Nations Unies

CCPR/C/101/D/1761/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

27 avril 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

101 e session

14 mars-1er avril 2011

Constatations

Communication no 1761/2008

Présentée par:

Yubraj Giri (représenté par Advocacy Forum)

Au nom de:

L’auteur, sa femme (Dhanamaya Giri) et leurs deux enfants (Yashoda et Yogesh Giri)

État partie:

Népal

Date de la communication:

14 janvier 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 février 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

24 mars 2011

Objet:

Arrestation et détention arbitraires et actes de torture sur la personne d’un agriculteur soupçonné d’appartenir au Parti communiste (maoïste)

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Arrestation et détention arbitraires; torture et mauvais traitements; détention au secret; disparition forcée; conditions de détention; droit à un recours effectif; état d’urgence

Articles du Pacte:

2 (par. 3, 7, 9), 10 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Le 24 mars 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1761/2008

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (101e session)

concernant la

Communication no 1761/2008 **

Présentée par:

Yubraj Giri (représenté par Advocacy Forum)

Au nom de:

L’auteur, sa femme (Dhanamaya Giri) et leurs deux enfants (Yashoda et Yogesh Giri)

État partie:

Népal

Date de la communication:

14 janvier 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 mars 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1761/2008 présentée au nom de Yubraj Giri en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Yubraj Giri, de nationalité népalaise, né le 1er février 1983. Il affirme être victime de violations par le Népal des articles 7, 9 et 10, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par Advocacy Forum. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 mars 1996.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est agriculteur et vit à Rajagadawa Bankhet, dans le district de Banke (zone de Bheri, Népal). Il est marié à Dhanamaya Giri et a deux enfants, Yashoda et Yogesh, âgés respectivement de 7 et 5 ans. Le 29 avril 2004, il s’était rendu dans le village de Laknawar et, au cours de l’après-midi, il était en train de jouer à un jeu de société avec des villageois, au bord de la route. Il jouait depuis dix minutes lorsqu’un membre du Parti communiste népalais (maoïste) s’est joint à la partie. Après environ cinq minutes, l’auteur a entendu un homme crier: «Regarde le militant maoïste!». L’auteur s’est retourné et a vu deux hommes à bicyclette en civil et armés de pistolets. Le militant maoïste s’est enfui en courant et les deux hommes sont descendus de bicyclette, ont ouvert le feu et se sont lancés à sa poursuite.

2.2Après environ vingt minutes, les deux hommes sont revenus au village, ont repris leur bicyclette et sont partis. La plupart des joueurs s’étaient dispersés mais l’auteur était toujours au bord de la route car il achetait du tabac à un commerçant. Après avoir fait son achat, il s’est rendu au domicile d’une connaissance et a vu un camion de l’armée transportant 20 à 25 hommes en uniforme, portant des armes et des sacs, qui traversait le village. Au bout de vingt minutes environ, l’auteur a quitté le domicile de cette connaissance et a pris le chemin du retour à bicyclette. En sortant de Laknawar, il a croisé une dizaine d’hommes en uniforme qui, à son avis, étaient des soldats de l’Armée royale népalaise (ARN). Un des soldats a demandé à l’auteur d’où il était et où il allait. Pendant qu’il leur répondait, les deux hommes en civil qui s’étaient lancés à la poursuite du militant maoïste se sont approchés. L’un d’eux a dit aux soldats qu’il avait vu l’auteur en compagnie du militant qui s’était enfui. Cet homme, qui était chaussé de bottes, a décoché trois coups de pied à l’auteur, à la poitrine et à l’estomac, tout en pointant son pistolet sur lui et en le traitant de maoïste. Au troisième coup de pied, l’auteur est tombé par terre. L’homme lui a donné un quatrième coup de pied à la poitrine, et l’auteur a perdu connaissance.

2.3Lorsqu’il a repris connaissance, l’auteur se trouvait dans un camion en marche, allongé sur le ventre. Ses yeux n’étaient pas bandés et il n’était pas menotté. Comme il avait du mal à respirer, il a demandé l’autorisation de s’asseoir, qui lui a été accordée. Lorsqu’il a été arrêté, les soldats de l’ARN ne l’ont informé ni des motifs de son arrestation, ni de ses droits. L’auteur a vu qu’il y avait des hommes en uniforme dans le camion mais pas les deux hommes en civil. Lorsque le camion est arrivé à l’autoroute, des soldats ont bandé les yeux de l’auteur. Certains l’ont insulté et lui ont tiré la barbe. Environ trente minutes plus tard, le camion s’est arrêté et l’auteur a reçu l’ordre d’en descendre. On lui a retiré son bandeau et il a constaté qu’il se trouvait dans une caserne militaire, qu’il a par la suite entendu des soldats appeler caserne d’Immamnagar. Les soldats lui ont ensuite remis le bandeau sur les yeux et l’ont menotté dans le dos.

