Nations Unies

CCPR/C/108/D/1831/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 novembre 2013

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1831/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session (8-26 juillet 2013)

Communication présentée par:Djelloul Larbi (représenté par l’organisation TRIAL, association suisse contre l’impunité)

Au nom de:Djillali Larbi (père de l’auteur) et l’auteur

État partie:Algérie

Date de la communication:24 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:25 juillet 2013

Objet:Disparition forcée

Question de procédure:Épuisement des recours internes

Questions de fond:Droit à la vie, interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains, droit à la liberté et à la sécurité de la personne, respect de la dignité inhérente à la personne humaine, reconnaissance de la personnalité juridique et droit à un recours utile, immixtion illégale dans le domicile

Articles du Pacte:2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16

Article du Protocole facultatif:5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 1831/2008*

Présentée par:Djelloul Larbi (représenté par l’organisation TRIAL, association suisse contre l’impunité)

Au nom de:Djillali Larbi (père de l’auteur) et l’auteur

État partie:Algérie

Date de la communication:24 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1831/2008 présentée par Djelloul Larbi, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Djelloul Larbi, ressortissant algérien né en 1975. Il fait valoir que son père, Djillali Larbi, a été victime de violations, par l’Algérie, de ses droits au titre des articles 2, paragraphe 3; 6, paragraphe 1; 7; 9, paragraphes 1, 2, 3 et 4; 10, paragraphe 1; et de l’article 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur quant à lui se considère victime de violations, par l’Algérie, de ses droits au titre de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 7 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 5 décembre 2008, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne prendre aucune mesure susceptible d’entraver le droit de l’auteur et de sa famille d’exercer son droit de soumettre une plainte individuelle devant le Comité. L’État partie a donc été prié de ne pas invoquer sa législation nationale, notamment l’ordonnance no 06 01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, contre l’auteur et les membres de sa famille.

1.3Le 12 mars 2009, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 25 mai 1994, en fin de matinée, Djillali Larbi, accompagné d’un employé, se rendait en taxi à Mechraa Sfa, village situé à environ neuf kilomètres de sa propriété agricole, pour y faire des achats. Un barrage de la gendarmerie était installé à l’entrée du village. Après un contrôle de ses documents d’identité, Djillali Larbi a été emmené au siège de la brigade de la gendarmerie. L’auteur explique qu’une connaissance de la famille Larbi a assisté à cette arrestation.

2.2Dès que le grand-père paternel de l’auteur a eu connaissance de cette arrestation, il s’est rendu à Mechraa Sfa accompagné de deux autres fils et de son petit-fils (l’auteur de la présente communication). Les gendarmes ont refusé de lui communiquer les raisons de l’arrestation de son fils et ne l’ont pas autorisé, malgré ses demandes répétées, à voir son fils. Ils ont cependant accepté de lui transmettre de la nourriture et des cigarettes.

2.3Le 31 mai 1994, les mêmes gendarmes ont informé des membres de la famille venus avec l’intention de rendre visite à Djillali Larbi que celui-ci avait été transféré à la gendarmerie de Mellakou. Le père de Djillali Larbi ainsi que ses deux autres fils et l’auteur de la communication se sont alors rendus à Mellakou où ils ont pu voir le détenu. Djillali Larbi, qui semblait avoir beaucoup souffert et portait des traces visibles de coups sur le visage, s’est plaint d’avoir été torturé à la brigade de Mechraa Sfa, mais devait ajouter, en présence de ses gardiens, qu’il était bien traité depuis son transfert. Il a également dit qu’il avait été entendu sur procès-verbal, qu’il avait demandé à être présenté devant un juge et qu’il avait reçu l’assurance qu’il ferait l’objet d’une procédure légale et serait présenté devant le Procureur dès que possible. De fait, Djillali Larbi a été conduit devant le Procureur de la République du tribunal de Tiaret le 8 juin 1994, après 13 jours de garde à vue. Plusieurs personnes l’ont vu ce jour‑là dans le véhicule qui le conduisait au tribunal de Tiaret. Il a été ramené ce jour‑là dans les locaux de la même brigade de gendarmerie. Les membres de sa famille ont été autorisés à le voir les jours suivants. Il leur a dit qu’il avait attendu plusieurs heures devant le bureau du Procureur et n’avait pas été présenté au magistrat qui aurait ordonné aux gendarmes «de le ramener».

2.4La détention à Mellakou s’est poursuivie jusqu’au 13 juin 1994. Le 14 juin, lorsque le père de Djillali Larbi est revenu pour lui apporter de la nourriture, les gendarmes ont refusé de la prendre et lui ont expliqué que son fils «avait été transféré». Depuis ce jour, la famille est sans nouvelles de Djillali Larbi.

2.5Le père de Djillali Larbi, ainsi que ses proches, n’ont jamais cessé d’effectuer des recherches et des démarches en vue de le retrouver. Le père a cherché auprès des brigades de gendarmerie et dans les casernes militaires de la région, à Mechraa Sfa où son fils avait été détenu une première fois, et à Tiaret ainsi qu’à Frenda après avoir appris que de nombreux détenus s’y trouvaient. N’ayant pas de nouvelles, le père de Djillali Larbi s’est rendu à Oran, au siège du secteur militaire, où il lui a été conseillé d’aller se renseigner à la prison militaire de Mers El Kebir Il s’y est rendu trois fois durant l’été et l’automne 1994. Il est allé au tribunal de Tiaret où, après de très longues démarches, il a été reçu, avec la mère de l’auteur, par le Procureur de la République à qui il a remis une plainte écrite.

