Nations Unies

CAT/C/PRY/CO/7

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 septembre 2017

Français

Original : espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant le septième rapport périodique du Paraguay *

1.Le Comité contre la torture a examiné le septième rapport périodique du Paraguay (CAT/C/PRY/7) à ses 1546e et 1549e séances (voir CAT/C/SR.1546 et 1549), les 26 et 27 juillet 2017, et a adopté à sa 1563eséance, le 8août 2017, les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le septième rapport périodique du Paraguay et note qu’il a été présenté avec seulement quelques mois de retard et conformément à la procédure simplifiée de présentation des rapports, qui permet de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité.

3.Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et remercie celle-ci des compléments d’information qu’elle lui a apportés pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives ci-après dans des domaines relevant du champ d’application de la Convention :

a)La promulgation en 2016 de la loi no5777/2016 sur la protection complète des femmes contre toutes les formes de violence, qui érige le féminicide en infraction pénale ;

b)L’adoption en 2016 de la loi no 5659/2016 sur la promotion des bons traitements, l’éducation positive et la protection des enfants et des adolescents contre les châtiments corporels et toute autre forme de violence employée à des fins punitives ou disciplinaires ;

c)L’adoption en 2015 de la loi no 5407/2015 sur le travail domestique, qui interdit le travail domestique aux enfants de moins de 18 ans ;

d)La promulgation en 2012 de la loi no 4793/2012, qui prévoit la mise en place d’une couverture médicale pour les victimes de la dictature de 1954-1989 ;

e)L’adoption en 2012 de la loi générale no 4788/2012 contre la traite des personnes, qui érige en infraction la traite interne.

5.Le Comité prend note des mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, parmi lesquelles :

a)L’adoption récente, en 2017, du Protocole d’intervention policière concernant les adolescents en conflit avec la loi, et du Protocole relatif à la sécurité des journalistes exposés à un risque élevé ;

b)La création, en 2016, du système d’information de la police intitulé « Marandu », qui permet d’enregistrer numériquement les plaintes et de les centraliser ;

c)L’adoption, en 2016, du décret no 5140, portant approbation du Plan national de lutte contre la violence à l’égard des femmes 2015-2020 ;

d)L’adoption, en 2015, du protocole d’action en cas de plainte pour atteinte aux droits de l’homme et du Protocole applicable aux plaintes pour torture et, en 2016, du protocole sur les mesures d’urgence en cas de plaintes pour atteinte aux droits de l’homme ou pour torture émanant de personnes privées de liberté ;

e)La création, en 2014, d’un système de suivi des recommandations émanant des différents mécanismes internationaux relatifs aux droits de l’homme ;

f)La création d’un registre de détention en 2013, et l’adoption en 2014 de la circulaire no 43 qui rend obligatoire le contrôle de la mise en œuvre du système d’enregistrement des personnes privées de liberté ;

g)L’entrée en vigueur, en 2013, du Plan national des droits de l’homme, dont l’axe stratégique III traite de la prévention de la torture ;

h)L’adoption, en 2012, du décret no 8309 portant approbation de la politique nationale pour la prévention et la lutte contre la traite des personnes.

6.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme ou y a adhéré et qu’il a soumis dans les délais ses rapports périodiques à tous les organes conventionnels concernés. Il note aussi avec satisfaction qu’en 2003, l’État partie a adressé une invitation permanente à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

7.Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie dans le cadre de la procédure de suivi (CAT/C/PRY/CO/4-6/Add.1) et des progrès accomplis sur le plan législatif et administratif en matière de lutte contre la traite (voir les paragraphes 4 e) et 5 h), supra) mais regrette que des mesures de fond n’aient pas été prises pour donner effet aux autres recommandations retenues aux fins du suivi dans les précédentes observations finales (CAT/C/PRY/CO/4-6), concernant le renforcement des garanties juridiques pour les personnes détenues (voir par. 10 et 11) et l’ouverture de poursuites et l’adoption de sanctions contre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements (voir par. 16 et 17).

