Nations Unies

CCPR/C/106/D/2120/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 novembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 2120/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session(15 octobre-2 novembre 2012)

Communication p résentée par:

Lyubov Kovaleva et Tatyana Kozyar (représentées par un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de:

Les auteurs et Vladislav Kovalev, respectivement leur fils et frère

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

14 décembre 2011

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 15 décembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 octobre 2012

Objet:

Imposition de la peine de mort à l’issued’un procès inéquitable

Questions de procédure:

Qualité pour agir au nom de la victime présumée; défaut de coopération de l’État et non-respect de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité; fondement insuffisant des griefs; non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Privation arbitraire de la vie; torture et mauvais traitements; privation arbitraire de la liberté; droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge; droit à un procès équitable mené par un tribunal indépendant et impartial; droit à la présomption d’innocence; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec son conseil; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation; mesures provisoires pour éviter des dommages irréparables à la victime présumée; droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; manquement à des obligations au titre du Protocole facultatif

Articles du Pacte:

6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 b), 3 g) et 5) et 18

Article s du Protocole facultatif:

1, 2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (106e session)

concernant la

Communication no 2120/2011 *

Présentée par:

Lyubov Kovaleva et Tatyana Kozyar (représentéespar un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de:

Les auteurs et Vladislav Kovalev, respectivementleur fils et frère

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

14 décembre 2011

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 octobre 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2120/2011 présentée au nom de Lyubov Kovaleva et Tatyana Kozyar en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Lyubov Kovaleva et Tatyana Kozyar, toutes deux de nationalité bélarussienne. Elles présentent la communication en leur nom propre et au nom de Vladislav Kovalev, ressortissant bélarussien né en 1986 (respectivement leur fils et frère) qui, au moment de la soumission de la communication, se trouvait détenu dans le quartier des condamnés à mort après avoir été condamné à la peine capitale par la Cour suprême du Bélarus. Les auteurs affirment que M. Kovalev est victime de violations par le Bélarus des droits qui lui sont garantis aux articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 b), 3 g) et 5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs affirment en outre être victimes, pour ce qui les concerne, d’une violation des articles 7 et 18 du Pacte. Les auteurs sont représentées par un conseil, Roman Kisliak.

1.2Lorsque la communication a été enregistrée, le 15 décembre 2011, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Kovalev tant que la communication était à l’examen. Cette demande de mesures provisoires de protection a été renouvelée le 27 janvier, le 14 février, le 1er mars et le 15 mars 2012.

1.3Le 14 février 2012, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

1.4Le 15 mars 2012, en réponse à une note verbale de l’État partie en date du 15 mars 2012, la Présidente du Comité a réitéré la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, appelant l’attention de l’État partie sur le fait que le non-respect par les États parties d’une telle demande constitue une violation de l’obligation qui leur est faite de coopérer de bonne foi au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

1.5Le 19 mars 2012, les auteurs ont informé le Comité que M. Kovalev avait été exécuté. Le même jour, le Comité a rendu public un communiqué de presse déplorant cette exécution.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs affirment que, le 30 novembre 2011, la Cour suprême du Bélarus statuant en tant que tribunal de première instance a déclaré M. Kovalev coupable des infractions ci-après: hooliganisme aggravé; destruction et détérioration intentionnelles de biens commises par des moyens dangereux; acquisition, port, stockage et vente illicites d’explosifs; stockage, port et transport d’un engin explosif, commis à plusieurs reprises par un groupe de personnes suite à une entente préalable; non-dénonciation de la préparation d’un crime particulièrement grave ainsi que de l’auteur de ce crime et de l’endroit où il se trouve; et aide et assistance à des activités terroristes ayant fait des morts et des blessés, notamment des blessés graves, et entraîné des dégâts particulièrement étendus et d’autres conséquences graves.

2.2M. Kovalev a été déclaré coupable de ces infractions qui auraient été commises entre 2000 et 2011, notamment pour avoir aidé et assisté un autre prévenu, M. K., dans l’exécution d’attentats terroristes commis le 11 avril 2011 à la station de métro Oktiabrskaya à Minsk. Il a été condamné à la peine de mort par balle, sans confiscation de biens. Au moment de la soumission de la communication, il attendait son exécution dans les locaux de détention provisoire (SIZO) du Comité de sécurité de l’État du Bélarus. Le 7 décembre 2011, M. Kovalev a établi, en présence de son avocat, une procuration autorisant sa mère, Mme Kovaleva, à agir en son nom, et une demande écrite d’authentification de ce document a été déposée auprès du chef du SIZO. L’avocat a été informé que le document serait prêt le lendemain mais il ne l’a jamais reçu, non plus que Mme Kovaleva. Celle-ci s’en est plainte auprès du chef du SIZO, du Président du Comité de sécurité de l’État, du Procureur général et du Vice-Président de la Cour suprême, sans résultat.