2.6Le grand-père de l’auteur s’est ensuite rendu plusieurs fois auprès de ce même magistrat durant l’année 1995. Cependant, ni lui, ni la mère de l’auteur, ni aucun des témoins qu’il a cités et qui avaient connaissance des faits n’ont été entendus dans le cadre d’une instruction pénale. De fait, à aucun moment le parquet de Tiaret n’a diligenté d’enquête ni fourni d’explications sur le sort du disparu.

2.7En septembre 1994, le grand-père de l’auteur a écrit à des organisations non gouvernementales et à l’Observatoire national des droits de l’homme pour les informer de la disparition de son fils et demander leur intervention.

2.8Au décès de son grand-père en 1998, l’auteur de la communication et sa mère ont continué les efforts pour retrouver Djillali Larbi. Ils se sont présentés à plusieurs reprises au tribunal de Tiaret pour essayer de savoir ce qu’il était advenu de leurs nombreuses plaintes; après quelques mois ils ont dû cesser toute tentative en raison du refus du Procureur de les recevoir et de les informer, ainsi que par peur de représailles.

2.9En 2004, l’auteur a écrit de nouveau aux autorités pour leur demander de l’informer du sort de son père. Le 19 mai 2004, il a écrit au chef de la sûreté et au wali de la wilaya de Tiaret, au président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), et au Président de la République. Il n’a jamais reçu de réponse. Le 29 novembre 2006, dans une lettre au Président de la République et au Procureur de la République du tribunal de Tiaret, il a rappelé les nombreuses démarches déjà effectuées. Il a également rappelé, par lettre recommandée, au Procureur de la République du tribunal de Tiaret, les nombreuses plaintes déposées par le père du disparu et la mère de l’auteur au cours des années précédentes et qui n’ont jamais suscitées de réaction de sa part. Toutes ces dernières démarches sont également restées sans réponse.

2.10L’auteur fait valoir qu’il lui est impossible de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06/01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005, qui interdit tout recours en justice contre les membres des services de défense et de sécurité algériens dans le cadre des événements qui ont eu lieu dans le pays entre 1993 et 1998. L’auteur soutient que, tous les recours internes s’étant révélés inefficaces et inutiles et les proches de Djillali Larbi se trouvant aujourd’hui légalement privés de leur droit de recourir à la justice, il n’est plus tenu, pour que cette communication soit recevable devant le Comité, de poursuivre encore plus longtemps les démarches et procédures sur le plan interne ni de prendre le risque de s’exposer à des poursuites pénales.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur prétend que son père a été victime d’une disparition forcée. Il considère que 14 ans après sa disparition de la brigade de la gendarmerie nationale de Mellakou, les chances de retrouver son père vivant sont infimes. Il résulte vraisemblablement de l’absence prolongée de son père, des circonstances et du contexte de son arrestation, qu’il est décédé en détention. La détention au secret entraîne un risque élevé d’atteinte au droit à la vie. La menace qui pèse sur la vie de la victime, constitue une violation de l’article 6, dans la mesure où l’État ne s’est pas acquitté de son devoir de protéger le droit fondamental à la vie. Au demeurant, l’État n’a déployé aucun effort pour enquêter sur la disparition de la victime, ce qui constitue également une violation des obligations positives incombant à l’État aux termes de l’article 6 du Pacte. Ainsi, l’auteur soutient que son père a subi une violation de l’article 6, combiné avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.2Le père de l’auteur a affirmé à son père (le grand-père de l’auteur) qu’il avait été torturé au siège de la brigade de gendarmerie de Mechraa Sfa où il a été détenu en garde à vue après son arrestation. Il portait d’ailleurs des traces visibles de coups au niveau du visage. En outre, il est établi par la jurisprudence du Comité que le seul fait d’être soumis à une disparition forcée est constitutif de traitement inhumain ou dégradant. L’angoisse et la souffrance provoquées par la détention indéfinie sans contact avec la famille ni le monde extérieur équivalent à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte.

3.3Le père de l’auteur a été arrêté par des gendarmes en uniforme, sans mandat de justice et il n’a pas été informé des raisons de son arrestation, ce qui constitue une violation de ses droits au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte. Il a été emmené au siège du tribunal de Tiaret 13 jours après son arrestation, au-delà du délai légal de 12 jours fixé par la loi. Il n’a cependant jamais été présenté devant l’autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, dans le cas d’espèce, le Procureur de la République du tribunal de Tiaret, en violation de l’article 9, paragraphe 3, du Pacte. En tant que victime de disparition forcée, il ne pouvait matériellement pas introduire un recours pour contester la légalité de sa détention, ni demander à un juge sa libération, ni même demander à un tiers en liberté d’assumer sa défense; cette situation constituait une violation de l’article 9, paragraphe 4, du Pacte.

3.4S’il est établi que le père de l’auteur a fait l’objet d’une violation de l’article 7 du Pacte, il n’est pas possible de soutenir qu’il a bénéficié de la protection que l’article 10, paragraphe 1, du Pacte entend lui accorder.

3.5En tant que victime d’une détention non reconnue, le père de l’auteur a été réduit à l’état de «non personne» en violation de l’article 16 du Pacte.

3.6En tant que victime de disparition forcée, Djillali Larbi était dans l’impossibilité d’exercer son droit de recours pour contester la légalité de la détention en violation de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.Ses proches ontutilisé tous les moyens légaux pour connaître la vérité sur son sort, mais aucune suite n’a été donnée à leurs démarches.

