CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/62/D/26/200214 avril 2003

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DELA DISCRIMINATION RACIALESoixante-deuxième session3-21 mars 2003

OPINION

Communication n o  26/2002

Présentée par:Stephen Hagan (représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Australie

Date de la communication:31 juillet 2002

Date de la présente décision:20 mars 2003

[ANNEXE]

Annexe

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

Soixante ‑deuxième session

concernant la

Communication n o  26/2002

Présentée par:Stephen Hagan (représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Australie

Date de la communication:31 juillet 2002

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 20 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

OPINION

1.Le requérant, Stephen Hagan, est un ressortissant australien né en 1960, originaire des tribus kooma et kullilli du sud‑ouest du Queensland. Il affirme être victime d’une violation par l’Australie des articles 2, en particulier du paragraphe 1 c), 4 et 5 (par. d) i) et ix), e) vi) et f)), 6 et 7 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En 1960, la tribune d’un important terrain de sport situé à Toowoomba, dans le Queensland, où vit le requérant, a été dénommée l’«E. S.“Nigger” Brown Stand» en l’honneur d’une personnalité sportive et civile bien connue, M. E. S. Brown. Le mot «Nigger» («le terme offensant») est écrit sur une grande pancarte fixée sur la tribune. M. Brown était également membre de l’organe de supervision du terrain de sport et est décédé en 1972; il s’agit d’un Blanc d’origine anglo‑saxonne, qui avait acquis ce terme offensant en surnom soit «à cause de sa peau claire et de sa chevelure blonde ou parce qu’il affectionnait le cirage “Nigger Brown”». En outre, le terme offensant est repris dans les annonces publiques concernant les installations du stade et dans les commentaires de match.

2.2Le 23 juin 1999, le requérant a demandé aux administrateurs du terrain de sport de faire enlever le terme offensant qu’il jugeait déplacé et insultant. Après avoir consulté de nombreux membres de la communauté qui n’étaient pas opposés à l’emploi du terme offensant pour désigner la tribune, les administrateurs ont notifié au requérant, dans une lettre datée du 10 juillet 1999, qu’aucune mesure supplémentaire ne serait prise. Le 29 juillet 1999, au cours d’une réunion publique présidée par un membre éminent de la communauté autochtone locale à laquelle assistaient divers membres représentatifs de la communauté aborigène locale, le maire et le président du conseil d’administration du terrain de sport ont adopté une résolution tendant à ce que «le nom “E. S. Nigger Brown continue d’être affiché sur la tribune en l’honneur de ce grand sportif et à ce que, dans l’intérêt de l’esprit de réconciliation, les termes péjoratifs ou insultants ou à caractère racial ne soient plus utilisés ou affichés à l’avenir».

2.3Le 11 mai 2000, le requérant a porté plainte devant un tribunal fédéral au motif que le fait que les administrateurs n’avaient pas supprimé le terme offensant constituait une violation des articles 9 1) et 18 C 1) de la loi fédérale sur la discrimination raciale. Il demandait la suppression du terme offensant de la tribune et des excuses des administrateurs. Le 10 novembre 2000, le Tribunal fédéral a rejeté la demande du requérant. Il avait estimé que le requérant n’avait pas démontré que la décision en cause était un acte «raisonnablement susceptible, vu l’ensemble des circonstances, d’offenser, d’insulter, d’humilier ou d’intimider un Australien autochtone en particulier ou les Australiens autochtones en général». En outre, la décision ne constituait pas non plus, selon la loi, un acte «commis à cause de la race … des membres de ce groupe». Enfin, le Tribunal a estimé que la loi ne protégeait pas «la sensibilité personnelle des individus», qui était selon lui en cause dans le cas d’espèce, mais qu’elle «interdisait certains actes contre les individus dans le cas seulement où ces actes comportaient un traitement différent ou désavantageux par rapport à d’autres personnes qui n’appartiennent pas au groupe racial, national ou ethnique du plaignant». Le 23 février 2002, le Tribunal fédéral a rejeté en séance plénière l’appel du requérant. Le 19 mars 2002, la High Court de l’Australie a refusé d’accorder au requérant une autorisation spéciale de faire appel.

