Nations Unies

CCPR/C/109/D/1873/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 décembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 1873/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication présentée par:

Nikolai Alekseev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

25 mars 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 avril 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

25 octobre 2013

Objet:

Droit de réunion pacifique

Questions de procédure:

Même affaire en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; épuisement des recours internes; fondement des griefs

Questions de fond:

Restrictions injustifiées du droit de réunion pacifique

Article du Pacte:

21

Articles du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 a) et b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1873/2009 *

Présentée par:

Nikolai Alekseev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

25 mars 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1873/2009, présentée par Nikolai Alekseev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Nikolai Alekseev, de nationalité russe, né en 1977. Il se dit victime d’une violation par la Fédération de Russie des droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un homosexuel et un défenseur des droits de l’homme. De 2006 à 2008, avec d’autres militants, il a essayé d’organiser, à Moscou, un certain nombre de réunions pacifiques (marches Gay Pride) qui ont toutes été interdites par les autorités municipales.

2.2Le 11 juillet 2008, l’auteur et deux autres militants ont soumis au préfet du district administratif central de Moscou une demande d’autorisation en vue de la tenue d’un rassemblement statique (piquet) devant l’ambassade de la République islamique d’Iran à Moscou. Ils souhaitaient exprimer leur inquiétude face aux exécutions d’homosexuels et de mineurs en République islamique d’Iran et lancer un appel à l’interdiction de telles exécutions. L’auteur a informé les autorités du but, de la date, de l’heure et du lieu de la manifestation, qui devait se tenir de 13 heures à 14 heures le 19 juillet 2008 devant l’ambassade et réunir 30 personnes au maximum.

2.3Le même jour, le sous-préfet du district administratif central de Moscou a refusé d’autoriser la manifestation, considérant que son but susciterait «une réaction négative de la société» et qu’elle risquait de conduire à des «troubles de grande ampleur à l’ordre public susceptibles d’être dangereux pour les participants».

2.4Le 16juillet 2008, l’auteur a déposé une plainte contre ce refus auprès du tribunal dudistrict de Tagansky (Moscou). Il a fait valoir que la législation russe ne permettait pas d’appliquer une interdiction d’ordre général à un rassemblement pacifique dès lors que lebut de celui-ci était conforme aux valeurs consacrées par la Constitution. Il a ajouté que si la préfecture avait des motifs sérieux de croire que le piquet envisagé déclencherait des émeutes massives, elle aurait dû accorder aux participants une protection policière suffisante pour leur permettre d’exercer le droit de réunion pacifique garanti par laConstitution.