2.3Les auteurs affirment que la décision de la Cour suprême en date du 30 novembre 2011 n’était pas susceptible d’appel. Le 7 décembre 2011, M. Kovalev a déposé un recours en grâce auprès du Président du Bélarus. Les auteurs affirment que, dans la mesure où la demande de procédure de contrôle et le recours en grâce sont l’une et l’autre des procédures discrétionnaires, elles avaient épuisé tous les recours internes utiles qui leur étaient ouverts.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que M. Kovalev a été arrêté le 12 avril 2011 et maintenu en détention provisoire du 12 avril au 15 septembre 2011, date à laquelle il a été traduit pour la première fois devant un juge. Elles font valoir qu’un délai de plus de cinq mois avant d’être présenté devant un magistrat est excessivement long et ne répond pas à l’exigence de célérité énoncée au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, entraînant donc une violation des droits de M. Kovalev au titre des paragraphes 1 et 3 de l’article 9 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment également que M. Kovalev, en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, a été soumis à des pressions physiques et psychologiques pour qu’il s’avoue coupable. Des agents du Département de lutte contre la criminalité organisée se sont entretenus avec lui en l’absence d’avocat. Sous la pression, M. Kovalev a fait contre lui-même des dépositions qui auraient été retenues pour le condamner. Avant sa confrontation avec l’autre prévenu, l’enquêteur l’a averti que s’il modifiait son témoignage à l’audience, le procureur insisterait pour le faire condamner à la peine capitale ou à la réclusion à perpétuité, tandis que s’il admettait sa culpabilité il écoperait d’une peine d’emprisonnement limitée.

3.3M. Kovalev est revenu par la suite sur ses aveux devant le tribunal, proclamant son innocence et déclarant qu’il avait témoigné contre lui-même sous la pression. Les auteurs affirment qu’à l’exception de son auto-accusation, aucun élément de preuve étayant sa culpabilité n’a été présenté au tribunal. La vidéo d’un homme portant un sac, qui a été utilisée comme pièce à conviction dans l’affaire et qui, d’après le ministère public, montre l’autre prévenu portant l’engin explosif, aurait été falsifiée et ne peut pas être considérée comme authentique. Les auteurs affirment en outre que les autorités de police ont prétendu que les lésions corporelles constatées sur M. Kovalev lors de l’enquête (contusions sur la tempe droite et le menton, ecchymoses sur les mains provoquées par des objets contondants, ainsi qu’aux épaules et aux genoux) résultaient de la force utilisée à l’occasion de son arrestation. Or les auteurs affirment qu’aucune force n’a été utilisée puisque M. Kovalev dormait quand on l’a arrêté et qu’il a été réveillé par des agents portant un masque. À l’appui de leur argument selon lequel M. Kovalev n’avait subi aucune lésion corporelle lors de son arrestation, les auteurs renvoient à une photo de lui prise le 12 avril 2011 après son arrestation (qui fait partie des éléments de l’enquête préliminaire), ainsi qu’a sa déposition enregistrée sur une vidéo, diffusée sur des chaînes de télévision officielles à la suite de son arrestation, qui le montre assis par terre dans l’appartement les mains menottées dans le dos. Aucune des lésions constatées le 13 avril 2011 lors de l’examen médico-légal n’est visible, que ce soit sur la photo ou sur l’enregistrement vidéo, ce qui confirme que M. Kovalev a été soumis à des pressions après son arrestation, en violation du principe d’interdiction de la torture et de son droit de ne pas être forcé de témoigner contre lui-même ou de s’avouer coupable, tels qu’ils sont énoncés à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

3.4Les auteurs dénoncent d’autre part la partialité du tribunal, qui n’a pas respecté le principe d’indépendance et d’impartialité inscrit au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Elles estiment que le tribunal a subi des pressions: l’accès à la salle d’audience était contrôlé non seulement par des policiers mais aussi par d’autres personnes non identifiées en civil qui ont refusé de révéler leur identité. Selon elles, il s’agissait manifestement d’agents des services de renseignement. Ils contrôlaient les personnes qui pénétraient dans la salle d’audience et pouvaient refouler, voire arrêter, des personnes venues assister au procès. Cela créait un climat de crainte et met en évidence les pressions exercées sur le tribunal ainsi que la violation du principe de publicité des audiences. Le tribunal a en outre bafoué le principe d’impartialité et d’égalité des armes en rejetant la plupart des requêtes de la défense et en acceptant dans le même temps toutes les motions présentées par l’accusation.

