Nations Unies

CAT/C/57/D/605/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

13 juin 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention concernant la communication no 605/2014 * , **

Communication présentée par :

G.R. (représenté par un conseil, M. John Phillip Sweeney)

Au nom de :

G. R

État partie :

Australie

Date de la requête :

23 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

13 mai 2016

Objet :

Renvoi forcé d’une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture

Questions de procédure :

Degré de justification des griefs ; irrecevabilité ratione materiae ; incompatibilité avec la Convention

Questions de fond :

Risque pour le requérant d’être soumis à la torture en cas de renvoi forcé à Sri Lanka

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est G. R., de nationalité sri-lankaise, né le 2 octobre 1991. Il a demandé l’asile en Australie, mais sa demande a été rejetée et il attend d’être renvoyé à Sri Lanka. Il affirme que s’il est renvoyé, il risque d’être soumis à des actes de torture et de harcèlement et à des interrogatoires de la part du Département des enquêtes criminelles, des forces armées sri-lankaises ou de groupes paramilitaires qui y sont liés, car il est soupçonné d’appartenir aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et de les soutenir. Son renvoi constituerait dès lors une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le requérant a demandé des mesures provisoires visant à suspendre son renvoi imminent vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. L’Australie a reconnu la compétence du Comité contre la torture, conformément à l’article 22 de la Convention, le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil, M. John Phillip Sweeney (Edmund Rice Centre).

1.2Le 27 mai 2014, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur (voir CAT/C/3/Rev.6), le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a fait droit à la demande de mesures provisoires de protection et a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen ; cette demande pouvait être réexaminée au vu des informations et observations présentées par l’État partie et des commentaires ultérieurs du requérant. Le 16 avril 2015, l’État partie a demandé au Comité de retirer la demande de mesures provisoires. Tout en réaffirmant qu’il étudiait chaque demande de mesures provisoires de bonne foi sur le fond, selon une procédure interne très complète, l’État partie faisait valoir qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le requérant courrait un risque réel de préjudice irréparable s’il était renvoyé à Sri Lanka, et que, d’après son analyse, la demande de mesures provisoires n’était pas justifiée. Le 1er mai 2015, le Comité a décidé de maintenir la demande de mesures provisoires de protection. Le 29 mai 2015, le requérant a fait savoir qu’il avait été placé le jour même dans un centre de rétention pour immigrants avant son renvoi à Sri Lanka. Le 29 mai 2015, l’État partie a une nouvelle fois demandé au Comité de retirer la demande de mesures provisoires. Le 18 août 2015, le Comité a décidé de renouveler sa demande de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, d’origine ethnique tamoule et singhalaise, est né à Trincomalee et a également vécu à Jaffna (province du nord de Sri Lanka). En 2005, un de ses oncles a été tué par les forces armées sri-lankaises parce qu’il était soupçonné d’entretenir des liens avec les LTTE. En 2006, un autre de ses oncles a été tué par le groupe paramilitaire Karuna, après avoir été soupçonné d’entreposer des armes pour le compte des LTTE. Le groupe Karuna a ultérieurement interrogé le requérant au sujet de son oncle et de son engagement auprès des LTTE. En 2008, un troisième oncle du requérant a été tué par les forces armées sri-lankaises, ou par le groupe Karuna, parce qu’il était soupçonné d’être un ancien membre et/ou sympathisant des LTTE. Plus tard, le requérant a été arrêté et interrogé. Il aurait été passé à tabac et menacé de mort s’il ne livrait pas aux inconnus qui l’interrogeaient des informations au sujet de son cousin. Il a dit qu’il ne savait absolument pas où ce dernier se trouvait.

2.2Le 28 juin 2012, le requérant est arrivé en Australie par bateau en provenance de Sri Lanka. Il a été placé en rétention dès son arrivée. Le 16 octobre 2012, le Ministre de l’immigration de l’époque est intervenu en sa faveur en application de l’article 195A de la loi de 1958 relative aux migrations, qui permet au Ministre de remettre en liberté une personne placée en rétention et de lui accorder un visa temporaire (général) dans l’attente de l’examen de sa demande de visa de protection par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Le requérant s’est vu délivrer depuis de nouveaux visas d’attente. Le 12 novembre 2012, il a déposé une demande de visa de protection auprès du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, qui l’a rejetée le 18 février 2013 au motif que le requérant n’était pas considéré comme un réfugié auquel l’État partie devait protection. Le requérant a fait appel de cette décision devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui a confirmé la décision le 7 juin 2013.

2.3Le 23 octobre 2013, le requérant a sollicité un contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés par le Tribunal de circuit (Circuit Court) fédéral d’Australie, qui a rejeté sa demande le 17 décembre 2013. Le 30 janvier 2014, le requérant a soumis au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières une demande d’intervention ministérielle au titre de la loi de 1958 relative aux migrations, qui permet au Ministre d’accorder un visa à un demandeur débouté s’il est dans l’intérêt général de le faire. Toutefois, la demande d’intervention ministérielle du requérant a été rejetée le 26 mars 2014. Cette décision n’était pas susceptible d’appel.

