Nations Unies

CCPR/C/109/D/1884/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 novembre 2013

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1884/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication présentée par:Mouni Aouali, Feryale Faraoun et Fatiha Bouregba (représentées par l’organisation TRIAL, association suisse contre l’impunité)

Au nom de:Farid Faraoun (respectivement époux, père et fils des auteurs) et les auteurs

État partie:Algérie

Date de la communication:7 juillet 2008 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 16 juillet 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:18 octobre 2013

Objet:Disparition forcée

Question de procédure:Épuisement des recours internes

Questions de fond:Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; droit au respect de la vie privée; droit à la protection de la famille; et droit à un recours utile

Articles du Pacte:2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16, 17 et 23 (par. 1)

Article  du Protocole facultatif:5 (par. 2 b)

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1884/2009*

Présentée par:Mouni Aouali, Feryale Faraoun et Fatiha Bouregba (représentées par l’organisation TRIAL, association suisse contre l’impunité)

Au nom de:Farid Faraoun (respectivement époux, père et fils des auteurs) et les auteurs

État partie:Algérie

Date de la communication:7 juillet 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le18 octobre 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1884/2008 présentée par Mouni Aouali, Feryale Faraoun et Fatiha Bouregba, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Mouni Aouali épouse Faraoun, de nationalité algérienne, née le 2 mars 1953; Feryale Faraoun, de nationalité algérienne, née le 28 avril 1979 et Fatiha Bouregba, de nationalité algérienne, née le 14 juillet 1931. Elles affirment que Farid Faraoun, né le 8 septembre 1951, qui est respectivement leur mari, père et fils, est victime de violations par l’État partie des articles 2, paragraphe 3; 6, paragraphe 1; 7; 9, paragraphes 1, 2, 3 et 4; 10, paragraphe 1; 16; 17; et 23, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elles affirment être elles-mêmes victimes de violations par l’État partie des articles 2, paragraphe 3; 7; 17 et 23, paragraphe 1, du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 10 juillet 2009, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne prendre aucune mesure susceptible d’entraver le droit des auteurs et les membres de leur famille d’exercer leur droit de soumettre une plainte individuelle devant le Comité. L’État partie a donc été prié de ne pas invoquer sa législation nationale, notamment l’ordonnance no 06-01, portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, à l’encontre des auteurs et des membres de leur famille.

1.3Le 27 octobre 2009, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Agriculteur et éleveur de bovins dans la région de Sidi-Bel-Abbès, Farid Faraoun avait adressé un recours et une demande d’audience au Chef de la sûreté de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès en janvier 1996 pour contester le refus des autorités de valider son élection à la présidence de l’association des producteurs de lait, refus selon lui politiquement motivé par ses sympathies pour le Front islamique du salut (FIS) à l’époque où celui-ci était légal.

2.2Le 11 février 1997, quatre agents de la police judiciaire de la sûreté de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès, en civil et armés, sont arrivés à bord de véhicules officiels et ont, sans mandat, fouillé la maison de la famille Faraoun. Les agents de la police judiciaire de la sûreté ont obligé la victime à les suivre au commissariat à bord de son propre véhicule. Les motifs de son arrestation n’ont pas été communiqués. Le soir de l’arrestation de son mari, Madame Aouali épouse Faraoun a appris que la ferme familiale avait été complètement détruite en présence d’une brigade de gendarmerie (Darak el Watani) et à l’aide d’un engin de la municipalité de Sidi-Bel-Abbès.

2.3Le 12 février 1997, des agents de la police judiciaire de la sûreté, en tenue civile, sont arrivés à bord de véhicules de la police, se sont présentés au domicile familial et ont demandé à Madame Aouali épouse Faraoun et à ses quatre enfants de quitter la maison. Un des agents a dit à l’épouse de Farid Faraoun de prendre papiers, argents et bijoux. Puis un voisin et des cousins de la famille ont été autorisés à entrer dans la villa pour prendre le strict nécessaire. En présence du commissaire de la sûreté de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès, ils ont ensuite procédé à la démolition du domicile familial dans lequel la famille avait vécu plus de 17 ans. Cette destruction, avec des bulldozers de la municipalité, a été effectuée sans aucun mandat et a duré plusieurs heures. La famille n’a pu compter que sur l’aide de ses voisins et de ses proches pour se reloger. À la suite de la destruction de l’exploitation agricole de Farid Faraoun, la famille n’a pu honorer l’emprunt qu’elle avait contracté et les les auteurs se sont retrouvés sans ressources financières.

