Nations Unies

CCPR/C/108/D/1809/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 septembre 2013

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 1809/2008

Décision adoptée par le Comité à sa 108e session (8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

V. B. (représentée par David Strupek)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

7 novembre 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 octobre 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

24 juillet 2013

Objet:

Allégation de discrimination dans l’accès auxprestations de sécurité sociale pendant ladétention

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Non-discrimination

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

2

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no1809/2008 *

Présentée par:

V.B. (représentée par David Strupek)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

7 novembre 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2013,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Mme V. B., de nationalité tchèque d’origine rom, née le 25 février 1969. Elle se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, M. David Strupek.

1.2Le 14 septembre 2009 le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas examiner la question de la recevabilité séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 13 août 2002, l’auteur a été arrêtée et accusée de tentative de meurtre sur sa colocataire. Le 15 août 2002, elle a été entendue par le tribunal municipalde Prague et a été placée en détention provisoire. Le 1er octobre 2002, elle a été remise en liberté dans l’attente de son procès, sur ordre du Bureau du Procureur général municipal de Prague. À l’issue du procès, elle a été acquittée de toutes les charges qui pesaient contre elle, par jugement du tribunal municipal en date du 9 avril 2003.

2.2Le 16 juin 2003, dans une lettre adressée au Ministre de la justice, l’auteur a demandé réparation pour le temps passé en détention, en vertu de l’article 30 de la loi no 82/1998 relative à la responsabilité pour les dommages causés par une décision ou une procédure officielle incorrecte d’une autorité de l’État. Étant donné qu’elle était sans emploi au moment de son arrestation, l’auteur réclamait une indemnité de 5 000 couronnes tchèques par mois de détention. Dans une lettre datée du 19 août 2003, le Ministre de la justice a rejeté la demande de l’auteur, expliquant que l’on ne pouvait pas se prévaloir de l’article 30 de la loi no 82/1998 si la perte de gains n’était pas prouvée. Il a ajouté que la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée au titre de l’article 30 de la loi no 82/1998 qu’à la condition que le préjudice pécuniaire soit établi et que, ce préjudice ne pouvant pas être prouvé en l’espèce, aucune indemnité ne pouvait être versée.

2.3L’auteur a engagé une action civile contre l’État tchèque auprès du tribunal de district de Prague, en faisant valoir qu’elle devrait être indemnisée pour la «perte de possibilité» de trouver un emploi subie du fait de sa détention. Elle faisait observer que le montant fixé par l’article 30 (161 couronnes tchèques par jour de détention en 2002, soit 5 000 couronnes par mois) était inférieur au salaire minimum. Le législateur indique que toute personne aurait eu généralement la possibilité de gagner au moins ce montant si elle n’avait pas été privée de sa liberté. L’auteur réclamait 8 225 couronnes tchèques (soit 3 064 couronnes pour les dix-neuf jours de détention d’août 2002, 5 000 couronnes pour le mois de septembre 2002 et 161 couronnes pour une journée de détention en octobre 2002), plus des intérêts et le remboursement des frais de procédure.

2.4Le 4 août 2005, le tribunal de district a répondu que l’auteur n’avait pas droit à une indemnisation pour les mois d’août et d’octobre puisqu’elle avait perçu pendant ces deux mois des prestations de sécurité sociale identiques à celles auxquelles elle avait droit avant son placement en détention et après sa libération. Le tribunal a tenu compte de la perte de gains correspondant aux prestations de sécurité sociale non versées en septembre 2002, conformément à l’article 30 de la loi no 82/1998, et a ordonné à l’État de verser à l’auteur des indemnités d’un montant de 5 000 couronnes tchèques plus les intérêts. Le Ministre a fait appel de ce jugement auprès du tribunal municipal de Prague,en affirmant que les prestations de sécurité sociale perdues ne pouvaient pas être assimilées à une «perte de gains», car ces prestations avaient pour objet de répondre aux besoins essentiels d’un individu, besoins qui étaient pris en charge pendant la détention. Le 10 mai 2006, le tribunal municipal a fait droit à l’appel et infirmé la décision du tribunal de district en ce qui concerne l’indemnisation correspondant au mois de septembre.

