Nations Unies

CCPR/C/102/D/1959/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

1er septembre 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1959/2010

Présentée par:

Jama Warsame (représenté par un conseil, Carole Simone Dahan)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

26 juillet 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 juillet 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

21 juillet 2011

Objet:

Expulsion du Canada vers la Somalie

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; allégations insuffisamment étayées; incompatibilité avec le Pacte

Questions de fond:

Droit à un recours utile; droit à la vie; interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la liberté de circulation; droit à la protection de la vie privée, de la vie familiale et de la réputation; liberté de pensée, de conscience et de religion; protection de la famille

Article s du Pacte:

2 (par.3), 6 (par. 1), 7, 12 (par. 4), 17, 18, 23 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif:

2, 3, 5 (par. 2 b))

Le 21 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1959/2010.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1959/2010 **

Présentée par:

Jama Warsame (représenté par un conseil, Carole Simone Dahan)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

26 juillet 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1959/2010 présentée au nom de M. Jama Warsame en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 26 juillet 2010, est Jama Warsame, né le 7 février 1984, de nationalité somalienne, en attente d’expulsion du Canada vers la Somalie. Il affirme que l’État partie, s’il l’expulsait, violerait les articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 12 (par. 4), 17, 18 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Mme Carole Simone Dahan.

1.2Le 27 juillet 2010, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé à l’État partie, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, de ne pas expulser l’auteur tant que la communication serait en cours d’examen devant le Comité. Les 29 décembre 2010 et 21 avril 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à lever les mesures provisoires.

1.3Le 29 décembre 2010, conformément au paragraphe 3 de l’article 97 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a décidé que la question de la recevabilité devait être examinée en même temps que le fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur est né le 7 février 1984 à Riyad (Arabie saoudite), mais n’a jamais obtenu la nationalité saoudienne. D’origine somalienne, il n’a jamais résidé en Somalie et ne s’y est jamais rendu.

2.2L’auteur est arrivé au Canada le 26 septembre 1988, à l’âge de 4 ans. Le 4 mars 1992, il a obtenu le statut de résident permanent en sa qualité d’enfant à charge de sa mère, conformément au Règlement sur l’arriéré des revendications du statut de réfugié, mais s’est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention.

2.3Le 2 novembre 2004, l’auteur a été déclaré coupable de vol et condamné à neuf mois d’emprisonnement. Le 23 janvier 2006, il a été reconnu coupable de possession à des fins de trafic d’une substance inscrite au tableau des conventions et condamné à deux ans d’emprisonnement. Du fait de ces condamnations, le 22 juin 2006, l’auteur a reçu un arrêté d’expulsion du Canada pour «grande criminalité», telle que définie dans la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2001.

2.4Le 25 octobre 2006, l’auteur a fait appel de la décision d’expulsion auprès de la Section d’appel de l’immigration, mais son appel a été rejeté pour défaut de compétence conformément à l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui statue qu’une personne condamnée à un emprisonnement d’au moins deux ans ne peut interjeter appel.

2.5Le 19 janvier 2007, l’auteur a présenté une demande d’Examen des risques avant renvoi. Le 9 février 2007, l’agent ayant examiné les risques avant renvoi a considéré que l’auteur serait en danger de mort et exposé à des peines ou traitements cruels et inusités, s’il était expulsé vers la Somalie. Ses conclusions étaient notamment fondées sur l’âge de l’auteur, son sexe, l’absence de soutien familial ou clanique, le fait que l’auteur n’ait jamais résidé en Somalie et ne parle pas la langue locale, ainsi que sur des éléments de preuve documentaire. Le dossier a ensuite été renvoyé au Représentant du Ministre au Siège national du Ministère de la sécurité publique, qui a établi, le 23 février 2009, que l’auteur n’encourait aucun risque personnel s’il était renvoyé en Somalie, qu’il représentait un danger pour la sécurité publique au Canada et que les considérations humanitaires ne l’emportaient pas sur la nécessité de protéger le public.

2.6Le 14 juillet 2009, la demande d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire de la décision du Représentant du Ministre présentée par l’auteur a été rejetée parce que celui-ci n’avait pas déposé le dossier nécessaire. L’auteur n’était pas en mesure de déposer le dossier en question parce qu’il n’avait pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat et que sa demande d’aide judiciaire avait été rejetée.

2.7Le 21 juillet 2010, l’auteur a été informé par l’Agence des services frontaliers du Canada que, le 30 juillet 2010, il serait expulsé vers Bossasso (Somalie).

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que s’il était expulsé vers la Somalie, il encourrait le risque d’être arbitrairement privé de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, et d’être soumis à la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en violation de l’article 7 du Pacte. Il renvoie aux observations finales du Comité contre la torture en date de juillet 2005 et à celles du Comité des droits de l’homme en date de novembre 2005, dans lesquelles il a été reproché à l’État partie de ne pas reconnaître le caractère absolu du principe de non-refoulement.

3.2L’auteur fait observer qu’il n’est pas né en Somalie, n’y a jamais résidé et ne s’y est jamais rendu. Il n’a nul moyen d’établir son appartenance à un clan originaire du Puntland en raison de ses connaissances linguistiques très limitées et du fait qu’il n’a aucune famille dans la région et connaît mal les pratiques et la culture claniques. Son père et sa mère sont nés à Mogadiscio et n’ont pas de famille élargie à Bossasso, ville vers laquelle il est expulsé.

3.3L’auteur craint de ne pas pouvoir se protéger et survivre à Bossasso, ou ailleurs en Somalie, sans appui familial ou clanique, de devenir sans-abri et d’être exposé à un large éventail de violations des droits de l’homme. De plus, n’ayant aucun moyen d’établir qu’il est originaire du Puntland, il risque d’être détenu ou expulsé vers le sud ou le centre de la Somalie où sa vie serait encore plus en danger. L’auteur renvoie à des preuves documentaires sur la situation en Somalie montrant qu’il s’agit d’un des pays les plus dangereux au monde, où tout résident peut craindre pour sa vie et risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités.

3.4L’auteur affirme que ces risques sont accrus pour une personne qui ne connaît pas la Somalie, ne maîtrise pas la langue et ne bénéficie d’aucun soutien familial ou clanique. Il affirme également que, en tant que jeune homme de 26 ans en bonne santé, il risquerait fort d’être enrôlé de force par des groupes tels que Al-Shabab et Hizbul Islam, ou même par le Gouvernement fédéral de transition et ses forces alliées. S’il était expulsé vers la Somalie, il subirait la grave crise humanitaire que traverse le pays. En outre, il serait personnellement ciblé dès son arrivée en Somalie en raison de sa conversion au christianisme.