2.4L’auteur a été contraint à marcher pendant dix à quinze minutes, jusqu’à un bâtiment où il a été enfermé dans une pièce appelée «salle médicale de détention». Dans cette pièce sans lumière d’environ 3 mètres sur 4, malodorante et pleine de moustiques, il y avait deux lits en fer, mais pas de literie, des toilettes mais pas d’eau et une petite fenêtre recouverte de sacs en plastique et en jute. Pendant les trois ou quatre premiers jours de sa détention, l’auteur est resté menotté dans le dos puis a été menotté mains devant. Il partageait sa cellule avec un détenu, parfois plusieurs, de sorte que l’espace manquait. L’eau et la nourriture étaient insuffisantes, il n’y avait ni literie ni lumière naturelle et il n’avait pas accès à des équipements de loisirs. Pendant les trois premiers mois de détention, les soldats ôtaient le bandeau et les menottes des détenus pendant les repas. Le garde faisait passer la nourriture et l’eau par la fenêtre de la cellule. Après les trois premiers mois de détention, les gardes ont cessé d’enlever les menottes de l’auteur pendant les repas. Ils lui ont dit qu’ils avaient perdu les clefs des menottes et qu’ils ne pouvaient plus les lui ôter. L’auteur est donc resté menotté et les yeux bandés pendant le restant de sa détention à la caserne militaire, ce qui lui causait des difficultés considérables pour manger et aller aux toilettes. L’auteur ajoute qu’il n’a été autorisé à se doucher que deux fois pendant sa détention et qu’il devait demander au garde de lui donner de l’eau potable, laquelle était rationnée. Il n’a jamais reçu de vêtements de rechange.

2.5L’auteur a été détenu au secret à la caserne militaire d’Immamnagar du 29 avril 2004 au 12 mai 2005, soit pendant près de treize mois. À aucun moment pendant sa détention il n’a été autorisé à prendre contact avec sa famille ou avec un avocat. Des soldats de l’ARN l’ont torturé et l’ont soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Il a été torturé tous les jours pendant une semaine, généralement pendant la journée. Après une semaine, les actes de torture ont cessé pendant trois ou quatre jours, puis ils ont repris pendant quelques jours, puis ont à nouveau cessé pendant quelques jours. Ce schéma s’est répété pendant environ trois mois, après lesquels les actes de torture sont devenus moins fréquents mais se sont néanmoins poursuivis pendant environ sept mois. Ces actes étaient commis pendant les interrogatoires, et consistaient notamment en des coups donnés sur les épaules, le dos et les jambes avec un tuyau en plastique et un bâton en bois dur. L’auteur a également reçu des gifles, des coups de poing à la tête et aux oreilles, des coups de pied dans le dos donnés par des personnes chaussées de bottes de l’armée, y compris sur les parties du corps qui avaient été frappées le jour précédent. L’enquêteur interrogeait l’auteur sur ses liens avec les maoïstes. Pendant les séances de torture, l’auteur avait les yeux bandés et était menotté. Au cours de l’une de ces séances, il a cru reconnaître la voix de l’un de ses tortionnaires comme étant celle de l’un des hommes en civil qui l’avaient battu lors de son arrestation. Lorsque l’auteur niait tout lien avec les maoïstes, les actes de torture s’intensifiaient. Le premier jour de sa détention, après l’interrogatoire et le passage à tabac, il a été dit à l’auteur qu’il devait se reposer car le lendemain on le tuerait en le jetant d’un hélicoptère. Au cours de sa détention, tantôt on lui disait qu’il allait être libéré, tantôt qu’il allait être tué. Les autres actes de torture qu’il a subis consistaient notamment à lui frotter le corps contre des blocs de glace, à lui planter des aiguilles dans le dos, près des mamelons, et sous les ongles des orteils. À deux reprises au moins, l’auteur a été transféré dans d’autres sections de la caserne. Les soldats de l’ARN lui ont dit qu’on le déplaçait pour qu’il ne soit pas vu par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ou la Commission nationale des droits de l’homme.

2.6Au terme de son septième mois de détention, l’auteur a été contraint à rédiger des aveux dans lesquels il déclarait qu’il était un militant maoïste, que l’ARN lui avait confisqué des documents relatifs au Parti communiste népalais (maoïste) et qu’il souhaitait maintenant «se rendre». L’auteur a été contraint à apposer l’empreinte de son pouce sur le document. Par la suite, il a encore été contraint à rédiger et à signer des déclarations similaires. Après le huitième mois de détention, il n’a été torturé qu’une fois. Cependant, il a continué à faire l’objet de violence verbale de la part des soldats de l’ARN, certains lui disant qu’on le tuerait tandis que d’autres lui disaient qu’il serait libéré. L’auteur estime qu’il a été torturé une centaine de fois au total. Il avait peur de demander une assistance médicale lors de sa détention et n’a été vu qu’une fois par un médecin. Par suite des tortures subies, il continue de souffrir de maux de tête permanents et de vertiges et d’avoir des douleurs à la mâchoire, à la tête, aux épaules, dans le dos, aux hanches et aux jambes; il a en outre été diagnostiqué comme souffrant d’arthrose de la colonne vertébrale. Il présente également des symptômes de stress post-traumatique tels que dépression, difficultés de concentration, épisodes de colère, peurs et angoisses, notamment peur de l’uniforme, et réminiscences d’épisodes douloureux.