3.7S’agissant de l’auteur lui-même, et des membres de sa famille, la disparition continue une épreuve paralysante, douloureuse et angoissante dans la mesure où ils ignorent encore tout du sort de Djillali Larbi, ce qui est contraire à l’article 7 du Pacte lu conjointement avec l’article 2 paragraphe 3, du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 3 mars 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication et de 10 autres communications présentées au Comité, dans un «Mémorandum de référence sur l’irrecevabilité des communications introduites devant le Comité des droits de l’homme en rapport avec la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale». Il considère que les communications mettant en cause la responsabilité d’agents publics ou d’autres personnes agissant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée pendant la période considérée, c’est-à-dire de 1993 à 1998, doivent être examinées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays à une période où les autorités s’employaient à lutter contre le terrorisme qui cherchait à provoquer «l’effondrement de l’État républicain». Dans ce contexte, et conformément à la Constitution (art. 87 et 91), des mesures de sauvegarde ont été prises et le Gouvernement algérien a notifié la proclamation de l’état d’urgence au Secrétariat des Nations Unies conformément à l’article 4, paragraphe 3, du Pacte.

4.2Durant cette période, le Gouvernement devait combattre des groupes non structurés. Il en est résulté une certaine confusion dans la manière dont plusieurs opérations ont été menées au sein de la population civile, pour qui il était difficile de distinguer les interventions de groupes terroristes de celles des forces de l’ordre, auxquelles les civils ont souvent attribué les disparitions forcées. Ainsi, d’après l’État partie, les cas de disparition forcée ont de nombreuses origines, mais ne sont pas imputables au Gouvernement. Selon différentes sources indépendantes, notamment la presse et les organisations des droits de l’homme, la notion générique de personne disparue en Algérie durant la période considérée renvoie à six cas de figure distincts, dont aucun n’est imputable à l’État. Le premier cas de figure concerne des personnes déclarées disparues par leurs proches alors qu’elles étaient entrées dans la clandestinité de leur propre chef pour rejoindre les groupes armés en demandant à leur famille de déclarer qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité pour «brouiller les pistes» et éviter le «harcèlement» par la police. Le deuxième cas concerne les personnes signalées comme disparues suite à leur arrestation par les services de sécurité mais qui ont profité de leur libération pour entrer dans la clandestinité. Le troisième cas concerne des personnes qui ont été enlevées par des groupes armés qui, parce qu’ils ne sont pas identifiés ou ont agi en usurpant soit leur uniforme, soit leurs documents d’identification à des policiers ou à des militaires, ont été assimilés à tort à des agents relevant des forces armées ou des services de sécurité. Le quatrième cas de figure concerne les personnes recherchées par leur famille qui ont pris l’initiative d’abandonner leurs proches et parfois même de quitter le pays, en raison de problèmes personnels ou de litiges familiaux. Il peut s’agir, en cinquième lieu, de personnes signalées comme disparues par leur famille et qui étaient en fait des terroristes recherchés, qui ont été tués et enterrés dans le maquis à la suite de combats entre factions, de querelles doctrinales ou de conflits autour des butins de guerre entre groupes armés rivaux. L’État partie évoque enfin une sixième catégorie, celle de personnes portées disparues vivant en fait sur le territoire national ou à l’étranger sous une fausse identité obtenue grâce à un réseau de falsification de documents.

4.3L’État partie souligne que c’est en considération de la diversité et de la complexité des situations couvertes par la notion générique de disparition que le législateur algérien, à la suite du plébiscite populaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, a préconisé le traitement de la question des disparus dans un cadre global à travers la prise en charge de toutes les personnes disparues dans le contexte de la «tragédie nationale», un soutien pour toutes les victimes afin qu’elles puissent surmonter cette épreuve et l’octroi d’un droit à réparation pour toutes les victimes de disparition et leurs ayants droit. Selon des statistiques élaborées par les services du Ministère de l’intérieur, 8 023 cas de disparition ont été déclarés, 6 774 dossiers ont été examinés, 5 704 dossiers ont été acceptés à l’indemnisation, 934 ont été rejetés et 136 sont en cours d’examen. Au total, 371 459 390 dinars algériens ont été versés à l’ensemble des victimes concernées à titre d’indemnisation. À cela s’ajoutent 1 320 824 683 dinars versés sous forme de pensions mensuelles.

4.4L’État partie fait également valoir que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Il insiste sur l’importance de faire une distinction entre les simples démarches auprès d’autorités politiques ou administratives, les recours non contentieux devant des organes consultatifs ou de médiation et les recours contentieux exercés devant les diverses juridictions compétentes. L’État partie remarque qu’il ressort des déclarations des auteurs que les plaignants ont adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête à des représentants du parquet (procureurs généraux ou procureurs de la République) sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Parmi toutes ces autorités, seuls les représentants du ministère public sont habilités par la loi à ouvrir une enquête préliminaire et à saisir le juge d’instruction. Dans le système judiciaire algérien, le Procureur de la République est celui qui reçoit les plaintes et qui, le cas échéant, déclenche l’action publique. Pour protéger les droits de la victime ou de ses ayants droit, le Code de procédure pénale autorise ces derniers à agir par voie de plainte avec constitution de partie civile directement devant le juge d’instruction. Dans ce cas, c’est la victime et non le Procureur qui met en mouvement l’action publique en saisissant le juge d’instruction. Ce recours visé aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été utilisé alors qu’il aurait permis aux victimes de déclencher l’action publique et d’obliger le juge d’instruction à informer, même si le parquet en avait décidé autrement.