3.5Après l’arrestation de M. Kovalev et avant sa condamnation par le tribunal, plusieurs agents de l’État ont fait des déclarations publiques proclamant sa culpabilité, en violation du principe de la présomption d’innocence. Sa culpabilité a aussi été largement débattue dans les médias officiels, en particulier par l’agence de presse du Bélarus BELTA, qui a présenté au grand public des éléments de l’enquête préliminaire comme un fait accompli longtemps avant que l’affaire ne soit examinée par le tribunal, générant ainsi dans l’opinion une attitude négative à l’égard de M. Kovalev, comme si ce dernier était déjà un criminel reconnu. De plus, M. Kovalev est resté enfermé tout au long du procès dans une cage métallique et des photos de lui derrière les barreaux dans la salle d’audience ont paru dans la presse locale. Il va sans dire que de telles méthodes ont créé dans le public une attitude défavorable vis-à-vis de M. Kovalev et influencé le tribunal dans sa condamnation à la peine capitale. Les auteurs rappellent qu’aux termes du paragraphe 30 de l’Observation générale no 32 (2007) du Comité sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux. Elles affirment que les faits susmentionnés révèlent une violation du droit de M. Kovalev à la présomption d’innocence garanti au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.6Les auteurs dénoncent une violation des droits de M. Kovalev garantis au paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Pendant l’enquête préliminaire, M. Kovalev n’a reçu qu’une fois la visite de son avocat, et ne s’est entretenu autrement avec lui que pendant les actes d’instruction. L’avocat n’a pas pu le rencontrer ni communiquer avec lui d’une façon confidentielle. Le 14 septembre 2011, la veille de l’audience, on lui a refusé la possibilité de voir son client. Les demandes d’entretien confidentiel avec son avocat présentées par M. Kovalev ont été rejetées. L’avocat n’a pu s’entretenir avec M. Kovalev qu’avant l’ouverture des audiences lorsque son client a été amené au tribunal et placé dans la cage, c’est-à-dire pendant trois à cinq minutes tout au plus. Ils ont pu parler ensemble à trois occasions, respectivement pendant une demi-heure, une heure et deux heures, ainsi qu’avant le début des plaidoiries. Les auteurs affirment que, dans de telles circonstances, le droit de M. Kovalev de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix, tel qu’il est énoncé au paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, a été violé.

3.7Par ailleurs, les auteurs allèguent également une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Elles font observer que la sentence prononcée par la Cour suprême n’est pas susceptible d’appel, et que l’État partie a donc violé le droit de M. Kovalev de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure.

3.8Les auteurs affirment en outre que M. Kovalev a été condamné à mort à l’issue d’un procès mené en violation des garanties d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 du Pacte, ce qui constitue, d’après la pratique établie du Comité, une violation de son droit à la vie garanti à l’article 6 du Pacte.

3.9Le 13 mai 2012, après l’exécution de M. Kovalev, les auteurs ont complété leur communication initiale par de nouvelles allégations. Elles affirment que l’État partie, en procédant à l’exécution de M. Kovalev en dépit de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité qui l’avait prié de surseoir à son exécution tant que son cas serait à l’examen, a violé les dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Elles invitent le Comité à recommander à l’État partie d’inclure dans sa législation une règle prévoyant le sursis à l’exécution de la peine de mort lorsqu’une communication individuelle faisant état d’une violation du droit à la vie a été enregistrée auprès du Comité et que celui-ci a demandé l’adoption de mesures provisoires de protection, de façon à prévenir de telles violations à l’avenir.

3.10Les auteurs affirment d’autre part que la date de l’exécution a été tenue secrète et n’était pas connue le 11 mars 2012 lorsqu’elles ont rendu visite à M. Kovalev au SIZO. L’exécution a eu lieu le 15 mars 2012. Étant donné la pratique suivie pour l’application des peines capitales au Bélarus, les auteurs pensent que M. Kovalev n’a pas été informé à l’avance de la date de son exécution. Elles font donc valoir que la situation d’incertitude quant à son sort dans laquelle M. Kovalev a été tenu depuis le jour où sa condamnation à mort a été prononcée (30 novembre 2011) jusqu’au jour de son exécution (15 mars 2012) lui a causé une souffrance morale supplémentaire, en violation de l’article 7 du Pacte. Elles demandent au Comité de considérer la pratique consistant à ne pas divulguer la date de l’exécution comme inacceptable et contraire à l’interdiction de la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de recommander au Bélarus d’abolir cette pratique inhumaine et de se conformer à cet égard aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte.

3.11En outre, les auteurs font observer qu’entre le 13 mars 2012 (date à laquelle les médias ont fait paraître des informations concernant l’examen du recours en grâce de M. Kovalev) et le 17 mars 2012 (date à laquelle elles ont reçu la lettre de la Cour suprême les informant que l’exécution avait eu lieu), elles n’ont pas eu la moindre information sur le sort de M. Kovalev et ignoraient s’il était en vie ou non. L’avocat s’est vu refuser l’accès à son client. Les auteurs affirment donc que l’atmosphère de secret absolu entourant la date, le moment et le lieu de l’exécution a provoqué chez elles une profonde souffrance morale et de l’angoisse, en violation des droits que leur confère l’article 7 du Pacte, et elles prient le Comité de recommander à l’État partie d’abolir la pratique consistant à ne pas informer la famille d’un condamné à mort de la date de son exécution.

