Nations Unies

CAT/C/DJI/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.: générale

22 décembre 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-septième session

31 octobre-25 novembre 2011

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Djibouti

1.Le Comité contre la torture (ci-après dénommé «le Comité») a examiné le rapport initial de Djibouti (CAT/C/DJI/1) à ses 1024e et 1027e séances (CAT/C/SR.1024 et 1027), qui se sont tenues les 2 et 3 novembre 2011, et a adopté les observations finales figurant ci-après à ses 1045e et 1046e séances (CAT/C/SR.1045 et 1046), les 17 et 18 novembre 2011.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Djibouti, qui suit globalement ses directives concernant la présentation des rapports initiaux. Le Comité salue la franchise de ce rapport, dans lequel l’État partie reconnaît plusieurs lacunes dans la mise en œuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après dénommée «la Convention»). Le Comité regrette, toutefois, que le rapport ait été soumis avec sept ans de retard. Le Comité se félicite du dialogue très franc qu’il a pu avoir avec la délégation de l’État partie sur de nombreux domaines couverts par la Convention.

B.Aspects positifs

3.Le Comité prend note avec satisfaction de la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en 2002;

b)Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 2002;

c)Les deux Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 2002;

d)La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, en 2011;

e)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en 2002.

4.Le Comité se félicite qu’aux termes des dispositions de l’article 37 de la Constitution, les instruments internationaux ratifiés par l’État partie, y compris la Convention, soient hiérarchiquement supérieurs aux lois dans le droit interne de l’État partie et directement applicables au cours de la procédure judiciaire nationale.

5.Le Comité note avec satisfaction la mise en place d’une Commission des réformes juridiques et judiciaires en août 2011 chargée de moderniser la législation et de mettre celle-ci en harmonie avec les obligations découlant des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État partie, y compris la Convention.

6.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a aboli la peine de mort en 1995.

7.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a été en mesure de préparer et de présenter ses rapports aux organes de traités de l’ONU grâce au Comité interministériel de coordination du processus de préparation et de soumission des rapports aux organes de traités, avec l’appui technique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Néanmoins, le Comité regrette que ces rapports aient été présentés avec du retard.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et criminalisation de la torture

8.Le Comité note que la Constitution de Djibouti interdit la torture, les sévices ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants dans son article 16. Le Comité prend note de l’engagement par l’État partie d’amender son droit interne à la lumière des obligations découlant des conventions internationales qu’il a ratifiées dans le domaine des droits de l’homme et d’y introduire, entre autres, une définition de la torture. Néanmoins, le Comité demeure préoccupé par l’absence de toute définition explicite de la torture dans le Code pénal en vigueur dans l’État partie et de dispositions criminalisant les actes de torture, conformément aux articles 1 et 4 de la Convention (art. 1 et 4).

L’État partie devrait inclure la torture dans son Code pénal en tant qu’infraction passible de peines appropriées tenant compte de la gravité de s actes commis , ainsi qu’une définition de la torture comprenant tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention. En qualifiant et en définissant l’infraction de torture conformément à la Convention et en la distinguant des autres crimes, les États parties servir aie nt directement, selon le Comité, l’objectif fondamental de la Convention qui consiste à prévenir et à punir les actes de torture.

Actes de torture

9.Le Comité note avec préoccupation la reconnaissance par l’État partie que des abus, notamment des actes de torture, ont été commis par la police djiboutienne dans l’exercice de ses fonctions. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que ces cas n’ont pas fait l’objet d’investigations sérieuses, ce qui a contribué à laisser ces crimes impunis (art. 2 et 12).

Le Comité invite l’État partie à prendre immédiatement des mesures concrètes pour enquêter sur les actes de torture, et, le cas échéant, poursuivre et punir les auteurs . Il l’invite , en outre, à garantir que les membres de s force s de l’ordre n’ o nt en aucun cas recours à la torture ; à publiquement et clairement réaffirme r l’interdiction absolue de la torture ; à condamn er cette pratique, en particulier par l es forces de police et le personnel pénitentiaire ; et à clairement faire savoir que quiconque commet, se rend complice ou participe à de tels actes en sera tenu personnellement responsable devant la loi, fera l’objet de poursuites pénales et se verra infliger l es peines appropriées.