2.4Le requérant a en outre adressé à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances une plainte, laquelle n’a pas été examinée à cause d’une prescription légale qui est venue ultérieurement limiter les compétences dont disposait la Commission pour enquêter sur certaines plaintes individuelles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que l’emploi du terme offensant pour désigner la tribune visuellement et oralement viole les articles 2, en particulier le paragraphe 1 c), 4 et 5 d) i) et ix), e) vi) et f), 6 et 7 de la Convention. Il affirme que le terme en cause est «l’expression ou l’une des expressions racistes les plus insultantes de la langue anglaise». En conséquence, le requérant et sa famille sont offensés par son emploi sur le terrain de sport et ne peuvent pas fréquenter le terrain de sport qui est l’un des plus importants stades de football de la région. Il fait valoir que, quelle qu’ait pu être la situation en 1960, l’affichage et l’utilisation du terme offensant sont, à l’heure actuelle, «extrêmement blessants, en particulier pour les Aborigènes, et entrent dans le champ d’application de la définition de la discrimination raciale figurant à l’article premier de la Convention».

3.2Le requérant explique qu’il n’a pas d’objections à ce qu’il soit rendu hommage à M. Brown ou à ce qu’une tribune de stade de football porte son nom, mais que, à l’époque où le surnom «Nigger» était appliqué à M. Brown, les Australiens non aborigènes «n’étaient pas conscients ou ne se rendaient pas compte de la peine et de l’offense que ce terme faisait aux Aborigènes». Il fait valoir en outre qu’il n’est pas nécessaire de répéter le surnom de M. Brown pour lui rendre hommage car d’autres stades, qui portent le nom d’athlètes célèbres, utilisent le nom de ces derniers plutôt que leur surnom.

3.3Le requérant fait valoir qu’en vertu de l’article 2, en particulier du paragraphe 1 c), tout État partie à la Convention a l’obligation de modifier les lois ayant pour effet de perpétuer la discrimination raciale. Il affirme que l’emploi de mots tels que le terme offensant dans un lieu public leur confère une sanction officielle. Les mots véhiculent des idées, ont un certain pouvoir et influencent les pensées et les croyances. Ils peuvent perpétuer le racisme et renforcer des préjugés qui mènent à la discrimination raciale. La légalité de l’emploi de ce terme (dans le droit interne) est en outre incompatible avec l’objet de l’article 7 qui dispose que les États parties s’engagent à combattre des préjugés conduisant à la discrimination raciale.

3.4Le requérant fait valoir en outre que l’article 18 1 b) de la loi sur la discrimination raciale, qui dispose que la conduite offensante doit être «causée par» une caractéristique raciale, a un sens plus étroit que les termes «fondée sur» employés dans la définition de la discrimination raciale figurant à l’article premier de la Convention. Il explique que le rejet de sa plainte au motif, entre autres, que le terme offensant n’avait pas été «causé par» un attribut racial était une «subtilité technique».

3.5À titre de réparation, le requérant demande la suppression du terme offensant de la pancarte et la présentation d’excuses, ainsi que des modifications de la loi australienne qui permettraient d’offrir un recours efficace contre les pancartes contenant des termes offensants à caractère racial, comme dans le cas d’espèce.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une communication datée du 26 novembre 2002, l’État partie a contesté tant la recevabilité que le bien‑fondé de la communication.

4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie, tout en reconnaissant que les voies de recours internes ont été épuisées, estime que la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention et/ou qu’elle est insuffisamment étayée. Concernant l’incompatibilité, l’État partie invoque la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qui a estimé qu’il n’a pas à examiner l’interprétation du droit interne d’un État partie pour autant qu’il n’y a pas eu mauvaise foi ou abus de pouvoir, et invite le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale à adopter cette approche. L’État partie indique que ses tribunaux et autorités ont examiné la plainte du requérant avec diligence et conformément aux lois qui ont été promulguées, afin de lui permettre de s’acquitter de ses obligations en vertu de la Convention. Les tribunaux de première instance et d’appel ont estimé que les plaintes du requérant n’avaient pas été clairement établies. En conséquence, l’État partie estime qu’il serait incorrect que le Comité révise les jugements du Tribunal fédéral et les remplace par ses propres vues. En ce qui concerne la revendication formulée en vertu du paragraphe 1 c), à savoir que l’État partie devrait modifier la loi sur la discrimination raciale (parce que cette dernière aurait pour effet de perpétuer la discrimination raciale), l’État partie estime que cette demande est incompatible avec la Convention car le Comité n’est pas habilité à réviser les lois de l’Australie dans l’abstrait. Il invite le Comité à suivre la jurisprudence du Comité des droits de l’homme en la matière.