3.12Enfin, les auteurs affirment qu’après l’exécution de M. Kovalev, les autorités de l’État partie ont persisté à refuser de leur remettre son corps aux fins d’inhumation, en invoquant le paragraphe 5 de l’article 175 du Code de l’application des peines du Bélarus selon lequel la famille n’est pas informée à l’avance de la date de l’exécution, le corps de la personne exécutée ne lui est pas remis et le lieu où elle est enterrée ne lui est pas communiqué. Elles indiquent qu’elles sont de confession chrétienne orthodoxe et souhaitent enterrer M. Kovalev conformément à leur foi et à leurs rites religieux. Les autorités de l’État partie refusent également de divulguer l’emplacement de la tombe de M. Kovalev. Les auteurs affirment donc que le refus de l’État partie de leur remettre le corps de M. Kovalev aux fins d’inhumation constitue une violation de leurs droits au titre de l’article 18 du Pacte. Ce refus les a empêchées d’enterrer M. Kovalev conformément aux rites orthodoxes, en violation de leur droit de manifester leur religion par le culte et l’accomplissement de rites énoncé à l’article 18 du Pacte. Elles prient le Comité de recommander au Bélarus d’abolir la pratique consistant à ne pas remettre le corps d’une personne exécutée à sa famille et à ne pas divulguer à la famille le lieu de sépulture.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 24 janvier 2012, l’État partie conteste l’enregistrement de la communication, arguant que celle-ci a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif. L’État partie fait valoir en outre que M. Kovalev n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’exige le Protocole facultatif. M. Kovalev a déposé une demande de contrôle juridictionnel devant la Cour suprême et formé un recours en grâce présidentielle, mais ces deux procédures étaient toujours pendantes devant les autorités nationales.

4.2En vertu de l’article 24 de la Constitution du Bélarus, la peine de mort peut être appliquée conformément à la loi en tant que châtiment exceptionnel pour les crimes les plus graves, et uniquement sur décision d’un tribunal. Selon l’article 59 du Code pénal du Bélarus, la peine de mort peut être prononcée en tant que mesure exceptionnelle pour des crimes particulièrement graves impliquant une privation préméditée de la vie avec circonstances aggravantes. À cet égard, M. Kovalev a été condamné à mort à la suite du jugement rendu par un tribunal, conformément à la Constitution, au Code pénal et au Code de procédure pénale du Bélarus, et la peine de mort imposée n’est donc pas contraire aux instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie. Conformément à la législation nationale, il a été sursis à l’exécution de M. Kovalev jusqu’à ce que les autorités compétentes statuent sur sa demande de contrôle et son recours en grâce.

4.3En date du 25 janvier 2012, l’État partie affirme, en ce qui concerne la présente communication et une soixantaine d’autres communications, que, lorsqu’il est devenu partie au Protocole facultatif, il a reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier, mais que cette reconnaissance de compétence est liée à d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles fixant des critères relatifs aux personnes qui présentent des communications et à la recevabilité des communications, en particulier les articles 2 et 5 du Protocole facultatif. Il soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties de reconnaître le Règlement intérieur du Comité et l’interprétation que fait le Comité des dispositions du Protocole facultatif, qui «ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités». Il affirme que, «en ce qui concerne la procédure d’examen des plaintes, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif» et que «les références à la pratique traditionnelle du Comité, à ses méthodes de travail et à sa jurisprudence ne relèvent pas du Protocole facultatif». Il affirme en outre que «toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques sera considérée par l’État partie comme incompatible avec le Protocole et sera rejetée sans commentaires sur la recevabilité ou sur le fond». L’État partie déclare en outre que les décisions prises par le Comité sur de telles «communications rejetées» seront considérées par ses autorités comme «nulles et non avenues».

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité

5.1Les auteurs ont fait part de leurs commentaires le 8 février 2012. Elles confirment que la communication a été enregistrée par le Comité des droits de l’homme avant que l’État partie ait statué sur la demande de procédure de contrôle et le recours en grâce de M. Kovalev. Elles soutiennent toutefois que ni le recours en grâce ni la demande de procédure de contrôle auprès de la Cour suprême ne constituent des recours internes censés être épuisés avant la soumission d’une communication au Comité. La grâce présidentielle est une voie de caractère humanitaire, et non une voie ordinaire de recours. La demande de procédure de contrôle ne peut pas quant à elle être considérée comme un recours utile puisque le fait de déposer une telle demande ne signifie pas automatiquement qu’elle sera examinée. La personne condamnée demande au Président de la Cour de former un pourvoi. Seul le pourvoi formé à la demande de la personne condamnée déclenche la procédure de contrôle de la décision. Un tel pourvoi, s’il est admis, est examiné par un organe collégial, le présidium de la Cour. Mais la demande de procédure de contrôle elle-même est examinée par un juge unique à huis clos, et ne peut donc pas être considérée comme un recours.