2.4Dans la nuit du 12 février 1997, Madame Aouali épouse Faraoun a pu secrètement rencontrer un militaire qui lui a indiqué que son mari aurait été torturé la nuit de son arrestation et qu’il serait toujours vivant. Il lui a conseillé de ne rien faire pour ne pas aggraver la situation. Dans les mois qui ont suivi, la famille a reçu des informations de sources différentes, selon lesquelles Farid Faraoun aurait été blessé à la jambe et à l’œil gauche et aurait été vu à l’hôpital de santé militaire de Sidi-Bel-Abbès puis transféré à l’hôpital militaire d’Oran.

2.5Depuis l’arrestation de la victime, sa famille a cherché en vain à se renseigner auprès des autorités et à obtenir l’ouverture d’une enquête. Le surlendemain de l’arrestation de Farid Faraoun, Fatiha Bouregba s’est rendue au commissariat de police, où on lui a répondu que son fils avait été transféré au secteur militaire de la ville. Se rendant au secteur militaire, elle a subi des insultes et menaces d’arrestation de la part du Commandant du secteur. Le 13 juillet 1997, la famille de Farid Faraoun a demandé au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme d’intervenir dans le but de le rechercher, mais aucune suite n’a été donnée à cette demande. Le 8 août 1999, la mère de la victime s’est adressée à la wilaya de Sidi-Bel-Abbès pour dénoncer la disparition de son fils, mais aucune suite n’a été donnée à cette démarche. Le 4 août 2005 et le 8 janvier 2006, l’épouse de la victime a écrit au Ministre de la justice, au Ministre de l’intérieur et au Président de la République pour solliciter une enquête sur son sort. Le 8 août 2005, la famille Faraoun a saisi, en vain, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme. Le 12 août 2006, la mère de la victime a de nouveau dénoncé la disparition de son fils auprès de la Brigade du Darak el Watani (gendarmerie) d’Alger Plage et a reçu «un constat de disparition après investigations et recherches qui seront demeurées infructueuses». Refusant ce résultat, Fatiha Bouregba a formé un recours auprès du Chef de ladite Brigade et a sollicité une enquête approfondie sur le lieu de détention de son fils. À ce jour, la famille Faraoun demeure sans nouvelles de la victime et aucune enquête n’a été ouverte à la suite de leurs démarches.

2.6Les auteurs affirment avoir limité leurs démarches par crainte de représailles. En outre, après la promulgation le 27 février 2006 de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, elles ont été confrontées à l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire. Les auteurs rappellent que, selon la jurisprudence constante du Comité, seuls les recours efficaces, utiles et disponibles doivent être épuisés. La voie de recours n’est efficace que si elle offre des perspectives de réussite et n’est utile que lorsqu’elle permet de donner satisfaction aux auteurs. Elle n’est disponible que lorsqu’elle peut être utilisée sans obstacle par les auteurs.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que Farid Faraoun est victime de disparition forcée, ayant été arrêté par des agents de l’État et son arrestation ayant été suivie par le déni de reconnaissance de sa privation de liberté et par la dissimulation du sort qui lui a été réservé. Plus de 15 ans après sa disparition et sa détention au secret, les chances de le retrouver vivant paraissent infimes et même dans l’hypothèse où la disparition n’aboutirait pas à sa mort, la menace qui pèse sur sa vie constituerait une violation de l’article 6 lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.2Les auteurs rappellent que selon la jurisprudence du Comité, le seul fait d’être soumis à une disparition forcée est constitutif de traitement inhumain ou dégradant. L’angoisse et la souffrance provoquées par la détention indéfinie sans contact avec sa famille ni le monde extérieur équivalent à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Par ailleurs, selon les informations reçues par la famille de la victime, Farid Faraoun aurait été torturé suite à son arrestation.

3.3S’agissant des auteurs elles-mêmes, la disparition de la victime constitue une épreuve douloureuse et angoissante dans la mesure où elles ignorent tout de son sort, s’il est réellement mort, et, dans l’affirmative, dans quelles circonstances sa mort est intervenue, et, le cas échéant où il a été inhumé. Cette incertitude est une source de souffrance profonde et continuelle qui constitue une violation de l’article 7 du Pacte, seul et lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.4En ce qui concerne la destruction de la maison familiale par les autorités, les auteurs soumettent que ces faits constituent un traitement cruel ou inhumain au sens de l’article 7 du Pacte car cette destruction avait pour seul but de les intimider; qu’elle a été opérée sans mandat, sans que la famille ait eu le temps de vider la maison des biens mobiliers et effets personnels hormis le strict minimum; et sans qu’une alternative de logement leur soit fournie. Les auteurs ont eu peur de porter plainte directement auprès des autorités judiciaires locales du fait de la menace d’arrestation formulée par le Commandant du secteur militaire et des mesures d’intimidation particulièrement graves qu’elles avaient subies de la part des autorités de police judiciaire (expulsion, destruction de leur maison et des moyens de subsistance).