2.4Après que le requérant eut quitté Sri Lanka pour l’Australie, les autorités se sont rendues chez sa tante, avec qui il avait vécu, et l’ont interrogée à son sujet. Le requérant dit être membre du groupe Facebook « Cool Tamils », dont le site est utilisé par des membres en vue des LTTE pour publier régulièrement des messages saluant les activités menées par les LTTE et tenter de mobiliser des soutiens contre le Gouvernement sri‑lankais. Il ne prétend pas pour autant être engagé auprès des LTTE. Il a quitté Sri Lanka parce qu’il savait qu’il ne pourrait pas obtenir la moindre protection de la part des autorités, et il affirme d’ailleurs que, de manière générale, les Tamouls ne bénéficient d’aucune protection à Sri Lanka.

2.5Le requérant dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles en Australie. Selon lui, il ne devrait pas être tenu de tenter de se pourvoir devant des juridictions supérieures australiennes car de telles démarches mettraient du temps à aboutir. Le requérant assure en outre que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en le renvoyant à Sri Lanka contre son gré, l’État partie violerait les droits qu’il tient des articles 1er et 3 de la Convention. Il fait valoir qu’il court un risque réel d’être torturé et de se voir infliger des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à Sri Lanka, notamment par le Département des enquêtes criminelles, les forces armées sri-lankaises ou les groupes paramilitaires qui y sont liés, car il est soupçonné d’appartenir aux LTTE et de les soutenir. Sa crainte d’être soupçonné de liens avec les LTTE est fondée sur son identité de jeune Tamoul ayant passé une grande partie de sa vie dans le nord-est de Sri Lanka.

3.2Il redoute en particulier d’être persécuté, harcelé ou enlevé s’il est renvoyé dans le nord-est de Sri Lanka car des membres de sa famille ont été tués en raison de leurs liens supposés avec les LTTE. Le requérant a lui-même été interrogé par « les gens des fourgonnettes blanches ».

3.3Le requérant fait valoir aussi que, comme il a quitté Sri Lanka illégalement, il risque, s’il y est renvoyé : a) d’être envoyé au Centre de détention provisoire de Negombo pour infraction aux dispositions de l’article 45 1) b) de la loi sri-lankaise relative aux immigrants et aux émigrants ; et b) d’être poursuivi pour départ illégal et condamné à une longue peine d’emprisonnement. Il ajoute qu’il est amplement attesté que la situation au Centre de détention provisoire de Negombo est déplorable : les détenus sont entassés et les conditions sanitaires et d’hygiène insuffisantes, les occasions de faire de l’exercice physique sont rares et le surpeuplement est tel que les détenus doivent se relayer pour dormir. Quelle que soit la durée de son séjour dans ce centre, sa détention constituerait un traitement inhumain et dégradant.

3.4Le requérant précise en outre que les demandeurs d’asile déboutés qui ont quitté Sri Lanka illégalement sont immédiatement repérés et arrêtés par les autorités sri-lankaises à leur arrivée à l’aéroport de Colombo.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 9 décembre 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Selon lui, les allégations du requérant sont manifestement infondées et, partant, irrecevables car le requérant n’a pas établi qu’à première vue, sa requête est recevable. À supposer que le Comité juge certains des griefs recevables, l’État partie estime qu’il devrait les rejeter pour défaut de fondement. Il fait valoir que le requérant n’a pas présenté à l’appui de ses allégations des éléments de preuve établissant qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé à Sri Lanka. L’État partie ajoute que l’obligation de non-refoulement se limite aux cas de torture et ne s’étend pas aux cas de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.2Pour démontrer qu’un État partie manquerait à l’obligation de non-refoulement qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention, il s’agit de prouver que l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi. L’État partie fait valoir que le grief du requérant concernant le traitement inhumain qu’il subirait au Centre de détention provisoire de Negombo à son retour à Sri Lanka devrait être déclaré irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention comme étant incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.3Selon l’État partie, le requérant n’a pas, dans ses déclarations au Comité, apporté d’éléments nouveaux pertinents qui n’avaient pas déjà été examinés dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles internes, solides et très complètes, à l’issue desquelles ses griefs n’ont pas été jugés crédibles. L’État partie a demandé au Comité d’« accorder un poids considérable aux constatations de fait » des organes de l’État partie, lesquels ont estimé que l’État partie ne devait pas protection au requérant au titre de la Convention.

4.4L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas établi qu’à première vue sa requête était recevable. Il indique que les griefs du requérant ont été examinés dans le cadre de la procédure d’instruction de sa demande de visa de protection, de l’examen externe au fond effectué par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, du contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral et, enfin, de l’examen de sa demande d’intervention ministérielle. Le 18 février 2013, l’instance qui a pris la décision initiale a étudié la situation des demandeurs d’asile déboutés renvoyés à Sri Lanka et a abouti à la conclusion qu’il se pouvait certes qu’on interroge ces personnes à l’aéroport, comme c’était le cas pour d’autres arrivants, quelle que soit leur appartenance ethnique, aux fins d’éviter l’entrée sur le territoire d’individus ayant commis des infractions ou présentant un risque pour la sécurité, mais qu’elles « ne couraient aucun danger si elles n’avaient aucun lien avec des activités antigouvernementales ». Étant donné que le requérant n’a pas prétendu qu’il participait à de telles activités et n’a pas été soupçonné d’y prendre part, la probabilité que l’on s’en prenne à lui à son retour à Sri Lanka a été jugée très faible. Si les allégations du requérant qui affirme que deux de ses oncles ont été tués entre 2005 et 2006 et que lui‑même a été interrogé par les « gens des fourgonnettes blanches » sur ses relations avec l’un de ses oncles ont été acceptées, ses assertions selon lesquelles il avait été interrogé en 2008 en liaison avec le décès d’un autre proche n’ont pas été jugées crédibles en raison des incohérences relevées dans son récit. Il n’a pas non plus été admis que des individus l’aient recherché en 2011 car le requérant n’en avait pas fait mention lors de son premier entretien ou dans sa déclaration sur l’honneur. Il a été estimé que le seul fait d’être tamoul ne constituait plus un motif de persécution à Sri Lanka, qu’il n’y avait pas lieu de dire que le requérant avait été persécuté et qu’il n’avait jamais été accusé d’être engagé de façon quelconque auprès des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