5.2Les auteurs soutiennent en outre que, d’après la pratique établie par le Comité, seuls les recours internes qui sont à la fois disponibles et utiles doivent avoir été épuisés. Pour le Comité, les recours en grâce et les demandes de contrôle juridictionnel ne sont pas des recours internes qui doivent avoir été épuisés avant la soumission d’une communication. Selon la jurisprudence du Comité, les grâces présidentielles constituent un recours extraordinaire et de ce fait ne sont pas un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3Le 29 février 2012, les auteurs ont informé le Comité que la Cour suprême avait rejeté le 27 février 2012 la demande de procédure de contrôle déposée par M. Kovalev.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans une note verbale du 15 mars 2012, l’État partie a affirmé que la communication était irrecevable, ayant été soumise au Comité par des tiers et non par la victime présumée elle-même. S’agissant de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, il fait observer que la République du Bélarus a reconnu la compétence du Comité des droits de l’homme pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation par l’État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Le Protocole facultatif n’a pas prévu que le Comité aurait compétence pour donner une interprétation de l’article premier s’écartant des termes convenus par les États parties. La Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) et la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales (1986) disposent qu’un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, et qu’il sera tenu compte uniquement des accords ultérieurs intervenus entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions. Or aucun accord de ce type n’a été conclu. Le Règlement intérieur et la pratique du Comité ne sauraient donc se substituer au Protocole facultatif et à ses dispositions parce que cela prive le Protocole de son objet et de son but.

6.2Sur le fond, l’État partie fait valoir que M. Kovalev a été condamné à mort par la Cour suprême du Bélarus, la plus haute juridiction de l’État. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves conformément à la législation en vigueur. Cette peine ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent.

6.3En ce qui concerne la demande du Comité tendant à ce qu’il ne soit pas procédé à l’exécution de M. Kovalev tant que sa communication est à l’examen, l’État partie fait observer qu’une telle demande outrepasse le mandat du Comité et n’est pas contraignante du point de vue de ses obligations juridiques internationales. Ainsi, le Code pénal est la seule source de droit pénal au Bélarus. Il rappelle que M. Kovalev a déposé une demande de contrôle auprès de la Cour suprême et sollicité la grâce présidentielle. Conformément à la législation nationale, la peine de mort ne peut pas être exécutée tant que de telles requêtes n’ont pas été examinées.

Informations complémentaires communiquées par les auteurs

7.1Le 19 mars 2012, les auteurs ont informé le Comité qu’elles avaient reçu le 17 mars 2012 une lettre de la Cour suprême datée du 16 mars les informant de l’exécution de M. Kovalev.

7.2Le 30 mars 2012, les auteurs ont fourni des renseignements supplémentaires. Elles affirment que le 11 mars 2012, elles ont été autorisées à voir M. Kovalev, et que c’est la dernière fois qu’elles l’ont vu vivant. Le 13 mars 2012, les médias locaux ont publié des informations annonçant que le recours en grâce de M. Kovalev avait été examiné, sans toutefois préciser la conclusion de cet examen. Les 13 et 14 mars 2012, l’avocat de M. Kovalev s’est vu refuser, sans la moindre explication, l’accès à son client. Le 14 mars 2012 au soir, les médias ont annoncé que le Président du Bélarus avait refusé de gracier M. Kovalev et l’autre condamné.

7.3Le 15 mars 2012, Mme Kovaleva s’est rendue à Minsk pour s’enquérir du sort de son fils. Le même jour, la tentative faite par l’avocat pour obtenir une rencontre avec M. Kovalev a de nouveau échoué et l’avocat a été informé, sans plus de précisions, que M. Kovalev avait été transféré. Le 15 mars 2012, Mme Kovaleva a demandé par écrit au Président du Bélarus de surseoir à l’exécution de son fils pendant au moins un an pour que le Comité des droits de l’homme puisse prendre une décision sur sa communication.

7.4Le 16 mars 2012, Mme Kovaleva et l’avocat de M. Kovalev ont essayé d’obtenir des informations sur son sort et de savoir s’il était en vie. Mais ils n’ont pu obtenir le moindre renseignement à ce sujet de la part des autorités. Le 17 mars 2012, Mme Kovaleva a reçu une lettre de la Cour suprême en date du 16 mars 2012 l’informant que son fils avait été exécuté. Le 28 mars 2012, elle a obtenu le certificat de décès qui indique le 15 mars 2012 comme date du décès.