4.3Étant donné que la plainte a été soigneusement examinée et rejetée par les instances internes, l’État partie affirme en outre que la demande est insuffisamment étayée aux fins de sa recevabilité.

4.4Quant au fond, l’État partie conteste que les faits révèlent une violation d’un article quelconque de la Convention. Pour ce qui est de la plainte formulée au titre de l’article 2, l’État partie estime que ces obligations sont d’ordre général et de caractère programmatique, et sont par conséquent subordonnées à d’autres articles de la Convention. En conséquence, de la même manière que le Comité des droits de l’homme estime qu’il y a eu violation de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques après avoir établi qu’une violation précise du Pacte a été effectivement commise quant au fond, il n’est possible de dire qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention qu’après avoir constaté qu’il y a eu une violation effective des articles de fond concernant la violation (ce que l’État partie dément ci‑dessous dans ses observations concernant les articles 4 à 7). Même si le Comité considérait que l’article 2 peut être violé directement, l’État partie estime s’être acquitté de ses obligations: il condamne la discrimination raciale, a adopté des lois et des mesures rendant illégale sa pratique par toute personne ou par tout organisme et visant à éliminer toutes les formes de discrimination raciale, et œuvre activement pour la promotion de l’égalité raciale, et a institué des voies de recours efficaces.

4.5En ce qui concerne certains paragraphes de l’article 2, en particulier le paragraphe 1 a), l’État partie cite des commentaires émanant d’universitaires qui ont estimé que cette disposition ne concerne pas les actes de discrimination commis en privé (lesquels font l’objet des alinéas b et d). Étant donné que le conseil d’administration du terrain de sport de Toowoomba est un organisme privé et non un organisme public ou un agent du Gouvernement, ses actes n’entrent pas dans le champ d’application du paragraphe 1 a). En ce qui concerne le paragraphe 1 b), l’État partie se fonde sur des commentaires selon lesquels cette disposition a pour but d’empêcher que tout auteur d’actes de discrimination raciale reçoive l’appui de l’État. L’État partie affirme que ni l’établissement du conseil d’administration du terrain de sport, son existence continue, ni sa réponse à la communication ne peuvent être considérés comme une contribution, un soutien ou un appui quel qu’il soit de l’État à une quelconque discrimination raciale commise par le conseil (allégation qu’il dément).

4.6S’agissant du paragraphe 1 c), l’État partie renvoie à ses observations figurant ci‑dessous, indiquant qu’il n’y a pas eu discrimination. Le fait que la plainte déposée par le requérant en vertu de la loi sur la discrimination raciale n’a pas abouti n’enlève rien à l’efficacité de ce texte législatif; il n’indique pas non plus que ladite loi crée ou perpétue la discrimination raciale. En ce qui concerne le paragraphe 1 d), l’État partie renvoie de nouveau à ses affirmations selon lesquelles il n’y a pas eu discrimination raciale en l’espèce et à ses observations générales ci‑dessus concernant l’article 2. En ce qui concerne le paragraphe 1 e), l’État partie se réfère à des commentaires selon lesquels cette disposition est «formulée en termes généraux et vagues», ne définit pas «ce que sont les “mouvements intégrationnistes” et ce qui tend à “renforcer” la division raciale». L’État partie rappelle que l’Australie est une société multiculturelle et que ses lois et politiques sont conçues en vue d’éliminer la discrimination raciale directe et indirecte et de promouvoir activement l’égalité raciale. On trouvera dans ses rapports périodiques au Comité une description approfondie de ces lois et mesures. En ce qui concerne le paragraphe 2, l’État partie signale que le requérant n’a pas indiqué à quel titre son cas justifierait des «mesures spéciales». À ce propos, l’État partie renvoie à ses affirmations selon lesquelles il n’y a pas eu de discrimination raciale en l’espèce et que «des mesures spéciales» ne sont donc pas nécessaires.

4.7Pour ce qui est de la réclamation formulée par le requérant au titre de l’article 4, l’État partie rappelle sa réserve concernant ledit article. L’État partie rappelle que, conformément à ses obligations découlant de cet article, il a appliqué la section II A de la loi sur la discrimination raciale, notamment l’article 18 C au titre de laquelle le requérant a déposé sa plainte. En outre, il fait valoir, en se fondant sur la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qu’un certain «pouvoir d’appréciation» doit être reconnu aux États parties dans l’action menée pour s’acquitter de leurs obligations découlant de la Convention.