2.7Le 12 mai 2005, l’auteur a été remis par l’ARN à la police du district de Banke, à Nepalgunj. Il a été contraint, sous la menace d’une arme, à rédiger et à signer une déclaration similaire à celles qu’il avait signées précédemment. Le 12 mai 2005, le lieutenant du bataillon Kalidal, de la caserne d’Immamnagar, a écrit une lettre à la police du district de Banke, dans laquelle il recommandait que l’auteur soit détenu à titre préventif, en vertu de l’article 9 du décret relatif aux activités terroristes et destructrices (prévention et répression) (2004). Dans sa lettre, le lieutenant indique que l’auteur était impliqué dans des activités terroristes maoïstes et qu’il avait aidé les maoïstes à transporter des biens et à commettre des enlèvements.

2.8Le 12 mai 2005, B. D. K., instructeur de police, a rédigé une note à laquelle il a joint une déclaration rédigée par l’inspecteur de police et signée par l’auteur, dans laquelle celui‑ci avouait avoir commis les crimes évoqués par le lieutenant dans sa lettre du 12 mai 2005 et avoir espionné pour le compte des maoïstes. L’auteur maintient qu’il a été contraint, sous la menace d’une arme, à rédiger et à signer ces aveux.

2.9Le 13 mai 2005, S. L., commissaire de police, a écrit au Bureau administratif du district une lettre dans laquelle il signalait que l’ARN avait remis l’auteur à la police le 12 mai 2005. Il y précisait qu’il était avéré que l’auteur avait participé à des «activités terroristes maoïstes» et demandait à ce qu’il soit placé en détention préventive en vertu de l’article 9 du décret relatif aux activités terroristes et destructrices.

2.10Le 13 mai 2005, l’auteur a ainsi été amené au Bureau administratif du district où, sur la base de la correspondance reçue de l’armée népalaise et de la police du district de Banke, une ordonnance de placement en détention préventive a été émise en vertu du décret relatif aux activités terroristes et destructrices. L’auteur a été transféré à la prison du district de Banke le même jour et s’est vu remettre une lettre confirmant qu’il était placé en détention préventive en vertu de l’article 9 de ce décret.

2.11Le 29 juin 2005, l’auteur a présenté une requête en habeas corpus auprès de la cour d’appel de Nepalgunj (district de Banke), dans laquelle il fait référence à son arrestation arbitraire, à sa détention au secret illégale et aux actes de torture physique et psychologique dont il a été victime pendant qu’il était détenu par l’ARN. Les défendeurs mentionnés dans la requête sont le Bureau de la police de district, le Bureau administratif du district, l’administrateur en chef du district et la prison de district. Dans sa requête, l’auteur nie être un militant maoïste et conteste sa détention en vertu du décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices. Le 1er juillet 2005, la cour d’appel a demandé aux défendeurs de répondre par écrit dans un délai de trois jours. Dans leurs réponses, le Bureau de la police de district, le Bureau administratif du district et la prison de district ont contesté l’illégalité de la détention de l’auteur, faisant référence aux demandes en bonne et due forme présentées à cet égard, notamment par l’Armée royale népalaise. Le 14 septembre 2005, la cour d’appel de Nepalgunj a ordonné que l’auteur soit déféré au tribunal de district et remis en liberté. Elle a conclu que l’administrateur en chef du district n’était pas habilité à émettre une ordonnance de placement en détention préventive en vertu du décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices et a ordonné la remise en liberté de l’auteur pour irrégularité de procédure. L’auteur a été libéré le 15 septembre 2005, après cent vingt-six jours de détention à la prison de district.

2.12En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, l’auteur souligne que, lorsqu’il a présenté sa requête en habeas corpus, le 29 juin 2005, les autorités étaient informées de ses allégations de torture. En vertu des règlements nos 29 et 30 de la cour d’appel, celle-ci a toute latitude pour créer une commission d’enquête si certains faits indiquent que des actes de torture ont été commis. La cour, en l’espèce, n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire. De même, bien qu’elle ait été informée des accusations de torture formulées par l’auteur, la police n’a pas ouvert d’enquête pénale pour identifier et poursuivre les auteurs des faits. L’auteur affirme que le fait qu’aucune enquête quelle qu’elle soit n’ait été menée, plus de deux ans après sa requête en habeas corpus, constitue un retard excessif et montre que le dépôt de toute nouvelle plainte serait vain et n’aurait aucune chance d’aboutir.

2.13L’auteur indique également qu’il a tenté de déposer plainte auprès du Bureau de la police du district de Banke. La police a toutefois refusé de l’enregistrer, arguant que l’auteur ne s’adressait pas à l’autorité compétente. L’auteur évoque, de manière générale, les diverses tentatives faites par des victimes, des parents de victimes et des ONG pour déposer plainte pour des violations des droits de l’homme qui ont été ou qui sont commises par des membres des forces de sécurité, plaintes qui ont été rejetées par la police. Il affirme qu’il n’existe pas d’autre voie de recours utile qui permettrait d’identifier et de punir les responsables des violations de ses droits fondamentaux.