3.5L’auteur estime que son expulsion vers la Somalie équivaut à une condamnation à mort. Il affirme que l’infraction la plus grave qu’il ait commise est la possession, à des fins de trafic, d’une substance inscrite au tableau et qu’une peine d’expulsion l’exposant à un danger de mort réel et imminent est disproportionnée par rapport à une telle infraction et contraire aux dispositions énoncées au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

3.6L’auteur fait valoir que son expulsion constituerait une immixtion arbitraire et illégale dans sa vie privée et une violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, étant donné qu’il n’a jamais résidé en Somalie et que toute sa famille vit au Canada. Il est très proche de sa mère et de ses sœurs, qui font régulièrement plusieurs heures de trajet pour lui rendre visite au Centre correctionnel du Centre-Est. L’auteur affirme que son expulsion vers la Somalie est excessive par rapport à l’objectif de l’État partie consistant à prévenir la criminalité. Les condamnations dont l’auteur a fait l’objet sont liées à sa dépendance à la drogue.

3.7L’auteur affirme en outre que, s’il était expulsé vers la Somalie, sa liberté de religion, telle que protégée par l’article 18 du Pacte, serait violée sachant que les religions autres que l’islam sont strictement interdites en Somalie. Il risquerait donc de subir des persécutions et des préjudices graves s’il ne changeait pas de religion. Cette affirmation a ensuite été retirée (voir par. 5.1).

3.8Le 30 novembre 2010, l’auteur a modifié sa plainte et affirmé qu’il y aurait violation des droits protégés par le paragraphe 4 de l’article 12 s’il était expulsé vers la Somalie (voir par. 5.11).

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 24 septembre 2010, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. L’État partie affirme que l’auteur a un long passé de violence et que, s’il était libéré, il représenterait une menace grave pour la sécurité publique au Canada. Il affirme également que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie ne causerait pas de préjudice irréparable et que l’auteur n’a pas démontré qu’il y avait matière à plainte. L’État partie fait valoir son droit de contrôler l’entrée, la résidence et l’expulsion des étrangers et de transférer toute personne dont il est établi qu’elle n’a pas besoin de protection et qui menace de manière significative la sécurité et la sûreté de ses citoyens.

4.2L’État partie ajoute des éléments à l’exposé des faits présenté par l’auteur et fait savoir que les parents de l’auteur sont de nationalité somalienne et que l’auteur peut donc prétendre à la qualité de citoyen somalien. L’État partie affirme que les deux condamnations pénales évoquées par l’auteur ne représentent qu’un échantillon de son casier judiciaire, qui comprend notamment l’agression spontanée d’une femme âgée de60 ans et un vol avec violence au cours duquel, armé d’un épais tournevis, il a porté une série de coups à un employé.

4.3Le 1er octobre 1999, l’auteur a été reconnu coupable de l’agression d’une femme âgée de 60 ans et condamné à une peine de dix-huit mois de mise à l’épreuve. Le 27 mars 2002, l’auteur a été inculpé pour non-présentation à une audience du tribunal et condamné à une peine de douze jours. Le 13 septembre 2002, l’auteur a été déclaré coupable de vol avec violence et condamné à cinquante et un jours d’emprisonnement et dix-huit mois de mise à l’épreuve. Le 16 septembre 2003, l’auteur a été inculpé pour port d’arme dissimulée et condamné à un jour d’emprisonnement, vingt-huit jours de détention provisoire et dix‑huit mois de mise à l’épreuve; il a également été inculpé pour refus d’obtempérer à un agent de police et condamné à un jour d’emprisonnement et dix-huit mois de mise à l’épreuve. Le 26 septembre 2003, l’auteur a été reconnu coupable de vol et condamné à quatre jours d’emprisonnement. Le 5 novembre 2003, il a été déclaré coupable de non‑respect des conditions d’un arrangement et condamné à trente jours d’emprisonnement. Le 2 novembre 2004, l’auteur a été inculpé pour vol et condamné à neuf mois d’emprisonnement et deux ans de mise à l’épreuve; il a également été inculpé pour non-respect des conditions d’un arrangement ou d’un engagement et d’un sursis probatoire et condamné à deux mois d’emprisonnement pour chaque chef d’inculpation. Le 25 janvier 2005, l’auteur a été reconnu coupable d’agression et condamné à deux ans de mise à l’épreuve. Le 12 août 2005, il a été déclaré coupable de possession d’une substance inscrite au tableau 1 et non-respect d’un sursis probatoire et condamné à un jour de prison, vingt‑deux jours de détention provisoire et douze mois de mise à l’épreuve pour chaque chef d’inculpation. Le 23 janvier 2006, l’auteur a été inculpé pour possession d’une substance inscrite au tableau (crack) à des fins de trafic et condamné à deux ans d’emprisonnement. Le 23 janvier 2006, l’auteur a été inculpé pour non-respect d’un sursis probatoire et condamné à quatre mois d’emprisonnement. Le 17 août 2006, il a été déclaré coupable de non-respect d’un sursis probatoire et condamné à trente jours d’emprisonnement pour chaque chef d’inculpation. Le 23 avril 2010, l’auteur a été jugé coupable d’agression en période de détention et condamné à soixante jours.

4.4L’État partie précise les raisons pour lesquelles, le 23 février 2009, le Représentant du Ministre a conclu que l’auteur ne risquait pas, s’il était expulsé vers la Somalie, de subir un préjudice grave particulier du fait de sa situation personnelle et individuelle, et qu’il représentait un danger pour la sécurité publique au Canada. En ce qui concerne l’appartenance clanique, le Représentant du Ministre a fait observer que la société somalienne est caractérisée par l’appartenance à des familles-clans et que l’affirmation de l’auteur selon laquelle ses parents n’appartenaient à aucun clan n’était pas étayée. De plus, les critères requis n’indiquaient en rien que l’auteur ne pourrait acquérir la nationalité somalienne par ses parents. Les affirmations de l’auteur selon lesquelles il ne parlait pas la langue locale et n’avait jamais vécu en Somalie étaient peu pertinentes, étant donné que l’auteur n’appartenait à aucune catégorie vulnérable, telle que celle des femmes et des enfants. S’agissant de la violence et des préoccupations d’ordre humanitaire, le Représentant du Ministre a fait observer que ces conditions s’appliquaient sans discrimination à tous les citoyens somaliens. En ce qui concerne le danger que l’auteur représente pour la sécurité publique au Canada, le Représentant du Ministre a noté le nombre important de condamnations prononcées contre l’auteur, ainsi que la nature et la gravité des infractions commises et l’absence de perspective de réhabilitation.