Informations complémentaires communiquées par l’État partie

8.Dans une note verbale datée du 19 juillet 2012, l’État partie a informé le Comité qu’il avait mis fin aux procédures concernant la présente communication et qu’il se dissocierait des constatations qui pourraient être adoptées par le Comité des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-respect de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité

9.1Le Comité prend note des observations de l’État partie, à savoir: qu’il n’existe pas de motif légal pour l’examen de la présente communication, étant donné que celle-ci a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif parce que la victime présumée n’a pas présenté la communication en personne et n’a pas épuisé les recours internes; que l’État partie n’est pas tenu de reconnaître le règlement intérieur du Comité et l’interprétation que fait le Comité des dispositions du Protocole facultatif; et que les décisions prises par le Comité concernant les communications visées plus haut seront considérées par ses autorités comme «nulles et non avenues».

9.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’autorise à établir lui-même son règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Le Comité fait en outre observer que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ces obligations. Le Comité relève qu’en n’acceptant pas la décision du Comité concernant l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie manque aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.3En outre, le Comité fait observer que les auteurs, lorsqu’elles lui ont soumis la communication le 14 décembre 2011, l’ont informé qu’à ce moment-là M. Kovalev se trouvait dans le quartier des condamnés à mort. Le 15 décembre 2011, le Comité a transmis à l’État partie une demande le priant de ne pas procéder à l’exécution de M. Kovalev tant que son cas était à l’examen; cette demande de mesures provisoires a été renouvelée à plusieurs reprises. Le 19 mars 2012, les auteurs ont informé le Comité que M. Kovalev avait été exécuté, et elles lui ont ultérieurement communiqué une copie du certificat de décès indiquant le 15 mars 2012 comme date du décès mais n’en précisant pas la cause. Le Comité fait observer qu’il est incontestable que l’exécution en question a eu lieu bien qu’une demande de mesures provisoires de protection en bonne et due forme ait été adressée à l’État partie et ait été renouvelée plusieurs fois.

9.4Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, les auteurs font valoir que M. Kovalev a été privé des ses droits au titre de plusieurs articles du Pacte. Ayant été avisé de la communication et de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en exécutant la victime présumée avant que le Comité ait mené l’examen de la communication à bonne fin.

9.5Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de M. Kovalev, compromet la protection des droits consacrés dans le Pacte assurée par le Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été soumise par des tiers et non par la victime présumée elle-même. À cet égard, le Comité rappelle que, selon l’article 96 b) de son règlement intérieur, une communication doit normalement être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais une communication présentée au nom d’une victime présumée peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. Dans le cas présent, le Comité note que la victime présumée se trouvait détenue dans le quartier des condamnés à mort au moment où la communication a été soumise, et que, bien qu’elle ait établi et signé une procuration autorisant sa mère à agir en son nom, l’administration du SIZO n’a pas authentifié la procuration en dépit de plusieurs plaintes déposées auprès des autorités nationales compétentes (voir par. 2.2 ci-dessus). Dans ces circonstances, le défaut de présentation d’une procuration ne peut pas être attribuable à la victime présumée ou à sa famille. Le Comité rappelle en outre que lorsque la victime est dans l’impossibilité d’autoriser la présentation de la communication, il a estimé qu’un lien de parenté étroit était suffisant pour que l’auteur de la communication soit fondé à agir au nom d’une victime présumée. Dans le cas présent, la communication a été soumise au nom de la victime présumée par sa mère et sa sœur, qui ont présenté une procuration dûment signée autorisant l’avocat à les représenter devant le Comité. Le Comité considère donc que les auteurs sont en droit, du fait de leur lien de parenté étroit avec lui, d’agir au nom de M. Kovalev. Il n’est donc pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner la communication.

10.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.4Pour ce qui est des dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel M. Kovalev n’avait pas épuisé tous les recours internes au moment où il a soumis sa communication puisque sa demande de contrôle et son recours en grâce étaient toujours pendants devant les autorités nationales. À cet égard, le Comité note que la demande de contrôle et le recours en grâce de M. Kovalev ont été rejetés le 27 février et le 14 mars 2012 respectivement, et il rappelle sa jurisprudence selon laquelle la procédure de contrôle est une procédure discrétionnaire et les grâces présidentielles constituent un recours extraordinaire et de ce fait ni l’un ni l’autre ne constituent un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité n’est donc pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

10.5En l’absence d’information ou d’élément étayant l’affirmation des auteurs selon laquelle les droits de M. Kovalev au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été violés, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité considère que les autres griefs de violation des articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1, 2, 3 b) et g) et 5) du Pacte concernant M. Kovalev, et de violation des articles 7 et 18 concernant les auteurs elles-mêmes, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et il procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