Impunité des actes de torture et des mauvais traitements

10.Le Comité prend note de la reconnaissance par l’État partie que des actes de torture ont eu lieu et n’ont fait l’objet ni d’enquêtes ni de poursuites. En particulier, il prend note de l’absence d’informations concrètes sur les poursuites engagées, les condamnations prononcées ou les sanctions disciplinaires infligées à l’encontre d’agents de police ou de membres du personnel pénitentiaire reconnus coupables d’actes de torture ou de mauvais traitements. Le Comité note aussi la reconnaissance par l’État partie du fait que la faiblesse du droit interne contribue en partie à l’impunité (art. 2, 4, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale, approfondie et efficace et que les auteurs soient poursuivis et condamnés à une peine proportionnée à la gravité de s actes commis , comme l’exige l’article 4 de la Convention, sans préjudice de sanctions disciplinaires appropriées. L’État partie devrait également prendre toutes mesures législatives propres à remédier intégralement à cette impunité.

Garanties juridiques fondamentales

11.Le Comité est préoccupé par l’écart qui existe entre les garanties juridiques fondamentales établies par la Constitution et le Code de procédure pénale et la mise en pratique de ces garanties dès le début de la détention. Le Comité demeure également préoccupé par les informations faisant état de la longueur de la détention provisoire, et de la lenteur des procédures. Le Comité regrette également l’absence d’information sur les garanties juridiques fondamentales dont bénéficient les personnes souffrant d’un handicap mental, intellectuel ou physique. En outre, le Comité regrette l’absence d’un système de justice des mineurs complet axé sur l’éducation et la socialisation des enfants en conflit avec la loi (art. 2).

L’État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour que , dans la pratique , tous les détenus bénéficient de l’ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention . C onformément aux normes internationales, ces garanties doivent compren dre , en particulier : le droit des détenus d’être informés des raisons de leur arrestation, y compris des charges retenues contre eux ; le droit d’avoir rapidement accès à un avocat et, si besoin, à l’aide juridictionnelle ; le droit de bénéficier d’un examen médical indépendant effectué , si possible , par un médecin de leur choix ; le droit d’aviser un proche ; le droit de comparaître rapidement devant un juge ; et le droit de demander à un tribunal de se prononcer sur la légalité de l a détention. L’État partie devrait veiller à ce que toutes les garanties juridiques fondamentales soient mises en place pour les personnes placées dans un établissement psychiatrique.

L’État partie devrait aussi prendre des mesures pour établir un système de justice des mineurs conforme à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) , a dopté par l'Assemblée générale dans sa résolution 40/33 du 29 novembre 1985 , et aux Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) , a doptés et proclamés par l'Assemblée générale dans sa résolution 45 / 112 du 14 décembre 1990 .

Surveillance et inspection des lieux de privation de liberté

12.Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie sur la création d’un corps pénitencier au sein de la Direction de la législation et des droits de l’homme, relevant du Ministère de la justice chargé des droits de l’homme. Il prend aussi note du travail de la Commission nationale des droits de l’homme, des visites organisées par celle-ci dans la prison de Gabode, les commissariats, les brigades de gendarmerie ou autres maisons de détention ou d’arrêt, de même que de l’utilisation des informations recueillies pendant ces visites dans les bilans élaborés par la Commission sur l’état des droits de l’homme à Djibouti. Le Comité demeure toutefois préoccupé par l’effort insuffisant consenti par l’État partie pour assurer de manière soutenue la surveillance et l’inspection des lieux de privation de liberté (art. 2, 10, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie d’ instaurer un système national indépendant et efficace de surveill ance et d’ inspect ion de tous les lieux de privation de liberté et de veiller à donner systématiquement suite aux résultats de cette surveillance . L’État partie devrait aussi renforcer sa coopération avec les ONG , qu’i l devrait soutenir davantage afin de leur permettre d’exercer une surveillance indépendante d es conditions de détention dans les lieux de privation de liberté.