4.5L’État partie note en outre que selon l’auteur, il est impossible de considérer qu’il existe en Algérie des recours internes efficaces, utiles et disponibles pour les familles de victimes de disparition en raison de l’adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, notamment l’article 45 de l’ordonnance no 06-01. Sur cette base, l’auteur s’est cru dispensé de l’obligation de saisir les juridictions compétentes en préjugeant de leur position et de leur appréciation dans l’application de cette ordonnance. Or l’auteur ne peut invoquer cette ordonnance et ses textes d’application pour s’exonérer de n’avoir pas engagé les procédures judiciaires disponibles. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la «croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes».

4.6L’État partie souligne ensuite la nature, les fondements et le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ses textes d’application. Il souligne qu’en vertu du principe d’inaliénabilité de la paix, qui est devenu un droit international à la paix, le Comité devrait accompagner et consolider cette paix et favoriser la réconciliation nationale pour permettre aux États affectés par des crises intérieures de renforcer leurs capacités. Dans cet effort de réconciliation nationale, l’État partie a adopté la Charte, dont l’ordonnance d’application prévoit des mesures d’ordre juridique emportant extinction de l’action publique et commutation ou remise de peine pour toute personne coupable d’actes de terrorisme ou bénéficiant des dispositions relatives à la discorde civile, à l’exception de celles ayant commis, comme auteurs ou complices, des actes de massacre collectif, des viols ou des attentats à l’explosif dans des lieux publics. Cette ordonnance prévoit également une procédure de déclaration judiciaire de décès, qui ouvre droit à une indemnisation des ayants droit des disparus en qualité de victimes de la «tragédie nationale». En outre, des mesures d’ordre socioéconomique ont été mises en place, parmi lesquelles des aides à la réinsertion professionnelle et le versement d’indemnités à toutes les personnes ayant la qualité de victimes de la «tragédie nationale». Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures politiques telles que l’interdiction d’exercer une activité politique à toute personne ayant contribué à la «tragédie nationale» en instrumentalisant la religion dans le passé. L’ordonnance dispose qu’aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République.

4.7Outre la création du fonds d’indemnisation pour toutes les victimes de la «tragédie nationale», le peuple souverain d’Algérie a, selon l’État partie, accepté d’engager une démarche de réconciliation nationale qui est le seul moyen pour cicatriser les plaies générées. L’État partie insiste sur le fait que la proclamation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale s’inscrit dans une volonté d’éviter les confrontations judiciaires, les déballages médiatiques et les règlements de compte politiques. L’État partie considère, dès lors, que les faits allégués par l’auteur sont couverts par le mécanisme interne de règlement global induit par le dispositif de la Charte.

4.8L’État partie demande au Comité de constater la similarité des faits et des situations décrits par l’auteur et de tenir compte du contexte sociopolitique et sécuritaire dans lequel ils s’inscrivent, de conclure que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes, de reconnaître que les autorités de l’État partie ont mis en œuvre un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par les communications en cause selon un dispositif de paix et de réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquents, de déclarer la communication irrecevable et de renvoyer l’auteur à mieux se pourvoir.

Observations supplémentaires de l’ État partie sur la recevabilité

5.1Le 9 octobre 2009, l’État partie a transmis au Comité un mémoire additif dans lequel il se pose la question de savoir si la série de communications individuelles présentée au Comité ne serait pas plutôt un détournement de la procédure visant à saisir le Comité d’une question globale historique dont les causes et circonstances échappent au Comité. L’État partie remarque à ce propos que ces communications «individuelles» s’arrêtent sur le contexte général dans lequel sont survenues les disparitions et se focalisent uniquement sur les agissements des forces de l’ordre sans jamais évoquer ceux des divers groupes armés qui ont adopté des techniques criminelles de dissimulation pour faire endosser la responsabilité aux forces armées.

5.2L’État partie insiste sur le fait qu’il ne se prononcera pas sur les questions de fond relatives auxdites communications avant qu’il ne soit statué sur la question de la recevabilité et que l’obligation de tout organe juridictionnel ou quasi juridictionnel est d’abord de traiter les questions préjudicielles avant de débattre du fond. Selon l’État partie, la décision d’examiner de manière conjointe et concomitante les questions de recevabilité et celles se rapportant au fond dans les cas de l’espèce, outre qu’elle n’a pas été concertée, préjudicie gravement à un traitement approprié des communications soumises, tant dans leur nature globale que par rapport à leurs particularités intrinsèques. Se référant au règlement intérieur du Comité, l’État partie note que les sections relatives à l’examen par le Comité de la recevabilité de la communication et celles relatives à l’examen au fond sont distinctes et que ces questions pourraient dès lors être examinées séparément. S’agissant particulièrement de l’épuisement des recours internes, l’État partie souligne qu’aucune des plaintes ou demandes d’informations formulées par l’auteur n’a été présentée par des voies qui auraient permis son examen par les autorités judiciaires internes.