4.5S’agissant de la recevabilité, l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable faute pour l’auteur d’avoir épuisé tous les recours internes disponibles. Rappelant la jurisprudence du Comité, l’État partie affirme que le Comité et le Comité contre la torture ont estimé que la présentation d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire est une voie de recours disponible et utile, et que l’auteur ne l’a pas épuisée. L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas fait appel devant la Cour fédérale de l’avis négatif rendu par la Section d’appel de l’immigration en date du 25 octobre 2006, et n’a donc pas épuisé une voie de recours utile. Pour ce qui est du rejet par la Cour fédérale, le 15 juillet 2009, du recours formé par l’auteur contre la décision du Représentant du Ministre, fondé sur le fait que l’auteur n’avait pas déposé le dossier nécessaire parce que, selon lui, sa demande d’aide judiciaire avait été rejetée, l’État partie constate que l’auteur était représenté par un conseil dans le cadre de procédures antérieures et ultérieures et qu’il n’avait donc pas exercé les recours internes disponibles avec la diligence nécessaire.

4.6Pour ce qui est des allégations de l’auteur faisant état d’une violation distincte du paragraphe 3 de l’article 2 et des dispositions de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, l’État partie affirme qu’elles devraient être déclarées incompatibles avec les dispositions du Pacte en application de l’article 3 du Protocole facultatif. En outre, il estime que l’auteur n’a pas étayé prima facie ses allégations selon lesquelles il y aurait eu violation du paragraphe 3 de l’article 2, étant donné que l’État partie offre de nombreux recours pour éviter le renvoi dans un pays où il pourrait y avoir un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.7Pour ce qui est des griefs que l’auteur tire de l’article 18, l’État partie observe que l’auteur ne l’accuse pas de violer les dispositions en question, mais fait valoir que, une fois en Somalie, il n’aurait pas la possibilité de pratiquer sa religion et/ou subirait des mauvais traitements du fait de ses croyances. L’État partie indique que, contrairement aux articles 6 (par. 1) et 7, l’article 18 n’est pas d’application extraterritoriale. L’État partie affirme donc que cet élément de la communication devrait être déclaré irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Il affirme également que les allégations de l’auteur invoquant une violation de l’article 18 devraient être déclarées irrecevables, dans la mesure où elles sont fondées sur exactement les mêmes faits que ceux présentées au Représentant du Ministre, et qu’aucune erreur manifeste ni aucun abus n’a été relevé dans les procédures nationales, celles-ci n’ayant été entachées ni d’abus de procédure, ni de partialité, ni d’irrégularités graves.

4.8S’agissant des griefs que l’auteur tire des articles 6 (par. 1) et 7, l’État partie fait valoir que l’auteur ne les a pas suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité, et qu’il ne suffit pas de montrer que les violations des droits de l’homme perdurent en Somalie pour établir prima facie le bien-fondé de la thèse selon laquelle l’auteur lui-même risque de subir des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il estime que les allégations de l’auteur faisant état de l’absence de toute appartenance ou affiliation à un clan sont dénuées de fondement et peu convaincantes. Le 9 avril 2010, l’auteur a déclaré que sa mère appartenait à la tribu Darod et au clan Marjertain. En outre, le 9 juin 2010, l’auteur a indiqué qu’il souhaitait être renvoyé à Bossasso ou Galkayo dans le nord de la Somalie. L’État partie affirme que la supposée conversion de l’auteur au christianisme n’est pas étayée, aucune preuve n’ayant été présentée à cet égard. Lors de son arrivée dans différents établissements pénitentiaires, l’auteur a déclaré qu’il était musulman pratiquant et observait le ramadan. Pour ce qui est de la situation humanitaire en Somalie, l’État partie soutient qu’elle constitue un risque généralisé auquel sont confrontés tous les citoyens somaliens. De plus, l’élément de preuve documentaire fourni par l’auteur indique que la situation s’est améliorée dans le Puntland et, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, une personne se trouvant dans le Puntland ou le Somaliland n’est pas exposée à un grave danger.

4.9Renvoyant aux Observations générales nos 16 et 19 du Comité et à sa jurisprudence, l’État partie déclare qu’il jouit d’un pouvoir discrétionnaire étendu en ce qui concerne l’expulsion d’étrangers de son territoire et que les articles 17 et 23 ne garantissent pas qu’un individu ne puisse jamais être éloigné du territoire d’un État partie si la mesure devait avoir des conséquences pour sa vie de famille. L’État partie affirme que, dans le cas présent, ses autorités n’ont pas agi illégalement ou arbitrairement. De plus, l’auteur n’a pas d’enfant, de personne à charge, d’épouse ou de conjoint(e) de fait au Canada. L’expulsion de l’auteur aurait sur sa vie familiale une incidence minime et sans commune mesure avec la gravité des infractions qu’il a commises et du danger qu’il représente pour la sécurité publique au Canada. Pour ce qui est des constatations du Comité au sujet de la communication no 1792/2008, Dauphin c. Canada, l’État partie affirme qu’elles s’écartent de la jurisprudence, établie de longue date, du Comité et que dans la présente affaire, les intérêts de l’État sont plus impératifs, étant donné que l’auteur a été condamné maintes fois et n’a pas respecté, à de nombreuses reprises, les conditions d’un arrangement ou un sursis probatoire. L’État partie déclare que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation des articles 17 et 23.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 novembre 2010, l’auteur présente ses commentaires sur les observations de l’État partie et ajoute aux griefs initiaux un grief au titre du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. Il indique qu’il retire son grief au titre de l’article 18 du Pacte.

5.2L’auteur réaffirme que, d’une manière générale, la communauté internationale s’accorde à reconnaître que la situation des droits de l’homme et la situation humanitaire dans l’ensemble de la Somalie sont extrêmement graves. Il maintient que, dans le Puntland, la situation sur le plan de la sécurité et des droits de l’homme est extrêmement préoccupante et s’est nettement détériorée au cours des derniers mois. En septembre 2010, le Secrétaire général de l’ONU a estimé que la situation dans le Puntland était devenue plus précaire notamment en raison d’affrontements violents entre les forces gouvernementales et les milices liées aux insurgés islamistes.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle qu’il a fait appel de la décision d’expulsion prise à son encontre auprès de la Section d’appel de l’immigration, mais que son appel a été débouté pour défaut de compétence le 25 octobre 2006, et qu’il a présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi, rejetée le 23 février 2009, et une demande d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire de l’avis négatif rendu au sujet de l’examen des risques avant renvoi, rejetée le 14 juillet 2009. L’auteur affirme avoir ainsi épuisé tous les recours internes utiles et disponibles.