L’État partie est prié de donner des renseignements détaillés dans son prochain rapport périodique sur les lieux, les dates et la fréquence des inspections, notamment inopinées, effectuées dans les lieux de privation de liberté, ainsi que sur les conclusions et le suivi donné aux résultats de ces inspections.

Institution nationale des droits de l’homme

13.Le Comité note avec satisfaction la création de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), chargée notamment d’effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté et d’examiner les plaintes alléguant de violations des droits de l’homme. Le Comité regrette néanmoins que la Commission ne se conforme pas aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris, annexe à la résolution 48/134 de l’Assemblée générale des Nations Unies). En effet, entre autres choses, ses membres, y compris le président et le vice-président, sont nommés par le Président de la République, ce qui ne garantit pas son indépendance (art. 2).

L’État partie devrait renforcer le rôle et le mandat de la Commission n ationale des d roits de l’ h omme , notamment celui d’effectuer régulièrement des visites inopinées dans les lieux de privation de liberté pour formuler des constatations et des recommandations indépendantes. Il devrait aussi accorder tout le poids voulu aux conclusions auxquelles elle aboutit sur l es plaintes individuelles dont elle est saisie , et communiquer ces conclusions au Procureur général dans les cas où des actes de torture ou de mauvais traitements s ont constatés. L’État partie est prié de fournir des informations, y compris des données statistiques, sur les plaintes examinées par la Commission n ationale des d roits de l’ h omme se rapportant à des cas présumés de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et d’ indiquer si ces cas ont été communiqués aux autorités compétentes aux fins de poursuites.

L e Comité encourage l ’État partie à demander l’accréditation de la Commission n ationale des d roits de l’ h omme auprès du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme aux fins de garantir la conformité de la Commission aux P rincipes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne l’ indépendance de la Commission .

Enquêtes

14.Malgré les explications données par l’État partie au cours du dialogue, le Comité demeure préoccupé par:

a) L’absence de toute enquête approfondie sur l’arrestation de plus de 300 personnes pendant les manifestations qui se sont déroulées le 18 février 2011. Plusieurs auraient subi des tortures et des mauvais traitements dans les locaux de la gendarmerie. (art. 12, 13 et 14);

b) Le cas des deux ressortissants éthiopiens, le Capitaine Behailu Gebre et M. Abiyot Mangudai, qui, le 11 juillet 2005, ont été refoulés vers l’Éthiopie où ils ont été maintenus en détention et torturés. Le Comité note avec préoccupation que, selon les informations reçues, ces personnes n’ont pas eu accès aux recours leur permettant de faire appel de leur refoulement. Il s’est également dit préoccupé par le fait qu’aucune enquête complète et efficace n’a été menée par l’État partie sur cette affaire. En outre, il note avec préoccupation que Djibouti n’a pas répondu aux appels urgents envoyés par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à ce sujet. Ainsi, le Comité apprécierait de recevoir des informations de l’État partie à ce sujet (art. 12, 13 et 14);

c) Le cas du ressortissant yéménite, Mohammed al-Asad. Selon les informations en possession du Comité, celui-ci aurait été détenu incom m unicado à Djibouti pendant deux semaines avant d’être transféré en Afghanistan. Il y aurait été torturé, mis en isolement extrême sans contact humain, soumis à une musique à volume élevé constant et exposé à une lumière artificielle 24 heures sur 24, au froid et à une manipulation diététique. Le Comité prend acte du fait que le cas est actuellement examiné par le système africain des droits de l’homme, notamment la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