2.5Le 4 septembre 2006, l’auteur a saisi la Cour constitutionnelle en faisant valoir qu’elle n’ignorait pas que le droit des personnes acquittées de charges pénales à être indemnisées pour le préjudice subi n’était pas garanti par la Constitution ni par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, mais que la législation pertinente devait s’appliquer en vertu des principes d’égalité et de non-discrimination. Elle admettait que les chances qu’elle aurait eues de trouver un emploi pendant la période où elle se trouvait en détention pouvaient être discutables. Elle estimait également que ces chances auraient dû être appréciées et qu’elle avait fourni des preuves à cet effet. Enfin l’auteur faisait valoir qu’elle avait été l’objet d’une discrimination fondée non seulement sur le fait qu’elle était sans emploi mais aussi indirectement sur son origine ethnique. Le 11 janvier 2007, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours pour défaut manifeste de fondement, considérant qu’elle n’était pas une juridiction du système de justice générale de plus et ne pouvait pas réexaminer les éléments de fait et de droit déjà examinés par les tribunaux généraux, et que le seul fait d’être en désaccord avec l’interprétation de la Loi fondamentale ne suffisait pas à remettre en question la conformité d’une décision avec l’ordre constitutionnel. Elle estimait en outre qu’une indemnité pécuniaire ne pouvait être versée que dans les cas où il existait au moins une forte probabilité que le préjudice soit subi. Elle n’avait pas pris en considération les questions d’égalité et de non-discrimination.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que les personnes placées en détention provisoire et acquittées sont protégées par la loi, qui leur donne droit à des prestations de sécurité sociale. Elle estime que l’article 30 de la loi no 82/1998 a été conçu aussi au bénéfice des personnes sans emploi qui, pendant qu’elles se trouvent en détention, perdent la possibilité de trouver un emploi, et que les autorités de l’État partie ont exclu à tort ces personnes du bénéfice de cet article. Elle affirme également qu’il y a violation de l’article 26 du Pacte car pour établir la perte de gains, la législation nationale tient uniquement compte de la situation de l’intéressé au jour de son placement en détention, sans permettre que soit prise en considération la «perte de possibilité» de percevoir un revenu, ce qui constitue une discrimination directe à l’égard des personnes sans emploi. Ainsi, l’auteur estime que la loi mentionnée et son interprétation soumettent les personnes sans emploi à un traitement moins favorable que celui dont bénéficient les salariés ou les travailleurs indépendants.

3.2L’auteur affirme que la loi elle-même autorise des différences de traitement. À ce sujet, elle se réfère à la jurisprudence du Comité qui a constaté une violation de l’article 26 parce que la loi excluait expressément les personnes qui n’avaient pas la nationalité tchèque du bénéfice de la restitution des biens confisqués par le régime communiste. L’auteur estime que la différence de traitement − c’est-à-dire le fait que les autorités tchèques aient refusé de l’indemniser pour la perte de gains subie en raison de sa détention, au seul motif qu’elle était sans emploi au moment de son arrestation − n’est pas raisonnablement justifiée et constitue une discrimination directe fondée sur sa situation économique et sociale (chômage). Elle allègue aussi que, même si son revenu au moment de son placement en détention provisoire était hypothétique dans la mesure où il dépendait de l’emploi qu’elle aurait pu obtenir, il devrait être loisible au tribunal de calculer ce revenu sur la base des «données statistiques du salaire moyen ou du salaire minimum».

3.3L’auteur affirme aussi avoir fait l’objet de discrimination indirecte fondée sur son origine ethnique. À ce sujet, elle se réfère aux observations finales du Comité des droits de l’homme et du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui mettent en évidence la marginalisation et l’exclusion sociale que subit la communauté rom dans l’État partie. Elle renvoie également à des rapports de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance et d’autres organes, d’où il ressort que le taux de chômage est d’environ 70 % au sein de la communauté rom, contre 7 à 10 % dans le reste de la population. Elle considère qu’en plus d’être socialement et économiquement marginalisés et d’être gravement défavorisés sur le marché du travail, les membres de la communauté rom subissent une discrimination indirecte due à l’exclusion des personnes sans emploi de l’application de l’article 30 de la loi no 82/1998.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a fait part de ses observations dans une note verbale du 31 mars 2010. Il ne conteste pas la description des faits donnée par l’auteur. Il explique que d’après le rapport explicatif relatif à l’article 30 de la loi no 82/1998, la réglementation générale prévoit non pas des dommages-intérêts mais une indemnité forfaitaire, et que celle-ci ne s’applique pas si la personne lésée n’a pas subi de perte de gains. Si, avant d’être placé en détention ou emprisonné, l’intéressé ne travaillait pas mais avait obtenu un contrat de travail ou une relation contractuelle similaire, le calcul était basé sur le revenu qui aurait été perçu dans cet emploi ou dans l’exercice de l’activité rémunérée considérée. Le système prévoit la possibilité d’indemniser la perte de gains y compris dans le cas où l’exercice de l’activité rémunérée n’a pas commencé au moment de la mise en détention ou de l’emprisonnement et ne doit commencer que plus tard. Le seul fait d’avoir été sans emploi dans la période précédant la détention n’empêche pas en principe de demander des dommages-intérêts. Une personne peut réclamer des dommages-intérêts si elle a subi un préjudice parce qu’elle a été mise en détention et de ce fait n’a pas pu commencer à exercer un emploi pour lequel des arrangements étaient déjà pris. La possibilité d’obtenir un emploi rémunéré ou une offre ou promesse d’offre d’emploi d’un employeur ne suffit pas: il doit être établi que l’activité rémunérée qui était prévue n’a pas pu être exercée uniquement en raison du placement en détention et que la personne lésée aurait effectivement exercé l’activité en question pendant la période considérée si elle n’avait pas été détenue. L’État partie indique en outre que l’arrêt de la Cour suprême en l’espèce est conforme à sa jurisprudence constante.