5.3Rappelant la jurisprudence du Comité concernant l’obligation d’épuiser les recours internes, l’État partie souligne que de simples doutes sur les perspectives de succès ainsi que la crainte de retards ne dispensent pas l’auteur d’épuiser ces recours. S’agissant du fait que la promulgation de la Charte rend impossible tout recours en la matière, l’État partie répond que l’absence de toute démarche de l’auteur pour soumettre ses allégations à examen a empêché les autorités algériennes de prendre position sur l’étendue et les limites de l’applicabilité des dispositions de cette Charte. En outre, l’ordonnance ne requiert de déclarer irrecevables que les poursuites engagées contre des «éléments des forces de défense et de sécurité de la République» pour des actions dans lesquelles elles ont agi conformément à leurs missions républicaines de base, à savoir la protection des personnes et des biens, la sauvegarde de la nation et la préservation des institutions. En revanche, toute allégation d’action imputable aux forces de défense et de sécurité dont il peut être prouvé qu’elle serait intervenue en dehors de ce cadre est susceptible d’être instruite par les juridictions compétentes.

5.4Par note verbale du 6 octobre 2010, l’État partie réitère ses griefs sur la recevabilité présentés antérieurement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Le 24 avril 2013, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et a fourni des arguments supplémentaires sur le fond. Il relève que l’État partie a accepté la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers. Cette compétence est de nature générale et son exercice par le Comité n’est pas soumis à l’appréciation de l’État partie. En particulier, il n’appartient pas à l’État partie de juger de l’opportunité de la saisine du Comité s’agissant d’une situation particulière. Pareille appréciation relève du Comité lorsqu’il procède à l’examen de la communication. Se référant à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, l’auteur considère que l’adoption, par l’État partie, de mesures législatives et administratives internes en vue de prendre en charge les victimes de la «tragédie nationale» ne peut être invoquée au stade de la recevabilité pour empêcher des particuliers relevant de sa juridiction de recourir au mécanisme prévu par le Protocole facultatif. Même si de telles mesures pouvaient avoir une incidence sur la solution au litige, elles doivent s’analyser par rapport au fond de la communication, et non au stade de la recevabilité. En l’espèce, les mesures législatives adoptées constituent en elles-mêmes une violation des droits contenus dans le Pacte, comme le Comité l’a déjà relevé.

6.2L’auteur rappelle que la promulgation de l’état d’urgence le 9 février 1992 par l’Algérie n’affecte nullement le droit des individus de soumettre des communications au Comité. L’article 4 du Pacte prévoit en effet que la proclamation de l’état d’urgence permet de déroger uniquement à certaines dispositions du Pacte et n’affecte donc pas l’exercice de droits découlant de son Protocole facultatif. Selon l’auteur, les considérations de l’État partie sur l’opportunité de la communication ne sont pas un motif d’irrecevabilité valable.

6.3L’auteur revient par ailleurs sur l’argument de l’État partie selon lequel l’exigence d’épuiser les voies de recours internes requiert que l’auteur mette en œuvre l’action publique par le biais d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction, conformément aux articles 72 et suivants du Code de procédure pénale.Il se réfère à une communication individuelle concernant l’État partie dans laquelle le Comité a déclaré que «l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. La constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même».L’auteur considère donc que pour des faits aussi graves que ceux allégués il revenait aux autorités compétentes de se saisir de l’affaire. Or cela n’a pas été fait alors que les membres de la famille deDjillali Larbi ont tenté, suite à son arrestation le 25 mai 1994,de s’enquérir de sa situation, sans succès.

6.4Les proches de Djillali Larbi ont entrepris des recherches dans toutes les brigades de gendarmerie, casernes et prisons militaires de la région. Ils ont remis une lettre de plainte au Procureur de la République du tribunal de Tiaret, auprès duquel ils se sont rendus à plusieurs reprises. Ils ont contacté la ligue algérienne de défense des droits de l’homme, la section locale et le secrétariat d’Amnesty International, ainsi que l’Observatoire national des droits de l’homme. La famille de la victime s’est également adressée au chef de la sûreté et au wali de la wilaya de Tiaret, au président de la CNCPPDH et au Président de la République. Les proches de la victime n’ont jamais obtenu la moindre réponse suite à ces démarches. À la demande de l’épouse de la victime, un constat de disparition dans les circonstances de la tragédie nationale a été établi par la Gendarmerie nationale le 2 mars 2010. De même, durant le printemps 2005, une Commission ad hoc relevant de la CNCPPDH, a reçu la mère de l’auteur et lui a confirmé oralement que le cas de Djillali Larbi avait été recensé parmi les affaires de disparitions forcées. Elle n’a pas, pour autant, obtenu davantage d’informations sur le sort de Djillali Larbi.

6.5La famille de la victime a poursuivi, après la soumission de la communication individuelle au Comité, des démarches auprès des autorités algériennes afin de connaître le sort du disparu. Ainsi, le 27 novembre 2010, la famille a adressé un rapport circonstancié sur la disparition de Djillali Larbi au Président de la République, au Ministre de la justice et garde des sceaux, au Ministre de l’intérieur et des collectivités locales et au Commandant de la Gendarmerie nationale. Suite à toutes les démarches effectuées, l’épouse de la victime a été auditionnée le 11 janvier 2011 par le Procureur de la république du Tribunal de Tiaret. Dans le procès-verbal, elle fait mention d’un jugement de la Section des affaires familiales du Parquet de Tiaret en date du 1er juillet 2010 déclarant recevable sa plainte sur la forme et le fond et ouvrant la voie à une instruction complète sur cette affaire de disparition, et notamment à l’audition de témoins. Sur cette base, le 9 février 2011, deux témoins, un collègue et un voisin de la victime, ont été entendus par la Section des affaires familiales du Parquet de Tiaret; ils ont expliqué que Djillali Larbi ne s’était pas manifesté depuis 1994 et qu’ils ignoraient tout de son sort depuis lors, ce qui a été confirmé par les membres de la famille présents lors de l’audition. Néanmoins, ces nombreuses démarches n’ont donné lieu ni à une enquête efficace, ni à la poursuite et à la condamnation des responsables de la disparition forcée ni à l’octroi d’une réparation à la famille. Par conséquent il ne pourrait être reproché à l’auteur de ne pas avoir épuisé toutes les voies de recours en ne saisissant pas le juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile concernant une violation aussi grave des droits de l’homme que l’État partie n’aurait dû ignorer.