3.5Les auteurs rappellent la jurisprudence constante du Comité selon laquelle toute détention non reconnue constitue une négation totale du droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 9 du Pacte et une violation extrêmement grave de cette disposition. L’arrestation de la victime le 11 février 1997 sans mandat de justice et sans qu’il ne soit informé des raisons de son arrestation constitue une violation de l’article 9, paragraphes 1 et 2 du Pacte. En outre, la législation de l’État partie limite la légalité de la garde à vue à une période qui n’excède généralement pas 48 heures, 96heures pour les cas d’accusation d’atteinte à la sécurité de l’État, et 12jours lorsqu’il s’agit d’actes terroristes ou subversifs. Ainsi, l’absence de présentation de la victime devant une autorité judiciaire compétente, constitue une violation de l’article 9, paragraphe 3. Étant détenu au secret, sans possibilité de contact avec le monde extérieur, la victime ne pouvait pas introduire un recours pour contester la légalité de sa détention, ni demander à un juge sa libération, ni même demander à un tiers d’assumer sa défense, ce qui entraîne une violation de l’article 9, paragraphe 4 du Pacte.

3.6La détention prolongée dans un lieu secret est également contraire aux garanties de l’article 10, paragraphe 1 du Pacte.

3.7Les auteurs estiment que la victime en tant que personne disparue est privée de sa capacité d’exercer ses droits garantis par le Pacte et d’accéder à un quelconque recours possible en conséquence directe du comportement de l’État, qui devrait être interprété comme un refus de reconnaître la personnalité juridique de la victime, en violation de l’article 16 du Pacte.

3.8La perquisition, la fouille et la destruction du domicile familial constituent une immixtion illégale et arbitraire dans la vie privée et dans le domicile de la famille Faraoun, en violation de l’article 17 du Pacte.

3.9Par la disparition forcée de la victime, la vie familiale des auteurs s’est trouvée anéantie, et l’État partie a failli à son devoir de protection envers celle-ci et a ainsi violé l’article 23, paragraphe 1 du Pacte.

3.10Du fait de la disparition forcée, Farid Faraoun est dans l’impossibilité d’exercer son droit de recours pour contester la légalité de la détention qui lui a été imposée. Les auteurs ont tenté tout ce qui était en leur pouvoir pour connaître la vérité sur son sort et ont essayé par tous les moyens légaux de le retrouver. En l’absence d’enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, de poursuites pénales, de jugement et de peine prononcée à l’égard des responsables de telles violations, l’État partie a violé l’article 2, paragraphe 3 du Pacte. En outre, l’absence de mesures nécessaires pour protéger les droits prévus aux articles 6, 7, 9, 10, 16, 17 et 23 constitue, en soi, une violation des droits mentionnés lus conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Le 28 août 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il considère que la communication qui met en cause la responsabilité d’agents publics ou d’autres personnes agissant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparitions forcées pendant la période considérée, c’est‑à-dire de 1993 à 1998, doit être examinée dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et être déclarée irrecevable. L’approche individuelle de cette plainte ne restitue pas le contexte intérieur sociopolitique et sécuritaire dans lequel se seraient produits les faits allégués et ne reflète ni la réalité ni la diversité factuelle des situations couvertes sous le terme générique de disparitions forcées durant la période considérée.

4.2À cet égard et contrairement aux théories véhiculées par des organisations non gouvernementales internationales que l’État partie considère peu objectives, la douloureuse épreuve du terrorisme que l’État partie a vécue ne saurait être perçue comme une guerre civile opposant deux camps mais comme une crise qui a évolué vers une propagation du terrorisme à la suite d’appels à la désobéissance civile. Cela a donné naissance à l’émergence d’une multitude de groupes armés pratiquant des actes de criminalité terroriste, de subversion, de destruction et de sabotage d’infrastructures publiques, et de terreur contre les populations civiles. Ainsi l’État partie a traversé durant les années 1990, l’une des plus terribles épreuves de sa jeune indépendance. Dans ce contexte, et conformément à la Constitution algérienne (article 87 et 91) des mesures de sauvegarde ont été prises et le Gouvernement algérien a notifié la proclamation de l’état d’urgence au Secrétariat des Nations Unies conformément à l’article 4 paragraphe 3 du Pacte.