4.5L’instance qui a statué en premier a considéré que la probabilité que les autorités sri‑lankaises ou des groupes paramilitaires connexes infligent un préjudice grave au requérant et qu’il soit dès lors victime d’une persécution liée à son origine raciale et aux opinions politiques qui lui étaient imputées était très faible. Elle n’a pas relevé de motifs sérieux de croire que le renvoi du requérant d’Australie aurait pour conséquence nécessaire et prévisible de l’exposer à un risque réel de préjudice grave, contre lequel il a droit à une protection en vertu de l’article 36 2) aa) de la loi de 1958 relative aux migrations.

4.6Le 7 juin 2013, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, effectuant un examen externe au fond, a confirmé la décision de l’instance qui avait statué en premier de ne pas accorder de visa de protection au requérant. Il a reconnu que le requérant ferait l’objet d’une procédure de la part des autorités nationales sri-lankaises à son retour à Sri Lanka et qu’il se verrait infliger une amende, mais non une peine privative de liberté, pour avoir quitté le pays illégalement. Le Tribunal n’était pas convaincu que le fait pour le requérant d’avoir quitté le pays illégalement ou d’être un demandeur d’asile tamoul débouté suffirait à lui seul, ou conjugué aux caractéristiques personnelles et familiales de l’intéressé, à exposer celui-ci à un traitement différent ou à un risque réel de préjudice grave à son retour. L’État partie observe qu’il n’a pas été signalé de cas de torture ou d’autres formes de mauvais traitements délibérés au Centre de détention provisoire de Negombo. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a aussi relevé que le requérant avait vécu, travaillé et s’était déplacé à Sri Lanka sans qu’il ne lui soit causé du tort, au moins depuis la fin de la guerre, et qu’il n’était pas une cible potentielle d’enlèvement ou de sévices au moment où il avait quitté le pays en 2012. Il a pris note en outre des éléments indiquant que des membres de la famille du requérant continuaient de vivre à Trincomalee sans être inquiétés. Le Tribunal n’était pas convaincu que la relation du requérant avec des proches qui avaient été tués pendant la guerre civile ait eu par le passé, ait actuellement ou puisse avoir dans un avenir raisonnablement prévisible pour conséquence qu’on lui impute des liens avec les LTTE qui, à eux seuls, ou conjugués à d’autres éléments, suffiraient à l’exposer véritablement à un risque de préjudice grave à Sri Lanka. En outre, il n’a pas ajouté foi à l’affirmation du requérant qui affirmait avoir été malmené pendant l’entretien tenu en 2006 et avoir subi un interrogatoire en 2008. Enfin, s’appuyant sur des informations émanant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Tribunal a estimé qu’il n’y avait plus lieu de partir du principe qu’un demandeur d’asile avait besoin d’une protection du simple fait qu’il était tamoul. Il a conclu que le requérant ne courait pas un risque réel de préjudice dans un avenir raisonnablement prévisible au motif de son origine ethnique tamoule.

4.7Le 17 décembre 2013, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande de contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés déposée par le requérant. Il a observé que le requérant n’avait pu apporter la preuve que, comme il l’avançait, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’avait pas correctement apprécié la question de la protection complémentaire, et il a relevé que le Tribunal était parfaitement au courant de la distinction entre les critères de protection prévus par la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et le régime de protection complémentaire. Il a noté également que l’argument du requérant selon lequel le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés lui avait refusé la possibilité d’évoquer ses griefs relatifs à la pratique d’enlèvements par les « gens des fourgonnettes blanches » n’était pas recevable car le requérant avait pu s’exprimer à ce sujet. Le Tribunal de circuit fédéral a noté en outre que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait pris en compte le grief du requérant affirmant qu’il craignait d’être inquiété en sa qualité de Tamoul né dans le nord-est de Sri Lanka et qu’il figurait parmi les catégories de personne les plus susceptibles d’être soupçonnées d’entretenir des liens avec les LTTE. Enfin, le Tribunal a refusé de regrouper les différents éléments des allégations du requérant concernant son appartenance à des groupes sociaux donnés (par exemple, « le fait d’être né à Trincomalee » ou « le fait d’être Hindou »), comme l’intéressé l’aurait voulu, pour démontrer qu’il était exposé à un risque réel, et a conclu que les motifs d’appel du requérant n’étaient pas fondés.