6.6S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la simple «croyance ou la présomption subjective» ne dispense pas l’auteur d’une communication d’épuiser les recours internes, l’auteur se réfère à l’article 45 de l’ordonnance no 06-01, en vertu duquel aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité. L’auteur d’une telle plainte ou dénonciation est passible d’une peine d’emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 dinars. L’État partie n’a donc pas démontré de manière convaincante dans quelle mesure le dépôt de plainte avec constitution de partie civile aurait permis aux juridictions compétentes de recevoir et d’instruire une plainte introduite, ce qui impliquerait que celles-ci violeraient le texte de l’article 45 de l’ordonnance, ou dans quelle mesure l’auteur aurait pu être exonérée de l’application de l’article 46 de l’ordonnance. Ainsi que le confirme la jurisprudence des organes conventionnels, la lecture de ces dispositions mène à la conclusion que toute plainte concernant des violations engageant la responsabilité d’agents algériens serait non seulement déclarée irrecevable mais serait pénalement réprimée. L’auteur note que l’État partie n’apporte aucun exemple d’une quelconque affaire qui, malgré l’existence de l’ordonnance susmentionnée, aurait abouti à la poursuite effective des responsables de violations de droits de l’homme dans un cas similaire au cas d’espèce.

6.7Sur le fond de la communication, l’auteur note que l’État partie s’est limité à l’énumération des contextes dans lesquels les victimes de la «tragédie nationale», de façon générale, auraient pu disparaître. Ces observations générales ne réfutent pas les faits allégués dans la présente communication.Elles sont d’ailleurs exposées de manière identique dans une série d’autres affaires, ce qui montre que l’État partie ne souhaite toujours pas traiter ces affaires de manière individuelle.

6.8L’auteur rappelle qu’en application du paragraphe 1 de l’article 100 du règlement intérieur du Comitéet la jurisprudence des organes conventionnels qui considèrent que, en l’absence d’observations sur le fond par l’État partie, les allégations du requérant doivent être prises pleinement en considération. Les nombreux rapports sur les agissements des forces de l’ordre pendant la période donnée et les nombreuses démarchesdes membres de la famille de la victime corroborent et crédibilisent les allégations présentées par l’auteur dans sa communication.Compte tenu de la responsabilité de l’État partie dans la disparition de son père, l’auteur n’est pas en mesure de fournir plus d’éléments à l’appui de sa communication, éléments que l’État partie est le seul à détenir. En outre, l’auteur considère que l’absence d’observations sur le fond de la communication constitue un acquiescement tacite de la véracité des faits allégués.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1En premier lieu, le Comité rappelle que la jonction de la recevabilité et du fond décidée par le Rapporteur spécial (voir paragraphe 1.3) n’exclut pas un examen en deux temps de ces questions par le Comité. La jonction de la recevabilité et du fond ne signifie pas simultanéité de leur examen. Par conséquent, avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

7.3Le Comité note que selon l’État partie, l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes puisque la possibilité de saisir le juge d’instruction en se constituant partie civile en vertu des articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été envisagée. Le Comité note en outre que, selon l’État partie, l’auteur a adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête à des représentants du parquet (procureurs généraux ou procureurs de la République) sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire, et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel la famille a remis une lettre de plainte au Procureur de la République du tribunal de Tiaret, auprès duquel des membres de la famille se sont rendus à plusieurs reprises; ils ont contacté la ligue algérienne de défense des droits de l’homme et l’Observatoire national des droits de l’homme; ils se sont adressé au chef de la sûreté, au wali de la wilaya de Tiaret, au président de la CNCPPDH et au Président de la République mais n’ont jamais obtenu la moindre réponse. En outre il note que la famille a adressé un rapport circonstancié sur la disparition de Djillali Larbi au Président de la République, au Ministre de la justice et garde des sceaux, au Ministre de l’intérieur et des collectivités locales et au Commandant de la Gendarmerie nationale. Il note également que l’épouse de Djillali Larbi a été auditionnée le 11 janvier 2011 par le Procureur de la République du tribunal de Tiaret et que le 9 février 2011 deux témoins ont été entendus par la Section des affaires familiales du Parquet de Tiaret, sans suite. Le Comité prend également note que ces nombreuses démarches n’ont donné lieu ni à une enquête efficace, ni à la poursuite et à la condamnation des responsables de ces disparitions forcées ni à l’octroi d’une réparation à la famille de la victime. En outre, le Comité prend note de l’argument de l’auteur, selon lequel l’ordonnance nº 06-01 interdit, sous peine de poursuites pénales, le recours en justice à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, ce qui dispense par voie de conséquence la nécessité pour les victimes d’épuiser les voies de recours internes.

7.4Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son encontre. La famille de Djillali Larbi a, à plusieurs reprises, alerté les autorités compétentes de la disparition de ce dernier, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition du père de l’auteur, alors qu’il s’agissait d’allégations graves de disparition forcée. Par ailleurs, l’État partie n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible est de facto ouvert, alors que l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 continue d’être appliquée en dépit des recommandations du Comité visant à sa mise en conformité avec le Pacte (CCPR/C/DZA/CO/3, par. 7, 8 et 13). Le Comité estime que la constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même. En outre, étant donné le caractère imprécis du texte des articles 45 et 46 de l’ordonnance et en l’absence d’informations concluantes de l’État partie concernant leur interprétation et leur application dans la pratique, les craintes exprimées par l’auteur quant à l’efficacité de l’introduction d’une plainte sont raisonnables.