11.2Le Comité prend note des griefs des auteurs au titre des articles 7 et 14 (par. 3 g)) du Pacte, selon lesquels M. Kovalev a été soumis à des pressions physiques et psychologiques aux fins de lui faire avouer sa culpabilité et que, bien qu’il soit revenu sur son auto‑accusation pendant le procès, ses aveux ont été retenus contre lui. À ce sujet, le Comité rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, celle-ci doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part des autorités de l’État partie. Il rappelle en outre que la garantie énoncée au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte doit être comprise comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé, en vue d’obtenir une reconnaissance de culpabilité. Ainsi qu’il ressort de la décision du 30 novembre 2011, la Cour suprême a considéré que M. Kovalev avait modifié ses déclarations afin d’alléger sa peine, et affirmé que les aveux de l’accusé ainsi que d’autres éléments avaient été obtenus dans le strict respect des normes de la procédure pénale et étaient donc recevables en tant que preuves. Cependant, l’État partie n’a pas présenté d’informations prouvant qu’il avait ouvert la moindre enquête sur ces allégations. Dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que M. Kovalev tient de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

11.3En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment que M. Kovalev a été arrêté le 12 avril 2011 et n’a été traduit pour la première fois devant un juge que le 15 septembre 2011, c’est-à-dire plus de cinq mois après son arrestation, le Comité constate que l’État partie n’y a pas répondu. Il y a lieu de déterminer dans chaque cas le sens des mots «dans le plus court délai» utilisés au paragraphe 3 de l’article 9, mais le Comité rappelle son Observation générale no8 (1982) sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne ainsi que sa jurisprudence, selon lesquelles les délais ne devraient pas être supérieurs à quelques jours. Le Comité considère donc que le délai de cinq mois qui s’est écoulé avant que M. Kovalev soit présenté à un juge, est incompatible avec l’exigence de célérité énoncée au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, et ce, en violation des droits garantis à M. Kovalev en vertu de cette disposition.

11.4Le Comité prend note également des allégations des auteurs selon lesquelles le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté puisque plusieurs agents de l’État ont évoqué publiquement la culpabilité de M. Kovalev avant sa condamnation par le tribunal et que les médias ont diffusé dans l’opinion des éléments de l’enquête préliminaire avant l’examen de l’affaire par le tribunal. M. Kovalev a en outre été maintenu dans une cage métallique tout au long du procès et des photos de lui derrière les barreaux dans la salle d’audience ont paru dans la presse locale. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence telle que consignée dans son Observation générale no 32, aux termes de laquelle «du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe». Dans la même Observation générale, le Comité se réfère au devoir qu’ont toutes les autorités publiques de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès, par exemple de s’abstenir de faire des déclarations publiques affirmant la culpabilité de l’accusé; il affirme en outre que les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux, et que les médias devraient éviter de rendre compte des procès d’une façon qui porte atteinte à la présomption d’innocence. Compte tenu des informations dont il est saisi, et en l’absence de toute autre explication pertinente de la part de l’État partie, le Comité considère que la présomption d’innocence de M. Kovalev, garantie au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, a été bafouée.

11.5En ce qui concerne les griefs des auteurs qui affirment que M. Kovalev n’a reçu la visite de son avocat qu’une fois pendant l’enquête préliminaire, que le caractère confidentiel de leurs rencontres n’a pas été respecté, qu’ils n’ont pas eu suffisamment de temps pour préparer la défense et qu’il a été interdit à plusieurs reprises à l’avocat de voir son client, le Comité rappelle que, en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 14, l’accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et pouvoir communiquer avec le conseil de son choix. Cette disposition est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Le droit de l’accusé de communiquer avec son conseil exige que l’accusé ait accès à un conseil dans le plus court délai. En outre, le conseil doit pouvoir rencontrer l’accusé en privé et communiquer avec lui dans des conditions qui respectent intégralement le caractère confidentiel de leurs communications. Le Comité est d’avis que les conditions, telles que décrites par les auteurs, dans lesquelles M. Kovalev a bénéficié des services de son avocat durant l’enquête préliminaire et pendant le procès ont nui à la préparation de sa défense. En l’absence de la moindre explication à ce sujet de la part de l’État partie et de tout autre élément dans le dossier, le Comité estime que les faits dont il est saisi révèlent une violation des droits garantis à M. Kovalev en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