4.8Le 30 janvier 2014, le requérant a déposé, par l’intermédiaire de son représentant légal, une demande d’intervention ministérielle au titre des articles 417 et 48B de la loi de 1958 relative aux migrations. Au cours de la procédure d’instruction de la demande de protection, le requérant a soumis des rapports à caractère général concernant la privation arbitraire de la vie, la torture et les peines ou traitements cruels ou inhumains à Sri Lanka. Il a également indiqué pour la première fois qu’il était membre d’un groupe Facebook appelé « Cool Tamils », utilisé par des membres en vue des LTTE pour publier régulièrement des messages saluant les activités menées par les LTTE et tenter de mobiliser des soutiens contre le Gouvernement sri-lankais. À l’issue de la procédure d’instruction de la demande d’intervention ministérielle, il a été conclu que l’image actuelle du requérant auprès des autorités sri-lankaises n’était pas de nature à lui faire courir un danger et qu’il était dès lors hautement improbable que sa seule participation à un groupe Facebook attire négativement l’attention sur lui, l’exposant ainsi à un préjudice grave ou important. Les griefs du requérant ne satisfaisaient pas aux critères applicables concernant l’intervention ministérielle et la Ministre adjointe de l’immigration et de la protection des frontières a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire car il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le requérant s’étant appuyé sur des renseignements d’ordre général concernant le pays, et compte dûment tenu de la multitude d’informations disponibles sur Sri Lanka, notamment sur le retour des demandeurs d’asile déboutés, l’État partie est parvenu à la conclusion que le requérant n’avait pas apporté la preuve qu’il courrait personnellement un risque.

4.9Enfin, l’État partie fait valoir que les éléments soumis par le requérant au Comité ne permettent pas d’établir qu’il existe des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Il ne sert à rien au requérant de faire appel à davantage d’informations d’ordre général pour établir l’existence d’un risque personnel. L’État partie conclut par conséquent que les griefs du requérant sont irrecevables et/ou dénués de fondement.

Informations complémentaires reçues du requérant

5.Le 8 mai 2015, le requérant a fait savoir que l’État partie avait entamé la procédure en vue de son renvoi. Il s’était vu accorder un nouveau visa provisoire valable pendant six semaines et avait reçu l’ordre de se présenter au Ministère de l’immigration et de la protection des frontières tous les quinze jours et de prendre rendez-vous avec l’Organisation internationale pour les migrations afin d’organiser son retour à Sri Lanka. Selon ses dires, le chargé de dossier l’avait prévenu que les mesures provisoires mises en place par le Comité n’étaient pas applicables et qu’il serait placé en rétention s’il ne respectait pas les instructions qui lui avaient été données. Le requérant indique également que l’État partie a renvoyé d’autres personnes en dépit des demandes de mesures provisoires visant à suspendre leur expulsion.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Le 15 mai 2015, le requérant a contesté les affirmations de l’État partie quant à son manque de crédibilité. Il répète qu’il craint réellement de subir un traitement inhumain s’il est renvoyé à Sri Lanka car des parents proches ont été pris pour cible par des membres des forces de police et de la marine sri-lankaises et par des hommes équipés d’armes à feu soupçonnés d’être membres du groupe Karuna.

6.2Le requérant a joint à ses commentaires le certificat de décès et le rapport d’autopsie de M. S. K., ainsi qu’une déclaration sur l’honneur évoquant ses liens avec ce dernier. Alors que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés l’avait qualifié de « parent éloigné », M. K était en réalité un ami proche du requérant avant d’épouser un membre de sa famille élargie. Le requérant ajoute que les forces de sécurité sri-lankaises savaient que M. K. appartenait aux LTTE du fait de ses déplacements pendant la période de cessez-le-feu, entre 2002 et 2006, tout comme elles savaient que le requérant l’avait accompagné dans deux déplacements vers la zone contrôlée à l’époque par les LTTE. Au cours du second de ces déplacements, un agent du poste de contrôle de Vavuniya avait relevé le nom et l’identité du requérant, en le désignant comme quelqu’un qui voyageait en compagnie de M. K. Il avait alors reçu des menaces. Bien que les agents du poste de contrôle aient seulement noté son nom et son numéro de carte d’identité, lorsqu’il s’était présenté au bureau du Département des enquêtes criminelles à Jamalia, après le passage chez sa mère de deux hommes en civil qui le cherchaient, des agents avaient crié sur lui et menacé de repartir à sa recherche lorsque le cessez-le-feu institué en 2002 aurait pris fin. Ces menaces visaient à lui faire dire si M. K. avait rencontré des membres des LTTE pendant leur voyage à Kilinochchi.