Définition de l’infraction de torture

8.Le Comité prend note de l’adoption en 2012 de la loi no 4614/2012, qui modifie la définition de l’infraction de torture figurant à l’article 309 du Code pénal, mais il constate avec préoccupation que la nouvelle qualification pénale n’est pas encore conforme à l’article 1 de la Convention, puisqu’elle ne mentionne pas expressément la discrimination comme motif (art. 1 et 4).

9. L’État partie devrait rendre l’article 309 de son Code pénal conforme aux dispositions de l’article 1 de la Convention et faire figurer expressément la discrimination parmi les motifs de la torture. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe 9 de son observation générale n o 2 (2008) sur l’application de l’article 2 par les États parties, dans lequel il est souligné que si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l’impunité.

Garanties fondamentales

10.Le Comité prend note des mesures que l’État partie a prises pour contrôler le respect des garanties de procédure (voir supra, par. 5 f)), mais il demeure préoccupé par les difficultés rencontrées par les détenus pour contacter un membre de leur famille ou un défenseur public dès le début de la détention. En outre, il note avec préoccupation que l’obligation d’utiliser un registre dans tous les postes de police n’est pas toujours respectée, mais il relève avec intérêt les efforts en cours visant à ajouter l’enregistrement des détentions au système numérique de la police (voir supra, par. 5 b)). Le Comité se déclare de nouveau préoccupé par l’absence d’intimité et de confidentialité lors des examens médicaux des détenus, qui sont souvent effectués en présence du personnel de police et ne sont pas conformes aux prescriptions du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 2).

11. L’État partie devrait  :

a) Faire en sorte que, dans la pratique, les personnes privées de liberté jouissent de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention, conformément aux normes internationales, et en particulier du droit  : i)  de prévenir un membre de leur famille ou toute autre personne de leur choix immédiatement après leur arrestation  ; ii)  de contacter un avocat dès le début de leur privation de liberté, et de le consulter en privé pendant toute la durée de la procédure les concernant  ; et iii)  de demander et d’obtenir un examen médical effectué dans le respect du droit à la confidentialité et de la vie privée du détenu par un professionnel qualifié ayant reçu une formation sur le Protocole d’Istanbul, ou par un médecin indépendant si elles en font la demande  ;

b) Créer un dispositif permettant de contrôler l’utilisation des registres de détention et sanctionner dûment les agents de l’État qui ne tiennent pas à jour ces registres ou qui ne respectent pas les garanties fondamentales.

Défense publique

12.Le Comité se félicite de l’augmentation des ressources humaines et budgétaires du Ministère de la défense publique, mais regrette que cet organe n’ait pas la capacité opérationnelle nécessaire pour offrir d’office une assistance, dès le début de la détention, à tous les détenus dans des commissariats qui en font la demande en raison de leur situation socioéconomique fragile. Il regrette également l’absence d’informations sur le nombre de cas allégués de torture et de mauvais traitements vérifiés par les défenseurs publics (art. 2).

13. L’État partie devrait faire en sorte que le Ministère de la défense publique offre une aide juridictionnelle gratuite aux personnes démunies, et ce , dès le début de la détention, et qu’il accroisse la fréquence et l’efficacité des visites des défenseurs publics, afin qu’elles constituent une garantie effective pour la prévention de la torture et la surveillance des conditions de détention des personnes concernées. Le Ministère de la défense publique devrait collecter des données sur les allégations de torture et de mauvais traitements concernant les personnes bénéficiant de son assistance et en assurer le suivi.

Mécanisme national de prévention de la torture

14.Le Comité se félicite de la création en 2013 du mécanisme national de prévention de la torture, mais il est préoccupé par les contraintes budgétaires considérables liées à la réduction de 25 % de son budget depuis son entrée en fonction, qui l’empêchent de réaliser toutes les visites d’inspection programmées. Il est en outre préoccupé par le retard pris dans la mise en œuvre par l’État partie des recommandations du mécanisme national de prévention, malgré leur caractère contraignant au regard de la loi (art. 2).

15. L’État partie devrait veiller à ce que le mécanisme national de prévention dispose de ressources suffisantes pour s’acquitter de son mandat efficacement et en toute indépendance, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention et à la loi n o 4288/11 portant création de ce mécanisme. Le Comité demande instamment à l’État partie d’utiliser le réseau des droits de l’homme du pouvoir exécutif et les autres organes existants en vue d’appliquer les recommandations du mécanisme national de prévention, comme prévu par la loi.