4.3Durant cette période, les attentats terroristes survenant dans le pays à une cadence journalière étaient commis par une multitude de groupes armés obéissant plus à une idéologie qu’à une chaîne hiérarchique structurée, ce qui a entraîné une situation où les capacités des pouvoirs publics de maîtrise de la situation sécuritaire ont été fortement diminuées. Il en est résulté une certaine confusion dans la manière dont plusieurs opérations ont été menées au sein de la population civile, pour qui il était difficile de distinguer les interventions de groupes terroristes de celles des forces de l’ordre, auxquelles les civils ont souvent attribué les disparitions forcées. Selon différentes sources indépendantes, notamment la presse et les organisations des droits de l’homme, la notion générique de personne disparue en Algérie durant la période considérée renvoie à six cas de figure distincts, dont aucun n’est imputable à l’État. Le premier cas de figure concerne des personnes déclarées disparues par leurs proches, alors qu’elles étaient entrées dans la clandestinité de leur propre chef pour rejoindre les groupes armés en demandant à leur famille de déclarer qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité pour «brouiller les pistes» et éviter le «harcèlement» par la police. Le deuxième cas concerne les personnes signalées comme disparues suite à leur arrestation par les services de sécurité mais qui ont profité de leur libération pour entrer dans la clandestinité. Le troisième cas concerne des personnes qui ont été enlevées par des groupes armés qui, parce qu’ils ne sont pas identifiés ou ont agi en usurpant l’uniforme ou les documents d’identification de policiers ou de militaires, ont été assimilés à tort à des agents relevant des forces armées ou des services de sécurité. Le quatrième cas de figure concerne les personnes recherchées par leur famille qui ont pris l’initiative d’abandonner leurs proches et parfois même de quitter le pays, en raison de problèmes personnels ou de litiges familiaux. Il peut s’agir, en cinquième lieu, de personnes signalées comme disparues par leur famille et qui étaient en fait des terroristes recherchés, qui ont été tués et enterrés dans le maquis à la suite de combats entre factions, de querelles doctrinales ou de conflits autour des butins de guerre entre groupes armés rivaux. L’État partie évoque enfin une sixième catégorie, celle de personnes portées disparues vivant en fait sur le territoire national ou à l’étranger sous une fausse identité obtenue grâce à un réseau de falsification de documents.

4.4L’État partie souligne que c’est en considération de la diversité et de la complexité des situations couvertes par la notion générique de disparition que le législateur algérien, à la suite du plébiscite populaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, a préconisé le traitement de la question des disparus dans un cadre global à travers la prise en charge de toutes les personnes disparues dans le contexte de la «tragédie nationale», un soutien pour toutes les victimes afin qu’elles puissent surmonter cette épreuve et l’octroi d’un droit à réparation pour toutes les victimes de disparition et leurs ayants droit. Selon des statistiques élaborées par les services du Ministère de l’intérieur, 8 023 cas de disparition ont été déclarés, 6 774 dossiers ont été examinés, 5 704 dossiers ont été acceptés à l’indemnisation, 934 ont été rejetés et 136 sont en cours d’examen. Au total, 371 459 390 dinars algériens ont été versés à titre d’indemnisation à l’ensemble des victimes concernées. À cela s’ajoutent 1 320 824 683 dinars versés sous forme de pensions mensuelles.

4.5L’État partie fait également valoir que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Il insiste sur l’importance de faire une distinction entre les simples démarches auprès d’autorités politiques ou administratives, les recours non contentieux devant des organes consultatifs ou de médiation et les recours contentieux exercés devant les diverses juridictions compétentes. Il remarque qu’il ressort des déclarations des auteurs que les plaignants ont adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête à des représentants du parquet (procureurs généraux ou procureurs de la République) sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Parmi toutes ces autorités, seuls les représentants du ministère public sont habilités par la loi à ouvrir une enquête préliminaire et à saisir le juge d’instruction. Dans le système judiciaire algérien, le Procureur de la République est celui qui reçoit les plaintes et qui, le cas échéant, déclenche l’action publique. Cependant, pour protéger les droits de la victime ou de ses ayants droit, le Code de procédure pénale autorise ces derniers à agir par voie de plainte avec constitution de partie civile directement devant le juge d’instruction. Dans ce cas, c’est la victime et non le Procureur qui met en mouvement l’action publique en saisissant le juge d’instruction. Ce recours visé aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été utilisé alors qu’il aurait permis aux victimes de déclencher l’action publique et d’obliger le juge d’instruction à informer, même si le parquet en avait décidé autrement.

4.6L’État partie note en outre que, selon les auteurs, il est impossible de considérer qu’il existe en Algérie des recours internes efficaces, utiles et disponibles pour les familles de victimes de disparition en raison de l’adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, notamment l’article 45 de l’ordonnance no 06-01. Sur cette base, les auteurs se sont cru dispensés de l’obligation de saisir les juridictions compétentes en préjugeant de leur position et de leur appréciation dans l’application de cette ordonnance. Or les auteurs ne peuvent invoquer cette ordonnance et ses textes d’application pour s’exonérer de n’avoir pas engagé les procédures judiciaires disponibles. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la «croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes».