6.3Le requérant maintient que M. K. est décédé dans des circonstances suspectes. Il aurait été abattu par la police alors même qu’un magistrat avait ordonné sa libération de prison. Il n’est guère vraisemblable que, averti de sa libération, M. K. ait tenté de s’évader sans la moindre nécessité, au péril de sa vie, comme la police l’a prétendu. Après le meurtre de M. K., le requérant et ses proches se sont vu expliquer que la dépouille du défunt leur serait remise au cimetière. Le cercueil était scellé mais le requérant et ses proches ont brisé les scellés, ouvert le cercueil et constaté que le corps était mutilé, certains de ses organes internes étant posés à côté de la dépouille, dans le cercueil. La même nuit, le Département des enquêtes criminelles a emmené le requérant pour l’interroger au sujet des déplacements qu’il avait faits avec M. K. dans les zones contrôlées par les LTTE et de la nature des relations entre les deux hommes. Questionné aussi sur les raisons pour lesquelles il avait brisé les scellés du cercueil, il a expliqué qu’il voulait s’assurer que c’était bien le corps de M. K. que la famille allait inhumer. Il affirme qu’au cours de cet interrogatoire, qui a duré une heure ou deux, il a été frappé avec une chaise en plastique et roué de coups de pied. Rien d’autre ne lui est arrivé jusqu’en octobre 2011, où deux hommes en civil se sont rendus en vain chez sa mère à bord d’une fourgonnette blanche en espérant le trouver. Au début de 2012, ne se sentant pas en sécurité, le requérant a commencé à se déplacer et à vivre dans différents endroits. Ultérieurement, sa belle-mère a organisé son voyage en bateau de Mannar en Inde et, de là, en Australie. Le requérant ajoute que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a estimé que les éléments de preuve qu’il avait produits concernant le traitement qu’il avait reçu après le meurtre de M. K., en 2008, étaient contradictoires, en grande partie parce qu’il n’en avait pas fait mention lors de l’entretien initial. Selon lui, cette appréciation manque totalement de réalisme car bon nombre de demandeurs d’asile, en particulier parmi les jeunes arrivés par bateau, redoutent les agents des services de l’immigration qui procèdent aux entretiens initiaux et ne leur font pas confiance. Le requérant considère que les événements qu’il a vécus, notamment le meurtre de membres de sa famille, suffisent à expliquer ses difficultés. Il ajoute que les personnes qui organisent les voyages en bateau expliquent à ceux qui partent ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Les nouveaux arrivants suivent généralement leurs conseils lors des entretiens initiaux, jusqu’au moment où ils sentent qu’ils peuvent avoir confiance dans les procédures d’asile du pays. C’est parce qu’il avait peur que le requérant s’est borné à évoquer des liens supposés de M. K. avec les LTTE au lieu de dire qu’il savait que M. K. en était bien membre. Les autorités sri-lankaises, tout comme l’Australie, considèrent les LTTE comme une organisation terroriste. Par conséquent, le requérant craignait d’être emprisonné en Australie du fait de ses liens supposés avec les LTTE, de nombreux demandeurs d’asile sri-lankais étant de fait maintenus en rétention en Australie à cause d’une évaluation de sécurité défavorable de la part de l’Agence australienne de renseignement relatif à la sécurité (ASIO).

6.4Le requérant fait valoir en outre que si, dans sa décision, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a estimé que le traitement qui lui serait réservé en cas de renvoi à Sri Lanka ne constituerait pas un « préjudice grave », expression utilisée dans la loi de 1958 relative aux migrations, inspirée de la Convention relative au statut des réfugiés, sa requête concerne l’obligation de non-refoulement prévue par la Convention contre la torture.

6.5Le requérant ajoute que les conditions de détention à la prison de Negombo sont délibérément médiocres, cela faisant partie de la sanction, ce qui équivaut à un traitement inhumain. Alors que l’État partie insiste sur le fait que l’on ne signale pas de cas de mauvais traitements au Centre de détention provisoire de cet établissement, le requérant considère que les conditions qui y règnent constituent en elles-mêmes une forme de mauvais traitement. Il affirme que la manière dont le Gouvernement sri-lankais traite les demandeurs d’asile déboutés est à prendre en ligne de compte en ce qui concerne le non‑refoulement. Le requérant renvoie à cet égard au jugement rendu par le Tribunal fédéral dans l’affaire WZAPN v. Minister for Immigration and Border Protection [2014] FCA 947, dans lequel il est indiqué que même de faibles menaces d’atteinte à la vie ou de privation de liberté pour de courtes durées demeurent des violations du droit à la vie et du droit à la liberté de la personne. L’État partie aurait fait appel de ce jugement, qui intéresse les affaires relatives à Sri Lanka, devant la High Court of Australia (Cour suprême australienne), mais aucune décision n’était encore intervenue à la date de soumission de la requête.

6.6En cas de renvoi, non seulement le requérant serait considéré comme un demandeur d’asile débouté ayant quitté le pays illégalement, mais on verrait aussi en lui un jeune Tamoul originaire du nord-est de Sri Lanka dont la famille a des liens importants avec les LTTE, ce qui serait suffisant pour attirer l’attention et les soupçons du Département des enquêtes criminelles. Le requérant fait valoir que d’autres jeunes de sexe masculin renvoyés récemment par l’Australie à Sri Lanka se sont vu infliger des actes de torture par le Département des enquêtes criminelles, qui s’intéressait à leurs liens présumés avec les LTTE.

6.7Pour ce qui est de la conclusion du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés qui, s’appuyant sur les lignes directrices du HCR pour l’évaluation des besoins de protection internationale, a estimé qu’il n’y avait plus lieu de partir du principe qu’un demandeur d’asile avait besoin d’une protection pour la simple raison qu’il était tamoul, le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle le seul motif pour lequel il pourrait subir un préjudice serait son identité tamoule. Il n’a pas été tenu compte, selon lui, des autres aspects de sa situation personnelle, à savoir le fait qu’il est un jeune de sexe masculin originaire du nord-est dont la famille entretient des liens avec les LTTE et qui a lui-même déjà été soupçonné d’être engagé auprès des LTTE, et qu’il a été débouté de sa demande d’asile en Australie.