2.14L’auteur souligne que la législation népalaise ne comporte pas de dispositions pénales prévoyant l’engagement de la responsabilité pénale individuelle pour les actes de détention arbitraire et de torture et pour les mauvais traitements, exception faite d’une disposition très vague et inefficace de la loi relative à la police. Il indique également que la loi relative à la police accorde l’immunité aux agents administratifs des districts et à l’ensemble des fonctionnaires de police «pour les actes accomplis […] de bonne foi […] dans l’exercice de leurs fonctions». Une disposition similaire a été incorporée dans la loi relative à l’armée (2006), et les auteurs de tels actes sont, de fait, à l’abri de toute sanction, puisque les enquêtes sur les cas de torture et de disparitions sont confiées à un comité spécial, et les poursuites à un tribunal militaire spécial. En outre, les dispositions de l’ancienne loi relative à l’armée (1959), qui régissent la conduite des membres de l’Armée royale népalaise et établissent leur responsabilité, ne s’appliquent pas aux arrestations effectuées en vertu du décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices.

2.15L’auteur fait également référence aux quatre mécanismes de transition instaurés conformément à l’Accord de paix global, signé en 2006, mais affirme qu’aucun d’entre eux n’est susceptible de déboucher sur une enquête et des poursuites pénales. En ce qui concerne les recours civils, l’auteur souligne l’inefficacité de la loi de 1996 relative à l’indemnisation en cas de torture, et évoque la crainte qu’éprouvent les victimes de subir des actes d’intimidation et de représailles. L’autre possibilité offerte par cette loi serait un recours administratif, auprès des autorités de police, qui déboucherait sur des sanctions disciplinaires. Quant aux plaintes déposées auprès de la Commission nationale des droits de l’homme (533 au total en 2007), et à la recommandation de la Commission au sujet de 14 de ces plaintes, tendant à ce que l’État partie indemnise les victimes et engage des poursuites en justice, seules deux victimes ont reçu l’indemnisation recommandée.

2.16Concernant sa famille, l’auteur indique que celle-ci, après l’avoir cherché pendant quatre ou cinq mois, a reçu des informations non officielles selon lesquelles il était vivant et se trouvait à la caserne. Cependant, n’ayant pas de nouvelles par la suite, elle a cessé d’espérer son retour et a acquis la conviction qu’il était mort. Les enfants de l’auteur étant très jeunes, sa femme s’est bornée à leur dire que leur père était parti en Inde. Elle était déprimée et souffrait de maux de tête fréquents. Lorsqu’il était incarcéré à la prison du district, l’auteur a écrit une lettre à sa famille pour lui dire qu’il était encore en vie. La famille n’a pas cru que la lettre émanait de l’auteur et a envoyé son grand-père à la prison pour s’assurer qu’il était bien en vie. L’auteur évoque également les conséquences financières qu’ont eues pour sa famille son arrestation, sa détention et les actes de torture dont il a été victime, étant donné qu’il n’a pas été physiquement en mesure de travailler depuis sa remise en liberté.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les articles 7, 9 et 10, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2L’auteur fait valoir que l’État partie a violé l’article 7 du Pacte à son égard: i) en le soumettant à des passages à tabac systématiques et à d’autres actes de torture et mauvais traitements au cours de sa détention à la caserne militaire d’Immamnagar, pendant sept mois, notamment dans le but de lui extorquer des aveux; ii) en le maintenant au secret pendant treize mois (du 29 avril 2004 au 12 mai 2005); iii) en lui refusant le droit de prendre contact avec sa famille; iv) en le soumettant à des conditions de détention inhumaines et dégradantes à la caserne militaire d’Immamnagar; v) en n’enquêtant pas sur les allégations selon lesquelles il a été victime d’actes de torture et de mauvais traitements à la caserne militaire d’Immamnagar; vi) en imposant à sa famille de vivre dans la souffrance et l’angoisse causées par l’incertitude sur son sort et sur le lieu où il se trouvait entre le moment de son arrestation, le 29 avril 2004, et le 13 mai 2005, date à laquelle il a été amené à la prison du district et a pu écrire à sa famille pour lui faire savoir qu’il était toujours en vie et qu’il était incarcéré. Le fait qu’il ait concrètement disparu pendant treize mois a facilité des violations flagrantes de ses droits au titre de l’article 7.

3.3L’auteur affirme en outre que l’État partie a violé l’article 10 du Pacte, eu égard aux mauvais traitements qu’il a subis pendant sa détention, aux conditions matérielles de sa détention et à sa détention au secret.

3.4L’auteur considère qu’il est également victime d’une violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 du Pacte, eu égard à son arrestation et sa détention arbitraires. Le 29 avril 2004, il a été battu, arrêté et emmené par des soldats de l’ARN, sans être informé des motifs de son arrestation ni être inculpé ou traduit devant une autorité judiciaire, et sa détention au secret a duré treize mois (du 29 avril 2004 au 12 mai 2005). L’auteur affirme également qu’une autre violation du paragraphe 1 de l’article 9 a été commise, l’usage disproportionné et excessif de la force par les soldats de l’ARN lors de son arrestation ayant porté atteinte à son droit à la sécurité de sa personne. En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, l’auteur fait valoir que sa détention au secret l’a empêché de contester la légalité de sa détention.