5.4L’auteur rappelle la jurisprudence du Comité, qui veut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’exige pas d’avoir épuisé des recours qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir. Il affirme que la demande d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration du 25 octobre 2006 n’avait objectivement aucune chance d’aboutir, en raison d’un défaut de compétence, et qu’il ne s’agissait donc pas d’un recours utile. L’auteur explique que la Section n’avait pas compétence pour examiner son recours, l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoyant qu’un résident permanent condamné pour grande criminalité ne peut interjeter appel. Le contrôle judiciaire n’avait objectivement aucune chance d’aboutir et ne constituait donc pas un recours utile dont l’auteur devrait être tenu de se prévaloir. La jurisprudence interne relative à l’interprétation de l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confirme que la demande d’autorisation déposée par l’auteur n’avait objectivement aucune chance d’aboutir, étant donné que l’auteur ne pouvait pas présenter d’arguments «un tant soit peu défendables» ou «soulever une question grave devant être jugée» et qu’il n’avait pas pu établir que la Section d’appel de l’immigration avait commis une erreur de droit ou de compétence en appliquant l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. De plus, même si un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration avait abouti, cela n’aurait pas pour autant fourni un recours utile à l’auteur qui était frappé d’une seconde décision d’irrecevabilité liée à sa condamnation, en janvier 2006, à deux années d’emprisonnement pour possession, à des fins de trafic, d’une substance inscrite au tableau.

5.5L’auteur rappelle la jurisprudence du Comité, qui veut qu’un recours ne peut être considéré de factodisponible si l’auteur en difficulté financière tente de s’en prévaloir mais ne peut obtenir une aide judiciaire. L’auteur avait demandé une aide judiciaire pour contester l’avis négatif rendu au sujet de l’examen des risques avant renvoi le 23 février 2009, mais sa demande a été rejetée. Il a fait appel de l’avis négatif relatif à sa demande d’aide judiciaire, mais a été débouté par la Directrice des appels d’Aide juridique Ontario. L’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle, par le passé, il aurait trouvé les moyens de s’offrir les services d’un conseil ou aurait fait appel à un conseil intervenant à titre gratuit (pro bono) et fait savoir qu’il a, au contraire, toujours été représenté par le biais de l’aide judiciaire. Pour la présente communication, l’auteur est représenté par un conseil employé par un cabinet fondé par Aide juridique Ontario qui assure à l’intention des détenus un programme restreint d’avocats de service. L’auteur affirme que les efforts qu’il a déployés pour demander un contrôle judiciaire de la décision du Représentant du Ministre montrent qu’il a fait usage des voies de recours internes avec la «diligence voulue».

5.6Pour ce qui est de la demande pour motifs d’ordre humanitaire, l’auteur affirme que cette procédure ne constitue pas un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, étant donné qu’elle n’aurait pas suspendu ou évité son expulsion vers la Somalie, qu’elle aurait été examinée par les services qui avaient déjà examiné lesdits motifs dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi et les avait jugés insuffisamment impérieux, et qu’elle aurait constitué un recours pleinement gracieux visant à obtenir le privilège d’accélérer une demande de statut de résident permanent et non à revendiquer un droit.

5.7En ce qui concerne le fond, l’auteur réaffirme qu’il a établi prima facie le bien-fondé de sa communication. Il maintient que le risque de préjudice irréparable au titre des articles 6 (par. 1) et 7 auquel il est exposé est personnel et distinct des risques encourus par la population générale somalienne, en particulier du fait de l’absence de protection clanique, de son identité et de son apparence occidentales, de sa méconnaissance du pays, de son manque d’expérience et de relations, et parce que, en sa qualité de jeune homme d’apparence occidentale, il risquerait d’être recruté de force par des pirates ou des milices. De plus, chacune de ces caractéristiques personnelles fait que, s’il était expulsé vers le Puntland, il serait fort probablement déplacé ultérieurement vers le centre ou le sud de la Somalie, sachant que les autorités du Puntland ont expulsé de nombreuses personnes considérées comme non originaires du Puntland. L’auteur fait donc observer que l’évaluation des risques ne devrait pas se limiter aux risques encourus dans le Puntland, mais tenir également compte des risques encourus dans le centre et le sud de la Somalie.

5.8En ce qui concerne l’absence de protection clanique, l’auteur fait valoir que l’État partie a ignoré le fait qu’il est indispensable de connaître la filiation patrilinéaire pour établir l’appartenance à un clan et en obtenir la protection et que l’auteur n’est pas né en Somalie et n’y a jamais vécu. Ses parents ne lui ont jamais transmis d’information sur son ascendance et se sont séparés lorsqu’il était adolescent. L’auteur entretient une relation tumultueuse avec son père qui a fini par le renier. L’absence de tout contact avec son père mettrait donc l’auteur dans l’impossibilité de prouver sa filiation patrilinéaire et de faire valoir son appartenance à un clan et d’en réclamer la protection, s’il était expulsé vers la Somalie. L’auteur renvoie aux principes directeurs en matière d’éligibilité que le HCR a établis pour la Somalie (Eligibility Guidelines for Somalia) et dans lesquels il est dit que, dans le Puntland, il est difficile d’accéder aux services de base et à une protection physique et juridique sans la protection d’un clan. En tant qu’enfant de la diaspora somalienne élevé au Canada, il serait immanquablement reconnu comme étant un occidental, du fait de son apparence, de son éducation et de ses manières. L’auteur est anglophone et a une connaissance limitée du somali, qu’il parle avec un accent anglais.

5.9L’auteur fait en outre observer que les menaces que font peser Al-Shabab et d’autres groupes d’insurgés islamistes opérant à partir du Puntland se sont considérablement intensifiées en 2010. Faute d’avoir les connaissances et l’expérience nécessaires pour reconnaître les situations périlleuses l’auteur serait en danger. En outre, les pirates et les groupes insurgés ciblent systématiquement les jeunes hommes sans attaches familiales et n’appartenant à aucun réseau social.

5.10S’agissant des violations des articles 17 et 23 (par. 1), l’auteur affirme que son expulsion perturberait gravement sa vie de famille, compte tenu des liens étroits qu’il entretient avec le Canada, du fait qu’il n’a jamais vécu en Somalie ni eu d’autre lien avec ce pays que sa nationalité. Il réaffirme qu’il est très proche de sa mère et de ses sœurs qui lui rendent visite une fois par mois en prison. Elles lui ont accordé un soutien sans faille tout au long de sa détention. La mère étant atteinte d’une grave maladie mentale et le père ayant abandonné la famille, la fratrie a dû prendre soin d’elle-même. L’auteur déclare être sobre depuis trois ans et poursuivre ses efforts de réadaptation. Il s’efforce de soutenir sa famille, en particulier sa mère qui souffre d’une maladie mentale. Son expulsion vers la Somalie serait disproportionnée par rapport à l’objectif de l’État partie qui consiste à prévenir la commission d’infractions pénales. Les infractions que l’auteur a commises étaient dues à sa toxicomanie, qu’il a depuis surmontée. Il fait valoir que, hormis ses condamnations à deux ans d’emprisonnement pour possession d’une substance à des fins de trafic, et à neuf mois de prison pour agression, il n’a purgé que des peines mineures. En ce qui concerne les agressions pour lesquelles il a été condamné pendant sa détention en 2009, il explique qu’il a été impliqué dans un affrontement verbal entre détenus qui s’est terminé par une agression entre deux d’entre eux. L’auteur a plaidé coupable mais le tribunal a jugé qu’il n’avait porté de coups et blessures à personne. L’auteur soutient que, hormis ces infractions mineures commises en 2009, sa dernière infraction remonte à ses 21 ans. De plus, il fait observer que son expulsion vers la Somalie le priverait de tous liens familiaux étant donné que sa famille ne pourrait lui rendre visite en Somalie du fait des mises en garde à l’intention des voyageurs publiées par le Canada.