7.5Le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité d’une communication, l’auteur doit épuiser uniquement les recours utiles afin de remédier à la violation alléguée, en l’espèce, les recours utiles pour remédier à la disparition forcée. Au vu de l’ensemble de ces considérations, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne pose pas d’obstacle à la recevabilité de la présente communication.

7.6Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des articles 6, paragraphe 1; 7; 9; 10; 16; et 2, paragraphe 3, du Pacte, et procède donc à l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties.

8.2L’État partie a fourni des observations collectives et générales sur les allégations graves soumises par les auteurs de plusieurs communications, y compris l’auteur de la présente communication. L’État partie s’est contenté de maintenir que les communications alléguant la responsabilité d’agents publics ou exerçant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée de 1993 à 1998 doivent être examinées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays, à une période où le Gouvernement s’employait à lutter contre le terrorisme. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. L’ordonnance no 06-01, sans les amendements recommandés par le Comité, semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être compatible avec les dispositions du Pacte.

8.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fond et rappelle sa jurisprudence d’après laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

8.4Le Comité note que selon l’auteur, son père, Djillali Larbi, a été arrêté le 25 mai 1994, en fin de matinée par des gendarmes; que lors de son arrestation, son employé et une connaissance de la famille étaient présents. Il note en outre que selon l’auteur, l’absence prolongée de son père ainsi queles circonstances et le contexte de l’arrestation de ce dernier portent à croire qu’il est décédé en détention. Le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément réfutant une telle allégation. Le Comité rappelle qu’en matière de disparition forcée, la privation de liberté, suivie du déni de reconnaissance de celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue, soustrait cette personne à la protection de la loi et fait peser un risque constant et sérieux sur sa vie, dont l’État doit rendre compte. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de conclure qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Djillali Larbi. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Djillali Larbi, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

8.5Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce que Djillali Larbi a été arrêté par la police le 3 juillet 1995, qu’il a été torturé au siège de la brigade de gendarmerie de Mechraa Sfa, qu’il portait d’ailleurs des traces visibles de coups au niveau du visage; et que son sort demeure inconnu à ce jour. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité considère que ces faits constituent une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de Djillali Larbi.

8.6Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Djillali Larbi a causées à l’auteur. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à son égard.

8.7En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité note les allégations de l’auteur qui affirme que Djillali Larbi a été arrêté le25 mai 1994par desgendarmes en uniformesans mandat de justice et qu’il n’a pas été informé des raisons de son arrestation,qu’il n’a pas été mis en examen et n’a pas été présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu recourir contre la légalité de sa détention. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9 à l’égard de Djillali Larbi .

8.8S’agissant du grief tiré du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Compte tenu de la détention au secret de Djillali Larbi et en l’absence d’informations fournies par l’État partie à ce sujet, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

8.9S’agissant du grief de violation de l’article 16, le Comité réitère sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (par. 3 de l’article 2 du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a pas fourni d’informations sur le sort réservé à la personne disparue ni sur le lieu où elle se trouve malgré les multiples demandes que l’auteur et sa famille ont adressées à l’État partie. Le Comité en conclut que la disparition forcée de Djillali Larbi depuis le 25 mai 1994 l’a soustrait à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

8.10L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à tous les individus dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, la famille de la victime a alerté les autorités compétentes de la disparition de Djillali Larbi, notamment le Procureur de la République du tribunal de Tiaret et le Procureur général de la cour de Tiaret;le chef de la sûreté et le Wali de la wilaya de Tiaret, le président de la CNCPPDH et le Président de la Républiquemais toutes les démarches entreprises se sont révélées vaines et l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition du père de l’auteur. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale continue de priver Djillali Larbi, l’auteur et sa famille de tout accès à un recours utile puisque cette ordonnance interdit, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves, comme les disparitions forcées (CCPR/C/DZA/CO/3, par. 7). Le Comité en conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, paragraphe 1; 7; 9; 10 et 16 du Pacte à l’égard de Djillali Larbi, et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, de l’article 16, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, paragraphe 1; 7; 9 ; 10, paragraphe 1; et l’article 16 du Pacte à l’égard de Djillali Larbi. Il constate en outre une violation de l’article 7, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 à l’égard de l’auteur.

10.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et sa famille un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Djillali Larbi; b) fournir à l’auteur et sa famille des informations détaillées quant aux résultats de son enquête; c) libérer immédiatement l’intéressé au cas où il serait toujours détenu au secret; d) dans l’éventualité où Djillali Larbi serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; e) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et f) indemniser de manière appropriée l’auteur pour les violations subies, ainsi que Djillali Larbi s’il est en vie. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Fabián Omar Salvioli et M. Víctor Manuel Rodríguez-Rescia

Nous sommes d’accord avec la décision du Comité des droits de l’homme concernant la communication no 1831/2008, dans laquelle le Comité conclut qu’il y a eu violation, à l’égard de Djillali Larbi, des droits garantis aux articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16 du Pacte et des obligations énoncées au paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16, ainsi que violation, à l’égard de l’auteur, de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec ce même article.

