sa famille pour savoir où il se trouve. Le Comité rappelle le paragraphe 5 de son observation générale no 1, dans lequel il indique que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, et il considère que le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.

8.Compte tenu des considérations qui précèdent, et sur la base de toutes les informations soumises par les parties, le Comité considère que le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure que le renvoi forcé en Inde lui ferait courir un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut en conséquence que le renvoi du requérant en Inde ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.