5.11Enfin, l’auteur affirme que, aux fins de l’article 12, le Canada est «son propre pays», étant donné qu’il séjourne au Canada depuis l’âge de 4 ans et a effectué toute sa scolarité au Canada. Il affirme en particulier que son cas doit être distingué des autres communications examinées par le Comité, puisqu’il n’est pas né en Somalie et n’y a jamais vécu. Il affirme en outre que, en Somalie, son statut de citoyen est précaire étant donné qu’il ne détient aucune preuve de sa citoyenneté somalienne et qu’il serait expulsé vers la Somalie avec un document de voyage canadien temporaire sans garantie d’obtenir la citoyenneté à son arrivée.

Nouvelles observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 4 février 2011, l’État partie présente des observations supplémentaires sur la recevabilité et sur le fond, ainsi qu’une deuxième demande visant à lever les mesures provisoires (voir par. 1.2). Il déclare que l’auteur est toujours détenu au Canada en vertu de la loi sur l’immigration en attente de son renvoi. Il rappelle le passé violent de l’auteur et la gravité du danger qu’il représenterait pour la sécurité publique s’il était libéré. Il rappelle également que l’expulsion de l’auteur ne causerait pas de préjudice irréparable, l’auteur n’ayant pas établi prima facie le bien-fondé de sa thèse.

6.2L’État partie maintient que le contrôle judiciaire de l’avis négatif rendu par la Section d’appel de l’immigration est un recours utile. Il juge préoccupant de constater que la famille de l’auteur n’a pas manifesté son soutien lorsqu’il avait besoin d’aide pour bénéficier des services d’un conseil pour utiliser les recours internes. Il estime qu’il est incongru que l’auteur ait pu s’offrir les services d’un conseil pour les procédures devant le Comité mais pas pour épuiser les recours internes disponibles et utiles.

6.3En ce qui concerne le fait que l’auteur n’a pas déposé de demande pour motifs d’ordre humanitaire, l’État partie précise que, s’il est vrai qu’une telle demande ne sursoit pas au renvoi, en cas de décision négative, l’auteur aurait pu présenter une demande de contrôle judiciaire et requérir la suspension du renvoi. L’État partie fait observer que toute décision relative à une demande pour motifs d’ordre humanitaire est fondée sur des critères et des procédures établis et n’est arbitraire que d’un point de vue technique. Il fait en outre observer qu’une telle demande constitue un recours utile. Il note que les changements de situation familiale auraient pu être signalés dans la demande en question, mais que l’auteur n’en a rien fait.

6.4L’État partie réaffirme que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte, au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en particulier pour ce qui est des griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 de l’article 2 et de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il affirme que l’auteur n’a pas suffisamment établi prima facie le bien-fondé de ses griefs au titre du paragraphe 3 de l’article 2, compte tenu de l’existence de nombreux recours offrant une protection contre le renvoi vers un pays où il pourrait être en danger.

6.5En ce qui concerne les articles 6 (par. 1) et 7, l’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas établi qu’il existait un risque individuel et personnel en cas d’expulsion vers la Somalie, étant entendu qu’il serait renvoyé vers une région sous contrôle du clan Majertain auquel il appartient. Il constate que l’étendue des connaissances de l’auteur concernant son affiliation clanique n’est pas claire. Jusqu’à avril 2010, l’auteur a nié avoir une connaissance quelconque du clan auquel il appartenait, mais a depuis indiqué que sa mère descendait du clan Darod ou du sous-clan Majertain. L’auteur a également indiqué qu’il souhaitait être renvoyé vers le nord de la Somalie, à Bossasso ou Galkayo, zones contrôlées par le sous-clan Majertain. L’État partie en conclut que l’auteur pourrait bénéficier d’une protection clanique. Il constate également qu’étant d’ethnie et de nationalité somaliennes et n’exerçant pas d’activités liées à l’aide humanitaire, au journalisme ou à la religion, l’auteur ne correspond pas au profil de l’«occidental» en danger. En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il pourrait être expulsé du Puntland vers le centre ou le sud de la Somalie, l’État partie maintient que de telles expulsions étaient dictées par les impératifs de sécurité, notamment en cas d’appartenance à des groupes islamiques extrémistes ou d’absence d’affiliation tribale dans le Puntland. L’État partie réaffirme que les difficultés liées à la crise humanitaire somalienne ne représentent pas un risque personnel pour l’auteur et que la situation générale dans le Puntland ne risque pas de lui porter gravement préjudice.

6.6Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 4 de l’article 12, l’État partie affirme que les dispositions en question ne s’appliquent pas dans le cas de l’auteur, le Canada n’étant pas son propre pays, étant donné qu’il n’y a pas suffisamment de liens. Il affirme également qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle permettant d’établir un lien entre l’auteur et le Canada et qu’aucun obstacle déraisonnable n’a été placé pour l’empêcher d’acquérir la citoyenneté canadienne. En outre, même si le Canada pouvait être considéré comme son propre pays, l’expulsion de l’auteur ne pourrait être qualifiée d’arbitraire, étant donné que la décision a été prise en application de la loi, que l’auteur a bénéficié des garanties d’une procédure régulière et que la gravité des infractions commises par l’auteur constitue un danger manifeste et immédiat pour la sécurité publique. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas établi une violation prima facie des dispositions du paragraphe 4 de l’article 12.

6.7En ce qui concerne le grief de violation des articles 17 et 23 (par. 1) l’État partie affirme que le renvoi de l’auteur n’est ni illégal ni arbitraire. S’agissant de la situation familiale de l’auteur, l’État partie déclare que, avant sa détention, l’auteur ne semblait pas entretenir de liens solides avec sa famille. Il s’est à maintes reprises rendu coupable de criminalité grave et ses actes ont choqué par leur violence et leur brutalité. L’État partie constate que bien que, mis à part sa récente condamnation pour agression en 2010, sa dernière condamnation en date ait été prononcée il y a plus de quatre ans, l’auteur a été incarcéré sans interruption au cours de ces cinq dernières années, ce qui explique raisonnablement la pause constatée dans ses activités criminelles et sa sobriété. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas établi une violation prima facie des dispositions des articles 17 et 23 (par. 1).