4.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité qui affirme que le droit à une égale protection de la loi, sans discrimination, est un droit autonome indépendant de tout autre droit prévu dans le Pacte, et que toutes les différences de traitement ne sont pas discriminatoires, dans la mesure où une différence fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à un acte discriminatoire interdit au sens de l’article 26.

4.3Considérant que l’article 26 du Pacte ne fait pas obligation aux États d’adopter des dispositions juridiques particulières ou d’introduire des dispositions qui permettent de réclamer une indemnisation pour la «perte de possibilité» de percevoir un revenu, l’État partie estime que la communication n’entre pas dans le champ d’application du Pacte et devrait être jugée irrecevable.

4.4L’État partie souligne en outre qu’il partage l’avis de l’auteur qui relève que l’article 30 de la loi no 82/1998 ne prévoit d’indemnisation pour perte de gains que dans les cas où la personne lésée exerçait une activité rémunérée le jour où elle a été placée en détention, ou dans les cas où un contrat portant sur l’exercice d’une activité rémunérée avait déjà été conclu. L’indemnisation pour perte de gains ne serait possible que si les gains étaient effectivement perdus, et une somme forfaitaire de 5 000 couronnes tchèques devait être versée dans les cas où il était impossible ou excessivement difficile de quantifier le manque à gagner. De surcroît, au moment où les faits s’étaient produits, le système juridique de l’État partie n’autorisait pas les tribunaux à accorder une indemnisation pour «perte de possibilité» aux personnes lésées, quelle que soit leur situation socioéconomique. Dès lors les personnes sans emploi, et donc l’auteur elle-même, n’étaient pas victimes d’une inégalité de traitement. Par conséquent, l’État partie estime que le grief est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.5L’État partie affirme en outre que le grief de l’auteur qui affirme qu’elle a fait l’objet de discrimination indirecte devrait être considéré comme irrecevable faute d’être suffisamment étayé, dans la mesure où le seul fait de relever que la communauté rom connaît dans l’État partie un taux de chômage de 70 % ne suffit pas à établir une suspicion de violation de l’article 26 du Pacte. Il considère également que l’affirmation de l’auteur qui indique que les personnes d’origine rom sont plus souvent détenues que le reste de la population est une spéculation qui ne repose sur aucune base factuelle.

4.6Sur le fond, l’État partie rappelle que la plainte de l’auteur repose sur le fait qu’elle n’a pas été indemnisée pour la perte de gains subie pendant qu’elle était en détention. Il réaffirme que le système juridique tchèque ne prévoit d’indemnisation pour perte de gains liée à une période de détention que si, avant sa détention, l’intéressé exerçait une activité rémunérée ou avait conclu un contrat portant sur l’exercice d’une telle activité. Sachant que l’auteur était sans emploi au moment de son placement en détention et qu’elle n’a pas fait la preuve qu’elle avait conclu un quelconque contrat d’emploi, la demande d’indemnisation pour «perte de possibilité» qu’elle a introduite devant les tribunaux nationaux a été rejetée conformément à la législation applicable et à la jurisprudence établie, sans qu’il y ait discrimination.