3.5Pour ce qui est des recours, l’auteur invite le Comité à demander à l’État partie de faire faire une enquête impartiale par un organe autonome et indépendant, et de poursuivre les agents de l’État dont il aura été établi qu’ils sont responsables de son arrestation arbitraire, de sa détention au secret et des actes de torture dont il a été victime. Il prie en outre le Comité de demander à l’État partie de le protéger, ainsi que les autres plaignants et témoins, contre les actes d’intimidation et les représailles lors de l’enquête et de les tenir informés du déroulement et des résultats de celle-ci. Il invite également le Comité à demander à l’État partie de lever tout obstacle à l’enquête et aux poursuites en justice, comme les immunités, et de suspendre le chef d’état-major de l’armée de ses fonctions dans l’attente des résultats de l’enquête le concernant. Il demande également que l’État partie lui verse, ainsi qu’à sa famille, une indemnisation adéquate, qu’il réponde à leurs besoins en matière de réadaptation médicale et psychologique et qu’il lui fournisse une aide à l’éducation à titre de réparation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 août 2009, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme tout d’abord que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. Le recours en habeas corpus ne porte que sur une décision relative à la légalité de la détention et n’oblige pas l’État partie à entreprendre une enquête comme l’affirme l’auteur. L’auteur n’a pas déposé de demande d’indemnisation auprès du tribunal de district dans un délai de trente-cinq jours à compter de la date à laquelle les actes de torture ont été commis, conformément à l’article 5 de la loi de 1996 relative à l’indemnisation en cas de torture. Une telle demande aurait permis au tribunal de district d’ordonner un examen physique et psychologique de l’auteur dans un délai de trois jours, et les autorités auraient veillé à ce qu’il bénéficie du traitement médical nécessaire. Une telle décision aurait également ménagé la possibilité d’accorder une indemnisation à l’auteur dans un délai de trente-cinq jours. S’il avait constaté que des actes de torture avaient été commis, le tribunal de district aurait également ordonné à l’organe concerné de prendre des mesures contre l’agent responsable. L’auteur ne s’est pas prévalu de cette voie de recours interne rapide et efficace.

4.2L’État partie fait en outre valoir que l’auteur n’a pas présenté de requête à la Commission nationale des droits de l’homme, commission indépendante créée en vertu de la loi de 1997 relative à la commission des droits de l’homme et habilitée à mener des enquêtes sur les violations des droits de l’homme, à formuler des recommandations à l’intention des autorités nationales, à ordonner la comparution de témoins et la présentation d’éléments de preuve, et même à ordonner l’indemnisation de victimes de violations des droits de l’homme. L’auteur n’ayant pas présenté de requête à la Commission nationale des droits de l’homme, il n’a pas épuisé les recours internes disponibles. L’État partie demande donc au Comité de déclarer la communication irrecevable pour ce motif et de conclure que l’auteur a abusé du droit de présenter une communication car il ne s’était pas prévalu des recours utiles disponibles.

4.3Sur le fond, l’État partie rejette les allégations de l’auteur et fait valoir que son arrestation et sa détention devaient nécessairement être fondées sur des informations fiables des services du renseignement indiquant qu’il prenait une part active, en tant que complice, à des activités terroristes et destructrices. Les responsables de la sécurité de l’ARN étaient habilités, en vertu du décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices, à arrêter des personnes et à les détenir pour une période maximale d’un an, sous réserve d’un réexamen périodique effectué sur demande d’un comité. L’État partie fait référence au conflit armé qui sévit dans le pays, qui a conduit à déclarer l’état d’urgence. La pratique consistant à informer les familles de l’arrestation d’une personne longtemps après ladite arrestation est dictée par l’état de nécessité et vise à assurer la sécurité des détenus et de leur famille, ainsi que la sécurité des lieux de détention.