Impunité des auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements

16.Le Comité se déclare à nouveau profondément préoccupé par les informations concordantes faisant état de la persistance de la pratique de la torture et des mauvais traitements de la part de policiers et d’agents pénitentiaires. Il note également avec préoccupation que des directeurs de prison qui ont été visés par des plaintes successives pour actes de torture continuent d’occuper leur poste sans avoir été suspendus de leurs fonctions et sans avoir fait l’objet de poursuites et de sanctions. Il déplore une fois encore que les données fournies par l’État partie se limitent aux enquêtes internes contre des fonctionnaires et ne comprennent pas de données consolidées sur toutes les plaintes pour actes de torture et les enquêtes, les poursuites et les sanctions auxquelles elles ont donné lieu pendant la période à l’examen, et ce, malgré les questions posées par le Comité au cours du dialogue. Selon les données recueillies par le mécanisme national de prévention, entre 2013 et 2016, l’Unité spéciale des droits de l’homme du Bureau du Procureur général a reçu 873 plaintes contre des agents de l’État, qui malheureusement ne précisent pas le type d’infraction. Sur ce total, 16 affaires ont donné lieu à des poursuites, 6 sont en cours de jugement et aucune n’a encore fait l’objet d’une décision définitive. Dans la majorité des cas, selon les données du mécanisme national de prévention, l’inculpation initiale repose sur des chefs parmi les moins graves, comme celui de coups et blessures dans l’exercice de fonctions publiques, de sorte qu’il est possible de négocier une solution qui évite la peine de prison. L’impunité systématique serait favorisée par l’insuffisance des enquêtes du parquet, qui ne parvient pas à recueillir des preuves et intervient rarement d’office, ainsi que par l’inefficacité des enquêtes médico-légales, qui ne sont pas conformes au Protocole d’Istanbul. Bien que les services du Procureur général soient légalement tenus d’assurer la protection des victimes et des témoins, le Comité demeure préoccupé par l’absence de programme garantissant cette protection. Le Comité accueille avec intérêt les informations concernant l’enquête menée sur les actes de torture subis par Antonio Benítez, qui se poursuit depuis 2013, mais il regrette de ne pas avoir reçu de renseignements complémentaires sur la suite donnée aux allégations d’actes de torture dont auraient été victimes Gumersindo Toledo et Marcial Martínez (art. 2, 12, 13 et 16).

17. L’État partie devrait  :

a) Réaffirmer sans ambiguïté le caractère absolu de l’interdiction de la torture et faire publiquement savoir que quiconque commet des actes de torture, s’en rend complice ou autorise tacitement de tels actes sera tenu personnellement responsable devant la loi, fera l’objet de poursuites pénales et se verra infliger les peines qui s’imposent  ;

b) Garantir que toutes les allégations de torture ou de mauvais traitement fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale, en veillant à ce qu’il n’y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés et à ce qu’une enquête soit engagée d’office lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ou des mauvais traitements ont été commis  ;

c) Mettre en place un mécanisme indépendant, efficace et confidentiel permettant aux personnes privées de liberté victimes d’actes de torture et de mauvais traitements de porter directement plainte devant le Bureau du Procureur général  ;

d) Respecter le principe de la présomption d’innocence pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de torture ou des mauvais traitements, et, dans le même temps, veiller à ce que ces personnes soient relevées de leurs fonctions immédiatement et pour toute la durée de l’enquête s’il existe un risque qu’elles soient en mesure de commettre de nouveau les actes dont elles sont soupçonnés, d’exercer des représailles contre la victime présumée ou de faire obstruction à l’enquête en cas de maintien dans leurs fonctions  ;

e) Revoir les mécanismes d’enquête interne de la police afin d’augmenter leur efficacité et de garantir la pleine indépendance institutionnelle et hiérarchique vis-à-vis des personnes faisant l’objet d’une enquête  ;

f) Normaliser l’examen médico-légal des victimes auquel il est procédé dans le cadre des enquêtes sur les cas de torture, et renforcer la formation des procureurs, des médecins légistes et des magistrats afin d’améliorer la qualité des enquêtes et la qualification exacte des faits  ;

g) Veiller à ce que les auteurs présumés soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes. Le Comité appelle l’attention sur le paragraphe 1 0 de son observation générale n o 2, dans lequel il souligne que le fait d’engager des poursuites pour mauvais traitements seulement alors qu’il existe des éléments constitutifs de torture serait une violation de la Convention  ;

h) Ac célérer la révision de la loi n o 4083/2011 et créer d’urgence un programme spécifique pour la protection des témoins et des victimes de torture qui se trouvent en situation de privation de liberté.