4.7L’État partie souligne ensuite la nature, les fondements et le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ses textes d’application. Il souligne qu’en vertu du principe d’inaliénabilité de la paix, qui est devenu un droit international à la paix, le Comité devrait accompagner et consolider cette paix et favoriser la réconciliation nationale pour permettre aux États affectés par des crises intérieures de renforcer leurs capacités. Dans cet effort de réconciliation nationale, l’État partie a adopté la Charte, dont l’ordonnance d’application prévoit des mesures d’ordre juridique emportant extinction de l’action publique et commutation ou remise de peine pour toute personne coupable d’actes de terrorisme ou bénéficiant des dispositions relatives à la discorde civile, à l’exception de celles ayant commis, comme auteurs ou complices, des actes de massacre collectif, des viols ou des attentats à l’explosif dans des lieux publics. Cette ordonnance prévoit également une procédure de déclaration judiciaire de décès, qui ouvre droit à une indemnisation des ayants droit des disparus en qualité de victimes de la «tragédie nationale». En outre, des mesures d’ordre socioéconomique ont été mises en place, parmi lesquelles des aides à la réinsertion professionnelle et le versement d’indemnités à toutes les personnes ayant la qualité de victimes de la «tragédie nationale». Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures politiques telles que l’interdiction d’exercer une activité politique à toute personne ayant contribué à la «tragédie nationale» en instrumentalisant la religion dans le passé et dispose qu’aucune poursuite ne peut être engagée à titre individuel ou collectif à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République.

4.8Outre la création du fonds d’indemnisation pour toutes les victimes de la «tragédie nationale», le peuple souverain d’Algérie a, selon l’État partie, accepté d’engager une démarche de réconciliation nationale qui est le seul moyen pour cicatriser les plaies générées. L’État partie insiste sur le fait que la proclamation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale s’inscrit dans une volonté d’éviter les confrontations judiciaires, les déballages médiatiques et les règlements de compte politiques. L’État partie considère, dès lors, que les faits allégués par les auteurs sont couverts par le mécanisme interne de règlement global induit par le dispositif de la Charte.

4.9L’État partie demande au Comité de constater la similarité des faits et des situations décrits par les auteurs et de tenir compte du contexte sociopolitique et sécuritaire dans lequel ils s’inscrivent, de conclure que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes, de reconnaître que les autorités de l’État partie ont mis en œuvre un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par les communications en cause selon un dispositif de paix et de réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquents, de déclarer la communication irrecevable et de renvoyer les auteurs à mieux se pourvoir.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 2 octobre 2012, les auteurs ont présenté leurs commentaires aux observations de l’État partie. Elles relèvent que l’État partie a accepté la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers. Cette compétence est de nature générale et son exercice par le Comité n’est pas soumis à l’appréciation de l’État partie. En particulier, il n’appartient pas à l’État partie de juger de l’opportunité de la saisine du Comité s’agissant d’une situation particulière. Pareille appréciation relève du Comité lorsqu’il procède à l’examen de la communication. Les auteurs considèrent que l’adoption, par l’État partie, de mesures législatives et administratives internes en vue de prendre en charge les victimes de la «tragédie nationale» ne peut être invoquée au stade de la recevabilité pour empêcher des particuliers relevant de sa juridiction de recourir au mécanisme prévu par le Protocole facultatif. Même si de telles mesures pouvaient avoir une incidence sur la solution au litige, elles doivent s’analyser par rapport au fond de la communication, et non au stade de la recevabilité. En l’espèce, les mesures législatives adoptées constituent en elles-mêmes une violation des droits contenus dans le Pacte, comme le Comité l’a déjà relevé.

5.2Les auteurs rappellent que l’instauration de l’état d’urgence le 9 février 1992 par l’Algérie n’affecte nullement le droit des individus de soumettre des communications au Comité. L’article 4 du Pacte prévoit en effet que la proclamation de l’état d’urgence permet de déroger uniquement à certaines dispositions du Pacte et n’affecte donc pas l’exercice de droits découlant de son Protocole facultatif. Les auteurs considèrent donc que les considérations de l’État partie sur l’opportunité de la communication ne sont pas un motif d’irrecevabilité valable.

5.3Les auteurs reviennent par ailleurs sur l’argument de l’État partie selon lequel l’exigence d’épuiser les voies de recours internes requiert qu’elles mettent en œuvre l’action publique par le biais d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction, conformément aux articles 72 et suivants du Code de procédure pénale.Elles se réfèrent à une communication individuelle concernant l’État partie dans laquelle le Comité a déclaré que «l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. La constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même».Les auteurs considèrent donc que pour des faits aussi graves que ceux allégués il revenait aux autorités compétentes de se saisir de l’affaire.Or cela n’a pas été fait alors que les auteurs ont tenté, dès l’arrestation de Farid Faraoun, de s’enquérir de sa situation, sans succès.