2.5Le 18 septembre 2008, le tribunal du district de Tagansky a rejeté la plainte et a souscrit à l’argument des autorités municipales selon lequel il était impossible d’assurer la sécurité des participants et d’empêcher des émeutes, car la manifestation envisagée allait susciter une forte réaction dans l’opinion publique. De l’avis du tribunal, la décision du 11 juillet 2008 était conforme à la fois au droit interne et aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le 5 octobre 2008, l’auteur a formé un recours en vue de l’annulation du jugement auprès du tribunal municipal de Moscou, qui l’a débouté le 18 décembre 2008.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que l’État partie a commis une violation du droit de réunion pacifique protégé par l’article 21 du Pacte, en ce qu’il a appliqué une interdiction d’ordre général au rassemblement que l’auteur avait l’intention d’organiser. Le refus des autorités n’a pas été prononcé «conformément à la loi» et n’était pas non plus «nécessaire dans une société démocratique». Plus précisément, la législation nationale dispose clairement que les autorités sont tenues de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des participants à un rassemblement et garantir que celui-ci se déroule sans violence. De plus, la restriction imposée n’était pas «nécessaire dans une société démocratique» et ne visait aucun des buts légitimes énoncés à l’article 21 du Pacte. Le fait que les autorités aient refusé de proposer un autre lieu pour la tenue de la manifestation collective en question et affirmé qu’elles ne pouvaient pas mobiliser suffisamment de policiers pour protéger les participants montre que leur véritable but était d’empêcher la minorité gay et lesbienne de Russie de devenir visible et d’attirer l’attention du grand public sur ses préoccupations. Enfin, le fait que les idées d’un groupe minoritaire puissent «heurter, choquer ou inquiéter» la majorité et susciter une violente opposition ne saurait justifier d’interdire systématiquement à de tels groupes d’exprimer leurs points de vue par des rassemblements pacifiques. Au contraire, l’État partie est tenu de protéger les rassemblements pacifiques de groupes minoritaires contre les actes violents.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 29 juin 2009, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il rappelle les faits de la cause et les procédures engagées par l’auteur. Il note en outre que les griefs de l’auteur au titre de l’article 21 du Pacte sont dénués de fondement, puisque l’autorisation d’organiser le piquet a été refusée pour préserver l’ordre public. À ce sujet, l’État partie fait observer que l’article 21 du Pacte reconnaît le droit de réunion pacifique, mais dispose que l’exercice de ce droit peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Les articles 31 et 55 de la Constitution de la Fédération de Russie garantissent le droit de réunion pacifique tout en prévoyant des restrictions similaires à celles énoncées à l’article 21 du Pacte et qui sont développées dans la loi fédérale sur les réunions, rassemblements, défilés de rue, manifestations et piquets (loi fédérale relative aux manifestations collectives). En vertu du paragraphe 1 de l’article 8 de cette loi, une manifestation collective peut être organisée en tout lieu approprié aux fins poursuivies par ladite manifestation, pour autant qu’il n’y ait aucun risque pour la sécurité des participants. L’État partie relève en outre que le 18 septembre 2008, le tribunal du district de Tagansky (Moscou) a estimé que compte tenu des réactions négatives de l’opinion publique à l’égard de tels piquets, les autorités n’auraient pas été en mesure d’assurer pleinement la sécurité des personnes participant à ce type de manifestation collective. L’État partie affirme que la réponse négative des autorités en date du 11 juillet 2008 était conforme aux normes internationales et au droit interne.

4.2L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, puisqu’en vertu des articles 367, 376 et 377 ainsi que du chapitre 41 du Code de procédure civile, l’auteur aurait pu déposer une demande de contrôle des décisions des tribunaux nationaux auprès du Présidium du tribunal municipal de Moscou, et par la suite auprès de la Cour suprême.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 9novembre 2009, l’auteur relève que l’État partie s’est référé à tort à l’article8 de la loi fédérale relative aux manifestations collectives. Selon l’auteur, en effet, cette disposition garantit le droit d’organiser une manifestation publique en tout lieu approprié à son but, mais les restrictions pouvant être apportées à la tenue de manifestations publiques y sont liées à des considérations relatives à la sécurité dans un lieu donné compte tenu des caractéristiques particulières de celui-ci, par exemple le risque d’effondrement d’un bâtiment. Rien dans le libellé de cet article ne donne à penser qu’il a pour objet de prévoir des restrictions générales du droit de réunion pacifique motivées par des considérations de sécurité,comme l’affirme l’État partie. En tout état de cause, l’article en question devrait être interprété compte tenu du contexte, afin d’«assurer la réalisation du droit constitutionnel des citoyens de la Fédération de Russie de se réunir pacifiquement (…), d’organiser des rassemblements, des réunions, des manifestations, des défilés et des piquets» comme indiqué dans le préambule de la loi fédérale relative aux manifestations collectives.

5.2L’auteur fait valoir que lorsque les autorités invoquent des considérations de sécurité pour s’opposer à la tenue d’une manifestation collective à un endroit ou sur un parcours proposé par l’organisateur, elles sont tenues, conformément à l’article 12 de la loi fédérale relative aux manifestations collectives, de proposer un autre lieu pour la tenue de la manifestation. Une interprétation différente − qui ferait, par exemple, reposer sur les organisateurs la charge de trouver un autre lieu − amènerait à conclure que la loi en question manque de clarté et, par conséquent, que les restrictions du droit à la liberté de réunion ne sont pas appliquées «conformément à la loi» aux fins de l’article 21 du Pacte. D’après l’auteur, il incombe aux autorités de proposer un autre lieu pour la tenue d’une manifestation collective si elles sont inquiètes pour la sécurité des participants.