Actes de torture et mauvais traitements par l’Équipe spéciale conjointe

18.Le Comité est préoccupé par le rapport du mécanisme national de prévention faisant état de nombreuses violations des droits de l’homme, y compris d’actes de torture, commis dans les départements du nord du pays par l’unité de police militaire connue sous le nom d’Équipe spéciale conjointe. Il note que le déploiement de l’Équipe spéciale conjointe en vertu du décret no 103 serait autorisé par la loi sur la défense nationale et la sécurité intérieure, qui a été modifiée en 2013 pour permettre l’utilisation des forces armées dans des opérations de sécurité intérieure, mais il s’inquiète de ce que ce cadre réglementaire instaure de facto un état d’urgence permanent et une militarisation de la sécurité dans le nord du pays. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas précisé si les violations susmentionnées faisaient l’objet d’une enquête et se déclare préoccupé par les informations concernant certaines affaires qui auraient été renvoyées devant les tribunaux militaires au lieu d’être soumises aux juridictions ordinaires (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

19. L’État partie devrait  :

a) Modifier le cadre normatif existant afin de limiter les activités de contrôle de la sécurité intérieure à une force de police civile, dûment formée au respect des normes internationales pertinentes  ;

b ) Faire en sorte que toutes les affaires et toutes les plaintes concernant des manquements et atteintes aux droits de l’homme, y compris celles qui portent sur des actes de torture et des mauvais traitements, fassent rapidement l’objet d’enquêtes efficaces et impartiales, et que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes  ;

c) Veiller à ce que les victimes de violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État dans le nord du pays reçoivent une réparation intégrale.

Usage excessif de la force dans le cadre du contrôle des manifestations

20.Le Comité se déclare préoccupé par les informations faisant état d’un usage disproportionné de la force par la Police nationale, y compris d’actes de torture et de mauvais traitements infligés aux personnes arrêtées, dans le cadre des troubles causés par les manifestations qui ont eu lieu les 31 mars et 1er avril 2017 à Asunción. Il est également préoccupé par l’exécution extrajudiciaire présumée du dirigeant politique Rodrigo Quintana durant l’opération de police, mais accueille avec satisfaction les informations fournies par la délégation concernant les procédures administratives et judiciaires engagées contre les auteurs présumés de cet acte (art. 2, 11 et 16).

21. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées sans délai sur toutes les allégations d’usage excessif de la force, de détention arbitraire et d’actes de tortures ou de mauvais traitements par les membres des forces de l’ordre et de l’armée, y compris lors des manife stations qui ont eu lieu les 31 mars et 1 er avril 2017 à Asunción, et faire en sorte que les responsables soient poursuivis et qu’une réparation adéquate soit accordée aux victimes  ;

b) Redoubler d’efforts pour dispenser systématiquement à tous les membres des forces de l’ordre une formation sur les principes de précaution, de proportionnalité et de nécessité en ce qui concerne l’usage de la force, en particulier dans le contexte des manifestations.

Enquêtes sur les faits survenus en 2012 à Curuguaty

22.Le Comité prend note de la position de l’État partie, qui a affirmé dans son rapport que les policiers qui étaient intervenus le 15 juin 2012, à Curuguaty dans le cadre d’une opération d’expulsion, au cours de laquelle 11 paysans et 6 policiers avaient trouvé la mort, avaient exercé leur droit de légitime défense. Il juge toutefois préoccupant qu’aucune enquête n’ait été officiellement menée sur la nécessité et la proportionnalité du recours aux armes à feu par ces policiers au cours de l’opération d’expulsion, les paysans accusés ayant quant à eux été condamnés en juillet 2016 à des peines de quatre à trente années d’emprisonnement. Il note en outre avec inquiétude que des irrégularités ont été observées dans la procédure judiciaire, et qu’aucune enquête n’a été menée sur les allégations selon lesquelles plusieurs paysans auraient été victimes d’actes de torture et d’autres violations (art. 2, 12, 14 et 16).