6.8Le requérant affirme que c’est par les observations de l’État partie qu’il a appris que les griefs qu’ils avaient formulés concernant sa participation au groupe Facebook « Cool Tamils », dont le site est utilisé par des membres en vue des LTTE pour publier régulièrement des messages saluant les activités menées par les LTTE et tenter de mobiliser des soutiens contre le Gouvernement sri-lankais, avaient été rejetés, faute de preuves, lors de l’examen de sa demande d’intervention ministérielle. Il reconnaît que la loi n’oblige pas le Ministre à exercer son pouvoir d’intervention et ne prévoit pas que le rejet d’une demande soit motivé. Il n’en considère pas moins qu’au vu des récentes tentatives du Gouvernement sri-lankais de liquider les derniers « résidus » des LTTE, on serait en droit de supposer que les autorités sri-lankaises surveillent ces pages Facebook car cela n’a rien de compliqué. Le requérant répète que l’État partie a montré qu’il préparait son renvoi puisque son visa d’attente venait à expiration le 28 mai 2015. L’agent des services d’immigration lui aurait dit que s’il n’apportait pas la preuve qu’il organisait son départ d’Australie pour très bientôt, il serait placé en rétention.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 29 mai 2015, l’État partie a fait valoir que des mesures provisoires ne se justifiaient pas et que le requérant ne courait aucun risque de préjudice irréparable s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il a rappelé sa demande de levée des mesures provisoires formulée le 16 avril 2015, que le Comité avait rejetée le 1er mai 2015.

7.2L’État partie réaffirme qu’il étudie de bonne foi chaque demande de mesures provisoires sur le fond, selon une procédure établie. Il vérifie notamment si, au vu des griefs du requérant, l’obligation de non-refoulement incombant à l’État partie s’applique en l’espèce. Après avoir soigneusement examiné les informations fournies par le requérant, l’État partie a estimé qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que l’intéressé courrait un risque réel de préjudice irréparable s’il était renvoyé à Sri Lanka. En conséquence, il a considéré que la demande de mesures provisoires n’était pas justifiée.

7.3L’État partie décrit sommairement les différentes étapes de la procédure interne très complète qui a été suivie, dont il ressort systématiquement que l’obligation de non‑refoulement incombant à l’État partie, notamment en vertu de l’article 3 de la Convention contre la torture, ne s’applique pas en l’occurrence, et il ajoute qu’aucun élément nouveau digne de foi n’a été apporté sur ce point. La procédure interne a comporté un examen par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, un contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral et le dépôt auprès du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières d’une demande tendant à ce qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire et non obligatoire que lui confèrent les articles 48B et 417 de la loi de 1958 relative aux migrations d’intervenir en faveur d’une personne dont la demande de visa a été rejetée s’il considère qu’il est dans l’intérêt général de le faire.

7.4Ayant estimé, après examen de la demande de mesures provisoires, qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le requérant serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable s’il était renvoyé à Sri Lanka, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires. Le 18 août 2015, le Comité a décidé de maintenir sa demande.

7.5Le 23 décembre 2015, l’État partie a soumis une réponse aux commentaires du requérant du 15 mai 2015. Il y indique que le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a évalué la crédibilité des affirmations du requérant concernant ses liens avec M. K. et établi que la relation que le requérant entretenait avec ce dernier ne l’exposait pas à un risque réel de torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Selon le Ministère, le rapport d’autopsie ne vient pas étayer les allégations du requérant car il ne contient aucun élément qui relie le requérant aux LTTE ou à la personne visée par le rapport. La description des blessures figurant dans le rapport d’autopsie ne corrobore pas les dires du requérant selon lesquels le corps a été mutilé, et il n’y a aucune raison de penser que le corps a d’abord été emmené pour être autopsié, puis mutilé de la façon décrite par le requérant. De plus, le Ministère a estimé que le rapport d’autopsie paraissait frauduleux. Par conséquent, il n’a pas jugé crédibles les allégations du requérant selon lesquelles il serait soumis à la torture à son retour à Sri Lanka.