6.8Enfin, l’État partie affirme que la communication est dénuée de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de la faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, prévu au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note des arguments présentés par l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas déposé de demande pour motifs d’ordre humanitaire et n’a pas fait appel auprès de la Cour fédérale de l’avis négatif rendu par la Section d’appel de l’immigration le 25 octobre 2006, ni de l’avis négatif rendu par le Représentant du Ministre au sujet de l’examen des risques avant renvoi, le 23 février 2009. Il prend également note de l’allégation de l’auteur qui affirme que le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration le 25 octobre 2006 n’avait objectivement aucune chance d’aboutir et que, compte tenu du caractère arbitraire de l’examen des motifs d’ordre humanitaire, ces recours ne sont pas utiles et qu’il n’était donc pas tenu de s’en prévaloir. Il prend en outre note de l’argument présenté par l’auteur selon lequel le contrôle judiciaire de l’avis négatif rendu au sujet de l’examen des risques avant renvoi n’était pas de facto disponible, étant donné que sa demande d’aide judiciaire avait été rejetée.

7.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’auteur doit faire usage de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. Pour ce qui est de la non-présentation par l’auteur d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le recours en question n’est que «techniquement» discrétionnaire, la décision du Ministre étant fondée sur des normes et procédures établies. Il note également l’argument de l’auteur qui affirme qu’une demande pour motifs d’ordre humanitaire n’aurait pas suspendu ou évité son expulsion vers la Somalie et qu’elle aurait été examinée par le service qui avait déjà évalué lesdits motifs dans le cadre de l’évaluation des risques avant renvoi. Il note aussi que, selon l’auteur, il s’agit d’un recours au caractère discrétionnaire visant à obtenir le privilège d’accélérer une demande de statut de résident permanent et non à revendiquer un droit. Le Comité observe que, comme le reconnaît l’État partie, une demande pour motifs d’ordre humanitaire ne sursoit pas au renvoi. Le Comité considère que l’éventualité du renvoi de l’auteur vers la Somalie, pays dans lequel la situation des droits de l’homme et la situation humanitaire sont particulièrement précaires, alors que sa demande pour motifs d’ordre humanitaire est à l’examen, rendrait le recours inutile et ne lève pas la menace réelle pour la vie ou le risque manifeste de torture qui intéressent le Comité. Il conclut donc que, aux fins de la recevabilité, l’auteur n’était pas tenu de déposer une demande pour motifs d’ordre humanitaire.

7.5Pour ce qui est du fait que l’auteur n’a pas fait appel de l’avis négatif rendu par la Section d’appel de l’immigration, le Comité constate que la décision était fondée sur l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit qu’un résident permanent condamné pour grande criminalité ne peut interjeter appel. En février 2005 et en juin 2006, l’auteur a été interdit de territoire et, sur la base de cette décision, un arrêté d’expulsion a été pris à son encontre le 22 juin 2006. Le Comité constate qu’un appel n’aurait abouti que si l’auteur avait pu présenter une thèse «un tant soit peu défendable», une «question grave sur laquelle il restait à statuer» ou une erreur de droit ou de compétence. Il note que l’État partie n’a pas expliqué comment l’auteur aurait pu satisfaire à ces critères compte tenu de la clarté de la législation nationale et de la jurisprudence interne. Dans les circonstances particulières de l’affaire, le Comité estime donc qu’une demande d’autorisation en vue d’interjeter appel devant la Cour fédérale ne constituait pas un recours utile.

7.6Le Comité constate que l’auteur n’a pas tenté d’obtenir la révision de l’avis négatif rendu par le Représentant du Ministre le 23 février 2009 au sujet de l’examen des risques avant renvoi et que, le 9 avril 2009, le refus d’accorder une aide judiciaire aux fins du dépôt d’une demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale a été confirmé par la Directrice des appels d’Aide juridique Ontario. Il prend note de l’argument présenté par l’auteur selon lequel, lors des procédures judiciaires, il avait toujours bénéficié d’une aide judiciaire, argument que l’État partie a réfuté sans pour autant fournir la moindre preuve à cet effet. Bien que le Comité ait régulièrement affirmé que des considérations d’ordre financier et des doutes quant à l’efficacité de recours internes ne sauraient dispenser l’auteur d’épuiser les recours, il constate que l’auteur semble avoir bénéficié d’une aide judiciaire lors des procédures nationales et internationales le concernant et qu’il a tenté, en vain, d’obtenir une aide judiciaire pour demander le contrôle judiciaire de l’avis négatif relatif à l’examen des risques avant renvoi. Il conclut donc que l’auteur a épuisé les recours internes avec la diligence nécessaire et que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêchent pas d’examiner la présente communication.

7.7Le Comité prend note du fait que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations de violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 12 (par. 4), 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

7.8En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte présentées par l’auteur, le Comité note que, le 9 février 2007, l’agent chargé de l’évaluation des risques avant renvoi a considéré que l’auteur serait en danger de mort et exposé à des peines ou traitements cruels et inusités s’il était renvoyé en Somalie. Le Comité note aussi que, le 23 février 2009, cette décision a été révisée par le Représentant du Ministre, qui a établi que l’auteur n’encourait aucun risque personnel de préjudice grave et qu’il représentait un danger pour la sécurité publique au Canada. Il note également que l’auteur a expliqué les raisons pour lesquelles il craint d’être renvoyé en Somalie, en donnant des détails sur l’absence de protection clanique, sur son identité et son apparence occidentales, sur le fait qu’il ne connaît pas les habitudes et pratiques locales, ne dispose pas de réseaux sociaux et pourrait devenir la cible de groupes de pirates et de milices islamistes cherchant à l’enrôler. Le Comité considère que ces griefs sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et qu’ils devraient être examinés au fond.

7.9Pour ce qui est du grief tiré du paragraphe 4 de l’article 12, le Comité considère que rien n’indique a priori que la situation de l’auteur ne relève pas des dispositions du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte et conclut donc que la question devait faire l’objet d’un examen au fond.

7.10En ce qui concerne les violations supposées des articles 17 et 23 (par. 1), le Comité considère que rien n’indique apriori que la situation de l’auteur ne relève pas des dispositions des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte et conclut donc que la question devait faire l’objet d’un examen au fond.