5.3Quant à l’observation de l’État partie concernant l’épuisement des recours internes, l’auteur souligne que la procédure de contrôle ne constitue pas un recours efficace, étant donné qu’elle ne garantit pas un réexamen en appel du fond de l’affaire par un collège de juges (le Présidium du tribunal municipal de Moscou ou de la Cour suprême). Conformément à l’article381 du Code de procédure civile, les demandes de contrôle de la légalité des décisions sont examinées par un juge de la juridiction de contrôle, qui peut les rejeter sans même avoir examiné les éléments versés au dossier. Ce n’est que si ce juge estime que les arguments présentés dans la demande de contrôle sont convaincants qu’il peut décider de demander communication du dossier et, s’il estime bon de le faire, de transmettre l’affaire pour examen au collège de juges de la juridiction de contrôle. À ce sujet, l’auteur fait référence à une affaire similaire dans laquelle, en 2007, un requérant avait fait appel, dans le cadre d’une procédure de contrôle, du rejet d’une demande d’autorisation d’un rassemblement visant à appeler à la tolérance à l’égard des minorités sexuelles, mais un juge de la Cour suprême avait estimé que la décision de rejet était légale étant donné qu’il n’était pas possible de garantir la sécurité des participants et avait débouté le requérant de sa demande de contrôle. La présente affaire portant sur des éléments analogues, l’auteur fait valoir qu’un recours sous la forme d’une demande de contrôle aurait été vain et inefficace.

5.4L’auteur demande également au Comité de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’inefficacité des procédures de contrôle, étant donné que les motifs justifiant l’annulation de jugements définitifs de juridictions inférieures ne sont pas expressément exposés dans le Code de procédure civile, et que ces procédures ne sont pas directement accessibles aux plaignants. Il relève en outre les préoccupations qu’a exprimées le Comité, après avoir examiné le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie au titre du Pacte, au sujet de la discrimination systématique dont certaines personnes sont victimes dans l’État partie en raison de leur orientation sexuelle, et notamment des préjugés dont elles sont la cible de la part d’agents de l’État (CCPR/C/RUS/CO/6 et Corr.1, par. 27).

5.5Le 2 décembre 2009, l’auteur a soumis des renseignements supplémentaires. En particulier, l’auteur appelle l’attention sur l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans Martynets c. Russie, affaire dans laquelle la Cour européenne a évalué l’efficacité de la procédure de contrôle en vigueur dans l’État partie depuis le 7 janvier 2008. La Cour a estimé que cette procédure ne pouvait être considérée comme faisant partie des recours internes que l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme exigeait d’épuiser avant de pouvoir saisir la Cour, puisque la procédure de contrôle de décisions passées en force de chose jugée pouvait faire l’objet de plusieurs instances et il en résultait qu’une affaire risquait d’être renvoyée d’une juridiction à une autre pendant une période indéterminée.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 29 septembre 2010, l’État partie rappelle les faits de l’espèce et les procédures engagées par l’auteur au niveau national. Il affirme à nouveau que le grief de l’auteur au titre de l’article 21 du Pacte est dénué de fondement et que les restrictions de l’exercice du droit de réunion pacifique prévues à l’article 55 de la Constitution et l’article 8 de la loi fédérale relative aux manifestations collectives sont comparables à celles prévues dans l’article 21. Il rappelle que le paragraphe 1 de l’article 8 de la loi fédérale relative aux manifestations collectives dispose qu’une manifestation publique peut être organisée en tout lieu approprié aux fins poursuivies par ladite manifestation, pour autant qu’il n’y ait aucun risque pour la sécurité des participants. À ce sujet, l’État partie maintient que la décision prise par le sous-préfet du district administratif central de Moscou tenait compte de ces aspects liés à la sécurité.