23. Le Comité prie instamment l’État partie  :

a) De mandater un organe indépendant pour mener une enquête efficace, approfondie et impartiale sur l’usage disproportionné de la force meurtrière, et sur les actes de torture et autres mauvais traitements dont se seraient rendus coupables des agents de l’État au cours de la perquisition effectuée le 15  juin 2012 à Curuguaty , ainsi que sur les violations des garanties d’une procédure régulière qui auraient été observées dans le cadre des actions intentées à ce jour, ainsi que l’État partie s’est engagé à le faire au cours de l’Examen périodique u niversel (voir A/HRC/32/9, par.  102.120 et 104.1 , et A/HRC/32/9/Add.1, par.  27 et 28)  ;

b) De traduire en justice les auteurs et, s’ils sont reconnus coupables, de les punir, de veiller à ce que les victimes et leurs familles o btiennent réparation, et de protéger en permanence les victimes, leurs proches et les témoins contre d’éventuelles représailles.

Usage excessif de la détention provisoire

24.Le Comité se déclare une fois de plus préoccupé (voir CAT/C/PRY/CO/4-6, par. 19) par le recours toujours plus fréquent à la détention provisoire ; il note que les personnes en détention provisoire représentaient fin 2016 pas moins de 78 % de la population carcérale, selon les informations du mécanisme national de prévention de la torture. Il regrette que depuis l’adoption de la loi no 4431/2011 portant modification de l’article 245 du Code de procédure pénale, aucun juge ne puisse appliquer de mesures de substitution à la détention lorsque les faits en cause sont passibles d’une peine de plus de cinq années d’emprisonnement, entre autres cas de figure. En outre, bien qu’il salue les efforts effectués pour réduire l’usage de la détention provisoire et réviser la réglementation applicable, le Comité relève que, selon les explications de la délégation de l’État partie, le recours excessif à la détention provisoire est également dû à une interprétation incorrecte et large de la loi par les juges (art. 2 et 16).

25. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De modifier la législation en vigueur de façon à réduire le recours à la détention provisoire, mesure qui ne devrait être appliquée qu’à titre exceptionnel et si, à l’issue d’une appréciation au cas par cas, il est déterminé qu’elle est raisonnable et nécessaire, et qui ne doit en aucun cas être obligatoire pour toutes les personnes inculpées d’une infraction particulière (voir l’observation générale n o 35 (2014) du Comité des droits de l’homme sur la liberté et l a sécurité de la personne, par. 116 à  118)  ;

b) D’encourager l’application de mesures de substitution à la détention provisoire, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok)  ;

c) De veiller à ce que l’appareil judiciaire continue de s’employer à contrôler la nécessité et la durée de la détention provisoire et indemnise les personnes dont le placement en détention provisoire était injustifié.

Conditions de détention

26.En dépit de l’ouverture récente de nouveaux centres de détention, le Comité demeure préoccupé par l’augmentation excessive de la population carcérale depuis 2011, qui est à l’origine d’un taux de surpopulation carcérale de 159 %, selon les données communiquées par la délégation. Il note en outre avec inquiétude que, d’après le mécanisme national de prévention de la torture, ce taux d’occupation pourrait être bien supérieur si les critères de détermination de la capacité d’accueil étaient conformes aux normes internationales d’habitabilité. En raison de la surpopulation, un grand nombre de détenus, qu’on appelle les « pasilleros » (prisonniers des couloirs), n’ont pas de lit et vivent dans des conditions indignes. Le Comité se déclare une fois de plus préoccupé par les conditions matérielles déplorables, l’insalubrité et le manque d’accès à l’eau dans les établissements pénitentiaires, en particulier à Tacumbú et à Ciudad del Este, ainsi que par l’absence de budget alloué à l’alimentation des détenus dans les postes de police. En outre, bien que davantage de médecins exercent désormais en milieu carcéral, le Comité demeure préoccupé par le peu de médecins que comptent les établissements pénitentiaires, en particulier les prisons régionales d’Emboscada Antigua et de Juan Antonio de la Vega. Enfin, le Comité constate avec inquiétude qu’il subsiste, au sein des prisons, des systèmes de corruption qui compromettent les conditions de vie des détenus, et juge préoccupante l’application de régimes disciplinaires en fonction de la capacité économique des détenus (art. 2, 11 et 16).