4.4Concernant les conditions dans lesquelles l’auteur a été détenu, l’État partie affirme que celles-ci, telles qu’elles ont été décrites, étaient «relativement humaines» compte tenu des conditions générales de vie des Népalais. Il ajoute que ces conditions étaient semblables à celles dans lesquelles vivent les soldats de l’ARN. Pour ce qui est des allégations de torture formulées par l’auteur, l’État partie affirme que lorsque celui-ci a été remis à la police, le 12 mai 2005, le policier n’a pas fait état, dans le document de remise et de prise en charge, d’allégations de torture, ce qui indique qu’il n’y avait pas eu d’actes de torture. En outre, les ordonnances et certificats médicaux soumis par l’auteur ne mentionnent pas de signes de torture. L’État partie fait également observer que l’auteur, après avoir été libéré, le 15 septembre 2005, a attendu huit mois pour se soumettre à un examen médical. De tels éléments ne peuvent pas étayer l’affirmation que des actes de torture ont été commis pendant la détention. Enfin, l’État partie indique que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices n’assure pas l’immunité aux membres des forces de sécurité. Le paragraphe 4 de l’article 19 dispose que, si ce texte est appliqué de mauvaise foi, la partie lésée reçoit une indemnisation raisonnable et des mesures sont prises contre l’agent concerné, qui est puni. En outre, l’article 9 de la loi relative à la preuve dispose que les aveux obtenus par la torture sont irrecevables.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 2 décembre 2009, l’auteur réfute les arguments invoqués par l’État partie. Il affirme à nouveau qu’il a été torturé environ une centaine de fois en tout, sur une période d’environ sept mois. Il rappelle également ses conditions de détention, et affirme à nouveau qu’elles constituaient un traitement cruel, inhumain ou dégradant au regard de l’article 7 du Pacte.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne s’est pas prévalu de toutes les voies de recours disponibles. Il souligne que le 29 juin 2005, il a présenté une requête en habeas corpus. Il s’agissait de la première occasion qui lui était donnée de porter plainte concernant sa détention et le traitement auquel il a été soumis, puisqu’il était encore détenu à la prison du district de Banke. Dans sa requête, l’auteur a évoqué le caractère infondé de sa détention, sa disparition forcée lorsqu’il a été placé dans la caserne militaire, sa détention au secret et les actes de torture et autres traitements inhumains dont il a été victime. La cour d’appel de Nepalgunj s’est bornée à ordonner sa remise en liberté, alors qu’elle était habilitée à diligenter une enquête en cas d’allégations de torture ou de mauvais traitements, en constituant une commission d’enquête ou en ordonnant à l’exécutif de charger un agent de mener une enquête. La cour n’a utilisé aucune de ces possibilités et n’a pas ouvert d’enquête.

5.3L’auteur souligne que l’autre organe habilité par la loi népalaise à enquêter sur les actes commis par des policiers ou des militaires est la police. En l’espèce, tant l’administrateur en chef du district que la police de district étaient informés des allégations de l’auteur, puisqu’ils étaient cités comme défendeurs dans sa requête en habeas corpus. Or ils n’ont pris aucune mesure. Lorsqu’il a été remis en liberté, l’auteur a voulu porter plainte auprès de la police, mais celle-ci a refusé d’enregistrer la plainte. Quatre ans après avoir été informé des violations, l’État partie ne s’est toujours pas acquitté de son obligation d’enquêter sur les allégations de l’auteur. Celui-ci fait valoir que ce retard est excessif. Il estime en outre qu’il ne devrait pas être tenu d’épuiser des voies de recours internes inefficaces ou qui n’ont aucune chance d’aboutir telle que celle prévue par la loi relative à l’indemnisation en cas de torture. L’auteur attire l’attention sur le délai strict applicable aux demandes, à savoir trente-cinq jours à compter de la date à laquelle les actes de torture ont été commis. Il ne lui était pas matériellement possible de porter plainte dans ce délai tant qu’il était détenu au secret à la caserne militaire d’Immamnagar ou détenu à la prison du district de Banke. L’auteur ajoute que, lorsqu’il était détenu à la prison du district, il ne pouvait pas s’entretenir avec son avocat en privé ni lui parler des actes de torture qui lui étaient infligés, ce qui lui aurait permis d’établir une demande en vertu de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture. Cette loi impose en outre l’obligation de présenter un dossier médical, dossier que l’auteur n’était pas en mesure d’obtenir lorsqu’il était détenu. Pendant les trente-cinq jours qui ont suivi sa remise en liberté, l’auteur ne s’est pas senti suffisamment en confiance pour déposer une plainte en vertu de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture, en raison du climat de peur qui régnait et de sa crainte constante d’être arrêté à nouveau et torturé. L’auteur met à nouveau en relief le caractère inefficace de cette voie de recours, seules 4 des 200 personnes qui ont intenté une action ayant été indemnisées. Il souligne également que seulement 2 % des plaintes déposées en vertu de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture visent l’armée. Pour ce qui est de la Commission nationale des droits de l’homme, l’auteur souligne que s’adresser à elle ne constitue pas un recours judiciaire, celle-ci n’étant habilitée qu’à formuler des recommandations, et qu’une telle démarche n’est donc pas appropriée s’agissant d’allégations aussi graves que celles qu’il formule. L’efficacité de ce recours est en outre compromise par le fait que l’État partie n’a généralement pas mis en œuvre les recommandations formulées par la Commission et par le manque d’indépendance de celle‑ci au moment où l’auteur était détenu.

5.4Répondant aux observations de l’État partie sur le fond, et faisant référence à l’article 4 du Pacte, l’auteur souligne que la situation politique dans le pays ne saurait être invoquée pour justifier le traitement dont il a été victime, l’interdiction de la disparition forcée étant absolue et n’étant pas susceptible de dérogation, dans quelque circonstance que ce soit. Il en va de même de la détention au secret, qui relève de l’article 7 du Pacte, lequel offre une protection absolue et n’est pas susceptible de dérogation.