4.8L’État partie affirme que l’emploi de l’expression «causée par» à l’article 18 de la loi sur la discrimination raciale, qui rend nécessaire l’existence d’une relation de causalité entre le comportement offensant et la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique du «groupe visé» permet de satisfaire à l’obligation d’interdire les actes intentionnellement racistes définis à l’article 4. Cette approche est compatible avec la Convention et permet d’éviter toute incertitude. En conséquence, l’État partie estime que l’emploi des termes «fondée sur» à l’article 18 de la loi susmentionnée ne permettrait pas de donner correctement effet à l’article 4 de la Convention telle qu’elle est mise en œuvre dans la législation australienne.

4.9L’État partie soutient que la plainte du requérant n’a pas été rejetée pour des subtilités techniques mais pour défaut de fondement. Le Tribunal fédéral, en rejetant l’affirmation selon laquelle tout emploi du terme offensant était forcément racialement injurieux a estimé que, vu le contexte dans lequel le terme offensant avait été employé et la manière dont la communauté percevait la pancarte fixée sur la tribune, la décision du conseil de ne pas toucher à ladite pancarte ne constituait pas une violation de l’article 18 C de la loi sur la discrimination raciale. L’État partie invite le Comité à faire sienne l’approche du Tribunal fédéral et à prendre en considération le contexte dans lequel le mot a été employé afin de se prononcer sur les points concernant l’article 4.

4.10L’État partie rappelle les éléments contextuels suivants: i) le fait que le terme offensant est affiché en tant que «partie intégrante du nom d’une personne à laquelle il est manifestement rendu hommage en affichant publiquement son nom sur la tribune», ii) les conclusions du Tribunal fédéral selon lesquelles «même si le surnom “Nigger” avait été attribué longtemps auparavant à M. Brown dans des circonstances où il avait une connotation raciale, voire raciste, les éléments de preuve disponibles laissent penser que son emploi dans la dénomination habituelle de M. Brown avait perdu cette connotation depuis de nombreuses décennies, bien avant la plainte du requérant», iii) les consultations avec des autochtones locaux, iv) l’opinion d’une personnalité d’une ancienne ligue aborigène de rugby de la région, qui avait estimé que ce nom ne posait aucun problème et faisait «simplement partie de l’histoire», et v) le fait qu’aucune plainte n’avait été formulée (avant celle du requérant) pendant les 40 ans où la pancarte avait été affichée dans un stade fréquenté régulièrement par de nombreux autochtones, en dépit du fait que les sensibilités et l’esprit de protestation se sont développées au cours des années récentes.

4.11Étant donné ce qui précède, l’État partie affirme que la décision du Tribunal fédéral (confirmée en appel) selon laquelle le refus des administrateurs, qui n’avait été notifié qu’après que ces derniers ont «pris soin de bonne foi d’éviter d’offenser les membres d’un certain groupe racial» et qui «n’est pas objectivement de nature à offenser les membres de ce groupe», n’avait pas été «causé par la race» d’une personne quelle qu’elle soit. Même s’il acceptait de reconnaître que le requérant avait pu se sentir subjectivement offensé, le Comité devrait lui aussi appliquer la méthode objective suivie par le Tribunal fédéral lorsque ce dernier avait estimé que rien ne laissait penser que les gestionnaires avaient essayé de justifier, de promouvoir ou d’encourager la discrimination raciale, ce en violation de l’article 4 de la Convention.

4.12En ce qui concerne les alinéas a à c de l’article 4, l’État partie estime que le requérant n’a fourni aucune preuve quant à la manière dont il pourrait avoir violé l’une quelconque des obligations qui y sont énoncées, notamment en appuyant prétendument des activités racistes. L’État partie signale que la section II A de la loi sur la discrimination raciale, en vertu de laquelle est illégal tout comportement offensant fondé sur la haine raciale, et d’autres lois en vigueur au niveau des États et des territoires qui interdisent la haine et la diffamation raciales, lui permettent de s’acquitter de ses obligations en vertu des alinéas susmentionnés. En ce qui concerne l’alinéa a, il rappelle sa réserve et, pour ce qui est de l’alinéa c, que le conseil d’administration n’est ni une autorité ni une institution publique.