27. Le Comité réitère ses précédentes recommandatio ns (voir CAT/C/PRY/CO/4-6, par.  19) et prie instamment l’État partie de prendre d’urgence les mesures voulues pour que les conditions de détention dans les commissariats et les établissements pénitentiaires soient conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). L’État partie devrait également  :

a) Redoubler d’efforts pour réduire la surpopulation dans les centres de détention, essentiellement en appliquant les nouveaux régimes prévus par le Code d’exécution des peines et en ayant recours à des mesures de substitution à la détention  ;

b) Remédie r en priorité au problème des «  pasilleros », en veillant à ce que chaque personne privée de liberté ait un lit et un toit  ;

c) Déterminer la capacité d’accueil maximale de chaque établissement pénitentiaire conformément aux normes internationales applicables en matière d’habitabilité  ;

d) Poursuivre les efforts réalisés pour assurer aux détenus des soins médicaux et des services de santé adaptés  ;

e) Veiller à séparer les détenus en attente de jugement des condamnés dans les établissements pénitentiaires, ainsi que les hommes des femmes et les adolescents des adultes dans les commissariats de police, et garantir que les femmes soient placées sous la surveillance de gardes de sexe féminin  ;

f) Procéder à une expertise afin d’enquêter sur les caractéristiques de la corruption dans le système pénitentiaire et de formuler des recommandations, comme le lui a recommandé de façon détaillée le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégr adants (voir CAT/OP/PRY/2, par.  64).

Décès en détention

28.Le Comité est inquiet d’apprendre qu’entre 2013 et 2017, 144 décès de détenus ont été recensés et regrette l’absence d’informations au sujet des conclusions des enquêtes menées sur ces décès et des indemnités accordées aux familles des victimes. Il relève en outre avec préoccupation que, selon les conclusions du mécanisme national de prévention de la torture, l’État partie fait preuve de négligence pour ce qui est de la violence entre détenus, de la prévention des accidents et des soins médicaux. Il s’inquiète également des difficultés rencontrées pour obtenir justice à la suite de faits présumés d’usage illégitime de la force par des membres du personnel pénitentiaire (art. 2, 11 et 16).

29. L’État partie devrait prendre les mesures voulues pour  :

a) Mener sans délai une enquête approfondie et impartiale sur chaque décès en détention, en procédant si besoin à une autopsie, afin de déterminer la responsabilité éventuelle des agents de l’État et, s’il y a lieu, de punir les coupables comme il convient et d’offrir une réparation appropriée aux proches de la victime  ;

b) Créer un registre national comportant des données statistiques sur le nombre de décès de détenus, ventilées par lieu de détention, par sexe, âge et origine ethnique ou nationalité du défunt et par cause de décès, ainsi que des renseignements détaillés sur les résultats des enquêtes concernant ces décès.

Régime disciplinaire

30.Le Comité juge préoccupant que le nouveau Code d’exécution des peines autorise la mise à l’isolement pour une période maximale de trente jours consécutifs et que, dans la pratique, cette mesure soit appliquée pendant toute la durée autorisée, ainsi que l’a confirmé la délégation de l’État partie. En outre, il note avec préoccupation que le mécanisme national de prévention de la torture fait état de l’application fréquente de sanctions arbitraires sans enquête administrative préalable ni possibilité de recours, de l’infliction de châtiments, notamment de châtiments corporels, et de l’utilisation excessive du transfèrement de détenus sans contrôle juridictionnel vers des établissements éloignés de leur lieu d’origine en guise de punition (art. 11 et 16).