11.6Les auteurs soutiennent également que le droit de M. Kovalev de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure a été violé puisque le jugement de la Cour suprême n’est pas susceptible d’appel. Le Comité fait observer que, comme il ressort des éléments dont il est saisi, M. Kovalev a été condamné à mort en première instance par la Cour suprême le 30 novembre 2011, et que le jugement mentionne que la décision est définitive et n’est pas susceptible d’appel. M. Kovalev s’est prévalu de la procédure de contrôle, mais le Comité relève qu’un tel contrôle ne vise que des décisions déjà exécutoires et constitue donc un moyen de recours extraordinaire dont l’exercice est laissé à la discrétion d’un juge ou d’un procureur. Lorsqu’un tel contrôle est effectué, il ne porte que sur des points de droit et ne permet nullement d’apprécier les faits et les éléments de preuve, et il ne peut donc pas être considéré comme un «recours» aux fins du paragraphe 5 de l’article 14. Le Comité rappelle à cet égard que même si les États n’ont pas l’obligation de se doter d’un système qui octroie automatiquement le droit d’interjeter appel, ils sont tenus, en vertu du paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Faute d’explication de la part de l’État partie, le Comité est d’avis que l’absence de possibilité de faire appel devant une juridiction supérieure du jugement rendu par la Cour suprême en première instance ne satisfait pas aux prescriptions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14.

11.7Le Comité prend note des allégations des auteurs, non contestées par l’État partie, selon lesquelles la Cour suprême a été partiale et a violé le principe d’indépendance, d’impartialité et d’égalité des armes et le principe de publicité des audiences, contrevenant au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ayant conclu que l’État partie n’avait pas respecté les garanties d’un procès équitable prévues aux paragraphes 2, 3 b) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité est d’avis que le procès de M. Kovalev a été entaché d’irrégularités qui, considérées dans leur ensemble, constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.8Les auteurs dénoncent en outre une violation du droit de M. Kovalev à la vie au titre de l’article 6 du Pacte, puisqu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable. Le Comité relève que l’État partie a fait valoir, en se référant au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, que M. Kovalev avait été condamné à mort en application d’un jugement rendu par la Cour suprême conformément à la Constitution, au Code pénal et au Code de procédure pénale du Bélarus, et que la sentence de mort prononcée n’était pas contraire aux instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie. À cet égard, le Comité rappelle son Observation générale no6 (1982) sur le droit à la vie, dans laquelle il a estimé que la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte, ce qui implique que «les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d’innocence, les garanties minima dela défense et le droit de recourir à une instance supérieure». Dans le même contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence, réaffirmant que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Étant donné qu’il a établi une violation des paragraphes 1, 2, 3 b) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité conclut que la sentence de mort définitive contre M. Kovalev a été prononcée sans que les prescriptions de l’article 14 aient été respectées, et qu’il en est résulté une violation de l’article 6 du Pacte.

11.9Étant donné qu’il a conclu à une violation de l’article 6 du Pacte, le Comité n’examinera pas séparément le grief tiré par l’auteur de l’article 7 concernant la souffrance morale subie par M. Kovalev en raison de l’incertitude entourant son sort (voir par. 3.10 ci‑dessus).

11.10Le Comité relève le grief des auteurs qui affirment qu’elles sont elles-mêmes victimes d’une violation de l’article 7 du Pacte en raison des profondes souffrances morales et de l’angoisse que leur ont causées le refus des autorités de leur donner la moindre précision sur le sort de M. Kovalev et sur l’endroit où il se trouvait entre le 13 mars 2012 (date du rejet de son recours en grâce) et le 17 mars 2012 (date à laquelle elles ont été informées que la peine de mort avait été exécutée), ainsi que le fait que les autorités ne les avaient pas informées au préalable de la date, du moment et du lieu de l’exécution et avaient refusé de leur remettre le corps de M. Kovalev aux fins d’inhumation et de leur indiquer l’endroit où il avait été enterré. Ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. Le Comité note que selon la loi en vigueur, la famille d’un condamné à mort n’est pas informée à l’avance de la date de son exécution, le corps ne lui est pas remis et l’emplacement de sa tombe n’est pas divulgué. Le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont les auteurs, mère et sœur d’un prisonnier condamné à mort, ont souffert et souffrent encore parce qu’elles ne savent toujours pas dans quelles circonstances a été exécuté le condamné ni où il est enterré. Le secret absolu entourant la date de l’exécution et le lieu de l’ensevelissement, ainsi que le refus de remettre le corps pour qu’il soit inhumé conformément aux convictions et aux pratiques religieuses de la famille du condamné ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité conclut donc que l’ensemble de ces éléments et le fait que l’État partie a ensuite persisté à ne pas les informer de l’emplacement de la tombe de M. Kovalev constituent à l’égard des auteurs un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte.

11.11Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas les griefs distincts tirés de l’article 18 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Kovalev au titre des articles 6, 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1, 2, 3 b) et g) et 5) du Pacte, ainsi qu’au titre de l’article 7 à l’égard des auteurs elles‑mêmes. L’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

13.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, notamment à les indemniser de l’angoisse qu’elles ont vécue et à les informer du lieu où M. Kovalev est inhumé. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir, notamment en modifiant le paragraphe 5 de l’article 175 du Code de l’application des peines de façon à le rendre conforme aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire en bélarusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]