L’État partie devrait sans délai ouvrir des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies sur l’incident susmentionné en vue de traduire en justice les auteurs éventuels de violation de la Convention. Le Comité recommande que ces enquêtes soient menées par un mécanisme d’ experts indépendants chargé d’examiner toutes les informations de manière approfondie, de tirer des conclusions sur les faits et sur les mesures prises et d’ accord e r une indemnisation adéquate aux victimes et à leur famille , y compris sous la forme d es moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible. L’État partie est prié de donner au Comité des renseignements détaillés sur les résultats auxquels auront abouti toutes ces enquêtes dans son prochain rapport périodique.

L’État partie devrait adopter un cadre législatif réglement ant l’expulsion, le refoulement et l’extradition dans le but de s’acquitter de l’obligation visée à l’article 3 de la Convention. L’expulsion, le refoulement et l’extradition des personnes, y compris en situation irrégulière, devraient relever d’une décision judiciaire après examen minutieux du risque de torture encouru dans chaque cas , et être susceptibles d e recours avec effet suspensif. Les termes des accords de coopération conclus avec les pays voisins en matière d’entraide judiciaire devraient être révisés de manière à s’assurer que le transfert d’un détenu vers un des États signataires se déroule dans le cadre d’une procédure judiciaire et dans le strict respect de l’article 3 de la Convention.

Mécanisme de plainte

15.Malgré les informations fournies dans le rapport de l’État partie sur la possibilité qui est donnée aux prisonniers et aux détenus de déposer plainte auprès du Procureur général, du Procureur de la République, du juge d’instruction ou du Président de la chambre d’accusation, selon les cas, ou auprès de la direction de l’administration pénitentiaire du Ministère de la justice, le Comité regrette l’absence d’un mécanisme spécialisé, indépendant et efficace habilité à recevoir les plaintes, à enquêter de manière rapide et impartiale sur les allégations de torture émanant, en particulier, de prisonniers et de détenus, et à faire en sorte que les coupables soient punis. Il note également l’absence d’informations, notamment de statistiques, sur le nombre de plaintes dénonçant des actes de torture et de mauvais traitements, sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les sanctions infligées, tant sur le plan pénal que disciplinaire, aux auteurs de ces actes (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures concrètes pour instaurer un mécanisme de plainte indépendant et efficace, spécifiquement dédié aux allégations de torture et de mauvais traitements commis par des membres des forces de l’ordre, des services de sécurité, des militaires et des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, avec pour mandat d’ enquêter sans délai et de manière impartiale sur ces allégations et d’ engager des poursuites contre les auteurs. L’État partie devrait faire en sorte que, dans la pratique, ceux qui déposent des plaintes soient protégés contre tout mauvais traitement ou acte d’intimidation dont ils pourraient faire l’objet en raison de leur plainte ou de leur déposition.

Le Comité prie l’État partie d’indiquer si les actes de torture et les mauvais traitements donnent lieu d’office à des enquêtes et à des poursuites et de fournir des informations, notamment des données statistiques, sur le nombre de plaintes pour torture et mauvais traitements déposées contre des agents de l’État, ainsi que des renseignements sur l’issue des procédures engagées, tant pénales que disciplinaires. Ces données devraient être ventilées suivant le sexe et l’ âge de l’auteur de la plainte et préciser quelle est l’ autorité a yant mené l’enquête.

Réfugiés et demandeurs d’asile

16.Le Comité est préoccupé par le fait que la Commission nationale d’éligibilité à l’asile ne fonctionne pas de manière adéquate et que les demandeurs du statut de réfugié ou d’asile se retrouvent dans une situation juridiquement indéfinie pendant une période beaucoup trop longue, au risque d’être expulsés. Le Comité note aussi avec préoccupation que l’État partie n’a pas adhéré à la Convention relative au statut des apatrides (1954) ni à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie (1961) (art. 3 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que la Commission nationale d’éligibilité fonctionne d’une manière adéquate et que les personnes sous le coup d’un arrêté d’expulsion puissent faire appel de ce tte décision devant les tribunaux.