5.4Dès le surlendemain de l’arrestation de son fils, Fatiha Bouregba s’est rendue au commissariat de police. Il lui a été indiqué que son fils avait été transféré au secteur militaire de la ville où elle s’est alors rendue. Elle a été reçue par le Commandant du secteur qui ne lui a cependant communiqué aucune information sur son fils et s’est même montré très menaçant. Ce climat de peur a été entretenu par la destruction du domicile familial et l’intense surveillance dont les membres de la famille Faraoun a fait l’objet. Les auteurs ont malgré cela multiplié les démarches (voir par. 2.5), en vain. Par conséquent il ne pourrait être reproché aux auteurs de ne pas avoir épuisé toutes les voies de recours en ne saisissant pas le juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile concernant une violation aussi grave des droits de l’homme que l’État partie n’aurait dû ignorer.

5.5S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la simple «croyance ou la présomption subjective» ne dispense pas les auteurs d’une communication d’épuiser les recours internes, les auteurs se réfèrent à l’article 45 de l’ordonnance no 06-01, en vertu duquel aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité. L’auteur d’une telle plainte ou dénonciation est passible d’une peine d’emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 dinars. L’État partie n’a donc pas démontré de manière convaincante dans quelle mesure le dépôt de plainte avec constitution de partie civile aurait permis aux juridictions compétentes de recevoir et d’instruire une plainte introduite, ce qui impliquerait que celles-ci violent le texte de l’article 45 de l’ordonnance, ou dans quelle mesure les auteurs auraient pu être exonérés de l’application de l’article 46 de l’ordonnance. Ainsi que le confirme la jurisprudence des organes conventionnels, la lecture de ces dispositions mène à la conclusion que toute plainte concernant les violations, dont les auteurs et Farid Faraoun ont été les victimes, serait non seulement déclarée irrecevable mais qui plus est serait pénalement réprimée. L’État partie n’apporte aucun exemple d’une quelconque affaire qui, malgré l’existence de l’ordonnance susmentionnée, aurait abouti à la poursuite effective des responsables de violations de droits de l’homme dans un cas similaire au cas d’espèce.

5.6Sur le fond de la communication, les auteurs notent que l’État partie s’est limité à l’énumération des contextes dans lesquels les victimes de la «tragédie nationale», de façon générale, auraient pu disparaître. Ces observations générales ne réfutent pas les faits allégués dans la présente communication.Elles sont d’ailleurs exposées de manière identique dans une série d’autres affaires, ce qui montre que l’État partie ne souhaite toujours pas traiter ces affaires de manière individuelle.

5.7S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il serait en droit de demander que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond, les auteurs se réfèrent au paragraphe 2 de l’article 97 du règlement intérieur qui prévoit que «le Groupe de travail ou le Rapporteur spécial peut, du fait du caractère exceptionnel de l’affaire, demander une réponse écrite ne portant que sur la question de la recevabilité».Ces prérogatives n’appartiennent donc ni aux auteurs de la communication ni à l’État partie et relèvent de la seule compétence du Groupe de travail ou du Rapporteur spécial. Les auteurs considèrent que le cas d’espèce n’est en rien différent des autres cas de disparitions forcées et qu’il convient de ne pas dissocier la question de la recevabilité de celle du fond.

5.8Les auteurs rappellent qu’il incombe à l’État partie de soumettre «des explications ou des observations portant à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la communication». Ils rappellent également la jurisprudence des organes conventionnels, qui considèrent que, en l’absence d’observations sur le fond par l’État partie, le Comité pourra se prononcer sur la base des informations existant au dossier.Les nombreux rapports sur les agissements des forces de l’ordre pendant la période donnée et les nombreuses démarches des membres de la famille de la victime corroborent les allégations présentées par les auteurs dans leur communication. Compte tenu de la responsabilité de l’État partie dans la disparition de Farid Faraoun, les auteurs ne sont pas en mesure de fournir plus d’éléments à l’appui de leur communication, éléments que l’État partie est le seul à détenir.Les auteurs remarquent d’ailleurs que l’absence d’observations sur le fond équivaut pour l’État partie à une reconnaissance des violations commises.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1En premier lieu, le Comité rappelle que la jonction de la recevabilité et du fond décidée par le Rapporteur spécial (voir par. 1.3) n’exclut pas un examen en deux temps de ces questions par le Comité. La jonction de la recevabilité et du fond ne signifie pas simultanéité de leur examen. Par conséquent, avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que selon l’État partie, les auteurs n’auraient pas épuisé les recours internes puisque la possibilité de saisir le juge d’instruction en se constituant partie civile en vertu des articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été envisagée. Le Comité note en outre que selon l’État partie, les auteurs ont adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Le Comité note l’argument des auteurs selon lequel leurs démarches ont été limitées par crainte de représailles; qu’après la promulgation le 27 février 2006 de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, les auteurs ont été confrontés à l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire. Le Comité note que malgré les craintes de représailles, les auteurs ont entrepris de nombreuses démarches y compris auprès des brigades de police compétentes afin de faire la lumière sur la disparition de la victime, en vain.