6.2L’État partie réaffirme également que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles au titre de la procédure de contrôle et, en conséquence, que la présente communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.3L’État partie ajoute que l’auteur a commis un abus du droit de présenter des communications, puisque l’affaire est actuellement en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En particulier, il appelle l’attention sur le fait que, le 29 janvier 2007, le 14 février 2008 et le 10 mars 2009, l’auteur a soumis des requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme au sujet du refus des autorités de lui accorder l’autorisation d’organiser une manifestation collective (marche Gay Pride) et un piquet concernant les droits des minorités sexuelles. À ce sujet, l’État partie fait valoir que les requêtes soumises à la Cour européenne et la présente communication sont de nature similaire dans la mesure où elles ont été présentées par la même personne, concernent les droits d’un même groupe de population (les personnes appartenant à des minorités sexuelles) et portent sur les décisions des mêmes autorités municipales.

Observations supplémentaires de l’auteur

7.1Le 1er novembre 2010, l’auteur a fait savoir que la Cour européenne des droits de l’homme, le 21 octobre 2010, s’était prononcée à son sujet, à propos du refus des autorités, en 2006, 2007 et 2008, de l’autoriser à organiser des manifestations similaires à celles mentionnées dans la présente communication. Dans ce cas particulier, la Cour européenne a estimé qu’il y avait eu violation des droits que l’auteur tenait de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit de réunion pacifique).

7.2Le 30 novembre 2010, l’auteur a réaffirmé que la procédure de contrôle ne pouvait pas être considérée comme un recours utile aux fins de la recevabilité. À propos de l’argument de l’État partie selon lequel la présente communication devait être considérée comme un abus du droit de plainte parce que la même question était déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale, l’auteur a fait valoir que les griefs qu’il soulevait devant le Comité étaient fondés sur des faits différents. Les requêtes soumises à la Cour européenne des droits de l’homme portaient sur le refus d’autoriser l’organisation de défilés pour la Gay Pride ou, à défaut, des piquets, alors que la présente communication concernait l’interdiction d’organiser un piquet pour dénoncer les exécutions d’homosexuels et de mineurs en République islamique d’Iran. En conséquence, l’auteur considère que la communication devrait être déclarée recevable en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. À cet égard, le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur, le 29 janvier 2007, le 14 février 2008 et le 10 mars 2009, a soumis à la Cour européenne des droits de l’homme des requêtes portant sur le refus des autorités de l’État partie de l’autoriser à organiser des manifestations collectives et un piquet relatifs aux droits des minorités sexuelles, requêtes qui ont été enregistrées par la Cour européenne. L’État partie fait valoir que les requêtes en question et la présente communication sont de nature similaire, puisqu’elles ont été soumises par la même personne, concernent les droits du même groupe de la population (les personnes appartenant à des minorités sexuelles) et portent sur des décisions prises par les mêmes autorités. Le Comité relève par ailleurs l’explication de l’auteur quant au fait que les requêtes déposées devant la Cour européenne des droits de l’homme concernaient des éléments factuels différents, à savoir l’interdiction d’organiser des défilés pour la Gay Pride ou, à défaut, des piquets entre 2006 et 2008, tandis que la présente communication concerne l’interdiction d’organiser un piquet pour dénoncer les exécutions d’homosexuels et de mineurs en République islamique d’Iran.

8.3Le Comité rappelle que la notion de «même question» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif doit être comprise comme renvoyant aux mêmes auteurs, aux mêmes faits et aux mêmes droits substantiels. Le Comité relève qu’il ressort clairement des informations disponibles dans le dossier que les requêtes déposées par l’auteur devant la Cour européenne des droits de l’homme et la présente communication concernent la même personne et portent sur les mêmes droits substantiels. Le Comité fait toutefois observer que les requêtes soumises à la Cour européenne ne concernent pas les mêmes faits, c’est-à-dire la manifestation particulière à laquelle il est fait référence dans la présente communication. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication aux fins de la recevabilité.

8.4En ce qui concerne le critère énoncé au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles au titre de la procédure de contrôle, et que la communication est par conséquent irrecevable. À ce sujet, le Comité relève que l’auteur a fait appel auprès du tribunal municipal de Moscou, qui a confirmé la décision rendue en première instance. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la procédure de contrôle des décisions judiciaires passées en force de chose jugée constitue un recours extraordinaire, subordonné au pouvoir discrétionnaire du juge ou du procureur, et qu’elle ne fait pas partie des recours à épuiser aux fins de la recevabilité. En l’absence d’autres éléments d’information pertinents dans le dossier, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

8.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief qu’il tire de l’article 21 du Pacte. Il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2Le Comité doit déterminer tout d’abord si la restriction apportée par les autorités de l’État partie au droit de réunion pacifique de l’auteur était licite au regard d’un quelconque des critères énoncés à l’article 21 du Pacte.