5.5S’agissant des fondements sur lesquels reposait l’arrestation de l’auteur, celui-ci souligne que ce n’est que le 13 mai 2005 qu’il a été arrêté en vertu du décret relatif aux activités terroristes et destructrices, soit douze mois et demi après son arrestation initiale. L’État partie n’a fourni aucune information à propos des fondements sur lesquels reposait son arrestation avant cette date. La cour d’appel de Nepalgunj elle-même a confirmé, dans sa décision, le caractère arbitraire et illégal de l’arrestation de l’auteur et de l’ensemble de sa détention à la caserne d’Immamnagar et à la prison du district de Banke. L’auteur souligne également qu’il avait été mis fin à la dérogation officielle concernant la détention préventive qui avait été décidée en vertu de l’article 4 du Pacte lorsqu’il a été informé, le 13 mai 2005, qu’il était soumis au régime de la détention préventive. L’article 9 du décret relatif aux activités terroristes et destructrices dispose que le placement en détention préventive est réexaminé après six mois. L’auteur ayant été détenu en vertu de ce décret pendant cinq mois, son placement en détention n’a pas fait l’objet d’un réexamen.

5.6L’auteur affirme à nouveau que le traitement auquel il a été soumis était contraire à l’article 7 à divers égards, et rappelle le caractère absolu de l’interdiction. L’argument de l’État partie selon lequel la police népalaise aurait mentionné tout signe visible de torture lorsque l’auteur lui a été remis par l’ARN n’est pas probant, compte tenu de la subordination de la police à l’armée. Pour ce qui est des pièces médicales, l’auteur indique qu’il n’a pas eu accès à un médecin indépendant avant sa remise en liberté. Il ajoute qu’il incombe à l’État partie d’assurer aux détenus la possibilité de se faire examiner par un médecin sans craindre de représailles. Bien que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture impose l’obligation de soumettre les détenus à un examen médical lorsqu’ils sont arrêtés et libérés et de transmettre une copie du rapport au tribunal de district, cette obligation n’a pas été satisfaite en l’espèce afin de ne pas consigner des informations sur les actes de torture dont l’auteur avait été victime. L’État partie n’a pas non plus ordonné d’examen médical après que l’auteur a soumis à la cour d’appel une requête en habeas corp us dans laquelle il faisait expressément référence à des actes de torture. Les principales raisons pour lesquelles l’auteur a attendu près de huit mois après avoir été libéré pour se rendre chez un médecin sont qu’il n’avait pas les moyens de payer une consultation et qu’il craignait de se rendre à Nepalganj (où se trouvait l’hôpital public le plus proche), en raison de l’importante présence de l’armée et de la police dans cette ville. Ce n’est qu’en mai 2006 qu’il a pu se procurer de l’argent et consulter un médecin. L’auteur indique qu’en raison de la période prolongée pendant laquelle ses yeux ont été bandés sa vue a baissé et la lumière le gêne.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Concernant l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que ceux-ci, au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, doivent être à la fois utiles et disponibles, et ne pas dépasser un délai raisonnable. Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur ne s’est pas prévalu du recours offert par la loi relative à l’indemnisation en cas de torture. Cependant, il relève également le délai strict prévu par cette loi, qui dispose qu’une plainte doit être déposée dans les trente-cinq jours à compter de la date à laquelle les actes de torture ont été commis. Le Comité constate qu’il aurait été matériellement impossible pour l’auteur de se prévaloir de ce mécanisme, puisque pendant la période concernée il était encore détenu au secret à la caserne militaire d’Immamnagar et à la prison de district de Banke. Le Comité note en outre que, bien que l’auteur ait présenté à la cour d’appel de Nepalgunj une requête en habeas corpus, par laquelle l’administrateur en chef du district et la police étaient informés de ses allégations, aucune enquête n’a été entreprise par l’État partie quatre ans après que les violations ont été portées à sa connaissance. Le Comité conclut que ce retard est excessif. Enfin, il rappelle que les institutions nationales de protection des droits de l’homme telles que la Commission nationale des droits de l’homme ne sont pas considérées comme un recours juridictionnel au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs n’étaient donc pas tenus de déposer une requête auprès de cet organe pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5.

6.4Le Comité ne voit pas d’autre obstacle à l’examen de la communication et passe donc à l’examen du bien-fondé des allégations de l’auteur au regard des articles 7, 9 et 10 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Examen au fond

7.1Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2En ce qui concerne le grief de détention au secret, le Comité est conscient de la souffrance qu’entraîne le fait d’être détenu pendant une durée indéterminée, sans contact avec l’extérieur. Il rappelle son Observation générale no 20 concernant l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Il prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a été détenu au secret du 29 avril 2004 au 12 mai 2005, soit treize mois, période pendant laquelle il n’a pas pu communiquer avec sa famille ni avec l’extérieur. L’État partie n’a pas apporté d’informations contraires à ce sujet.