6.4Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son encontre.La famille de Farid Faraoun a, à de nombreuses reprises, alerté les autorités policières et politiques de la disparition de ce dernier, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse.En outre, l’État partie n’a pas apporté les éléments permettant de conclure qu’un recours utile et disponible est ouvert alors que l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 continue d’être appliquée en dépit des recommandations du Comité visant à sa mise en conformité avec le Pacte (CCPR/C/DZA/CO/3, par. 7,8et13). Le Comité rappelle qu’aux fins de la recevabilité d’une communication, les auteurs doivent épuiser uniquement les recours utiles afin de remédier à la violation alléguée, en l’espèce, les recours utiles pour remédier à la disparition forcée. En outre, le Comité estime que la constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même.Etant donné le caractère imprécis du texte des articles 45 et 46 de l’ordonnance, et en l’absence d’informations concluantes de l’État partie concernant leur interprétation et leur application dans la pratique, les craintes exprimées par les auteurs quant à l’efficacité de l’introduction d’une plainte sont raisonnables. Vu l’ensemble de ces considérations, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne pose pas d’obstacle à la recevabilité de la présente communication.

6.5Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé leurs allégations dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des articles 6, paragraphe 1; 7; 9; 10; 16; 17; 23, paragraphe 1; et 2, paragraphe 3, du Pacte, et procède donc à l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties.

7.2Dans la présente communication, l’État partie s’est contenté de maintenir que les communications alléguant la responsabilité d’agents publics ou exerçant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée de 1993 à 1998 doivent être examinées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays, à une période où le Gouvernement s’employait à lutter contre le terrorisme.Le Comité fait observer qu’en vertu du Pacte, l’État partie doit se soucier du sort de chaque individu, qui doit être traité avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. Il tient à rappeler sa jurisprudence selon laquelle l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte, ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. L’ordonnance no 06-01, sans les amendements recommandés par le Comité, semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être compatible avec les dispositions du Pacte (CCPR/C/DZA/CO/3, par. 7a)).

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations des auteurs sur le fond et rappelle sa jurisprudence d’après laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.En l’absence d’explications de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

7.4Le Comité note que selon les auteurs,Farid Faraouna été arrêté le 11 février 1997 par quatre agents de la police judiciaire de la sûreté de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès, en civil et armés, arrivés à bord de véhicules officiels; qu’il a été arrêté sans mandat et emmené au commissariat de Sidi-Bel-Abbès; que sa famille ne l’a plus revu par la suite; et que, malgré les démarches entreprises par la famille, les autorités n’ont fourni aucune information sur son sort. Le Comité rappelle qu’en matière de disparition forcée, la privation de liberté, suivie du déni de reconnaissance de celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue, soustrait cette personne à la protection de la loi et fait peser un risque constant et sérieux sur sa vie, dont l’État doit rendre compte. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de conclure qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Farid Faraoun. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de la victime, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte .

7.5Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret.Il note en l’espèce que Farid Faraoun a été arrêté par des membres de la police judiciaire algérienne le 11 février 1997, que, depuis, il n’a eu aucun contact avec sa famille et que, selon les informations obtenues par celle-ci, il aurait été torturé dans les heures qui ont suivi son arrestation.En l’absence de toute explication satisfaisante de l’État partie, le Comité considère que ces faits constituent une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de Farid Faraoun.

7.6Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Farid Faraoun a causées aux auteurs. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à leur égard.