4.7L’État partie note également que l’auteur compare sa situation à celle des personnes salariées et des travailleurs indépendants, en indiquant que ces personnes reçoivent une indemnisation pour perte de gains si elles sont placées en détention, alors qu’elle-même n’en a reçu aucune. Il estime que la situation de l’auteur ne peut pas être comparée à celle de salariés ou de travailleurs indépendants qui exerçaient une activité rémunérée avant d’être placés en détention. Il rappelle que dans les cas où il est impossible ou extrêmement compliqué pour la personne lésée de déterminer précisément le montant des gains manqués ou de fournir des éléments de preuve pertinents à cet effet, la loi prévoit la possibilité d’accorder une somme forfaitaire de 5 000 couronnes tchèques. L’État partie souligne toutefois que cette disposition ne s’applique pas, comme c’est le cas en l’espèce, lorsque la personne était sans emploi et n’avait pas conclu de contrat portant sur l’exercice d’une activité rémunérée avant d’être placée en détention. Dans ces circonstances, les autorités de l’État partie avaient pris leur décision dans le plein respect de la législation interne et «raisonnablement, sur la base de motifs objectifs et sans aucune forme d’arbitraire». L’État partie estime par conséquent qu’il n’y a pas eu violation de l’article 26 du Pacte.

4.8L’État partie prend note de l’argument de l’auteur qui considère que, parce qu’elle n’a pas été indemnisée pour la «perte de possibilité» de percevoir un revenu pendant qu’elle était en détention, elle a bénéficié d’un traitement moins favorable que les personnes salariées ou les travailleurs indépendants. Il réaffirme qu’au moment où les faits se sont produits, la loi ne permettait pas à des salariés ou à des travailleurs indépendants de réclamer une indemnisation pour gains manqués en invoquant la «perte de possibilité». À ce sujet il estime que, si la loi applicable et son interprétation n’étaient peut-être pas la meilleure solution au problème, elles ne pouvaient pas être considérées comme arbitraires ou manifestement entachées d’erreur. La loi était la même pour les salariés, les travailleurs indépendants et les personnes sans emploi, et l’auteur n’avait donc pas été traitée différemment ou moins favorablement que d’autres personnes.

4.9L’État partie ajoute que si le Comité devait conclure qu’une indemnisation pour «perte de possibilité» de percevoir un revenu pendant une détention aurait dû être prévue dans la législation en application du Pacte, il conviendrait d’analyser la situation de l’auteur afin de déterminer si cette disposition lui était ou non applicable. Le Comité devrait alors déterminer quelle était la probabilité que l’auteur trouve un emploi et perçoive un revenu pendant la période d’un mois et demi qu’avait duré sa privation de liberté. L’État partie signale à ce sujet que selon les informations fournies par elle-même, l’auteur était sans emploi depuis sept mois et six jours lorsqu’elle avait été placée en détention, et était restée sans emploi un mois et neuf jours après sa libération. De plus, l’État partie rappelle que le nom de l’auteur a figuré au registre des demandeurs d’emploi vingt-trois mois sur les trente-trois mois de la période allant de janvier 2001 à septembre 2003. Compte tenu de cette information, l’État partie estime que la probabilité que l’auteur ait trouvé un emploi pendant la période où elle a été détenue n’est pas très élevée. Il estime donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 26.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse du 9 juillet 2010, l’auteur a rejeté les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond. Elle considère que le fait que le droit interne n’offre pas la possibilité de réclamer une indemnisation pour «perte de possibilité» tient non pas à la législation elle-même mais à son interprétation. Elle souligne que la loi n’exclut pas expressément le concept de «perte de possibilité» de la notion de perte de gains, et que le concept de perte de gains résultant de la détention tel que prévu dans la loi no 82/1998 est beaucoup plus étroit que le même concept interprété dans le droit privé (civil et commercial).

5.2L’auteur rappelle que dans la jurisprudence nationale, le gain manqué est le préjudice qui tient au fait que la valeur des biens du plaignant n’a pas augmenté comme elle aurait dû le faire dans le «cours normal des choses». L’auteur estime que le fait que les autorités de l’État partie exigent que le plaignant prouve l’existence d’un contrat déjà conclu fait peser sur lui une charge de la preuve beaucoup plus lourde que pour l’évaluation du «cours normal des choses» dans d’autres circonstances.