7.3Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur selon lesquelles ses conditions de détention constituaient un traitement cruel, inhumain ou dégradant. L’auteur a été détenu dans une cellule sombre et crasseuse qui mesurait 3 mètres sur 4, l’eau potable était rationnée, il n’y avait pas d’eau pour les toilettes et il n’a pu se doucher que deux fois au cours de sa détention. Il a été menotté et a eu les yeux bandés pendant dix des treize mois qu’a duré sa détention. L’auteur a également fourni des renseignements détaillés sur les actes de torture et les mauvais traitements qui lui ont été infligés, estimant avoir été torturé 100 fois au cours des treize mois pendant lesquels il a été détenu au secret dans la caserne militaire d’Immamnagar.

7.4Le Comité rappelle que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer ces allégations comme suffisamment étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. En l’absence de toute explication convaincante fournie par l’État partie, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

7.5Le Comité rappelle son Observations générale no 20, dans laquelle il a indiqué qu’il n’estimait «pas nécessaire d’établir une liste des actes interdits ni de fixer des distinctions très nettes entre les différentes formes de peines ou traitements interdits; ces distinctions dépendent de la nature, du but et de la gravité du traitement infligé». Néanmoins, le Comité juge approprié de qualifier un traitement donné de torture si les faits le justifient. Pour cela, il s’appuie sur la définition de la torture figurant dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au paragraphe 1 de l’article premier, selon laquelle «le terme “torture” désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit…». Le Comité est conscient du fait que cette définition est différente de celle qui était donnée dans la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, antérieure à la Convention et qui entendait par «torture» «une forme aggravée et délibérée de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants». C’est pourquoi il considère en général que le critère déterminant pour distinguer entre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est la présence, notamment, d’un élément pertinent attestant une intention.

7.6En se fondant sur les éléments dont il dispose, et rappelant que l’article 7 ne souffre aucune limitation, même en situation de danger public, le Comité conclut que les actes de torture et les mauvais traitements dont l’auteur a été victime, sa détention au secret et les conditions de sa détention font apparaître, individuellement et conjointement, des violations de l’article 7 du Pacte.

7.7Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse causées à la famille de l’auteur par sa disparition, entre avril 2004, moment où il a été arrêté, et mai 2005, date à laquelle il a été transféré à la prison de district et a pu écrire à sa famille pour lui faire savoir qu’il était toujours en vie et qu’il était emprisonné. La famille n’a jamais eu de confirmation officielle de sa détention. Le Comité est donc d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître, à l’égard de la femme de l’auteur et de ses deux enfants, une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

7.8En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, le Comité note que, le 29 avril 2004, l’auteur a été arrêté violemment, sans mandat, par des soldats de l’Armée royale népalaise. Il a été détenu au quartier général de la division du centre-ouest (caserne d’Immamnagar), et mis au secret sans être informé des motifs de son arrestation ni des accusations portées contre lui. Le Comité rappelle que l’auteur n’a jamais été présenté à un juge au cours de sa détention au secret et qu’il n’a pas pu contester la légalité de sa détention avant son dépôt d’une requête en habeas corpus auprès de la cour d’appel de district de Nepalgunj le 29 juin 2005. Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie faisant valoir que l’auteur a été arrêté en vertu du décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices, adopté dans le contexte de l’état d’urgence, qui autorise l’arrestation de suspects et leur placement en détention pendant une période maximale d’un an. Il ressort du dossier, cependant, que ce n’est que le 13 mai 2005 que l’auteur a été arrêté en vertu de ce décret, après qu’il a été remis à la police. En l’absence de toute explication pertinente de la part de l’État partie sur l’arrestation de l’auteur et sur sa détention entre le 29 avril 2004 et le 13 mai 2005, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

7.9Pour ce qui est de l’article 10, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les conditions de détention devraient être évaluées à la lumière des conditions générales de vie au Népal, mais rappelle que traiter toute personne privée de liberté avec humanité et en respectant sa dignité est une règle fondamentale d’application universelle, application qui, dès lors, ne saurait dépendre des ressources matérielles disponibles dans l’État partie. Le Comité rappelle en outre qu’il considère que, bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée au paragraphe 2 de l’article 4 parmi les droits intangibles, cette norme du droit international général ne souffre aucune dérogation. À la lumière des informations dont il dispose, et rappelant ses constatations relatives à l’article 7, qui sont étroitement liées à la question considérée, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 10.

7.10L’auteur invoque également le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties de garantir à chacun des recours accessibles, utiles et exécutoires permettant de faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle l’importance qu’il accorde à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits, même en cas d’état d’urgence. Le Comité rappelle en outre que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les informations dont dispose le Comité montrent que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile, et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, l’article 9 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître, à l’égard de l’auteur, une violation des articles 7 et 9 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 3 du Pacte. Le Comité est également d’avis que l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, a été violé à l’égard de la femme de l’auteur, Mme Dhanamaya Giri, et de ses deux enfants, Yashoda et Yogesh Giri.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et à sa famille un recours utile, en veillant à ce qu’une enquête approfondie et diligente soit menée sur les actes de torture et les mauvais traitement infligés à l’auteur, en poursuivant et en punissant les responsables de ces actes et en indemnisant de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies. L’État partie doit veiller, à cet égard, à ce que l’auteur et sa famille soient protégés contre les représailles ou les actes d’intimidation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]