31. L’État partie devrait prendre les mesures législatives et administratives qui s’imposent pour garantir que le Code d’exécution des peines et les pratiques relatives au régime disciplinaire soient conformes aux normes internationales, en particulier aux règles 36 à 46 des Règles Nelson Mandela, et notamment  :

a) Interdire les châtiments corporels et l’isolement pour une durée supérieure à quinze jours consécutifs  ;

b) Veiller à ce que l’isolement constitue une mesure de dernier recours, appliquée pour une durée aussi brève que possible et soumise à des conditions strictes de surveillance et de contrôle juridictionnel  ;

c) Veiller à ce que le droit des détenus à une procédure régulière soit respecté dans le cadre des procédures disciplinaires  ;

d) Garantir que les détenus soient placés dans les établissements les plus proches de leur domicile, si les capacités d’accueil le permettent, et que la nécessité d’un transfèrement fasse l’objet d’un contrôle par l’autorité compétente.

Détenus mineurs

32.Le Comité note avec préoccupation que 85,5 % des adolescents en conflit avec la loi se trouvaient en détention provisoire à la fin de l’année 2016, selon les statistiques communiquées par le mécanisme national de prévention de la torture, et qu’un grand nombre d’entre eux subissent des violences physiques et psychologiques de la part des surveillants‑éducateurs ou des directeurs des maisons de redressement. Il déplore le décès de quatre adolescents à la maison de redressement d’Itaguá en 2014 et regrette l’absence de renseignements au sujet des enquêtes menées sur ces décès. En outre, il juge préoccupantes les informations faisant état de l’utilisation clandestine de cellules disciplinaires dans les établissements de ce type, et de l’application de mesures de surveillance policière abusives (art. 2, 12, 14 et 16).

33. L’État partie devrait  :

a) Enquêter de manière approfondie sur les décès survenus à la maison de redressement d’ Itaguá , ainsi que sur toutes les plaintes pour mauvais traitements infligés à des mineurs placés en maison de redressement, traduire en justice les auteurs présumés et veiller à ce que ceux-ci soient dûment condamnés s’ils sont reconnus coupables  ;

b) Veiller à ce que les lois visant à protéger les droits des adolescents en conflit avec la loi soient correctement appliquées et procéder à des contrôles pour en vérifier la mise en œuvre  ;

c) Éviter de placer les mineurs en détention avant jugement et faire en sorte que ceux-ci soient jugés rapidement, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing)  ;

d) Redoubler d’efforts pour garantir la scolarisation de tous les adolescents privés de liberté et faire en sorte qu’ils suivent des programmes d’enseignement porteurs d’emploi.

Principe de non-refoulement

34.Bien qu’il prenne note avec satisfaction du cadre juridique relatif au droit d’asile, le Comité s’inquiète qu’aucun dispositif n’ait été mis en place aux frontières de l’État partie pour repérer les personnes qui pénètrent illégalement sur le territoire national, en particulier par la frontière brésilienne, et les orienter vers le système national d’asile. Il note en outre avec inquiétude que les demandeurs d’asile et les réfugiés sont particulièrement exposés au risque d’être victimes de traite (art. 2, 3, 10 et 16).

35. L’État partie devrait  :

a) Mettre en place un réseau interinstitutionnel de protection aux frontières qui permettrait d’informer les demandeurs d’asile potentiels au sujet de la procédure d’asile, de mieux les aider et les accueillir, de repérer plus facilement les victimes potentielles de la torture et de la traite et de les orienter vers la procédure d’asile  ;

b) Former régulièrement le personnel des services de l’immigration et du service des douanes au sujet de la procédure d’asile et du principe de non-refoulement et donner des instructions claires sur la nécessité de traiter les demandes d’asile.

Réparations pour les victimes de torture

36.Le Comité note avec inquiétude qu’il n’existe pas de programme de réparation, notamment de traitement des traumatismes et d’autres formes de réadaptation, à l’intention des personnes qui ont été victimes d’actes de torture commis en dehors de la période de dictature. En outre, il regrette une fois de plus l’absence d’informations au sujet des mesures de réparation, et notamment d’indemnisation, ordonnées par les tribunaux et autres institutions publiques dans les affaires de torture ou de mauvais traitement pendant la période considérée (art. 14).