Nous sommes toutefois préoccupés par le fait que le Comité, dans ses constatations concernant la communication susmentionnée, ne considère pas comme une violation supplémentaire du Pacte l’existence de dispositions internes − plus précisément les articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01 − qui sont en soi contraires au Pacte.

Nous sommes au regret de rappeler que notre appréciation juridique des effets produits par l’existence et l’application desdits articles diffère de celle qu’en fait la majorité du Comité; les articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005 interdisent tout recours en justice contre des membres des forces de défense et de sécurité algériennes pour des crimes comme la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. Selon ces dispositions, quiconque présente une plainte ou un grief de cette nature encourt un emprisonnement de trois à cinq ans et une amende de 250 000 à 500 000 dinars algériens.

Le Comité n’a pas déclaré explicitement, ainsi que nous l’aurions souhaité, que l’article 45 de l’ordonnance no 06-01, de par sa teneur, va à l’encontre des dispositions de l’article 14 qui concernent le droit de toute personne d’avoir accès à la justice pour faire valoir ses droits. Le Comité aurait dû conclure également à une violation du paragraphe 2 de l’article 2, qui impose aux États parties l’obligation d’adapter leur législation aux normes définies par le Pacte.

La majorité du Comité maintient la pratique qui consiste à ne pas constater la violation de droits qui n’auraient pas été invoqués par les auteurs de la communication, omettant de ce fait d’appliquer le principe juridique jura novit curi a; ce faisant, le Comité limite lui-même ses attributions, sans motif, ce qui n’est pas approprié de la part d’un organe international de protection des droits de l’homme.

Il convient d’ailleurs de noter que cette prétendue pratique, outre qu’elle est erronée, n’est pas constante: le Comité lui-même a parfois appliqué le principe juridique jura novit curi a− quoique sans l’invoquer expressément − dans ses décisions. Il y a eu ces dernières années plusieurs affaires dans lesquelles il a pris la liberté d’appliquer le Pacte correctement vis-à-vis des faits constatés, en s’éloignant des arguments juridiques ou des articles explicitement invoqués par les partiesa.

L’existence même des articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01, qui prévoient la possibilité de condamner à une peine d’emprisonnement et à une amende quiconque dénonce une des infractions visées dans ces dispositions, est contraire au Pacte car elle a pour effet d’instaurer un cadre d’impunité qui empêche toute enquête, condamnation ou réparation dans le cas de violations graves des droits de l’homme, comme la disparition forcée de Djillali Larbi (père de l’auteur), dont on ignore le sort à ce jour. L’interdiction légale de dénoncer les faits survenus dans cette affaire et d’autres similaires, et par conséquent d’enquêter à leur sujet, favorise l’impunité en violant le droit d’accès à la justice, puisque l’ordonnance punit l’exercice du droit de recours face à des actes comme ceux qui ont motivé la présente communication pour avoir entraîné la disparition forcée de personnes.

Les mesures de réparation demandées par le Comité aux fins d’éviter que les mêmes faits ne se reproduisent dans d’autres cas similaires ne sont pas suffisantes. En effet, dans ses constatations, le Comité dit que «l’État devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées» (par. 10). À notre avis, le Comité aurait dû dire clairement et directement que l’interdiction faite dans l’ordonnance no 01/06 d’exercer un recours judiciaire pour obtenir l’ouverture d’une enquête sur des cas de torture, d’exécution extrajudiciaire ou de disparition forcée porte atteinte à l’obligation générale énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, en vertu duquel l’État algérien est tenu de «prendre, en accord avec [ses] procédures constitutionnelles et avec les dispositions du […] Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le […] Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur» (italiques ajoutés).

Les articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01 favorisent l’impunité et privent les victimes de ces graves infractions, ainsi que leurs proches, du droit à un recours judiciaire utile, en les empêchant de connaître la vérité, de faire valoir leur droit fondamental à saisir la justice et à exercer des recours, et d’obtenir une réparation complète. Même si l’on admet que les autres dispositions de l’ordonnance no 06-01 contribuent à la paix et à la réconciliation nationale en Algérie, cela ne peut se faire au détriment des droits fondamentaux des victimes et de leurs proches qui endurent les conséquences de graves infractions, et encore moins signifier que lesdits proches soient passibles de peines et de sanctions qui les rendent doublement victimes s’ils exercent leur droit de présenter un recours judiciaire, ce qui est en outre l’un des outils permettant de protéger et de garantir les droits de l’homme qui ne sont pas susceptibles de dérogation (comme le droit à la vie ou le droit de ne pas être soumis à la torture) y compris dans les situations exceptionnelles (art. 4, par. 2, du Pacte).

L’impossibilité légale de saisir un organe judiciaire qu’emporte la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale a privé et continue de priver Djillali Larbi, ainsi que l’auteur et sa famille, de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit, sous peine d’emprisonnement, de demander à un tribunal de faire la lumière sur les crimes les plus graves, comme les disparitions forcées.

Le Comité aurait dû demander explicitement, comme mesure de réparation visant à garantir la non-répétition des faits en cause, que l’État algérien s’acquitte de l’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 et, partant, qu’il adopte des mesures d’ordre législatif ou autre pour abroger les articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01 et éliminer ainsi les interdictions, peines, sanctions et tout autre obstacle ayant pour effet de laisser impunies de graves infractions telles que les disparitions forcées, la torture et les exécutions extrajudiciaires, aussi bien pour les victimes visées dans la présente communication que pour les victimes et les proches de celles-ci qui se trouvent dans des situations similaires.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]