4.13Pour ce qui est de la réclamation formulée par le requérant au titre de l’article 5, au motif qu’il ne serait pas en mesure de jouir des activités organisées dans le stade, l’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’évaluation de la discrimination. Cette approche exige qu’il y ait eu une inégalité flagrante dans la jouissance du droit en cause par rapport à d’autres personnes qui se trouvaient dans une situation analogue. S’il existe une telle inégalité, les moyens utilisés pour atteindre un objectif particulier doivent être raisonnablement et objectivement justifiés et proportionnés. L’État partie fait observer que les articles 9 (qui rend la discrimination illégale) et 10 (qui garantit l’égalité devant la loi) de la loi sur la discrimination raciale ont été adoptés pour assurer la mise en œuvre des articles 2 et 5 de la Convention, et que l’article 9 suit étroitement la définition de la discrimination raciale figurant à l’article premier de la Convention.

4.14L’État partie indique que le Tribunal fédéral a estimé, dans son interprétation (confirmée en appel), selon laquelle l’expression «basée sur» figurant au paragraphe 1 de l’article 9 sur laquelle le requérant s’est fondé «n’exige pas l’existence d’une relation de causalité entre l’acte dont il se plaignait et la race, etc., mais que cette expression devrait plutôt être comprise au sens de “en rapport avec”, qui implique une relation moins directe qu’une relation de cause à effet». En ce qui concerne la réclamation du requérant au titre du paragraphe 1 de l’article 9, le Tribunal n’a pas estimé que la décision des administrateurs de conserver la pancarte était «fondée sur» la race. En effet, cette décision n’était pas «un acte qui amenait à traiter les membres de la race aborigène de façon différente, voire moins favorable, que les autres membres de la communauté» car le terme offensant faisait purement et simplement partie du nom habituel d’une célébrité, qui avait cessé depuis longtemps d’avoir une quelconque connotation inconvenante.

4.15Le Tribunal a estimé que même si la décision avait eu la race pour fondement ou motif, ces considérations raciales «avaient été prises en compte par les gestionnaires afin de s’assurer que le maintien de la pancarte n’offenserait pas les Aborigènes en général, ce qui n’est pas la même chose qu’offenser [le requérant] personnellement». Le Tribunal a donc estimé dans ses conclusions selon lesquelles il n’y avait pas eu discrimination raciale qu’«il n’est pas possible de dire que l’acte, même s’il avait été fondé sur la race, comportait une distinction ou un autre élément quelconque ayant pour but ou pour effet d’annuler ou d’entraver la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice sur un plan d’égalité d’un droit de l’homme ou d’une liberté fondamentale quels qu’ils soient ayant les caractéristiques prévues dans l’article en cause». L’État partie estime en conséquence que, comme le Tribunal fédéral l’a déclaré, le requérant n’a pas établi qu’il avait été traité par les administrateurs d’une façon différente ou moins favorable que toute autre personne qui se trouvait dans une situation similaire, et qu’aucune discrimination raciale n’avait donc été établie.

4.16En ce qui concerne les paragraphes de l’article 5 invoqués par le requérant (par. d) i) et ix), e) vi) et f)), l’État partie affirme que, comme l’intéressé n’a pas établi qu’il y a eu distinction raciale en l’espèce, la question d’une discrimination concernant son droit de circuler librement, de réunion ou d’association, de participer dans des conditions d’égalité aux activités culturelles ou d’avoir accès à un lieu ou service public ne se pose pas. En ce qui concerne le paragraphe e) vi), l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle le Comité n’a pas pour compétence de veiller à ce qu’un droit soit établi mais plutôt d’en suivre l’application lorsqu’il a été octroyé dans des conditions d’égalité.

4.17En ce qui concerne l’article 6, l’État partie note que les États disposent d’un grand pouvoir d’appréciation pour s’acquitter de l’obligation énoncée à l’article 6. Il affirme que son droit interne, qui permet de déposer et d’examiner des plaintes pour discrimination raciale et d’octroyer des dédommagements, notamment une indemnisation monétaire lorsque le bien‑fondé d’une plainte a été reconnu, donne effet de façon appropriée à l’obligation énoncée à l’article 6. L’État partie souligne que le rejet de la plainte du requérant par le Tribunal fédéral ne met pas en cause l’efficacité des recours prévus dans la loi sur la discrimination raciale contre cet acte ou sur les réparations disponibles lorsque le bien‑fondé d’une plainte a été reconnu.