Le Comité recommande à l’État partie d’envisager d’adhérer à la Convention relative au statut des apatrides et à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

Conditions de détention

17.Le Comité prend note des engagements pris par l’État partie, lors de son dialogue avec le Comité, pour améliorer les conditions dans les lieux de détention, spécialement grâce à la rénovation, voire la construction, de certains bâtiments de la prison centrale de Gabode, et la réouverture et la réhabilitation des prisons dans les régions. Il prend aussi note des efforts déployés par l’État partie pour améliorer l’accès aux services de santé. Toutefois, le Comité demeure profondément préoccupé par les informations, confirmées par l’État partie, faisant état du surpeuplement carcéral, des mauvaises conditions d’hygiène et de salubrité, de même que du manque d’eau et de nourriture appropriées. En outre, l’État partie ne fait pas de distinction entre les mineurs et les adultes en détention (art. 11 et 16).

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures pour veiller à ce que les conditions de détention dans les postes de police, les prisons et autres lieux de détention soient conformes à l’Ensemble de r ègles m inima pour le t raitement des d étenus ainsi qu’aux autres normes pertinentes adoptés, et notamment:

a) Réduire le surpeuplement carcéral, en particulier en envisageant des peines non privatives de liberté , conforme aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

b) Améliorer la qualité et la quantité des rations et de l’eau offerts aux détenus , prévenus et condamnés ;

c) Renforcer le contrôle judiciaire des conditions de détention ;

d) V eiller à ce que les mineurs, prévenus ou condamnés, soient effectivement séparés des adultes conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing ) , adopté par l'Assemblée générale dans sa résolution 40/33 du 29 novembre 1985, et et aux Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté , adoptées par l'Assemblée générale dans sa résolution 45/113 du 14 décembre 1990 .

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

18.Le Comité prend note de l’affirmation écrite de l’État partie selon laquelle «le dispositif législatif et règlementaire djiboutien prévoit le droit à la réparation et à une indemnisation équitable de toute victime d’un acte de torture» (CAT/C/DJI/1, par. 181). Néanmoins, il reste préoccupé par le fait que sans une définition légale de la torture, toute réparation et indemnisation équitables restent difficiles. Le Comité regrette également la rareté des décisions de justice accordant une indemnisation aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ou à leur famille. Le Comité regrette également l’absence, à Djibouti, de programmes de réadaptation des personnes victimes de torture (art. 14).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements une réparation, sous la forme d’une indemnisation équitable et adéquate, et la réadaptation la plus complète possible sur la base d’une définition claire de la torture conformément à l’article 1 er de la Convention. L’État partie devrait aussi donner des informations sur les mesures de réparation et d’indemnisation ordonnées par les tribunaux en faveur de victimes d’actes de torture ou de leur famille. En outre, l’État partie devrait fournir des renseignements sur tout programme de réadaptation en cours en faveur de victimes d’actes de torture et de mauvais traitements et allouer des ressources suffisantes pour assurer la bonne exécution de tels programmes.

Formation

19.Le Comité prend note des renseignements communiqués par l’État partie dans son rapport et lors du dialogue au sujet des formations, séminaires et cours organisés sur les droits de l’homme à l’intention des juges, des magistrats du parquet, des policiers, des agents pénitentiaires et des militaires. Le Comité s’inquiète, toutefois, des informations fournies aux paragraphes 126 et 130 du rapport concernant l’absence de l’interdiction expresse de la torture dans les formations dispensées au personnel de la police nationale, de même que dans les autres formations données aux fonctionnaires et aux agents appartenant aux administrations et aux services publics (art. 10).