9.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Il rappelle également que les États parties doivent prendre des mesures efficaces pour protéger ceux qui exercent leur droit à la liberté d’expression par des rassemblements contre les attaques visant à les faire taire. Une restriction du droit de réunion pacifique n’est licite que si elle est a) conforme à la loi et b) nécessaire dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

9.4En l’espèce, le Comité constate que l’État partie et l’auteur s’accordent à dire que le refus d’autoriser l’organisation d’un piquet de 13 heures à 14 heures le 19 juillet 2008 devant l’ambassade de la République islamique d’Iran à Moscou constituait une ingérence dans le droit de réunion de l’auteur, mais que les parties ne sont pas du même avis quant à la licéité de cette restriction.

9.5Le Comité note également que l’État partie soutient que le refus d’autoriser le piquet en question était nécessaire, dans l’intérêt de la sûreté publique. Bien que l’auteur affirme que l’argument relatif à la sûreté publique était un prétexte pour refuser l’autorisation, le Comité juge inutile d’examiner cette allégation factuelle, car il est possible de se prononcer sur le grief que l’auteur tire de l’article 21 en partant de l’hypothèse que la restriction en cause était motivée par des considérations de sûreté publique.

9.6Le Comité relève que l’autorisation d’organiser le piquet prévu par l’auteur a été refusée au seul motif que de son thème, à savoir la promotion des droits fondamentaux des personnes appartenant à des minorités sexuelles, provoquerait une réaction négative susceptible d’entraîner des troubles à l’ordre public. Le refus n’avait aucun lien avec le lieu, la date, l’heure, la durée ni la forme de la réunion publique envisagée. Aussi la décision prise par le sous-préfet du district administratif central de Moscou le 11 juillet 2008 constituait‑elle un rejet du droit de l’auteur d’organiser une réunion publique sur le thème choisi, ce qui est l’une des ingérences les plus graves qui se puissent concevoir dans le droit à la liberté de réunion pacifique. Le Comité fait observer que la liberté de réunion protège les manifestations défendant des idées qui peuvent être considérées comme dérangeantes ou choquantes par d’autres personnes et qu’en pareil cas, les États parties sont tenus de protéger contre toute violence ceux qui participent à de telles manifestations conformément à leurs droits. Il fait également observer qu’un risque imprécis et général de contre‑manifestation violente ou la simple possibilité que les autorités ne soient pas en mesure de prévenir ou de neutraliser cette violence ne constitue pas un motif suffisant pour interdire une manifestation. Dans la présente affaire, l’État partie n’a fourni au Comité aucune information à l’appui de son affirmation selon laquelle la «réaction négative» de membres du public au piquet prévu par l’auteur entraînerait des violences ou que les policiers ne seraient pas en mesure d’empêcher ces violences en exerçant leurs fonctions de manière appropriée. Dans ces circonstances, l’État partie avait pour obligation de protéger l’auteur dans l’exercice de ses droits au titre du Pacte, et de ne pas contribuer à abolir ceux‑ci. En conséquence, le Comité conclut que la restriction imposée aux droits de l’auteur n’était pas nécessaire, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sûreté publique, et qu’il y a eu violation de l’article 21 du Pacte.

9.7Compte tenu de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner l’autre grief de l’auteur selon lequel le rejet de la demande d’autorisation n’était pas conforme à la loi étant donné que la législation nationale ne visait que les considérations de sécurité telles que le risque d’effondrement d’un bâtiment et obligeait les autorités à désigner un autre lieu pour la tenue de la réunion lors du rejet de la demande initiale.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective, notamment sous la forme d’une indemnisation suffisante et du remboursement des frais de justice encourus par l’auteur. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus setrouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et àassurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre àrendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les languesofficielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]