4.18En tout état de cause, l’État partie affirme que l’article 6, concernant les voies de recours, a un caractère subordonné et ne peut être considéré comme ayant été violé que si une violation précise des droits énoncés dans la Convention a été établie. Étant donné qu’aucune autre violation de la Convention n’a été établie (au titre des articles 2, 4, 5 ou 7), il ne peut par conséquent y avoir eu violation de l’article 6.

4.19Concernant la plainte formulée au titre de l’article 7, l’État partie note que la loi sur la discrimination raciale a pris effet le lendemain de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État partie. En outre, toutes les autorités, au niveau de la Fédération, des États et des territoires, ont, au fil des ans, adopté une vaste gamme de mesures en vue de lutter effectivement contre les préjugés raciaux et de promouvoir l’harmonie raciale, qui sont présentées de façon détaillée dans les rapports périodiques de l’État partie. Le fait que le requérant n’a pas obtenu gain de cause devant les tribunaux internes ne met pas en cause la rapidité ou l’efficacité des mesures qui ont été prises par les autorités de l’État partie pour lutter contre les préjugés raciaux et promouvoir l’harmonie raciale.

Observations du requérant

5.1Dans une communication datée du 20 décembre 2002, le requérant a répondu aux observations de l’État partie. Il confirme qu’il ne demande pas au Comité de réviser les décisions des tribunaux internes mais plutôt d’examiner la compatibilité de l’affichage public du terme offensant et de son utilisation répétée par voie d’annonces avec la Convention. L’issue des procédures internes laisse apparaître que le droit interne de l’État partie est formulé en termes excessivement restrictifs et ne donne pas pleinement effet aux obligations prévues dans la Convention. Le requérant ne demande pas non plus au Comité de réviser la législation de l’État partie dans l’abstrait mais il se plaint plutôt d’une violation précise de la Convention et de ce que l’État partie ne lui a pas fourni un recours approprié.

5.2Le requérant estime que les vues subjectives des personnes évoquées par l’État partie, qui ne s’étaient pas senties offensées par le terme en question, n’ont pas à être prises en considération, la question étant de savoir si l’offense a été ressentie par le requérant et sa famille. En tout état de cause, un nombre considérable de personnes partageaient les vues du requérant sur la tribune, à savoir le Comité pour la Journée de Toowoomba, l’Association multiculturelle de Toowoomba, plus de 80 personnes qui ont participé à une marche de «réconciliation concrète» et 300 personnes qui ont signé une pétition. Des attestations ont été soumises à ce sujet au Tribunal fédéral mais elles n’ont pas été acceptées pour des raisons techniques. Le requérant invite le Comité à prendre ces vues en considération. En tout état de cause, il demande au Comité de dire que le terme en cause est objectivement offensant, quelles que soient les vues subjectives de différents individus.

5.3Pour ce qui est des conclusions que l’on devrait tirer de l’insuccès des procédures qu’il a engagées sur le plan interne, le requérant soutient que cet insuccès est dû au fait que la législation de l’État partie est établie en termes si restrictifs qu’il est extrêmement difficile de prouver qu’il y a eu une discrimination, et qu’elle ne donne pas, par conséquent, pleinement effet à la Convention. Cet insuccès montre que la législation de l’État partie n’assure pas une protection efficace contre la discrimination raciale. Le requérant souligne qu’il ne saisit pas le Comité au sujet d’une violation de la législation interne mais de la Convention elle‑même.

5.4Pour ce qui est des différents arguments de l’État partie concernant l’article 2, le requérant fait observer que l’État partie n’a pris aucune mesure pour faire enlever la pancarte offensante en dépit des controverses qu’elle suscite depuis des années. Il estime que cette inaction constitue une violation de l’obligation énoncée à l’article 2 d’éliminer et de faire cesser toutes les formes de discrimination raciale. Le requérant rejette la définition selon laquelle le conseil d’administration du terrain de sport serait un «organisme privé». Il signale que les administrateurs sont nommés et peuvent être révoqués par le Ministre et que leur fonction est de gérer des terrains affectés à des fins publiques (communautaires). En effet, la législation de l’État partie dispose que toute responsabilité civile du fait des administrateurs est à la charge de l’État. Il s’agit donc d’une autorité ou d’une institution publique aux fins de la Convention.