7.11Le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard des articles 6 (par. 1), 7, 12 (par. 4), 17 et 23 (par. 1) lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et passe à l’examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

Paragraphe 1 de l’article 6 et article 7

8.2Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme que son expulsion du Canada vers la Somalie l’exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte. Il note également les arguments avancés par l’auteur qui fait valoir qu’il encourt un risque personnel et distinct de celui de la population en général, compte tenu du fait qu’il n’est pas né en Somalie et n’y a jamais résidé, qu’il a des connaissances linguistiques limitées, qu’il n’a aucune famille dans la région du Puntland, qu’il ne bénéficie d’aucun appui clanique, qu’il risque d’être enrôlé de force par des pirates ou des milices islamistes et qu’il serait exposé à la violence généralisée. Le Comité note également les observations de l’État partie, selon lesquelles l’auteur n’a pas établi prima facie le bien-fondé de la thèse selon laquelle il risque personnellement la mort, de subir des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et que ses allégations faisant état de l’absence de toute affiliation à un clan sont dénuées de fondement, étant donné que l’auteur avait indiqué que sa mère appartenait à la tribu Darod et lui-même au clan Majertain et qu’il souhaitait être renvoyé à Bossasso ou à Galkayo, dans le Puntland. Le Comité note aussi que, le 9 février 2007, l’agent ayant examiné les risques avant renvoi a considéré que l’auteur serait en danger de mort et exposé à des peines ou traitements cruels et inhumains s’il était expulsé vers la Somalie et que, le 23 février 2009, le Représentant du Ministre a établi que l’auteur n’encourait aucun risque personnel ou individuel de préjudice grave en Somalie et qu’il représentait un danger pour la sécurité publique au Canada.

8.3Le Comité rappelle son Observation générale no 31, dans laquelle il renvoie à l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité doit par conséquent déterminer si l’expulsion de l’auteur vers la Somalie l’exposerait à un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité observe que l’auteur, qui n’a jamais vécu en Somalie, ne parle pas la langue, n’a que peu voire pas de soutien clanique, n’a aucune famille dans le Puntland, serait exposé à un risque réel de préjudice tombant sous le coup du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut par conséquent que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie, si elle était exécutée, constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte.

Paragraphe 4 de l’article 12

8.4Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, le Comité doit tout d’abord examiner si le Canada est bien le «propre pays» de l’auteur aux fins de la disposition en question, puis déterminer si le fait de priver l’auteur du droit d’entrée dans ce pays serait arbitraire. Sur le premier point, le Comité rappelle son Observation générale no 27 sur la liberté de circulation dans laquelle il a considéré que la signification des termes «son propre pays» est plus vaste que celle du «pays de la nationalité». Elle n’est pas limitée à la nationalité au sens strict du terme, à savoir la nationalité conférée à la naissance ou acquise par la suite; l’expression s’applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger. À ce sujet, il constate qu’il existe des facteurs autres que la nationalité susceptibles de créer des liens étroits et durables entre une personne et un pays, liens qui peuvent être plus forts que ceux de la nationalité. L’expression «son propre pays» amène à prendre en considération des éléments comme une résidence de longue durée, des liens personnels et familiaux étroits et l’intention de demeurer dans le pays, ainsi que l’absence d’autres liens du même type ailleurs.

8.5En l’espèce, l’auteur est arrivé au Canada quand il avait 4 ans, sa famille nucléaire vit au Canada, il n’a aucun lien avec la Somalie où il n’a jamais vécu, et a des difficultés à parler la langue. Le Comité observe qu’il n’est pas contesté que l’auteur a vécu pratiquement toute sa vie consciente au Canada, que toute son éducation s’est faite au Canada et qu’avant de venir au Canada il a vécu en Arabie saoudite et non en Somalie. Il note aussi que l’auteur fait valoir qu’il n’a aucune preuve de citoyenneté somalienne. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’auteur a établi que le Canada était son propre pays au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, compte tenu des liens forts qui le relient au Canada, de la présence de sa famille au Canada, de la langue qu’il parle, de la durée de son séjour dans le pays et de l’absence de tout autre lien avec la Somalie, si ce n’est des liens au mieux formels de nationalité.

8.6Quant à l’allégation touchant le caractère arbitraire de l’expulsion de l’auteur, le Comité rappelle son Observation générale no 27 sur la liberté de circulation, dans laquelle il a déclaré que même une immixtion prévue par la loi devait être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et devait être, dans tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances particulières. Le Comité considère que les cas dans lesquels la privation du droit d’une personne d’entrer dans son propre pays pourrait être raisonnable, s’ils existent, sont rares. Un État partie ne doit pas, en privant une personne de sa nationalité ou en l’expulsant vers un autre pays, empêcher arbitrairement celle-ci de retourner dans son propre pays. En l’espèce, l’expulsion de l’auteur vers la Somalie rendrait son retour au Canada de facto impossible en raison de la réglementation canadienne sur l’immigration. Le Comité considère par conséquent que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie, en faisant obstacle à son retour dans son propre pays, serait disproportionnée au but légitime recherché, qui est d’empêcher que d’autres infractions ne soient commises, et serait par conséquent arbitraire. Le Comité conclut que l’expulsion de l’auteur, si elle est exécutée, constituerait une violation du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte.

Article 17 et paragraphe 1 de l’article 23

8.7Pour ce qui est du grief de violation des articles 17 et 23 (par. 1), lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il peut se produire des cas où le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une ingérence dans la vie de la famille de cette personne. Toutefois, le simple fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’expulsion d’un des membres de la même famille une ingérence du même ordre. Le Comité rappelle également ses Observations générales nos 16 et 19, dans lesquelles il souligne que la notion de famille doit être interprétée au sens large. Il rappelle en outre que la séparation d’une personne d’avec sa famille résultant d’une expulsion pourrait être considérée comme une immixtion arbitraire dans la famille et comme une violation de l’article 17 si, dans les circonstances de la cause, les effets de la séparation sur l’auteur étaient disproportionnés par rapport aux objectifs visés.

8.8Le Comité constate que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie constituerait une immixtion dans ses relations familiales au Canada. Toutefois, ce que le Comité doit déterminer est si cette immixtion pourrait être considérée comme arbitraire ou illégale. La loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de l’État partie prévoit expressément que le statut de résident permanent d’un étranger peut être révoqué en cas de condamnation pour une infraction grave punie d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement. Le Comité prend note de l’observation formulée par l’État partie selon laquelle les autorités n’ont agi ni illégalement ni arbitrairement et que la perturbation minime infligée à la vie familiale de l’auteur est sans commune mesure avec la gravité des infractions commises. Le Comité constate que le caractère arbitraire au sens de l’article 17 ne vise pas seulement le caractère arbitraire de la procédure, mais également le caractère raisonnable de l’immixtion portant atteinte aux droits consacrés dans l’article 17, ainsi que sa compatibilité avec les buts, finalités et objectifs du Pacte.

8.9Le Comité relève que le casier judiciaire de l’auteur, condamné pour la première fois en 1999, à l’âge de 15 ans, comprend une condamnation pour l’agression d’une femme âgée de 60 ans et une autre pour des coups répétés portés contre un employé de magasin à l’aide d’un tournevis lors d’un vol. Il relève également que, du fait de ses condamnations, l’auteur a été à deux reprises interdit de territoire et a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion le 22 juin 2006. Le Comité relève en outre que l’auteur affirme qu’il entretient des liens étroits avec sa mère et ses sœurs, qu’il prévoit de soutenir sa mère, atteinte d’une maladie mentale, qu’il n’a aucune famille en Somalie et que son expulsion entraînerait une rupture de ses liens familiaux étant donné que sa famille ne pourrait pas se rendre en Somalie. Il prend note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que les infractions pénales qu’il a commises étaient dues à sa toxicomanie, qu’il a depuis vaincue, et que mises à part ses condamnations pour agression et pour possession de stupéfiants à des fins de trafic, il n’a fait l’objet que de peines mineures.