7.6Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a également évalué la déclaration sur l’honneur présentée comme pièce attestant que le requérant avait des relations avec une personne, M. K., qui appartenait aux LTTE et avait été tuée par la police après sa libération de détention. L’argument du requérant selon lequel il court un risque réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka du fait de ses liens avec ce membre des LTTE n’a pas été jugé crédible. De plus, le Ministère n’a pas accepté les explications du requérant selon lesquelles il n’avait pas produit sa déclaration sur l’honneur plus tôt parce qu’il craignait d’être soumis à une détention prolongée dans l’État partie en raison de ses relations avec M. K. L’État partie relève que le requérant a fourni des informations concernant ses deux oncles décédés, mais non concernant M. K. Lorsqu’il a sollicité un contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral, le requérant ne s’est pas inquiété de ce que ses liens avec un membre des LTTE n’avaient pas fait l’objet d’un examen approprié. Le Ministère en a conclu qu’il était permis de douter de la crédibilité de ses allégations quant aux liens étroits qu’il entretenait avec M. K. et à l’appartenance de ce dernier aux LTTE, dont il était fait mention dans la déclaration sur l’honneur. En ce qui concerne l’affirmation du requérant selon laquelle il avait rencontré M. K., qui était un employé de son oncle, et l’avait accompagné à Kilinochchi (où se trouvait le siège des LTTE), le Ministère l’a jugée peu plausible. Il était improbable que le requérant ait accepté de se rendre dans une région aussi instable ou qu’il ait obtenu le consentement de sa famille à cet effet. Il était douteux également que la famille ait accepté le risque que le requérant puisse être recruté par les LTTE ou qu’il soit perçu par les autorités, à son retour dans la zone contrôlée par le Gouvernement, comme un membre des LTTE. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières convenait certes qu’un cessez-le-feu officiel était en place en 2006, mais des violences étaient encore signalées en janvier et en juin 2006 à Trincomalee, Vavuniya et Kilinochchi, et partout dans le pays. L’État partie fait observer que, selon le HCR, les autorités sri-lankaises avaient rétabli le dispositif de sécurité qui existait avant le cessez-le-feu et remis en place de nombreux postes de contrôle sur les routes principales, ainsi que dans les villes du nord et de l’est du pays après avril 2006, de sorte qu’il était extrêmement difficile pour les Tamouls de se déplacer dans les zones contrôlées par le Gouvernement. En août 2006, la recrudescence de la violence était telle que la route A9, qui relie Vavuniya à Kilinochchi, avait été fermée pour des raisons de sécurité.

7.7L’État partie relève également que, même si M. K. était membre des LTTE, rien ne vient étayer les affirmations du requérant selon lesquelles les agents des forces armées sri‑lankaises présents aux postes de contrôle savaient qu’il appartenait aux LTTE lors du déplacement présumé du requérant et de M. K. à Kilinochchi. Il fait valoir en outre que, cessez-le-feu ou pas, si le Département des enquêtes criminelles avait eu connaissance du déplacement du requérant à Kilinochchi et avait en conséquence soupçonné celui-ci d’entretenir des liens avec les LTTE, il aurait pu le placer en détention à l’époque. Or, on l’avait laissé partir. Pour le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, le fait que le requérant avait été laissé en liberté signifiait sans doute qu’il ne présentait pas d’intérêt pour les autorités. S’agissant de la démarche du requérant, qui avait voulu voir la dépouille du défunt, l’État partie ne trouve aucune explication raisonnable permettant de comprendre pourquoi le requérant n’a pas communiqué au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés des informations pertinentes à ce sujet, comme le fait que l’épouse de M. K. et lui-même avaient ouvert le cercueil et constaté que le corps avait été mutilé, ou pourquoi il n’a pas mentionné dans sa communication l’existence d’une vidéo qui l’exposait à un risque de préjudice. En conséquence, l’État partie n’a pas admis ces allégations comme étant une relation exacte des faits et n’y a dès lors pas vu un élément tendant à prouver que le requérant serait soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

7.8L’État partie relève encore que le requérant a affirmé qu’après avoir été arrêté et interrogé en 2008, il n’avait fait l’objet d’aucun autre incident jusqu’en 2011, soit trois ans après le décès de M. K. Lorsque, au cours de l’entretien pour l’obtention d’un visa de protection, on lui a demandé si quelque chose d’autre lui était arrivé après son arrestation en 2008, le requérant a répondu qu’en 2011, des gens s’étaient rendus au domicile de ses parents (son ancien lieu de résidence) et leur avaient demandé où se trouvait leur fils. Il n’a toutefois pas invoqué ce fait de façon systématique à tous les stades de la procédure d’évaluation. Il a été admis tant par l’instance qui a statué sur l’attribution d’un visa de protection que par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés que le requérant avait continué de vivre et de travailler au même endroit (ou dans un lieu situé à proximité) de 2006 à la date de son départ pour l’Australie, en juin 2012. De plus, le requérant a lui-même indiqué au Tribunal qu’il avait continué de travailler jusqu’à son départ en 2012. En conséquence, l’argument selon lequel des gens sont à sa recherche depuis 2008 n’est pas considéré comme une preuve qu’il court actuellement un risque réel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé à Sri Lanka. S’il a présenté le décès de M. K. comme « extrêmement suspect », le requérant n’a pas expliqué en quoi les circonstances douteuses entourant ce décès mettraient en jeu l’obligation de non-refoulement qui est faite à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention contre la torture.

7.9Selon l’État partie, le renvoi fait par le requérant à l’affaire WZAPN v. Minister for Immigration and Border Protection et à l’appel formé devant la High Court est dénué de pertinence au regard de l’obligation incombant à l’État partie à l’égard du requérant en vertu de la Convention car cette affaire concerne l’interprétation des dispositions du droit interne destinées à mettre en œuvre la Convention relative au statut des réfugiés, telle que modifiée par le Protocole s’y rapportant. L’État partie considère en conséquence que ces allégations sont irrecevables ratione materiae.