5.5Pour ce qui est des arguments de l’État partie concernant l’article 4, le requérant conteste le renvoi à la réserve de l’État partie. Il soutient que la réserve est «probablement invalide» car incompatible avec l’objet et le but de la Convention. Même si elle était valide, elle aurait selon lui un caractère temporaire car elle indique que l’État partie à l’intention, «dès que l’occasion s’en présentera, de demander au Parlement d’adopter une législation visant expressément à appliquer les dispositions de l’alinéa a de l’article 4». Étant donné que l’État partie affirme que la section II A de la loi sur la discrimination raciale lui permet de satisfaire à ses obligations au titre de cet article, la réserve doit être devenue caduque.

5.6Le requérant indique qu’il ne se plaint pas de l’emploi du terme offensant dans un passé lointain mais de son emploi et de son affichage actuels. Il explique qu’il n’est pas nécessaire de répéter le surnom offensant afin de rendre hommage à M. Brown et qu’il n’est pas habituel que les surnoms des célébrités sportives, outre leurs noms et prénoms, soient placardés dans les tribunes des stades de l’État partie.

5.7Pour ce qui est des arguments de l’État partie concernant l’article 5, le requérant affirme qu’il a effectivement établi une distinction raciale fondée sur le fait que le terme en cause est racialement offensant et injurieux et que les Australiens blancs ne sont pas touchés comme il l’a été lui‑même, ainsi que sa famille. L’incapacité qui en a résulté pour le requérant et sa famille de fréquenter le stade constituait une atteinte à leurs droits en vertu de l’article 5, notamment à celui de prendre part dans des conditions d’égalité aux activités culturelles. Pour ce qui est des arguments de l’État partie concernant l’article 5, le requérant fait observer que l’État partie n’a formulé aucune mesure «pédagogique, éducative, culturelle ou d’information» pour combattre la conduite discriminatoire des administrateurs ou promouvoir la réconciliation entre les nombreuses personnes qui s’étaient senties offensées par la pancarte.

Délibérations du Comité

Considérations relatives à la recevabilité

6.1Avant d’examiner les faits incriminés dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément à l’article 91 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est ou non recevable en vertu de la Convention.

6.2Le Comité note que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés. Pour ce qui est des arguments de l’État partie selon lesquels la communication ne relève pas de la Convention et/ou est insuffisamment étayée, le Comité estime que le requérant a suffisamment établi, aux fins de la recevabilité, que sa plainte individuelle entre dans le champ d’application des dispositions de la Convention. Étant donné la complexité des arguments de fait et de droit, le Comité estime qu’il conviendra de préciser le champ d’application exact des dispositions pertinentes de la Convention lorsque la plainte sera examinée quant au fond.

6.3En l’absence de toute autre objection à la recevabilité de la communication, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

7.1Agissant en application de l’article 14, paragraphe 7 a), de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité a examiné les renseignements fournis par le requérant et l’État partie.

7.2Le Comité a tenu dûment compte du contexte dans lequel la pancarte portant le mot offensant a été placée, en 1960, en particulier du fait que le mot offensant – un surnom probablement inspiré d’une marque de cirage – ne visait pas à dénigrer ou rabaisser celui à qui il avait été donné, M. Brown, qui n’était pas noir ni d’ascendance aborigène. De plus pendant très longtemps ni M. Brown (pendant 12 ans, jusqu’à sa mort) ni le grand public (pendant 39 ans, jusqu’à la plainte du requérant) n’a trouvé à redire à la pancarte.

7.3Néanmoins, le Comité estime que l’emploi ou le maintien du mot offensant peut de nos jours être considéré comme offensant et insultant, même s’il ne l’a pas nécessairement été pendant longtemps. Le Comité estime en fait que la Convention, instrument vivant, doit être interprétée et appliquée en tenant compte des circonstances de la société contemporaine. Dans ce contexte, il considère de son devoir de rappeler la plus grande sensibilité éprouvée de nos jours à des mots tels que le terme en cause.

8.Le Comité relève donc avec satisfaction la résolution adoptée le 29 juillet 1999 lors de la réunion publique de Toowoomba tendant à ce que, dans un esprit de réconciliation, les termes péjoratifs ou insultants à caractère racial ne soient plus utilisés ou affichés à l’avenir. En même temps, le Comité estime qu’il peut être rendu hommage à la mémoire d’un sportif de renom par d’autres moyens qu’en conservant bien en vue une pancarte considérée comme racialement insultante. Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour faire enlever le terme offensant de la pancarte en question, et de le tenir informé des dispositions qu’il aura prises à ce sujet.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Notes