8.10Le Comité note que l’auteur n’est pas né en Somalie et n’y a jamais résidé, qu’il vit au Canada depuis l’âge de 4 ans, que sa mère et ses sœurs vivent au Canada et qu’il n’a aucune famille en Somalie. Le Comité relève que les parties ont des avis divergents sur l’intensité des liens familiaux qui unissent l’auteur à sa mère et à ses sœurs. Il note néanmoins que les liens familiaux de l’auteur seraient détruits de manière irréversible s’il était expulsé vers la Somalie, étant donné que sa famille ne pourrait pas lui rendre visite et qu’il n’aurait guère la possibilité d’entretenir une correspondance régulière avec sa famille au Canada. De plus, pendant un laps de temps important, l’auteur ne pourrait pas demander un visa de visiteur pour aller voir sa famille au Canada. Le Comité note que, aucun recours judiciaire n’étant de facto disponible, l’auteur n’a pas pu saisir les tribunaux nationaux. Le Comité conclut donc que l’immixtion dans la vie familiale, qui se traduirait par une rupture irréversible de liens de l’auteur avec sa mère et ses sœurs au Canada, serait disproportionnée par rapport à l’objectif légitime consistant à prévenir la commission d’autres infractions. Il conclut donc également que, si elle était exécutée, la décision d’expulser l’auteur constituerait une violation des articles 17 et 23 (par. 1), seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie, si elle était exécutée, constituerait une violation des droits de l’auteur en vertu des articles 6 (par. 1), 7, 12 (par. 4), 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, consistant notamment à s’abstenir de l’expulser vers la Somalie.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Krister Thelin

Le Comité, à la majorité de ses membres, a constaté de multiples violations du Pacte. Je ne suis pas d’accord.

Premièrement, pour ce qui est de la violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, l’affaire ressemble beaucoup à l’affaire Dauphin c. Canada, dans laquelle j’ai exprimé une opinion dissidente, considérant qu’il n’y avait pas eu de violation. Ma position demeure inchangée et le Comité aurait dû, de mon point de vue, conclure à une absence de violation dans l’affaire dont il a été saisi. Les liens familiaux de l’auteur au Canada ne sont pas tels que, au vu de son casier judiciaire, la mesure serait disproportionnée s’il était expulsé vers la Somalie.

Deuxièmement, en ce qui concerne une éventuelle violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 4 de l’article 12, je m’associe à l’opinion dissidente de Sir Nigel Rodley et à celle de M. Neuman et je conclus qu’il n’y a pas eu de violation du Pacte.

(Signé) Krister Thelin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (partiellement dissidente)de M. Gerald L. Neuman et de M. Yuji Iwasawa

Nous souscrivons aux constatations du Comité lorsqu’il conclut à des violations potentielles de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, mais nous n’approuvons pas les autres constatations de violations, pour les raisons exposées par Sir Nigel Rodley dans son opinion individuelle.

Notre désaccord avec l’interprétation du paragraphe 4 de l’article 12 faite par la majorité des membres du Comité est expliqué de manière plus complète dans l’opinion dissidente que nous avons formulée concernant la communication no 1557/2007, Nystrom, Nystrom, et Turner c. Australie, constatations adoptées le 18 juillet 2011, par. 3.1 à 3.6.

(Signé) Gerald L. Neuman(Signé) Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley

J’approuve les constatations du Comité concernant les violations potentielles de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, mais j’ai des doutes au sujet des violations potentielles des autres articles.

En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12, le Comité donne l’impression qu’il s’appuie sur l’Observation générale no 27 pour considérer que le Canada est le pays de l’auteur. Assurément, il est dit dans l’Observation générale no 27 que «la signification des termes “son propre pays” est plus vaste que celle du “pays de sa nationalité”». Ce que le Comité oublie, c’est que tous les exemples donnés dans l’Observation générale concernant l’application de ce concept plus large portent sur des cas où la personne est privée de toute nationalité effective. Les exemples donnés dans l’Observation générale se rapportent à des «nationaux d’un pays auxquels la nationalité aurait été retirée en violation du droit international»; des «personnes dont le pays de nationalité aurait été intégré ou assimilé à une autre entité nationale dont elles se verraient refuser la nationalité», et à des «apatrides privés arbitrairement du droit d’acquérir la nationalité de leur pays de résidence» (Observation générale no 27, par. 20).

Aucun de ces exemples ne s’applique à la présente affaire. L’auteur n’a pas non plus cherché à expliquer pourquoi il n’avait pas demandé la nationalité canadienne, comme l’a implicitement laissé entendre l’État partie (par. 6.6). En conséquence, je ne suis pas convaincu qu’il y aurait violation du paragraphe 4 de l’article 12 si l’auteur était renvoyé en Somalie.

De la même manière, le Comité a peu développé l’argumentation qui le conduit à constater une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7. En particulier, il n’explique pas pourquoi il privilégie les affirmations de l’auteur concernant les faits et les risques encourus, plutôt que celles de l’État partie. Certes, la plus grande circonspection est de mise lorsqu’il s’agit de renvoyer une personne vers un pays comme la Somalie où la situation est précaire. C’est d’ailleurs cette considération qui justifie la constatation de violation potentielle de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23. Le Comité aurait été avisé de s’en tenir à cette conclusion.

(Signé) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Michael O’Flahertyet de Mme Helen Keller

Nous nous associons à l’opinion de Sir Nigel en ce qui concerne la question de l’application du paragraphe 4 de l’article 12 en l’espèce.

(Signé) Michael O’Flaherty(Signé) Helen Keller

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Cornelis Flinterman

J’approuve les conclusions du Comité concernant l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23, mais je partage les doutes de Sir Nigel Rodley et des membres du Comité qui s’associent à son opinion pour ce qui est des autres constatations de violation potentielle.

En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12, je ne suis pas convaincu que le Canada puisse être considéré comme le propre pays de l’auteur, même si je suis enclin à donner au paragraphe 4 de l’article 12 un sens plus large que celui proposé par Sir Nigel Rodley et par les membres du Comité qui partagent son opinion, en tenant compte des liens spéciaux (tels que la résidence permanente, l’intention de demeurer dans le pays, les liens personnels et familiaux étroits et l’absence de tels liens avec un autre pays) que l’auteur d’une communication peut avoir avec un pays donné dans chaque affaire soumise au Comité.

Au sujet du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, je souscris à l’opinion de Sir Nigel Rodley et des membres du Comité qui s’y sont ralliés.

(Signé) Cornelis Flinterman

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]