5.3L’auteur rappelle la référence qu’elle avait faite dans sa lettre initiale à la jurisprudence du Comité dans laquelle celui-ci a constaté une violation de l’article 26 du Pacte par l’État partie parce que la loi excluait expressément du bénéfice de la restitution des biens les personnes qui n’avaient pas la nationalité tchèque. Elle estime que de la même façon l’interprétation étroite de la loi no 82/1998 exclut une catégorie particulière d’individus (les personnes sans emploi le jour de leur arrestation) du bénéfice d’un droit qui est généralement garanti à toute personne acquittée de charges pénales après avoir été détenue légalement. Par conséquent, elle estime que l’article26 du Pacte s’applique à son cas et demande que la législation en vigueur soit interprétée conformément au Pacte.

5.4 L’auteur affirme en outre que les statistiques de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance qu’elle cite dans sa communication sont dignes de foi et suffisent à prouver la discrimination indirecte dont elle a été victime en tant que membre de la communauté rom. Elle juge également qu’il existe une «tendance générale» à considérer que les communautés marginalisées, à faible niveau d’instruction et victimes de discrimination ont une plus grande propension à commettre des actes criminels, ce qui entraîne une discrimination de facto des membres de la communauté rom, y compris dans l’interprétation de la loi.

5.5De plus, l’auteur affirme que sa plainte n’a pas été appréciée individuellement car les tribunaux n’ont pas procédé à l’examen critique des éléments fournis pour prouver ses efforts de recherche d’emploi, mais ont plutôt fait une évaluation globale, concluant qu’elle n’avait pas apporté la preuve qu’au moment de sa détention elle avait une quelconque assurance d’exercer une activité rémunérée. L’auteur estime par conséquent avoir reçu des tribunaux nationaux un traitement différent de celui que recevraient d’autres personnes dans une situation comparable.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Dans une note verbale du 30 novembre 2010, en réponse aux commentaires de l’auteur, l’État partie réitère les observations initiales qu’il avait faites le 31 mars 2010. Il rappelle en particulier qu’au moment des faits relatés dans la communication la législation nationale ne donnait pas la possibilité de se prévaloir de la «perte de possibilité», quelle que soit la situation socioéconomique de l’intéressé.

6.2L’État partie fait en outre référence à la jurisprudence constante du Comité selon laquelle celui-ci n’est pas une juridiction de quatrième instance, et qu’il appartient aux tribunaux des États parties d’interpréter et d’appliquer la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation nationale ont été manifestement arbitraires ou entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a manqué par ailleurs à son obligation d’indépendance et d’impartialité.

6.3L’État partie estime que, même si la législation pertinente et son interprétation ne représentent pas nécessairement la meilleure solution au problème, elles ne peuvent pas être qualifiées d’arbitraires ou de manifestement entachées d’erreur. Il estime que le Comité ne devrait pas examiner l’interprétation que les juridictions tchèques ont faite de la législation nationale dans le cas d’espèce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité desdroits de l’homme doit, conformément à l’article93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif serapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2a) de l’article5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête oude règlement.

7.3Le Comité note que la plainte de l’auteur porte sur le refus de l’État partie de l’indemniser pour la perte des prestations sociales correspondant au mois de septembre et pour la «perte de possibilité» de trouver un emploi résultant de son placement en détention provisoire du 15 août au 1er octobre 2002, date de son élargissement dans l’attente de son procès. Bien que l’auteur reconnaisse avoir été arrêtée et détenue légalement, elle affirme que le fait de refuser de l’indemniser au motif qu’elle était «sans emploi» constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité note que la loi en question (loi no 82/1998) prévoit l’indemnisation en cas de «gains manqués». Il note également que les juridictions nationales considèrent comme perte de gains une perte pécuniaire effective ou, comme le reconnaît l’auteur, une perte potentielle lorsqu’un contrat de travail a été prénégocié. À ce sujet, le Comité rappelle que ce n’est généralement pas à lui mais aux tribunaux des États parties qu’il revient d’interpréter la législation ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Au vu des renseignements dont il dispose, le Comité n’est pas en mesure de conclure que les autorités de l’État partie ont agi de manière arbitraire dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve en l’espèce, et il considère en conséquence que le grief n’est pas suffisamment étayé.

7.4Le Comité fait observer également que pour étayer son grief de violation de l’article 26 l’auteur cite des chiffres et d’autres informations ayant trait à la situation de la communauté rom en République tchèque. Il ne conteste pas l’exactitude des informations données. Cependant, il estime qu’elles ne suffisent pas à étayer l’argument de l’auteur selon lequel, dans les circonstances de l’espèce, elle a été victime de discrimination directe et indirecte fondée sur son origine ethnique. Par conséquent, la communication est irrecevable faute d’être suffisamment étayée, aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]