L’État partie devrait continuer d’élaborer des programmes de formation , et renforcer ceux qui existent déjà, de sorte que l’ensemble d es fonctionnaires, notamment les juges, les membres des forces de l’ordre, les agents de sécurité, les militaires, les agents du renseignement et le personnel pénitentiaire, connaissent bien les dispositions de la Convention ; en particulier , qu’ils prennent pleinement conscien ce de l’interdiction absolue de la torture ; et qu’ils sachent que les violations de la Convention ne seront pas tolérées , qu’elles donneront lieu sans délai à des enquêtes impartiales et que les auteurs de ces violations seront poursuivis.

Par ailleurs, tous les personnels concernés, notamment ceux qui sont visés par l’article 10 de la Convention, devraient recevoir une formation spécifique pour apprendre à détecter les signes de torture et de mauvais traitements. Cette formation devrait , notamment , comprendre une initiation à l’emploi du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), publié par l’ONU en 2004. L’État partie devrait en outre évaluer l’efficacité et l’incidence de ces programmes de formation et d’enseignement.

Aveux obtenus sous la torture

20.Le Comité note que les aveux obtenus sous la torture ne peuvent pas être invoqués lors d’une procédure, et qu’ils sont reconnus par l’État partie comme «actes entachés de nullité» ou «violence dans les contrats». Toutefois, le Comité demeure préoccupé de constater que la législation ne prohibe pas explicitement l’obtention des aveux sous la contrainte: en conséquence, les dispositions actuellement en vigueur restent insuffisantes pour mettre en œuvre la Convention (art. 15).

L’État partie devrait veiller à ce que la législation relative aux modes de production de la preuve dans la procédure soit rendue conforme à l’article 15 de la Convention, de manière à interdire explicitement les aveux obtenus sous la torture .

Violence faite aux femmes et pratiques traditionnelles nocives

21.Le Comité se félicite que la pratique des mutilations génitales féminines soit une infraction pénale depuis 1995 grâce à l’inclusion de l’article 333 dans le Code pénal de l’État partie. Ce dernier a reconnu que les dispositions de cet article n’étaient pas appliquées faute de plaintes dénonçant cette pratique. Le Comité demeure préoccupé par le fait que les mutilations génitales féminines restent très répandues, notamment qu’il y de nombreux cas d’infibulations – forme extrême de mutilation génitale féminine –, surtout dans les zones rurales. Il demeure également très préoccupé par le fait que les cas de mutilations ne sont généralement pas signalés, ce qui fait qu’elles ne donnent lieu ni à des poursuites ni à des sanctions (art. 2, 10 et 16).

L ’État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et punir la violence faite aux femmes et aux enfants et les pratiques traditionnelles nocives, en particulier dans les régions rurales. En conséquence, l e Comité fait siennes les recommandations adressées à l’État partie à l’occasion de l’Examen périodique universel de Djibouti ( A/HRC/11/16 par. 67 , al. 18 et 25 ; par. 68 , al . 3 et 8) , mais aussi les recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW/C/DJI/CO/1-3 par. 18 et 19) et du Comité des droits de l’e nfant (CRC/C/DJI/CO/2, par. 56). L’État partie devrait , en outre , assurer aux victimes des services de réadaptation mais aussi juridiques, médicaux et psychologiques, ainsi qu’une indemnisation . Il devrait aussi instaurer des conditions leur permett a nt de dénoncer les pratiques traditionnelles nocives dont elles sont victimes ainsi que les cas de violence au foyer et de violence sexuelle sans crainte de représailles ou de stigmatisation. L’État partie devrait dispenser une formation aux juges, aux procureurs, aux membres de la police et aux dignitaires locaux sur la stricte application du Code pénal et la nature criminelle des pratiques traditionnelles nocives et autres formes de violence faite aux femmes.

En général, l’État partie devrait faire en sorte que son droit coutumier et ses pratiques coutumières soient compatibles avec ses obligations dans le domaine des droits de l’homme, en particulier celles qui découlent de la Convention. L’État partie devrait aussi expliquer l es rapports hiérarchi qu e s existant entre le droit coutumier et le droit interne, en particulier au regard d es différentes formes de discrimination à l’égard des femmes.