37. Le Comité invite instamment l’État partie  :

a) À procéder à une évaluation des besoins existants en matière de réadaptation pour les victimes de la torture, en collaboration avec les organisations de la société civile spécialisées  ;

b) À faire en sorte que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements obtiennent pleine réparation pour le préjudice subi, notamment une indemnisation juste et adéquate, et les moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible  ;

c) À fournir des renseignements à jour sur les mesures de réparation accordées aux victimes d’actes de torture ou à leur famille.

Suite donnée aux recommandations de la Commission pour la vérité et la justice

38.Le Comité note qu’en 2016 des poursuites judiciaires ont été intentées contre 10 personnes accusées d’avoir commis des actes de torture entre 1954 et 1989. Il s’inquiète toutefois du retard accumulé dans la conduite des enquêtes menées sur les 18 772 cas de torture commis sous la dictature qui ont été recensés par la Commission pour la vérité et la justice, et regrette l’absence de données consolidées sur les résultats de ces enquêtes à ce jour. Il note également avec inquiétude que la lenteur des enquêtes a conduit plusieurs victimes à introduire une action en Argentine, où s’applique le principe de la compétence universelle pour les crimes contre l’humanité. Il constate en outre avec préoccupation que, sur les 400 personnes disparues entre 1954 et 1989, seules 36 ont pu être identifiées à partir des ossements retrouvés sur une période de dix ans (art. 2, 12, 14 et 16).

39. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que tous les actes de torture et de violence qui, d’après les conclusions de la Commission pour la vérité et la justice, ont été commis sous la dictature fassent l’objet d’une enquête dans les meilleurs délais et à ce que les responsables soient condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes  ;

b) Assurer la protection des victimes, des témoins et de leurs proches et garantir le droit des victimes d’obtenir une réparation pleine et entière  ;

c) Redoubler d’efforts pour retrouver et identifier toutes les personnes qui ont été victimes de disparition forcée pendant la période allant de 1954 à 1989, comme le lui a recommandé le Comité des disparitions for cées (voir CED/C/PRY/CO/1, par.  28).

Violence sexiste et femmes en détention

40.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures législatives et administratives visant à lutter contre la violence sexiste (voir les paragraphes 4 a) et 5 c) supra) mais il est vivement préoccupé par le nombre élevé de plaintes pour violence domestique enregistrées par le biais du système d’appels d’urgence 911 de la police (32 883 plaintes en 2014) et note avec inquiétude que, d’après les informations fournies dans le rapport de l’État partie, seuls 4 % de ces appels ont donné lieu à une action en justice. Il juge en outre préoccupantes les informations indiquant que 80 % des plaintes pour violence domestique sont classées sans suite en raison du désistement de la victime, même s’il s’agit d’une infraction entraînant la mise en mouvement de l’action publique, et regrette l’absence de données officielles sur les résultats des enquêtes. Il est en outre préoccupé par le fait que les fouilles intrusives vaginales et le déshabillage forcé soient utilisés comme moyens de contrôle de sécurité dans les établissements pénitentiaires pour femmes, même s’il prend note des informations fournies par la délégation sur les efforts réalisés pour remplacer ces méthodes par des détecteurs de métaux (art. 2, 12 et 16).

41. L’État partie devrait  :

a) Redoubler d’efforts pour lutter contre toutes les formes de violence sexiste et veiller à ce que des enquêtes soient ouvertes d’office en cas d’infraction entraînant la mise en mouvement de l’action publique au pénal, que les auteurs présumés soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées , et que les victimes obtiennent une réparation complète.

b) Soumettre les procédures de fouille corporelle à une surveillance stricte et garantir que ces fouilles ne soient pas dégradantes pour les détenus ou pour les visiteurs des centres de détention, comme le prévoient les règles 50 à 53 et 60 des Règles Nelson Mandela.

Procédure de suivi

42.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 11 août 2018 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations figurant aux paragraphes 15, 17 b), d) et g) et 19 supra. Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

43.Le Comité invite l’État partie à étudier la possibilité de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

44.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

45.Le Comité invite l’État partie à soumettre son huitième rapport périodique au plus tard le 11 août 2021. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps utile une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le huitième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.