7.7En outre, le Comité note l’allégation des auteurs selon laquelle la ferme familiale a été détruite par des agents de la Brigade. S’agissant du domicile familial, l’épouse de Farid Faraoun et ses enfants, après en avoir été expulsés, auraient assisté, impuissants, à la destruction de la maison dans laquelle ils avaient vécu plus de 17 ans ainsi qu’à la destruction de leurs biens mobiliers et effets personnels, par des bulldozers, sur ordre des agents de l’État. Le Comité note l’allégation des auteurs selon laquelle aucune alternative de relogement n’a été prévue, laissant la famille dans une situation financière critique. Le Comité note également l’allégation des auteurs selon laquelle cette mesure était destinée à les intimider et que, tout comme s’agissant de l’arrestation de Farid Faraoun, ils n’ont osé porter directement plainte devant les autorités judiciaires au moment des faits et ce, par crainte de représailles. Le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. Le Comité rappelle son observation générale no 20 (1992) dans laquelle il n’a pas estimé nécessaire d’établir une liste des actes interdits ni de fixer des distinctions très nettes entre les différentes formes de peines ou traitements interdits; ces distinctions dépendant de la nature, du but et de la gravité du traitement infligé. Le Comité a aussi considéré que l’interdiction énoncée à l’article 7 concerne non seulement des actes qui provoquent chez la victime une douleur physique, mais aussi des actes qui infligent une souffrance mentale.

7.8Le Comité constate qu’en l’espèce, ce sont les autorités de l’État partie qui ont procédé à la destruction de la ferme, du domicile familial et des biens mobiliers s’y trouvant, peu de temps après l’arrestation de Farid Faraoun; que ces destructions ont été ordonnées sans mandat; que les auteurs et leur famille ont assisté impuissants à la destruction de la maison familiale pendant plusieurs heures, maison dans laquelle ils avaient vécu de nombreuses années; et qu’aucune alternative n’a été fournie à la famille pour se reloger et subvenir à ses besoins. Compte tenu des circonstances, le Comité considère une telle destruction comme constituant un acte de représailles et d’intimidation causant une souffrance mentale intense aux auteurs et à leur famille. Le Comité conclut à la violation distincte de l’article 7 du Pacte à l’égard de Farid Faraoun et des auteurs

7.9En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité note les allégations des auteurs qui affirment que Farid Faraoun a été arrêté sans mandat d’arrêt; qu’il n’aurait jamais été mis en examen ni présenté à une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu recourir contre la légalité de sa détention; et qu’aucune information officielle n’a été donnée aux auteurs sur son sort.En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9 à l’égard de Farid Faraoun .

7.10S’agissant du grief tiré du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Compte tenu de la détention au secret de Farid Faraoun, et en l’absence d’informations de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

7.11S’agissant du grief de violation de l’article 16, le Comité réitère sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a pas fourni d’informations sur le sort réservé à la personne disparue ni sur le lieu où elle se trouve malgré les demandes que les auteurs ont adressées à l’État partie. Le Comité en conclut que la disparition forcée de Farid Faraoun depuis le 11 février 1997 l’a soustrait à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.12En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité note l’allégation des auteurs selon laquelle les autorités de la police judiciaire de Sidi-Bel-Abbès auraient perquisitionné et fouillé le domicile de la famille Faraoun sans mandat; et que la ferme familiale ainsi que le domicile familial auraient été complètement détruits, l’une en présence d’une brigade de la gendarmerie du Darak el Watani et l’autre en présence du commissaire de la sûreté de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès. Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune observation sur ces allégations. En l’absence de toute explication fournie par l’État partie à ce sujet, il convient donc d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs pourvu qu’elles soient suffisamment étayées. Le Comité conclut que l’entrée d’agents de l’État dans le domicile de Farid Faraoun et de sa famille dans de telles circonstances ainsi que la destruction de leur ferme et de leur domicile constituent une immixtion illégale dans leur vie privée, leur famille et leur domicile, en violation de l’article 17 du Pacte à l’égard de Farid Faraoun et des auteurs.

7.13Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

7.14Les auteurs invoquent le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à tous les individus dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les auteurs ont alerté les autorités compétentes de la disparition de Farid Faraoun dès son arrestation. Toutes les démarches entreprises se sont révélées vaines et l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition. Par ailleurs, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale continue de priver Farid Faraoun et les auteurs de tout accès à un recours utile puisque cette ordonnance interdit, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves, comme les disparitions forcées (CCPR/C/DZA/CO/3, par. 7). Vu ce qui précède, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, paragraphe 1; 7; 9; 10, 16 et 17 du Pacte à l’égard de Farid Faraoun, et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 7 et 17 du Pacte, à l’égard des auteurs.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, de l’article 16, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, paragraphe 1; 7; 9; 10, paragraphe 1; 16 et 17 du Pacte à l’égard de Farid Faraoun. Il constate en outre une violation de l’article 7 et 17, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7 et 17 à l’égard des auteurs.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Farid Faraoun; b) fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de son enquête; c) libérer immédiatement l’intéressé au cas où il serait toujours détenu au secret; d) dans l’éventualité où Farid Faraoun serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; e) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et f) indemniser de manière appropriée les auteurs pour les violations subies; ainsi que Farid Faraoun s’il est en vie. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]