L e Comité demande également à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport des informations détaillées et des données statistiques à jour sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les peines infligées aux individus reconnus coupables d’un comportement criminel impliquant des pratiques traditionnelles préjudiciables, meurtre compris , ainsi que sur l’aide et l’indemnisation accordées aux victimes.

Traite des êtres humains

22.Le Comité prend acte des mesures prises par l’État partie, telle l’interdiction de la traite des êtres humains dans le droit pénal, mais aussi des formations et de la création d’un «Migration Responses Center» à Obock, de même que de la mise en place d’une coordination nationale chargée de lutter contre la traite des êtres humains. Néanmoins, le Comité reste préoccupé par l’ampleur du phénomène dans l’État partie (art. 2 et 16).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la traite des êtres humains, fournir une protection et une indemnisation aux victimes et assurer l ’ accès de celles-ci aux services réadaptation mais aussi juridiques, médicaux et psychologiques. À cet égard, le Comité recommande à l’État partie d’adopter une stratégie globale de lutte contre la traite des êtres humains et ses causes. L’État partie devrait en outre enquêter sur toutes les allégations de traite et veiller à ce que les auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines appropriées qui prennent en considération la gravité de leurs crimes. L’État partie est invité à fournir des informations sur les mesures prises pour porter assistance aux victimes de la traite, de même que des données statistiques sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations liées à la traite .

Châtiments corporels infligés aux enfants

23.Le Comité note avec préoccupation que les châtiments corporels ne sont pas interdits lorsqu’il s’agit de mesures de correction appliquées au sein de la famille, suivant l’interprétation des dispositions du Code pénal (1995), du Code de la famille (2002) et de la Constitution (art. 16).

L’État partie devrait envisager de modifier son Code pénal et son Code de la famille révisé en vue d’interdire le recours aux châtiments corporels dans toutes situations, y compris au sein de la famille, et de sensibiliser le public à des formes de discipline positives, participatives et non violentes.

Collecte de données

24.Le Comité regrette l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les réparations dans les affaires de torture et de mauvais traitements impliquant les forces de l’ordre, le personnel de sécurité, les militaires et le personnel pénitentiaire (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait rassemb l er des données statistiques pertinentes sur la surveillance de l’application de la Convention au niveau national, y compris sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les réparations (indemnisation et réadaptation des victimes) liées aux affaires de torture et de mauvais traitements. L’État partie devrait inclure ces données dans son prochain rapport périodique.

25.Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier sa coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, notamment en autorisant les visites, entre autres, du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, du Groupe de travail sur la détention arbitraire et de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

26.Prenant acte de l’engagement pris par l’État partie lors du dialogue avec le Comité, il lui recommande de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les meilleurs délais.

27.Le Comité recommande en outre à l’État partie de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention pour reconnaître ainsi la compétence du Comité à recevoir et examiner des plaintes de violation de la Convention.

28.Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme de l’ONU auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

29.Le Comité encourage l’État partie à diffuser largement le rapport qu’il a présenté au Comité et les observations finales de ce dernier, dans les langues voulues par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

30.Le Comité prie l’État partie de lui fournir, avant le 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations visant à: 1) assurer ou renforcer les garanties juridiques des personnes détenues; 2) mener des enquêtes promptes, impartiales et effectives; 3) poursuivre les suspects et sanctionner les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements; et 4) améliorer les conditions de détention, telles que contenues aux paragraphes 11, 14, 15 et 17 du présent document.

31.Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, d’ici le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter, avant le 25 novembre 2012, de soumettre son rapport selon la procédure facultative, qui consiste en la transmission par le Comité d’une liste de questions à l’État partie, préalable au rapport périodique. La réponse de l’État partie à cette liste de questions préalables constituera le prochain rapport périodique de l’État partie, conformément à l’article 19 de la Convention.