7.10L’État partie observe que tous les recours internes ont été épuisés puisque le recours devant la High Court a été rejeté le 29 octobre 2015.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

8.3En ce qui concerne les autres arguments présentés par l’État partie pour faire valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable, le Comité considère qu’ils sont étroitement liés au fond de l’affaire. En conséquence, il déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, selon laquelle « l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne limitent pas à de simples supputations ou soupçons ». S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque « prévisible, réel et personnel ». Le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressés, sans toutefois être lié par de telles constatations ; il est en effet habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.5Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle son renvoi forcé à Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il serait exposé au risque d’être torturé et de se voir infliger des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment par le Département des enquêtes criminelles, les forces armées sri-lankaises ou les groupes paramilitaires qui y sont liés, car il est soupçonné d’appartenir aux LTTE et de les soutenir. Le Comité prend note également des arguments de l’État partie qui affirme que, dans ses déclarations au Comité, le requérant n’a pas fourni d’éléments nouveaux pertinents qui n’avaient pas déjà été examinés dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles internes, lesquelles sont solides et très complètes. Le Comité note à ce propos que l’État partie a fait observer que les services de l’immigration avaient mis en doute la crédibilité des déclarations du requérant en raison des incohérences relevées dans son récit − notamment en ce qui concerne ses allégations selon lesquelles il avait été malmené lors de l’entretien mené en 2006, il s’était rendu à Kilinochchi avec M. K., il avait été interrogé en 2008 au sujet du décès d’un proche et il avait été recherché en 2011. L’État partie a considéré en outre que le seul fait d’être tamoul ne constituait plus un motif de persécution à Sri Lanka et a relevé que le requérant avait vécu, travaillé et s’était déplacé à Sri Lanka sans qu’il lui soit causé du tort et sans subir de persécution ou d’enlèvement, au moins entre la fin de la guerre et son départ en juin 2012, et qu’il n’avait jamais été accusé d’être engagé de façon quelconque auprès des LTTE. Le Comité note aussi que l’État partie a retenu comme élément de preuve le fait que des membres de la famille du requérant continuent de vivre à Trincomalee sans être inquiétés et qu’il n’était pas convaincu que la relation du requérant avec des proches, dont M. K., qui avaient été tués pendant la guerre civile aurait pour conséquence que, dans un avenir raisonnablement proche, on lui impute des liens avec les LTTE qui l’exposeraient personnellement à un risque réel de préjudice grave à Sri Lanka. En outre, le Comité note que, selon l’État partie, le rapport d’autopsie ne vient pas étayer les allégations du requérant car il ne contient aucun élément qui relie ce dernier ou la personne visée par le rapport aux LTTE, et que les doutes exprimés par l’État partie quant à l’authenticité de ce rapport n’ont pas été réfutés.

9.6Le Comité note également que le requérant affirme être membre d’un groupe Facebook appelé « Cool Tamils ». Néanmoins, l’instruction de la demande d’intervention ministérielle qu’il a déposée a abouti à la conclusion que, étant donné que les autorités sri-lankaises ne le considéraient pas comme un membre actif des LTTE, il était hautement improbable que sa seule participation à un groupe Facebook attire négativement l’attention sur lui et l’expose ainsi à un préjudice grave ou important. Le Comité relève à ce propos que la demande d’intervention ministérielle du requérant a été rejetée car il n’y avait pas de motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

9.7Le Comité prend note en outre de l’argument du requérant qui affirme que, du fait qu’il a quitté Sri Lanka illégalement, il craint d’être arrêté par les autorités sri-lankaises à son arrivée à l’aéroport de Colombo, d’être ensuite détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes au Centre de détention provisoire de Negombo, puis d’être poursuivi et finalement emprisonné en tant que personne ayant quitté le pays illégalement ou demandeur d’asile débouté. Le Comité note que l’État partie a reconnu que le requérant ferait l’objet d’une procédure à son retour à Sri Lanka et qu’il se verrait infliger une amende, mais non une peine privative de liberté, pour avoir quitté le pays illégalement. Le Comité note aussi l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas été signalé de cas de torture ou d’autres formes de mauvais traitements délibérés au Centre de détention provisoire de Negombo, ce que le requérant n’a pas contesté. Le Comité relève à ce sujet que le requérant s’est appuyé sur des informations à caractère général, y compris sur les conditions de détention au Centre de détention provisoire de Negombo, sans démontrer qu’il courrait personnellement un risque, et que l’État partie affirme par ailleurs que la situation actuelle à Sri Lanka n’est pas en soi un motif suffisant pour établir que le renvoi forcé du requérant entraînerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention.

9.8Le Comité rappelle le paragraphe 5 de l’observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, où il est indiqué que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, et considère que le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.

9.9En ce qui concerne le grief du requérant selon lequel les services de l’immigration n’ont pas mené de véritable enquête sur ses allégations concernant le risque de torture auquel il serait exposé à son retour, le Comité note que le requérant conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie. Néanmoins, il n’établit pas dans ses griefs que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités australiennes a été manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. Sur ce point, le Comité note que les services de l’immigration de l’État partie ont procédé à un examen complet et approfondi des éléments de preuve dont ils étaient saisis, et considère que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses griefs selon lesquels les autorités de l’État partie n’ont pas dûment apprécié le risque auquel il serait exposé en cas de retour à Sri Lanka.

10.En conséquence, le Comité considère que, dans les circonstances particulières de l’affaire, les éléments de preuve présentés par le requérant et les circonstances que celui-ci a invoquées n’ont pas établi l’existence de motifs suffisants de croire que son renvoi à Sri Lanka l’exposerait personnellement et actuellement à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture. Le Comité estime dès lors que les pièces figurant au dossier ne lui permettent pas de conclure que le renvoi du requérant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.